Retenues sur salaire : 8 septembre 2022 Cour d’appel de Nouméa RG n° 20/00102

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Retenues sur salaire : 8 septembre 2022 Cour d’appel de Nouméa RG n° 20/00102

N° de minute : 68/2022

COUR D’APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 08 Septembre 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : N° RG 20/00102 – N° Portalis DBWF-V-B7E-RMV

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Septembre 2020 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :16/164)

Saisine de la cour : 09 Octobre 2020

APPELANT

S.A.R.L. CORDYLINE HOLDING, représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Séverine LOSTE membre de la SELARL SOCIETE D’AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

Représentée par Me Noémie KOZLOWSKI, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme [C] [A] épouse [J]

née le 17 Mars 1979 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 3]

Représentée par Me Marie-katell KAIGRE, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANT

CAFAT

Siège social : [Adresse 2]

en la personne de Monsieur [Z] [P]

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 25 Août 2022, en audience publique, devant la cour composée de M. Philippe DORCET, Président de chambre, président, M. François BILLON, Conseiller, M. Thibaud SOUBEYRAN,Conseiller, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.

Greffier lors des débats et de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

A compter du 1er juin 2015, la SARL CORDYLINE HOLDING, structure d’accueil de personnes âgées en perte d’autonomie, a engagé Mme [C] [A] épouse [J] en qualité d’animatrice. Le 25 janvier 2016, elle était victime d’un accident du travail (lumbago) pris en charge par la CAFAT.

A la suite de propos «’désobligeants’» et déplacés à l’égard du propriétaire de la société lors d’une réunion avec les équipes de la société du 26 avril 2016, elle faisait l’objet le 11 mai 2016, d’une mise à pied disciplinaire de trois jours.

Le 2 juin 2016, elle était déclarée médicalement apte à une reprise comportant néanmoins les restrictions temporaires suivantes’: 1°) limitation du port de charge à 5 kilos 2°) pas de transferts de patient 3°) « éviter de pousser ou tirer les fauteuils roulants, prévoir une formation gestes et postures rapidement ».

Mme [J] a cité par requête du 13 juillet 2016 son employeur devant le Tribunal du travail aux fins d’obtenir l’annulation de la mise à pied disciplinaire précitée et voir condamner la société à lui régler un rappel de salaire et des dommages et intérêts (RGF 16/164).

Le 8 décembre 2016, elle faisait l’objet d’une mise à pied conservatoire et se voyait remettre une convocation pour un entretien préalable à licenciement suite à la chute d’une pensionnaire Mme [E] lors d’une sortie au marché de [Localité 4] au motif qu’elle n’avait pas respecté le protocole sur les sorties et n’avait pas estimé devoir faire immédiatement examiner la résidente par un médecin.

Elle était placée en arrêt de travail du 9 décembre 2016 au 23 décembre 2016 par son médecin traitant le Docteur [F] qui observait un état de stress aigu en relation avec une situation conflictuelle au travail, le médecin du SMIT l’ayant déclaré inapte temporairement.

Elle était licenciée pour faute grave le 20 décembre 2016.

Le 28 décembre 2016, elle déclarait l’accident du travail du 8 décembre 2016 auprès des services de la CAFAT qui notifiait à Mme [J], suite à une enquête de matérialité, que les conséquences de son accident du 8 décembre 2016 seraient prises en charge au titre des accidents du travail (cf courriers des 10 février et 16 mars 2017).

Son arrêt de travail était prolongé jusqu’au 18 novembre 2017’date à laquelle elle était déclarée consolidée par le Docteur [H].

Par requête introductive d’instance enregistrée au greffe du tribunal du travail le 20 juillet 2018, (RG F 18/205) la SARL CORDYLINE HOLDING a fait convoquer Mme [J] et la CAFAT aux fins de contester la matérialité de l’accident du travail déclaré par sa salariée le 9 décembre 2016 et son caractère professionnel.

L’employeur soutient qu’en suite de la chute de Mme [E], Mme [J] avait simplement été convoquée à un entretien informel en présence du médecin coordonnateur et d’une autre salariée. Alors qu’il lui était demandé de s’expliquer sur les circonstances de l’incident, Mme [J] se serait brutalement emportée tout en contestant avec véhémence sa responsabilité. Il lui avait alors été notifié une mise à pied conservatoire et remis une convocation à entretien préalable. En aucun cas, Mme [J] n’était apparue en état de choc.

La SARL CORDILYNE expose en conséquence qu’il n’y a pas eu d’accident de travail et soutient que la CAFAT n’a procédé à aucune enquête de matérialité de sorte que la décision de la Caisse ne reposerait que sur les seules déclarations de la salariée.

La CAFAT dans des écritures du 03 avril 2019 relève à l’inverse que le caractère professionnel de l’accident est parfaitement justifié, l’enquête de matérialité étant étayée, outre l’audition de Mme [J], par celle du Directeur et les certificats médicaux faisant état du choc psychologique subi, constaté dès le lendemain, conséquence de la notification de sa mise a pied conservatoire immédiate lors de l’entretien du 8 décembre 2016.

Par ordonnance du 12 avril 2019, le juge de la mise en état ordonnait la jonction des procédures RGF 16/164 et RGF 18/205 sous le seul numéro RGF 16/164, constatait la prescription de l’action en reconnaissance de faute inexcusable relative à l’accident de travail en date du 25 janvier 2019 et ordonnait une expertise médicale de Mme [J].

Dans son rapport d’expertise, le Docteur [B], psychiatre, concluait comme suit’:

– il existait avant l’accident du 8 décembre 2016 une anxiété qui ne nécessitait pas de soins médicaux mais les faits qui se sont déroulés ce jour-là sont à l’origine d’une décompensation sous forme d’un état pathologique,

– Mme [J] a présenté un trouble de l’adaptation d’intensité modérée avec une anxiété, des reviviscences de la scène traumatique et un épisode dépressif majeur isolé avec syndrome somatique. Durant l’année de la prise en charge, la sexualité a été perturbée avec une perte de désir. L’appétit a été diminué, le sommeil étant perturbé avec la nécessité de prescription d’un traitement hypnotique. L’état a eu des conséquences sur la vie de son couple (irritabilité, perte de confiance) et sur son fils aîné qui a dû consulter au centre médico-psychologique du Grand [Localité 4].

– Elle n’a pas subi de remaniement de sa personnalité. Durant son arrêt, elle avait peu de contact en dehors de sa famille proche et se repliait Son arrêt de travail se situe entre le 09 décembre 2016 et le 31 octobre 2017 avec incapacité partielle à 10’% durant la période, la consolidation étant acquise au 1er novembre 2017.

– Il persiste un déficit fonctionnel permanent qui se traduit par des reviviscences induites par des indices externes à l’origine d’anxiétés. Le taux se référant au barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacité en droit commun du concours médical est de 3 %. La douleur morale induite par les reviviscences est comprise dans le taux. Mme [J] est autonome tant sur le plan physique que sur le plan psychique et se trouve en capacité de reprendre ses fonctions d’animatrice. Elle ne subit pas de répercussions sur le marché du travail et son état psychique qui n’est pas susceptible de générer des arrêts de travail réguliers et répétés, reste peu susceptible de modification en aggravation.

Par jugement en date du 08 septembre 2020, le tribunal du travail de Nouméa a jugé abusive la sanction disciplinaire notifiée le 11 mai 2016 à Mme [J] et annulé la mise à pied effectuée du jeudi 09 juin au lundi 13 juin 2016. Il a pour ces faits condamné la SARL CORDYLINE HOLDING à verser à sa salariée une somme de 21.675 XPF de salaire pour la période précitée outre cent mille (100’000) XPF de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Considérant par la suite son licenciement pour faute grave injustifié, la juridiction a condamné l’employeur d’une part à verser à Mme [J] 51 .657 XPF (indemnité légale de licenciement), 375. 690 XPF (préavis) outre 37’569 XPF de congés payés sur préavis, 83’851 XPF (règlement de la mise à pied à titre du 9 au 20 /12/ 2017, 1’127’070 XPF (licenciement abusif), 200’000 XPF (préjudice distinct), d’autre part à lui remettre sous astreinte les documents rectifiés (bulletin de salaire de décembre 2016, solde de tout compte, certificat de travail)

Il a jugé que Mme [J] avait bien été victime d’un accident de travail le 8 décembre 2016, constaté le lendemain et considéré que la SARL CORDYLINE HOLDING avait commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident. Il indiquait que la rente versée par la CAFAT devait être fixée au maximum sur un capital constitutif de la majoration de la rente de 544’778 XPF.

Il a condamné la SARL CORDYLINE HOLDING à payer à la CAFAT la somme de 554’778 XPF payable sur 6 trimestres d’un montant de 87’421 XPF outre un reliquat de 20’252 XPF représentant la cotisation supplémentaire et à verser à Mme [J] les sommes de 73’486 XPF (DFT) et 1’200’000 XPF (souffrances endurées).

L’employeur a été également condamné à verser à la CAFAT, 111’932 XPF (dépenses de santé), 1’947’330 XPF (indemnités de perte de salaire) et 544’778 XPF (capital constitutif de rente) outre 250’000 XPF de frais irrépétibles à Mme [J]

Par requête en date du 09 octobre 2020, la SARL CORDYLINE HOLDING relevait appel de la décision.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription de l’action pour l’accident du 25 janvier 2016

Au terme de l’article 51 du décret N°57 6245 du 24 février 1957, la prescription biennale en matière de maladie professionnelle et d’accident de travail court à dater du jour de l’accident ou de la clôture de l’enquête ou de la cessation de paiement de l’indemnité journalière, la date de l’accident étant la date de la première constatation selon les dispositions de l’article 42 du décret précité.

Il en résulte que la victime en cas d’action de faute inexcusable, peut faire valoir son droit à réparation dans un délai de deux ans soit de la date de l’accident, de la clôture de l’enquête ou de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident (Cass. 9 décembre 2010), soit de la date de la cessation de paiement de l’indemnité journalière.

En l’espèce, il résulte de la feuille d’accident de travail en date du 25 janvier 2016 portant le cachet de l’employeur, ne comportant aucune réserve, que Mme [J] a été victime d’un accident de travail déclaré le 25 janvier 2016 (douleurs lombaires) et de I’avis d’aptítude du SMIT en date du 2 juin 2016 qu’elle a repris son travail le même jour.

ll est constant que la requérante n’a saisi le tribunal du travail en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur que le 15 février 2019, soit postérieurement au délai de deux ans de la date de l’accident, de la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident et de la date de la cessation du paiement des indemnités journalières fixée au 2 juin 2016, faute d’autres éléments objectifs rapportés par la requérante.

Or cette prescription concerne l’accident du 25 janvier 2016 pour lequel aucune demande n’est formulée par Mme [J] ni aucune action engagée, l’essentiel du dossier concernant la contestation de la mise à pied du 11 mai 2016 et du licenciement du 20 décembre 2016 ainsi que la contestation du caractère professionnel de l’accident du travail du 08 décembre 2016.

Pour mémoire, l’expertise psychiatrique du Dr [B] a été ordonnée le 12 avril 2019 lors de la mise en état et de la jonction des deux procédures engagées l’une par Mme [J] en juillet 2016 aux fins d’annulation de la mise à pied disciplinaire du 11 avril 2016, l’autre par la SARL CORDYLINE au mois de juillet 2018 en contestation de la matérialité de l’accident du travail déclaré le 09 décembre 2016.

Il n’y a donc pas lieu en l’espèce de statuer sur la prescription d’une action en reconnaissance d’accident du travail en date du 25 janvier 2016.

Sur l’annulation de la mise à pied de 3 jours notifiée le 11 mai :

L’article Lp. 132-8 du Code du travail dispose qu’en «…cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui peuvent être fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. Le juge peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée a la faute commise ».

Il était reproché à Mme [J] dans sa convocation d’avoir tenu des «’propos’désobligeants (‘) remarques et propos déplacés’ à l’égard du directeur de la Cordyline’» lors de la réunion du 26 avril 2016, notamment en qualifiant de ‘femme à tout faire’ une collègue qui venait d’être recrutée en qualité d’assistante de direction, en se plaignant que les trousses de secours se trouvant à bord des véhicules contenaient des produits périmés et en «’haranguant’» la direction sur l’état général des véhicules.

La salariée soutient que l’annulation de sa mise à pied du 11 mai doit être confirmée, la procédure étant irrégulière puisque l’employeur était assisté par trois personnes don’t un médecin et une infirmière. La sanction serait en outre abusive car ses propos ne faisaient que dénoncer des conditions de travail déplorables et ce dans l’intérêt des pensionnaires.

Elle explique à cet effet que lors de la réunion étaient présents la pharmacienne, M. [K] qui est médecin coordinateur et co-gérant de l’établissement outre l’infirmière coordinatrice et que cet entretien s’est transformé en un véritable procès dont elle était l’accusée. L’employeur conteste la présence de Mme [M] la pharmacienne et précise que ce sont les deux gérants qui étaient présents ainsi que l’infirmière coordinatrice Mme [W], elle-même et la déléguée du personnel qui était aux côtés de Mme [J].

Il est donc constant que la requérante était assistée lorsqu’elle a été invitée à s’expliquer : elle sera déboutée de sa demande tendant à juger que la procédure est irrégulière.

Sur le fond, Mme [J] soutient qu’elle n’a fait que pointer les difficultés qu’elle rencontrait lors de ses sorties et rappelle qu’en raison de la réduction du personnel, elle souhaitait que la direction redéfinisse les postes en fonction de chacun des salariés.

C’est dans ces conditions que lorsque le directeur a expliqué que Mme [X], qui devenait assistante de direction, conservait la charge du soin des résidents, étant précisé que cette dernière avait été recrutée initialement comme aide-soignante, elle avait simplement fait valoir que l’on ne pouvait pas demander à une salariée d’occuper tous les postes simultanément, l’assistante de direction n’étant pas une ‘femme à tout faire ». Cette version des faits est confirmée par l’attestation de la salariée qui expose d’ailleurs s’être sentie «’insultée et humiliée’» qu’on la qualifie ainsi remettant en cause son «’intégrité morale’» (sic).

La société SARL CORDYLINE HOLDING réaffirme que la mise à pied disciplinaire prononcée le 11 mai était régulière dans la mesure où l’entretien n’a pas tourné au procès contre la salariée mais se justifiait à raison des propos infondés de la requérante mettant en cause le professionnalisme de pharmacienne de l’établissement voire diffamatoires à l’égard de l’assistante de direction, en la traitant de ‘femme à tout faire’.

Elle fait valoir que Mme [J] n’établit nullement les faits quelle dénonce et qui sont démentis par le témoignage du médecin coordinateur, M. [K] et la pharmacienne, Mme [M]. Elle observe que d’ailleurs, celle-ci a été sanctionnée postérieurement par deux avertissements pour avoir notamment adopté un comportement déplacé à l’égard d’une résidente et avoir porté une nouvelle fois des accusations excessives et non fondées de ‘magouille’ à l’encontre de sa collègue, déléguée du personnel.

En conséquence, elle maintient que, compte tenu de la nature de l’établissement et de l’obligation de l’employeur de préserver la santé de ses salariés, la sanction était légitime et proportionnée et que la salariée ne justifie pas du préjudice qu’elle invoque.

Or il sera relevé d’une part que seule Mme [X] a attesté du caractère insultant et humiliant de cette remarque alors qu’il résulte du courrier de mise à pied que ces propos auraient été tenus «’..devant la quasi-totalité des salariés de la Résidence’», d’autre part que d’évidence, ce terme a manifestement été utilisé pour mettre en exergue la multiplicité, avérée, des attributions de l’assistante de direction et enfin qu’aucune diffamation n’est constituée puisqu’il est établi que l’assistante de direction devait également intervenir dans les soins des résidents. Il convient de relever, par ailleurs, que les propos de la salariée ont été tenus dans le cadre d’une réunion de service et ne s’adressaient pas à des tiers.

Pour ce qui regarde les propos rapportés par la direction selon lesquels Mme [J] aurait indiqué que les trousses comportaient des produits périmés, celle-ci considère qu’elle s’est limitée à attirer l’attention de la direction sur ce point. Les attestations soutenant le contraire de la pharmacienne Mme [M] et du Docteur [K] ne sauraient suffire à établir que la salariée a tenu des propos mensongers alors que ces témoins étaient directement mis en cause sur ce point et que l’un d’eux est gérant de l’établissement.

Enfin, il est reproché à la salariée d’avoir interpellé le Directeur sur le mauvais état des véhicules. La Cour, à l’instar du premier juge, constate que la direction ne justifie pas tant du bon état général que de l’entretien des véhicules. Il n’est dès lors pas établi que les propos de la salariée étaient infondés.

La faute de la salariée n’étant pas établie, la mise à pied de trois jours apparaît disproportionnée et abusive, alors même que la salariée n’avait jamais fait l’objet de sanctions. Il convient de confirmer la décision du premier juge lui allouant un rappel de 21’675 XPF correspondant aux trois jours de retenue sur salaire outre l’indemnisation de son préjudice moral qui sera estimé à hauteur de 100’000 XPF.

Sur le licenciement :

L’article Lp 122-3 du code du travail dispose que tout licenciement «’…doit être justifié par une cause réelle et sérieuse’».

De jurisprudence constante, le licenciement n’est légitime que s’il est fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui nécessite la preuve de griefs matériellement vérifiables et objectifs qui sont suffisamment pertinents et rendent inéluctables la rupture du contrat de travail. Il peut être fondé sur une faute grave ou lourde et dans ce cas, il a nécessairement un caractère disciplinaire. Il peut également être légitime même si la faute n’est pas qualifiée de grave pour autant qu’elle ne permette plus la poursuite de la relation de travail. C’est au juge qu’il incombe d’apprécier l’existence et la gravité de la faute même en cas d’aveu de la part du salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations, résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis. La lettre de licenciement fixe les limites du litige et doit énoncer de manière suffisamment précise les motifs invoqués par l’employeur. Il appartient à l’employeur qui entend se prévaloir d’une faute grave d’en rapporter la preuve. A défaut, le doute profite à la salariée.

En l’espèce, il était reproché à Mme [J] en date du 08 décembre de ne pas avoir aidé Mme [E] une résidente qui venait de chuter en omettant de suivre le protocole précisant les mesures à prendre dans le cadre des sorties notamment en ne prenant pas soin de contacter la résidence et en décidant unilatéralement qu’il n’était pas nécessaire de la faire examiner aux urgences ou par un médecin au motif que l’incident était bénin aux dires de la résidente et enfin en n’interrompant pas la sortie pour faire des courses au marché de [Localité 4].

La salariée fait valoir qu’elle était seule le jour de la sortie avec 4 résidents dont 3 non valides et ce, alors que les préconisations du médecin du travail lui interdisaient tout port de charges de plus de 5 kilos et le transfert de patients. Elle relève d’ailleurs n’avoir reçu aucune formation à l’accompagnement des personnes invalides.

Elle allègue que son comportement n’est pas en cause puisqu’elle était occupée à sortir du véhicule M. [V] dans son fauteuil roulant et M. [S] qui se déplaçait en béquilles quand Mme [E] a chuté, celle-ci étant descendu du bus de sa propre initiative en donnant la main à une autre pensionnaire. Elle n’a donc pas pu se porter au secours immédiat de Mme [E] , celle-ci ne souhaitant pas interrompre la sortie pour consulter un médecin de sorte qu’elle a continué jusqu’au marché pour lui acheter des pains au chocolat et des légumes pour la Résidence sollicitant Mme [O] de surveiller pendant quelques minutes les résidents dans le véhicule, le temps qu’elle procède à ces achats, ce qui est confirmé par cette dernière (pièce requérante n°32).

Elle estime avoir avait pris les précautions nécessaires en rentrant à la résidence puisqu’elle avait fait examiner la pensionnaire par les infirmières et le médecin lesquels n’avaient prescrit aucun soin.

Elle conclut donc au caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement.

L’employeur soutient à l’inverse que les faits reprochés Mme [J] dans la lettre de licenciement sont constitués indiquant qu’une personne extérieure, Mme [G], a indiqué à la direction qu’elle avait dû porter assistance à la résidente qui avait chuté et que Mme [J] n’a pas informé CORDYLINE de l’incident conformément au protocole. Il maintient qu’en laissant seules les pensionnaires dans le véhicule sans surveillance, sa salariée a mis en danger les pensionnaires.

Pour autant, il ne produit aucun élément objectif contredisant la version de la salariée, corroborée par l’attestation précise et concordante de Mme [O] (pièce n° 32 salariée) établissant que Mme [J] n’a pas laissé les quatre résidents seuls dans le véhicule pour aller au marché mais a confié leur surveillance à une parente de résident et qu’arrivée à la résidence vers 10 heures, elle a conduit Mme [E] auprès des infirmières qui ont constaté le caractère très bénin des conséquences de la chute.

Le témoignage de Mme [G] (pièce n° 8 employeur) produit par la défenderesse selon laquelle cette dame aurait vu vers 09.45 sur le parking du marché, les résidents «’sans l’accompagnatrice’» dans le véhicule porte ouverte précisant avoir entendu la voix de l’accompagnatrice alors qu’elle démarrait ne contredit en rien les déclarations de Mme [J] et le témoignage précité. Il sera en outre relevé d’une part que la qualité et les liens de cette dame avec la SARL CORDYLINE ne sont pas précisés dans les pièces produites mais qu’il faudra attendre les conclusions d’appel pour comprendre qu’elle est salariée de CORDYLINE et d’autre part qu’il n’est pas indiqué par le témoin qu’elle sait que son écrit est destiné à servir en justice, une fausse attestation l’exposant à des sanctions pénales. (article 202 CPCNC). Enfin, contrairement à ce qui est écrit Mme [G] n’a jamais indiqué être «’choquée’» par ce qu’elle avait vu mais plus simplement être «’étonnée’».

La CORDYLINE ne produit aucun protocole de sortie imposant aux accompagnateurs de signaler systématiquement tout incident même mineur comme une chute sans gravité et de consulter un médecin même pour une blessure bénigne étant relevé qu’il ne saurait être reproché à Mme [J] d’avoir mis en danger les résidents alors que la direction avait autorisé la sortie avec une seule accompagnatrice qui faisait l’objet de restrictions médicales par le médecin du SMIT, notamment d’interdiction de ports de charges de plus de 5 Kgs et d’éviter de pousser les fauteuils roulants pour encadrer quatre personnes dont deux en béquille et une en fauteuil roulant.

Pour mémoire et ainsi que rappelé opportunément par le conseil de Mme [J] dans ses conclusions d’appel, l’arrêté 2011-2661 GNC relatif au taux d’encadrement au sein des structures hébergeant des personnes âgées en perte d’autonomie impose la présence d’un encadrant pour deux résidents pris en charge.

L’employeur fait néanmoins état de ce que la faute qu’il reproche à Mme [J] s’inscrivait en suite de deux avertissements non contestés par la salariée.

le 7 novembre 2016 à raison d’une tape sur le postérieur d’une résidente laquelle atteste qu’il s’agissait d’un jeu et nullement d’un acte de malveillance, apparaît disproportionné par rapport aux faits et ne justifiait qu’un recadrage.

le 21 novembre 2016 lequel s’inscrit dans le cadre d’une négociation de prime au cours de laquelle la déléguée du personnel avait donné son accord à la direction sans consulter ses collègues d’où les termes de ‘magouille’ et ‘filou » employés par Me [J] au cours dune réunion improvisée entre salariés, propos qui pour être désobligeants et virulents, n’ont pas dépassé la limite de la liberté d’expression du salarié syndiqué dans la mesure où ils sont tenus dans l’enceinte de l’entreprise et ne nuisent donc pas à l’employeur.

Aucune faute grave ne peut donc être reprochée à la salariée alors que la chute de Mme [E] n’a eu aucune conséquence physique et que c’est la pensionnaire, dont il n’est pas démontré qu’elle n’avait pas ses facultés mentales, qui avait demandé à l’animatrice de continuer la sortie et d’aller lui acheter des pains au chocolat.

Il en résulte que la mesure de licenciement était abusive et en tout état de cause disproportionnée alors que la salariée n’avait jamais fait l’objet de sanctions pour des faits similaires et qu’il résulte de toutes les attestations produites de parents de résident qu’elle s’était toujours montrée soucieuse du bien être des résidents et de leur sécurité.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il sera retenu que la mise à pied conservatoire et le licenciement sont injustifiés.

Sur la nullité du licenciement et l’indemnité d’éviction

Mme [J] soutient qu’elle a été licenciée alors que son contrat de travail était suspendu. En application des articles Lp 127-3 et Lp 127-8 du code du travail, elle demande que soit prononcée la nullité du licenciement sollicitant à cet égard le paiement de la période écoulée entre la rupture de son contrat et sa réintégration dans la limite du montant des salaires dont elle a été privée.

ll résulte d’une lecture combinée des articles Lp 127-3 et Lp 127-8 du code du travail que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail au cours des périodes de suspension que s’il justifie d’une faute grave du salarié. L’article L 127-2 du Code du travail dispose que le contrat de travail d’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est suspendu ‘pendant la durée de l’arrét de travail provoqué par l’accident ou la maladie.  »

Mme [J] a été placée en arrêt maladie à compter du 09 décembre 2016 et sa consolidation est intervenue le 18 novembre 2017 soit 11 mois et 10 jours apres. Elle a été licenciée suite à sa mise à pied conservatoire par courrier recommandé en date du 20 décembre 2016.

Le licenciement a donc eu lieu pendant la suspension de son contrat (L 127-2 Code du travail) et sera considéré comme nul.

A aucun moment, l’employeur n’a proposé de réintégrer la salariée laquelle sollicite en réparation une indemnité d’éviction qui sera calculée comme suit : 187 845 XPF (salaire moyen des trois derniers mois) X 11 = 2 O66 295 XPF + 187 845 / 30 X 10 = 62 615 XPF soit 2 128 910 XPF

Sur le paiement de la mise à pied conservatoire du 09 décembre :

En suite de sa mise à pied conservatoire du 9 au 20 décembre 2016 et de son licenciement pour faute grave du 20 décembre 2016, il apparaît, au vu des bulletins de salaire produit, que sont dues à Mme [J] les sommes de 74’733 XPF (7 jours de rappels de salaire + la prime d’ancienneté) et les congés payés sur cette somme (7473 XPF) soit un total de 83’851 XPF.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause, réelle et sérieuse’:

L’article Lp. 122-35 du Code du travail dispose que ‘si le licenciement d’un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. Si ce licenciement survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité prévue a l’article Lp. 122-27″.

Par application de la jurisprudence de cette cour et du tribunal du travail de Nouméa et compte tenu des circonstances de la rupture, il lui sera alloué la somme de 1’127’070 XPF à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l’indemnité d’ancienneté et de préavis (articles 88 et 87 AIT) :

L’article 88 ‘ Indemnité de licenciement ‘ de l’AlT dispose que ‘Lorsque le travailleur compte deux ans d’ancienneté (*) continue au service du même employeur, il a droit, sauf en cas de faute grave ou en cas de force majeure ou en cas de départ à la retraite à une indemnité minimum de licenciement calculée sur la base’:

– de 1/10ème de mois par année d’ancienneté jusqu’à 10 ans d’ancienneté,

– de 1/10ème de mois par année d’ancienneté plus 1/15ème de mois par année d’ancienneté sur la période au-delà de 10 ans d’ancienneté.

Le salaire servant de base au calcul de l’indemnité est le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour l’intéressé, le tiers des trois derniers mois, étant entendu que, dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, qui aurait été versée au salarié pendant cette période, ne serait prise en compte que «’prorata temporis’»

.

Cette indemnité de licenciement ne se cumule pas avec toute autre indemnité de même nature, et ne supporte pas de cotisations sociales.»

Au cas d’espèce Mme [J] a été embauchée le 1er juin 2015 avec reprise d’ancienneté au 19 mars 2014 (article 2 contrat de travail). La date d’envoi de la lettre recommandée notifiant le licenciement est du 20 décembre 2016. En incluant (Soc. 26 décembre 2007) le préavis de 2 mois prévu (article 87 de l’AIT), elle possède une ancienneté égale à 2 ans 11 mois et un jour. En l’état du salaire moyen des 3 derniers mois (187’845 XPF) il est dû à Mme [J], 51’657 XPF à ce titre outre deux mois de préavis soit 375’690 XPF.

Sur le préjudice moral :

La plupart des attestations figurant au dossier démontrent une quasi unanimité sur les compétences et l’implication de Mme [J] dans l’exercice de sa profession. Les circonstances de la rupture de son contrat apparaissent en conséquence particulièrement brutales étant raccompagné par le bras jusquà mla porte de ‘létablissement devant pensionnaires et employés.

Un licenciement, serait-il justifié ne saurait être exécuté dans des conditions vexatoires’: le préjudice moral de la requérante sera en conséquence confirmé à hauteur de 200’000 XPF.

Sur l’accident du travail du 08 décembre 2016 :

L’arrêté 58-405 du 29 décembre 1958 modifié par l’arrêté 80-457 du 28 octobre 1980 dispose que «’la victime d’un accident de travail doit dans la journée ou l’accident s’est produit ou au plus tard dans les 24 heures, sauf cas de force majeure, d’impossibilité absolue ou de motifs légitimes, en informer ou faire informer l’employeur ou l’un de ses préposés, les dispositions de l’article 10 de ce même texte prévoyant que la déclaration pourra être faite dans les mêmes conditions par la victime ou ses représentants jusque l’expiration de la deuxième année suivant la date de l’accident.’»

Or la SARL CORDYLINE soutient que Mme [J] n’a pas déclaré son accident dans les 24 heures et que la CAFAT n’a pas procédé à une enquête et ne l’a pas avisé de ce que sa salariée avait été victime d’un accident du travail.

Il résulte cependant des pièces versées au dossier que l’employeur a été avisé des faits dès le 09 décembre par le SMIT lequel avait adressé un avis d’inaptitude de la salariée comportant mention d’un arrêt de travail immédiat. Mme [J] était parfaitement légitime au sens de l’arrêté précité à ne pas contacter CORDYLINE dans les 24 heures tant en l’état de ses relations dégradées depuis plusieurs mois avec l’employeur que de son expulsion publique de la veille. Pour mémoire, la déclaration d’accident du travail sera finalement transmise par la salariée quelques jours après soit le 28 décembre 2016 respectant ce faisant le délai légal de deux ans.

S’agissant de la CAFAT, par courrier du 16 mars 2017, elle a avisé CORDYLINE de ce qu’elle avait reconnu le caractère professionnel de l’accident du 08 décembre 2016.

Sur le caractère professionnel de l’accident :

La SARL CORDYLINE conteste la matérialité de l’accident du 8 décembre 2016 et maintient que l’entretien au cours duquel a été notifié sa mise à pied conservatoire à Mme [J] après lui avoir demandé des explications, s’est passé sereinement’: seule, la salariée se serait emportée et aurait fui le débat en portant des accusations infondées sur la hiérarchie sans qu’aucun état de choc n’ait été constaté. La gravité des faits et le manque de conscience de la requérante, son comportement lors de la chute de la pensionnaire le 8 décembre, suffisaient de son point de vue à justifier le licenciement pour faute grave.

L’article 2 du décret N° 57-245 du 24 février 1957 dispose qu’est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, «’l’accident survenu par le fait ou a l’occasion du travail’, la jurisprudence considérant que tout accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé survenu par le fait ou à l’occasion du travail jusqu’à preuve contraire et que des troubles psychologiques causés par un choc émotionnel provoqué sur le lieu de travail peuvent être qualifiés d’accident de travail dès lors qu’il y a eu une manifestation accidentelle pendant le temps et sur le lieu du travail (Cass. Civ ², 15 juin 2004).

Il est constant que le 8 décembre 2016, à la suite d’une sortie au marché de [Localité 4] où elle accompagnait 4 pensionnaires, Mme [J] a été convoquée dès son arrivée à l’établissement et été mise à pied lors d’un entretien au cours duquel il lui a été reproché une attitude négligente à l’origine de la chute de la pensionnaire consistant notamment à ne pas l’avoir fait examiner par un médecin. L’employeur ne conteste pas avoir pris la salariée par le bras pour la faire sortir de son bureau et la raccompagner ostensiblement devant le personnel et les résidents vers la sortie. L’enquête de l’inspecteur du travail lors de laquelle le Directeur de l’établissement a été entendu, n’indique pas que ces propos, réitérés devant le psychiatre, étaient mensongers.

Le 9 décembre 2016, tant le médecin du SMIT que le médecin traitant, ont constaté qu’elle présentait un état d’anxiété très intense consécutif à ces faits et n’était plus en état de poursuivre son activité diagnostiquant un état de stress aigu en relation avec une situation conflictuelle au travail.

Le Docteur [B], désigné en qualité d’expert par le tribunal a retenu, au vu des éléments médicaux recueillis depuis le 9 décembre, qu’il existait avant l’accident du 8 décembre 2016, une anxiété qui ne nécessitait pas de soins mais que les faits du 8 décembre 2016, sont à l’origine d’une décompensation sous forme pathologique. Pour mémoire, l’employeur, dûment convoqué par l’expert, n’a ni assisté aux opérations d’expertise ni fait connaître les raisons de son absence.

Il s’ensuit que contrairement à ce que soutient l’employeur la requérante, qui avait déjà fait l’objet d’une mise à pied qu’elle avait contestée devant le tribunal, le 8 décembre 2016 a subi un choc psychologique sur son lieu de travail suite à sa mise à pied immédiate lors de l’entretien avec la direction alors qu’elle était déjà fragilisée par des relations difficiles avec le directeur de l’établissement et quelle avait eu à gérer un incident lors de la sortie avec les pensionnaires.

Toujours palpable 18 mois après les faits selon l’expert, le traumatisme a été provoqué par un événement soudain (convocation sans délai à un entretien et mise à pied immédiate) entraînant un choc psychologique sur son lieu de travail constaté médicalement dès le lendemain (stress aigu en relation avec une situation conflictuelle au travail). Faute pour l’employeur d’établir que le trouble psychologique est dû à une cause étrangère au travail, l’accident est donc présumé professionnel et doit être qualifié d’accident de travail.

Sur l’existence d’une faute inexcusable :

L’article Lp. 113-1 du Code du travail, dispose que «’… tout salarié a droit à des relations de travail empreintes de respect et exemptes de toute forme de violence..’», toute personne ayant le devoir de contribuer par son comportement au respect de ce droit.

L’employeur est tenu, à l’égard de la santé physique ou mentale de ses salariés, d’une obligation de sécurité de résultat’: le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable lorsqu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

ll est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié, il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage.

ll s’ensuit que la simple constatation du manquement à l’obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l’employeur si la victime apporte la preuve qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et l’absence de mesures de prévention et de protection.

Les violences morales de l’employeur peuvent parfaitement fonder une faute inexcusable (Cass 8 novembre 2012), l’employeur ne pouvant ignorer ou s’affranchir des données médicales afférentes au stress du travail et ses conséquences pour les salariés qui en sont victimes.

Mme [J] avait été déclarée apte à reprendre son travail en juin 2016 sous certaines conditions, suite à son accident de travail du 25 janvier 2016 puisque lui était interdit le port de charges de plus de 5 kg, le transfert de patients et qu’il lui était conseillé d’éviter de pousser les fauteuils roulants. Sur ce point précis, elle devait bénéficier à bref délai d’une formation sur les gestes et posture(cf avis SMIT du 02 juin 2016)

Lors de la sortie du 08 décembre autorisée par l’employeur, celle-ci encadrait seule 4 personnes dont trois invalides en violation des préconisations très claires du SMIT, la salariée devant faire descendre les quatre pensionnaires du minibus et assurer seule leur sécurité alors qu’elle était limitée physiquement et se trouvait dans l’incapacité de les soutenir. La SARL CORDYLINE ne justifie par ailleurs pas avoir organisé une formation sur les gestes et les postures.

En procédant de la sorte, alors qu’il était inévitable que l’accompagnatrice aurait été amenée le jour de la sortie à effectuer des gestes afin d’aider les résidents à se lever de leur siège ou pousser leur fauteuil roulant, l’employeur a mis en danger sa salariée.

En la convoquant à un entretien quelques heures après l’incident pour lui notifier sur le champ une mise à pied conservatoire à raison de la mauvaise gestion consécutive à la chute de Mme [E], en la prenant par le bras pour la conduire vers la sortie devant le personnel et les résidents, l’employeur qui ne produit aucun élément de nature à contredire ces faits, a eu un comportement excessif et vexatoire à l’endroit de Mme [J]. Il a également mis en danger les pensionnaires compte tenu des manquements à son obligation de sécurité de résultat.

Ces manquements sont indiscutablement à l’origine de l’accident de travail du 8 décembre 2016 et à l’origine du choc psychologique de la requérante. D’évidence, compte tenu de la chronologie des événements et du contexte, l’employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié en lui annonçant brutalement au cours d’un entretien une mise à pied immédiate vexatoire pour un incident dont la responsabilité lui incombait pour partie puisqu’il n’avait pas pris toutes les mesures pour assurer sa sécurité physique et celle des pensionnaires en ne respectant pas les préconisations du SMIT.

La faute inexcusable est donc caractérisée.

Sur ces conséquences :

Seule la faute inexcusable de Mme [J] eut été susceptible de justifier une réduction de la majoration de la rente (Cass. Civ.² 19 décembre 2002) de sorte que celle-ci sera fixée au taux maximum (article 34 du décret N°57-245 du 24 février 1957).

La CAFAT a proposé dans ses conclusions de fixer le montant du capital constitutif de la majoration de rente a la somme de 544’778 XPF en retenant un taux d’IPP de 3 % et la cotisation supplémentaire trimestrielle due par l’employeur à la somme de 87’421 XPF payable sur 6 trimestres outre un reliquat de 20’252 XPF .

Ces décomptes produits par la CAFAT pour la fixation du montant du capital représentatif de la majoration de la rente ainsi que pour la cotisation supplémentaire due sont conformes aux dispositions légales et non contestés.

Il sera fait droit aux demandes de la salariée sur ces points.

Sur l’indemnisation du préjudice personnel :

Au regard des dispositions du décret N°57-245 du 24 février 1957 qui sont d’application exclusive en Nouvelle-Calédonie, le tribunal du travail n’est compétent que pour les demandes concernant les prestations et indemnisation prévues par ce décret.

Néanmoins, la cour d’appel de Nouméa (CA Nouméa ‘ 3 arrêts du 12 novembre 2012) a toujours considéré que si l’accident était dû à une faute intentionnelle ou inexcusable de l’employeur, et tel est le cas en l’espèce, la victime ou ses ayants droit conservent contre ce dernier le droit de demander réparation du préjudice non indemnisé par l’application du décret de 1957, conformément aux règles du droit commun (Cass. Civ² 06 décembre 2006) à l’exclusion du préjudice économique proprement dit déjà indemnisé par la CAFAT par le versement d’une rente majorée (CA Nouméa, 14 mai 2009).

Ainsi que rappelé par le tribunal, le Conseil Constitutionnel dans une décision n°2010-8QPC du 18 juin 2010 a posé un principe général de réparation par l’employeur de tout préjudice résultant d’un accident du travail dû à sa faute inexcusable et non couvert par un régime légal d’indemnisation, principe appliqué dans plusieurs décisions par al cour de cassation (Cass. Soc., 30 juin 2011 et 4 avril 2012) : il en résulte qu’aucun élément objectif tiré du décret de 1957 précité ne fait obstacle à ce que l’ensemble des dommages non couverts soit pris en compte par les mêmes juridictions que celles compétentes en matière de reconnaissance de la faute inexcusable, donc par le tribunal du travail dont la compétence d’attribution est en Nouvelle-Calédonie celle dévolue en métropole au tribunal des affaires de la sécurité sociale (Arrêts SMSP 12 novembre 2012 Cour d’appel de NOUMEA, n°RG 11/00054).

D’où il résulte que le préjudice patrimonial et extra patrimonial non indemnisé par le décret de 1957 doit être indemnisé et que c’est la juridiction du travail qui est compétente pour en connaître.

Sur I’évaIuation du préjudice :

Il est fait application de la nomenclature des préjudices corporels telle que proposée dans le rapport [I] visé par les travaux préparatoires de la loi du 21 décembre 2006 n°2006-1640, rendue applicable en Nouvelle-Calédonie par l’ordonnance du 20 juin 2013 et le dernier barème du rapport [U], la jurisprudence exigeant que les juridictions se placent au plus prés de la réalité économique. Quant au recours de la CAFAT, il sera cantonné aux seules indemnités réparant les préjudices quelle a pris en charge au vu de ses demandes.

L’indemnisation se fera sur la base du rapport de l’expert M. [B] auquel il convient de se reporter et dont les conclusions ne sont pas contestées ainsi que sur les éléments médicaux et pièces justificatives produit par le requérant, non critiqués par les défendeurs.

S’agissant du préjudice extra patrimonial :

* Préjudices extra patrimoniaux temporaires (envisagé avant consolidation du dommage)’:

– Déficit fonctionnel temporaire (DFP) : il s’agit ici d’indemniser l’aspect non économique de l’incapacité temporaire. C’est l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusque sa consolidation. Ce préjudice est indemnisé sur une base équivalente a la moitié du salaire minimum. En l’espèce, l’expert a évalué son incapacité partielle à 10’% (barème du concours médical) pour la période du 9 décembre 2016 au 31 octobre 2017, soit 9 mois et 12 jours.

Il convient donc d’allouer à la victime la somme de 73’486 XPF calculée comme suit’: 70.456 XPF (156’568 / 2’×’9 x 10’%) + 3’030 XPF (156’568 x 12/31’×’10 %)

– Souffrances endurées : Il s’agit de toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime pendant la maladie traumatique et jusqu’à la consolidation. L’expert a retenu une évaluation des souffrances endurées à hauteur de 4/7, souffrance psychique qui s’est traduite par une anxiété, des reviviscences de la scène traumatique, un sentiment de culpabilité irrationnelle, un état dépressif avec syndrome somatique. Compte tenu de ces éléments et du barème [U], il lui sera allouée la somme de 1’200’000 XPF.

Sur les débours de la CAFAT :

La CAFAT, régulièrement mise en cause dans la procédure a produit ses débours correspondant à la somme de 2’059’262 XPF se décomposant comme suit :

111’932 XPF au titre des frais de médecine et de pharmacie,

1’947’330 XPF au titre des indemnités mensuelles pour la période du 21 décembre 2016 au 31octobre 2017,

544’778 XPF au titre du capital constitutif de rente calculé sur un taux d’lPP de 3 % non contesté par les parties.

La société défenderesse s’oppose au remboursement des débours de la CAFAT au motif qu’il résulte des dispositions de l’article 35 du décret 57-245 du 24 février 1957 qu’elle ne possède d’action contre l’employeur pour la totalité des indemnités versées au salarié qu’en cas de faute intentionnelle de l’employeur.

Le tribunal a fait droit aux demandes de la Caisse.

Or, ainsi qu’il résulte d’un avis récent de la cour de cassation, la CAFAT n’est pas fondée à réclamer le remboursement des frais médicaux, des indemnités journalières et du capital constitutif de rente compte tenu de la faute inexcusable de l’employeur.

Les dispositions du décret du 24 février 1957 sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d’Outre-mer sont d’application exclusive en Nouvelle-Calédonie. Ce texte fixe un régime spécifique pour la réparation des accidents du travail dans ces territoires qui exclut la réparation du préjudice conformément aux règles du droit commun lorsque l’accident n’est pas dû à la faute intentionnelle de l’employeur ou de ses préposés.

Il résulte de ce texte, dont les dispositions sont d’ordre public, que la caisse des allocations familiales et des accidents du travail ne saurait solliciter de l’employeur dont la faute inexcusable est reconnue le remboursement des dépenses exposées par elle correspondant aux préjudices patrimoniaux temporaires décomposés en dépenses de santé actuelles et pertes de gains professionnels actuels.

En cas de faute inexcusable de l’employeur, cette rente est majorée, ce qui donne lieu à une cotisation complémentaire à la charge de l’employeur par application de l’article 34 du Décret. Ce régime spécifique, qui exclut la réparation du préjudice conformément aux règles du droit commun lorsque l’accident n’est pas dû à la faute intentionnelle de l’employeur, ne permet pas à la CAFAT de solliciter auprès de ce dernier dont la faute inexcusable est reconnue le remboursement des dépenses exposées par elle correspondant aux préjudices patrimoniaux temporaires décomposés en dépenses de santé actuelles et pertes de gains professionnels actuels.

ll n’y a pas lieu de réserver les droits de la caisse s’agissant des éventuels frais de santé future.

La CAFAT n’est pas davantage fondée à solliciter la condamnation de l’employeur à lui rembourser les sommes exposées au titre de la rente et de sa majoration, étant rappelé qu’elle applique d’ores et déjà la majoration de cotisation de l’article 34 du Décret, le tribunal et la cour d’appel n’ayant été saisis d’aucun litige relatif au montant de cette majoration.

Sur la remise des documents rectifiés sous astreinte :

La SARL CORDYLINE sera condamnée à verser à la salariée le bulletin de salaire du mois de décembre 2016, le solde de tout compte et le certificat de travail rectifiés dans un délai de 15 jours à compter de la notification du présent. Aucun élément objectif ne justifie s’assortir la décision d’une astreinte.

Sur I’exécution provisoire :

Elle est de droit en cause d’appel

Sur les frais irrépétibles :

CORDYLINE conclut au débouté de toutes les demandes de Mme [J] et sollicite la somme de 300.000 XPF au titre des frais irrépétibles.

ll serait néanmoins inéquitable de laisser à la charge de la requérante les frais irrépétibles non inclus dans les dépens. ll sera fait application des dispositions de l’article 24-1 de la délibération n°43/CP du 4 mai 2016 portant modification de la délibération n° 482 du 13 juillet 1994 réformant l’aide judiciaire. La société défenderesse sera donc condamnée à lui verser la somme de 250’000 XPF à ce titre.

Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de la société défenderesse les frais irrépétibles qu’elle a engagés et elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur les dépens :

La gratuité de la procédure devant tribunal du travail de Nouméa (article 880-1 du code de procédure civile) n’implique pas l’absence de dépens au sens de l’article 696 du code de procédure en ce que cette absence aurait en particulier pour conséquence de ne pas permettre à la partie gagnante de voir ses frais de signification des décisions mis à la charge de la partie qui succombe. En conséquence, la SNC CORDYLINE qui succombe sera condamnée aux dépens

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

DIT n’y avoir lieu à constater la prescription d’une action en contestation d’accident du travail en date du 25 janvier 2016.

CONFIRME I’annulation de la mise à pied des 09, 10 et 13 juin 2016 et le paiement du salaire afférent (21 675 XPF) outre 100 000 XPF de préjudice moral ;

CONFIRME l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ;

ANNULE le licenciement en date du 20 décembre 2016 comme intervenu à l’occasion de la suspension du contrat de travail ;

CONDAMNE la SARL CORDYLINE à régler au titre de l’indemnité d’éviction une somme de 2 128 910 XPF (deux millions cent vingt-huit mille neuf cent dix francs) ;

CONDAMNE la SARL CORDYLINE à régler à Mme [J] une somme de 100 000 XPF pour défaut du respect des mesures de prévention ;

CONFIRME que la société CORDYLINE a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident de travail de Mme [J] et que la rente versée parla CAFAT doit étre majorée au maximum ;

FIXE le capital constitutif de la majoration de la rente à la somme de 544 778 XPF;

CONDAMNE la SARL CORDYLINE HOLDING à verser à madame [J] les sommes suivantes:

– soixante-treize mille quatre cent quatre-vingt-six (73.486) francs au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

– un million deux cent mille (1 .200.000) francs CFP au titre des souffrances endurées.

REJETTE les demandes de la CAFAT en remboursement de ses débours,

CONDAMNE la SARL CORDYLINE à régler à Mme [C] [A] épouse [J] une somme de 250 000 XPF au titre des frais irrépétibles d’appel ainsi que les dépens.

FIXE à TROIS (3)(4) les unités de valeur le coefficient de base servant à la rémunération de Me KAIGRE désignée au titre de l’Aide judiciaire pour le cas où elle ne recouvrerait pas les frais irrépétibles par application de l’article 24-1 de la Délibération 43/CP du 04 mai 2016.

Le greffier,Le président.

 


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