Retenues sur salaire : 8 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/02473

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Retenues sur salaire : 8 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/02473

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 08 JUIN 2022

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/02473 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7KTG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Janvier 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F17/08863

APPELANT

Monsieur [G] [C]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Lucie MESLÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : G0699

INTIMÉES

SARL LOMA

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Pierre-Henri D’ORNANO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0213

SARL BONGRAND ET ASSOCIES venant aux droits de la SARL MALO

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Dominique OZENNE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 6 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, et Mme Valérie BLANCHET, conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Madame Françoise SALOMON, présidente de chambre, et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat à durée indéterminée, M. [C] a été engagé à compter du 9 octobre 2005 en qualité de commis de cuisine, niveau 1, échelon 2 au sein du restaurant exploité sous l’enseigne ‘ La Fée Verte’.

A compter du 1er octobre 2013, la société Loma a repris le fonds en location gérance.

La société Loma compte moins de onze salariés et applique la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants du 30 avril 1997.

Du 8 au 11 octobre 2013, M. [C] a été placé en arrêt de travail.

Le 5 décembre 2013, M. [C] s’est présenté à son poste mais ne s’y pas représenté à compter du lendemain.

A compter du 16 décembre 2013, la société Malo a repris le fonds en location gérance et le contrat de travail du salarié. Elle compte plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants du 30 avril 1997

S’estimant victime de harcèlement moral et insuffisamment rempli de ses droits, le salarié a saisi le 10 décembre 2013 la juridiction prud’homale de demandes à l’encontre de la société Loma et de la société Bongrand venant aux droits de la société Malo.

Suite à un entretien du 31 janvier 2014, la société Malo a licencié le salarié pour faute grave le 11 février 2014.

Par jugement du 7 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté le salarié de ses demandes, les sociétés de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné le salarié aux dépens.

Par déclaration du 11 février 2019, M. [C] a interjeté appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 mai 2019, le salarié demande à la cour d’infirmer le jugement, de prononcer la nullité de son licenciement, et de condamner solidairement les sociétés Loma et Bongrand au paiement des sommes suivantes :

– 1 441,84 euros à titre de rappel de salaires pour octobre 2013,

– 144,18 euros de congés payés afférents,

– 1 835,56 euros à titre de rappel de salaires pour novembre 2013,

– 183,55 euros de congés payés afférents,

– 1 835,56 euros à titre de rappel de salaires pour décembre 2013,

– 183,55 euros de congés payés afférents,

– 1 835,56 euros à titre de rappel de salaires pour janvier 2014,

– 183,55 euros de congés payés afférents,

– 917,78 euros à titre de rappel de salaires pour février 2014,

– 91,77 euros de congés payés afférents,

– 22 026,72 euros à titre dommages et intérêt pour nullité de la rupture, subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 2 000 euros à titre de dommages et intérêt pour harcèlement professionnel,

– 3 671,12 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 367,11 euros à titre d’indemnité congés payés sur préavis,

– 3 135,14 euros à titre d’indemnité de licenciement.

Il sollicite la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document, et la condamnation de la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 juin 2019, la société Loma demande à la cour de confirmer le jugement, de déclarer irrecevables les demandes de rappels de salaire d’octobre 2013 au 15 décembre 2013 en tant que dirigées à son encontre, de débouter le salarié de ses demandes de rappel postérieures au 15 décembre 2013 et d’indemnités de rupture, de le débouter de ses demandes et de le condamner au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 juillet 2019, la société Bongrand demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes, de le condamner à lui verser la somme de 869,05 euros à titre de trop perçu pour le salaire du 16 au 31 décembre 2013 et 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

L’instruction a été clôturée le 8 mars 2022, et l’affaire fixée à l’audience du 6 avril 2022.

MOTIFS

Sur la nullité du licenciement

Le salarié soutient que son licenciement prononcé pour absence prolongée est nul dès lors qu’il trouve sa cause directe dans le harcèlement moral qu’il a subi.

Les sociétés contestent les faits de harcèlement moral et exposent que le salarié n’établit aucun fait permettant de faire présumer l’existence de harcèlement moral à leur encontre.

Aux termes des articles L.1152-1 et L. 1152- 2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel et aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés

Suivant les dispositions de l’article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral; dans l’affirmative, il appartient ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Le salarié évoque le fait que l’employeur ne dit ‘ni bonjour ni au revoir’, une pression dans l’exécution des tâches, la privation de ses pauses, l’absence de déclaration de son accident du travail qui serait survenu le 5 octobre 2013 dans les locaux du restaurant et le refus qui lui aurait été opposé à la reprise de son travail à l’issue de son arrêt de travail le 12 octobre 2014.

En l’espèce, le salarié ne verse aux débats aucun élément au soutien de ses allégations s’agissant de la privation de pauses ou de pression dans l’exécution des tâches. L’absence de déclaration par l’employeur de l’accident à caractère professionnel survenu au sein de l’entreprise le 5 octobre 2013 n’est pas établi au regard du seul élément produit constitué d’un avis d’arrêt de travail à compter du 8 octobre 2013 dont aucune mention ne permet d’établir qu’il aurait pour origine un accident survenu au temps et au lieu du travail.

Le fait de ne dire’ ni bonjour ni au revoir’ au salarié contribue à une mauvaise ambiance au travail qui ne peut toutefois être confondu avec un fait de harcèlement moral.

S’agissant du refus de l’employeur de le laisser reprendre son travail à l’issue de son arrêt de travail le 12 octobre 2013, les attestations de ses collègues, et notamment celle de M. [J] selon lequel ‘ chaque matin il venait et était renvoyé par son patron’ et celle de M. [Y] ne précisent aucune date ou période d’emploi. Celles de M. [N] et de M. [E] ne font que souligner les qualités de sérieux et de respect du salarié. Celle de M. [E], licencié pour faute grave, est dénuée d’objectivité. En outre, ces attestations sont contredites par les éléments produits par le gérant du restaurant qui justifie qu’il était à l’étranger entre le 26 octobre et le 2 novembre 2013, par les attestations de M. [A], comptable de la société qui venait dans les locaux du restaurant récupérer la caisse de la veille chaque matin et de Mme [T], serveuse extra employée entre octobre et décembre 2013, qui indiquent n’avoir jamais rencontré le salarié au restaurant. Cette allégation est en outre en contradiction avec l’envoi par l’employeur au salarié de mises en demeure de reprendre son travail.

La matérialité d’éléments de fait précis, concordants et répétés laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral à l’encontre du salarié n’est pas établie.

En conséquence, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande.

Sur le bien-fondé du licenciement

L’employeur reproche au salarié de ne pas avoir repris son poste à l’issue de son arrêt de travail en dépit de mises en demeure des 24 octobre 2013, 14 novembre 2013, 22 et 30 novembre 2013, de s’être présenté au travail le 5 décembre 2013 pour quitter son poste de manière précipitée à 15 heures alors qu’il était planifié jusqu’à 17 heures et de n’avoir jamais justifié son absence.

Le salarié fait valoir que l’employeur l’a dispensé expressément et de manière réitérée de reprendre son poste à l’issue de son arrêt de travail le 12 octobre 2013. Il a été licencié le 11 février 2014 alors que son contrat de travail était toujours suspendu et avant la visite de reprise, prévue selon l’employeur le 29 janvier 2014 dont il ne rapporte toutefois pas la preuve.

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé au sein de l’entreprise même pendant la durée du préavis.

L’employeur qui invoque la faute grave doit l’établir.

En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

‘Vous n’avez pas repris votre poste malgré notre demande et nous déplorons votre absence depuis notre reprise du fonds le 16 décembre 2013 ou depuis le 5 janvier à la suite de notre premier courrier du 3 janvier 2014 et en tout état de cause depuis le 13 janvier à la suite de notre second courrier du 8 janvier 2014.

Vous êtes donc en absence injustifiée.

Au cours de l’entretien préalable vous n’avez apporté aucune explication à votre absence et vous nous avez confirmé que vous n’entendiez pas reprendre votre emploi en présence de la personne qui vous assistait comme traducteur’.

Il résulte de la lettre de licenciement que la société Malo, qui a repris le fonds de commerce le 16 décembre 2013, reproche au salarié de ne pas s’être présenté à son poste de travail malgré un courrier recommandé avec avis de réception en date du 3 janvier 2014 et du 8 janvier 2014 et de n’avoir pas justifié son absence.

La société Malo produit la lettre adressée au salarié le 8 janvier 2014, qui est la copie de celle adressée le 3 janvier 2014 que le salarié prétend ne pas avoir reçue l’enveloppe étant vide, l’informant avoir repris le fonds de commerce de restaurant et son contrat de travail à compter du 16 décembre 2013 et lui demandant de reprendre ‘ sans délai votre poste au sein du restaurant à réception de la présente et au plus tard le lundi 13 janvier 2014 à 11 h. Nous tenons à votre disposition votre salaire du 16 décembre au 31 décembre 2013 même si vous ne vous êtes pas présenté à votre poste’.

Le salarié, qui a été en arrêt de travail du 8 au 11 octobre 2013 dont l’origine professionnelle est écartée, a été précédemment mis en demeure les 24 octobre 2013, 14 novembre 2013, 22 novembre 2013 et 30 novembre 2013 par la société Loma de reprendre son travail ou de justifier de son absence. Il n’a fourni aucun justificatif de son absence et ne s’est présenté à son travail que le 5 décembre 2013 de 8 heures à 15 heures. A cette date, le contrat de travail n’était donc plus suspendu.

Postérieurement, il ne s’est pas présenté à son travail et n’a pas justifié son absence en dépit des mises en demeure de l’employeur des 3 et 8 janvier 2014.

L’employeur produit au débat une attestation de Mme [K] qui indique avoir ‘ été sollicitée par Monsieur [C] [G] pour un poste de cuisinier vers la mi-septembre 2013. N’ayant pas de place disponible dans l’immédiat, il m’a laissé son CV m’indiquant qu’il était disponible de suite. Une place s’étant libérée en fin d’année, je l’ai embauché. A aucun moment il a mentionné le fait qu’il était en poste à la FÉE VERTE lors de notre premier entretien ni même qu’il y était encore lorsqu’il travaillait au sein de notre entreprise’. Cette attestation est corroborée par celle de M. [D], client du restaurant, qui indique que le salarié avait fait part de son souhait de quitter le restaurant à l’occasion du changement d’employeur.

Le fait ne de pas justifier son absence pendant plus d’un mois et de ne pas répondre aux demandes de l’employeur constitue une violation des obligations résultant de son contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise même pendant la durée du préavis.

En conséquence, la cour considère que son licenciement du salarié est fondé sur une faute grave et confirme le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes d’indemnités de rupture.

Sur la demande en paiement des salaires et sur la demande reconventionnelle de la société MALO

Le salarié sollicite le paiement des salaires d’octobre 2013 à février 2014.

La société Bongrand venant aux droits de la société Malo sollicite la condamnation du salarié à lui rembourser la somme de 869, 05 euros versée correspondant au salaire du 16 au 31 décembre 2013.

Le salaire étant la contrepartie de la prestation de travail, l’employeur peut en cas d’absence et sauf disposition légale ou conventionnelle contraire, opérer une retenue sur salaire exactement proportionnelle à la durée de l’absence.

En l’espèce, en l’absence de prestation de travail fournie par le salarié, et l’inexécution du travail étant exclusivement imputable au salarié, aucun rappel de salaire à l’exclusion de la journée du 5 décembre 2013 n’est justifié.

L’employeur à qui le contrat de travail a été transféré ne justifie pas avoir payé le salaire de la journée du 5 décembre 2013.

En conséquence, la cour, au regard des bulletins de salaire produits, condamne la société Bongrand venant aux droits de la société Malo à verser au salarié la somme de 85,36 euros et condamne le salarié à verser à la société Bongrand venant aux droits de la société Malo la somme de 869, 05 euros en remboursement du salaire indûment versé du 16 au 31 décembre 2013, par infirmation du jugement.

Sur les autres demandes

Les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances salariales. Pour la demande en restitution de l’indû, en application de l’article 1231-6 du code civil, le point de départ de l’intérêt au taux légal court à compter de la demande en restitution, soit à compter du 26 juillet 2019, date de notification des conclusions de la société Bongrand.

Le salarié qui succombe est condamné aux dépens.

Pour des considérations tirées de l’équité, il n’est pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

– Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

– Condamne M. [C] à verser à la société Bongrand venant aux droits la société Malo la somme de 869, 05 euros en remboursement du salaire indûment versé du 16 au 31 décembre 2013 ;

– Condamne la société Bongrand venant aux droits la société Malo à verser à M. [C] la somme de 85, 36 euros à titre de rappel de salaire pour la journée du 5 décembre 2013 ;

-Rappelle que la condamnation portera intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Bongrand de sa convocation devant le bureau de conciliation pour la créance salariale et à compter du 26 juillet 2019 pour la condamnation au titre de la répétition de l’indû ;

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne M. [C] aux dépens.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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