Retenues sur salaire : 8 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/09194

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Retenues sur salaire : 8 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/09194

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 08 FÉVRIER 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09194 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CETV4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Septembre 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BOBIGNY – RG n° 21/00390

APPELANT

Monsieur [D] [S]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Cathy FARRAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1553

INTIMÉE

S.A. COMPAGNIE D’EXPLOITATION DES SERVICES AUXILIAIRES AERIENS (SERVAIR)

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Sandrine LOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

INTERVENANTE

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DE L’AEROPORT DE ROISSY CHARLES DE GAULLE

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représenté par Me Cathy FARRAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1553

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Nadège BOSSARD, Conseillère, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [D] [S] a été engagé par la société Servair selon contrat à durée indéterminée le 1er décembre 1991.

M. [S] a successivement occupé un emploi de « agent quai » (1991/1993), «chauffeur VL » (1993-1998), puis « ajusteur PL professionnel logistique » depuis mai 1998.

M. [S] est affecté à l’unité « Servair 2 » de l’aéroport de [6].

Servair appliquait volontairement jusqu’en septembre 2021 la convention collective de la restauration publique et applique depuis novembre 2021, la convention collective du Transport Aérien, Personnel au sol, ainsi que les accords collectifs d’entreprise.

M. [D] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny en 2004 afin de faire constater le traitement différentiel qui lui était réservé en comparaison avec son collègue, M. [O] [Z].

L’affaire pendante devant le conseil de prud’hommes a été retirée du rôle le 6 février 2009.

Par saisine du 3 février 2011, il a été procédé à la réinscription de l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Bobigny. L’affaire a alors été enrôlée sous le numéro de RG F 11/00449.

A compter du 3 mai 2008, M. [D] [S] a été désigné Délégué Syndical Central du syndicat CGT de l’entreprise. Il bénéficie d’un crédit d’heures de 151 heures mensuelles pour l’exercice de son mandat à temps complet.

Par un premier jugement en date du 13 mai 2013 (RG F 11/00449), la formation de départage du conseil de prud’hommes de Bobigny a :

« Débouté M. [D] [S] de ses demandes fondées sur la différence de salaire avec M. [Z] ;

Condamné la société Servair à payer à M. [D] [S] les sommes de :

– 262 € à titre de rappel de primes de 13 ème et 14 ème mois ;

– 26 € pour les congés payés afférents

Débouté M. [D] [S] de sa demande à titre de prime d’ancienneté ;

Condamné la société Servair à payer à M. [D] [S] la somme de 443 € à titre de rappel sur retenue sur salaire pour grève jusqu’en mai 2008 ;

Condamné la société Servair à payer à M. [D] [S] la somme de 1 500 € à titre de dommages-intérêts pour retenues discriminatoires en raison de l’exercice du droit de grève ;

Débouté M. [D] [S] de ses demandes de rappel à titre de majorations et de majoration du dimanche au titre du dimanche 1er mai 2005, d’indemnité compensatrice de congés payés complémentaires pour la période 2004 à 2008, de dommages-intérêts pour privation de jours de congés, de rappels d’heures supplémentaires au titre des pauses ;

Condamné la société Servair à payer à M. [D] [S] la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour remise tardive des plannings de badgeage ;

Rappelé que les créances de nature salariale porteront intérêts de droit à compter de la date de la saisine (RG : F 04/04453) et les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;

Avant dire droit sur les demandes liées à la discrimination, l’entrave et l’exécution fautive du contrat de travail, ordonné la réouverture des débats afin que les parties fassent valoir leurs observations sur la décision du tribunal administratif du 26 mars 2013 ;

Renvoyé l’affaire à l’audience de départage du 6 septembre 2013 à 9 heures ;

Sursis à statuer sur les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile ».

Par jugement en date du 28 octobre 2013, le conseil de prud’hommes a :

« Déclaré irrecevable la nouvelle demande de l’Union Locale CGT à titre de dommages et intérêts

Débouté M. [D] [S] de ses demandes de reconstitution de carrière par positionnement au niveau B2, coefficient 212 et de rappel de salaire subséquent ;

Débouté M. [D] [S] au titre de la demande de rappel de salaire au titre des jours de formation syndicale ;

Débouté M. [D] [S] de sa demande de rappel de salaire au titre de la compensation salariale depuis mai 2008 et celle relative à un repositionnement sur planning ;

Annulé les sanctions des 23 septembre 2005, 14 octobre 2005, 10 novembre 2005, et 24 juillet 2006 ;

Sursis à statuer sur les autres demandes de M. [D] [S] et sur les demandes de l’Union Locale des Syndicats CGT de l’aéroport de Roissy dans l’attente de la décision définitive du juge administratif concernant les refus d’autorisation de licenciement des 6 décembre 2011 et 1 er juillet 2013 ;

Condamné la société Servair à payer à M. [D] [S] la somme de 1200 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Servair aux dépens de la présente instance. »

M. [S] a interjeté appel de ces deux jugements respectivement le 22 juin 2013 et le 26 novembre 2013. Ces deux affaires sont actuellement retirées du rôle à la demande de M. [S].

M. [S] a fait rétablir cette instance devant la formation de départage du conseil de prud’hommes de Bobigny, la condition du sursis à statuer du deuxième jugement du 28 octobre 2013 ayant été réalisée.

Par jugement en date du 24 septembre 2021 (RG F 21/00390) la formation de départage du conseil de prud’hommes de Bobigny a :

« Débouté M. [D] [S] de ses demandes de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, harcèlement moral et exécution fautive et déloyale du contrat de travail ;

Condamné M. [D] [S] aux dépens ;

Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire ».

Le 5 novembre 2021, M. [D] [S] a formé appel du jugement du 24 septembre 2021.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 14 octobre 2022, M. [S] demande de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bobigny du 24 septembre 2021

Et statuant à nouveau :

– Condamner la société Servair à payer à Monsieur [S] la somme de 200.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices causés par la discrimination syndicale

– Condamner la société Servair à payer à Monsieur [S] la somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices causés par le harcèlement moral

– condamner la société Servair à payer à Monsieur [S] la somme de 50.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices causés par l’exécution déloyale du contrat de travail

– Condamner la société Servair à payer à Monsieur [D] [S] la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamner la même aux entiers dépens.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 3 mai 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Servair demande de :

– Recevoir la société Servair en ses conclusions et, l’y disant bien fondée,

– Confirmer le jugement du 24 septembre 2021 en toutes ses dispositions ;

En conséquence,

– Débouter M. [S] de toutes ses demandes, fins et conclusions

Y ajoutant

– Condamner M. [S] à verser à Servair la somme de 5.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à lui rembourser les entiers dépens.

Par ordonnance en date du 6 décembre 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré l’union syndicale CGT de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle irrecevable en son intervention volontaire et l’a condamnée à la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 6 décembre 2022.

MOTIFS :

Sur la discrimination syndicale :

En vertu de l’article L1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (…) ses activités syndicales ou mutualistes, (…).

L’article L1134-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

M. [S] expose subir une discrimination du fait de son appartenance syndicale dans un contexte de constante entrave de la société Servair à l’exercice des activités syndicales. Il invoque l’expulsion en 2005 et 2007 des locaux syndicaux, le licenciement de 3 salariés grévistes adhérents au syndicat CGT, des pressions exercées sur 12 salariés élus et mandatés CGT, pour les faire partir ou renoncer à leur mandat, l’absence d’évolution de carrière des délégués CGT, les procédures judiciaires initiées à son encontre, la multiplicité des procédures de licenciement à son encontre en février 2007, avril 2007, novembre 2007, février 2008, octobre 2011, mai 2013, octobre 2014, avril 2016, octobre 2017, une mise à pied de deux jours et des retenues salariées en octobre 2007 injustifiées, un refus de réintégration après le refus de licenciement de l’inspection du travail du 8 février 2008, le recours aux services de la préfecture pour lui interdire l’accès à l’entreprise, la réduction, en septembre 2011 puis en juillet 2013, du nombre de salariés mis à disposition pour l’animation des ‘uvres sociales des personnels de l’établissement pour sanctionner son élection et sa réélection comme secrétaire du comité d’établissement, la dissimulation, de mai à décembre 2011, du rétablissement de son habilitation d’accès à l’entreprise, la poursuite de mesures discriminatoires en terme d’évolution de salaire et de carrière et l’absence d’entretiens de fin de mandat prévus par la loi et les accords d’entreprise sur le droit syndical et l’absence de bilan de compétences.

Si la réduction, en septembre 2011 puis en juillet 2013, du nombre de salariés mis à la disposition du comité d’entreprise pour l’animation des ‘uvres sociales des personnels de l’établissement n’est pas contestée, M. [S] ne produit aucun élément de nature à établir que la modification de cet usage, qui a été contestée en justice par le comité d’entreprise, visait à sanctionner l’élection de M. [S] et sa réélection comme secrétaire du comité d’établissement.

M. [S] produit de nombreuses décisions judiciaires relatives à des contentieux entre la société Servair et des salariés que M. [S] a assistés et justifie de son engagement syndical et de l’activisme revendiqué de son syndicat.

M. [S] établit la réalité de la procédure en diffamation initiée à son encontre en 2006 devant le tribunal de grande instance de Bobigny puis en 2007 devant le tribunal d’instance d’Aulnay sous Bois ainsi que la procédure d’expulsion des locaux syndicaux engagée par la société contre le syndicat CGT. La Cour de cassation a jugé sur le pourvoi des syndicats opposés à la société Servair que portait atteinte à la liberté syndicale l’employeur qui déplace le local syndical malgré l’opposition d’une organisation syndicale, sans autorisation judiciaire préalable en ce qu’il obligeait les salariés et les délégués syndicaux, à passer sous un portique de sécurité, à présenter un badge, et éventuellement à subir une fouille pour aller du bâtiment de production au local syndical ou en revenir, sans que l’employeur établisse l’impossibilité d’implanter le local syndical dans la zone de travail.

Il est par ailleurs constant que la société Servair a saisi à neuf reprises l’inspecteur du travail d’une demande d’autorisation de licenciement entre mars 2007 et novembre 2017.

Il résulte des pièces produites que M. [S] a fait l’objet d’une mise à pied à compter du 24 novembre 2007 concomitamment à la troisième demande d’autorisation de licenciement et que cette mise à pied a été annulée par ordonnance de référé du conseil de prud’hommes de Bobigny du 21 mars 2008 qui a ordonné la réintégration de M. [S] et le paiement d’un rappel de salaire à compter du 1er février 2008. M. [S] a fait l’objet d’une nouvelle demande d’autorisation de licenciement et à ce titre d’une nouvelle mise à pied à compter du 21 février 2008 jusqu’au 13 mai 2008.

M. [S] verse aux débats les neuf décisions de refus d’autorisation de licenciement prises par l’inspecteur du travail entre mai 2007 et novembre 2017 lesquelles étaient

motivées par le lien entre la procédure de licenciement et le mandat syndical de M. [S].

Sur la base des faits reprochés à M. [S] par les trois premières demandes d’autorisation de licenciement, l’autorité administrative a, par décisions du 9 avril 2008 et du 11 juin 2010, refusé le renouvellement de l’habilitation de sécurité requise pour accéder sur le site de Servair. ce qui a fait obstacle à l’exercice de son mandat syndical.

M. [S] justifie de la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée à son encontre par la société Servair pour faux et usage de faux portant sur une pétition signée par les salariés, procédure au cours de laquelle il a été placé en garde à vue à deux reprises, a subi une perquisition à son domicile, une mise en examen et un contrôle judiciaire et qui a été clôturée par une ordonnance de non lieu le 20 mai 2009. Il produit l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 7 avril 2011 ayant condamné la société Servair à lui payer la somme de 75 000 € à titre de dommages-intérêts pour constitution de partie civile abusive suite à cette plainte déposée par elle devant le juge d’instruction de Bobigny et ayant abouti à l’ordonnance de non lieu.

Il démontre la multiplicité des procédures de licenciement envisagées à son encontre en février 2007, avril 2007, novembre 2007, février 2008, octobre 2011, mai 2013, octobre 2014, avril 2016, octobre 2017 pour lesquelles un refus d’autorisation a été prononcé par l’autorité administrative.

Il se prévaut de deux décisions du Conseil d’Etat ayant annulé les arrêts de la cour administrative d’appel de Versailles des 15 mars 2016 et 16 juin 2016 et les jugements du tribunal administratif de Montreuil des 26 mars 2013 et 6 octobre 2014 aux motifs que la société Servair n’était pas fondée à critiquer le motif des refus opposés par l’autorité administrative tiré du lien existant entre la demande d’autorisation de licenciement et les mandats détenus par M. [S].

Si M. [S] établit avoir perdu son habilitation pour accéder à la zone réservée par décision préfectorale du 9 avril 2008 et du 11 juin 2010 ce qui a fait obstacle à l’exercice de son mandat syndical, il ne produit toutefois aucun élément de nature à caractériser de la part de la société la dissimulation, de mai à décembre 2011, du rétablissement de son habilitation d’accès à l’entreprise.

Aucune des pièces produites n’est relative à une absence d’entretien de fin de mandat prévu par la loi et les accords d’entreprise sur le droit syndical et à une absence bilan de compétences.

Pour autant, les faits établis, pris dans leur ensemble, font présumer une situation de discrimination syndicale.

La société Servair fait valoir que M. [S] et son syndicat la CGT ne sont pas les seuls à engager des contentieux collectifs ou à assister les salariés dans des contentieux individuels.

Elle verse aux débats le jugement du TGI de Paris en date du 10 janvier 2006 partiellement confirmé par la cour d’appel de Paris le 4 octobre 2007 dont il résulte que l’union locale CGT Roissy a été condamnée pour avoir diffamé le dirigeant de la société SERVAIR dans un tract. Cette condamnation ne concerne toutefois pas M. [S] personnellement.

Si la société Servair admet avoir été déboutée de son action en diffamation contre M.[S] par le tribunal d’instance d’Aulnay sous Bois, jugement confirmé par la cour d’appel de Paris le 30 avril 2009, elle souligne que M. [S] a été débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. Son action étant mal fondée, la société Servair n’y apporte pas de justification objective.

C’est en outre vainement qu’elle fait observer que sa plainte pour faux et usage de faux avec constitution de partie civile ayant abouti à une ordonnance de non lieu ne visait pas nommément M. [S], dans la mesure où elle a été condamnée pour constitution de partie civile abusive par la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris laquelle a relevé que M.[S] était nommément cité dans le corps de la plainte.

Si le placement en garde à vue de M. [S] le 25 avril 2007 et la perquisition à son domicile ont été décidés par les services d’enquête sous le contrôle de l’autorité judiciaire, ces mesures ont néanmoins été prises dans le cadre de l’instruction ouverte sur plainte avec constitution de partie civile de la société Servair pour faux et usage de faux, laquelle a été jugée abusive.

La société Servair relève en revanche à juste titre que la plainte pénale pour violences reprochée par M. [S] à la société Servair a été déposée non par Servair mais par l’un de ses salariés, responsable des ressources humaines, personnellement victime de violences de la part de M. [S] lequel a été condamné par le tribunal de police d’Aulnay par jugement du 23 mai 2008 confirmé par arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 3 juin 2009.

La société fait en outre valoir que le retrait d’habilitation ordonné par le Préfet s’impose à tous les tiers au nombre desquels Servair, et interdit, sous peine de sanctions pénales de laisser accéder l’intéressé en zone réservée sous quelque motif que ce soit, et pour quelque durée que ce soit. Elle souligne qu’en application de la décision de la cour d’appel de Paris du 20 novembre 2008, et en accord avec l’autorité préfectorale, un badge d’accès jaune visiteur a été accordé à M. [S] pour accéder aux locaux et y exercer son mandat deux fois par mois et accompagné. Elle justifie ainsi avoir pris les mesures visant à permettre un accès de M. [S] aux locaux pour y exercer ses activités syndicales.

L’employeur fait par ailleurs valoir que les multiples demandes d’autorisation de licenciement sont liées aux délais inhérents aux juridictions administratives et à l’exercice normal des voies de recours et à ce qu’elle qualifie de ‘obstination’ de l’administration du travail à refuser de suivre ‘les injonctions des juridictions administratives’. La société Servair établit que ses quatre premières demandes d’autorisation de licenciement formées les 23 mars 2007, 19 juin 2006, 5 décembre 2007 et 5 mars 2008 ont fait l’objet d’une décision de refus de l’inspecteur du travail puis d’un refus implicite du ministre, d’un rejet de la demande en annulation par le tribunal administratif de Montreuil statuant sur les quatre décisions après jonction puis d’une infirmation par la cour administrative d’appel le 4 octobre 2011 qui a annulé les décisions de refus d’autorisation, et que sa demande ultérieure d’autorisation de licenciement adressée à l’inspecteur du travail le 17 octobre 2011 a de nouveau été rejetée avant d’être annulée par le tribunal administratif de Montreuil le 26 mars 2013 et confirmé par la cour administrative de Versailles dont l’arrêt a toutefois été annulé par le Conseil d’Etat qui a renvoyé devant la cour administrative de Versailles laquelle le 16 juin 2016 a annulé le jugement, le pourvoi formé par la société Servair ayant été rejeté par le Conseil d’Etat le 28 octobre 2018.

Dès notification de la décision d’annulation de la décision de refus de l’inspecteur du travail par le tribunal administratif de Montreuil le 26 mars 2013, la société Servair avait toutefois déposé une nouvelle requête auprès de l’inspecteur du travail aux fins d’autorisation de licenciement laquelle a fait l’objet d’une décision de refus de l’inspecteur du travail puis d’un refus implicite du ministre avant d’être annulée par le tribunal administratif de Montreuil le 6 octobre 2014 dont le jugement a été infirmé par la cour administrative d’appel de Versailles le 15 mars 2016 dont la décision a été l’objet d’un pourvoi rejeté par le Conseil d’Etat.

Dès notification de la décision d’annulation non définitive de la décision de refus d’autorisation de licenciement par le tribunal administratif de Montreuil le 6 octobre 2014, la société Servair a déposé une nouvelle demande d’autorisation de licenciement auprès de l’inspecteur du travail le 13 octobre 2014 laquelle a fait l’objet d’une décision de refus de l’inspecteur du travail puis d’un refus implicite du ministre du travail, décision annulée par le tribunal administratif de Montreuil le 5 avril 2016 dont la décision a fait l’objet d’un appel devant la cour administrative de Versailles dont M. [S] s’est désisté le 7 juillet 2020.

De même, dès notification de la décision d’annulation de la décision de refus d’autorisation par le tribunal administratif de Montreuil le 5 avril 2016, la société Servair a déposé une nouvelle demande d’autorisation de licenciement le 22 avril 2016 qui a fait l’objet d’une décision de refus de l’inspecteur du travail puis d’un refus implicite du ministre, décisions qui ont été annulées par le tribunal administratif de Montreuil. M. [S] a interjeté appel de cette décisions puis s’est désisté le 7 juillet 2020.

La société Servair quant à elle avait déposé une nouvelle demande d’autorisation le 12 novembre 2017 ayant abouti à une décision de non lieu à statuer qui a été annulée par le ministre dont le refus a été contesté devant le tribunal administratif par la société Servair le 27 juin 2017 avant que la société Servair ne se désiste le 21 mai 2019.

Il résulte des pièces produites que la demande initiale d’autorisation de licenciement visait le refus réitéré à 8 reprises par M. [S] du 22 janvier 2007 au 12 février 2007 de se soumettre à la fouille de son sac à dos au point d’inspection filtrage et d’avoir adopté une attitude provocatrice à l’égard des agents de contrôle. Pour autant, M. [S] a contesté l’attitude qui lui était prêtée

La 3ème requête visait l’acte de violence physique commis par M. [S] contre un responsable RH de la société, faits pour lesquels il a été jugé coupable par le tribunal de police d’Aulnay le 23 mai 2008, jugement confirmé par la cour d’appel de Paris.

La 4ème requête visait en outre des propos relatifs à des camps de concentration qu’il était reproché à M. [S] d’avoir tenus lors d’une réunion du comité d’établissement contre une personne ‘d’origine germanique’.

La 5ème, 6ème, 7ème , 8ème et 9ème requêtes visaient les mêmes faits.

Le Conseil d’Etat, statuant au fond, a rejeté les demandes formées par la société Servair tendant à voir annuler les deux décisions de refus d’autorisation de licenciement considérant qu’il existait un lien entre celles-ci et les mandats exercés par M. [S].

La société Servair n’apporte dès lors aucune justification objective étrangère à une discrimination syndicale à ses décisions d’engager 9 procédures de licenciement successives à l’encontre de M. [S].

La cour a dès lors la conviction que M. [S] a subi une discrimination syndicale.

Si le préjudice subi du fait de la constitution de partie civile abusive a déjà été indemnisé, le préjudice subi à raison des autres faits constitutifs de discrimination syndicale doit l’être distinctement.

Au regard de la période de dix années au cours de laquelle les faits de discrimination syndicale sont retenus, le préjudice subi par M. [S] sera réparé par l’allocation de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement entrepris ayant débouté M. [S] de sa demande à ce titre sera infirmé de ce chef.

Sur le harcèlement moral :

Selon l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L1154-1 dans sa rédaction applicable aux faits antérieurs au 10 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.

Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, s’agissant de faits postérieurs au 10 août 2016.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Les obligations résultant des articles L. 1132-1 et L. 1152-1 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques.

En l’espèce, M. [S] invoque les procédures disciplinaires et pénales engagées à son encontre par son employeur et expose que ces agissements ont porté atteinte à sa dignité et à sa santé mentale.

M. [S] établit la matérialité des neufs demande d’autorisation de licenciement dont il a été l’objet de 2007 à 2017 et de la procédure pénale pour faux et usage de faux clôturée par un non lieu et dont le dépôt a été jugé abusif par la cour d’appel de Paris comme cela été sus exposé.

Ces faits pris dans leur ensemble font présumer une situation de harcèlement moral.

La société Servair ne développe pas de moyen de nature à établir que ses agissement et décisions seraient étrangers à tout harcèlement moral mais fait valoir que le préjudice subi consistant dans un préjudice moral et une atteinte à la dignité du salarié n’est pas distinct de celui subi par M. [S] du fait de la discrimination syndicale retenue en ce que celui-ci invoque une même atteinte à sa dignité.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le préjudice né des agissements répondant tant à la qualification de discrimination syndicale que de harcèlement moral est identique et ne peut ouvrir droit à une double indemnisation.

La demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral est en conséquence rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

M. [S] se limite à se référer aux manquements qu’il dénonçait dans de ses autres appels contre les jugements prononcés les 13 mai 2013 et 28 octobre 2013 sans toutefois

préciser la nature de ces manquements ni les identifier. Sa demande ne peut donc prospérer.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejetée cette demande.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Servair aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Servair est condamnée aux dépens d’appel et au paiement de la somme de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,

LE CONFIRME en ses autres chefs contestés,

statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Servair à payer à M. [D] [S] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,

CONDAMNE la société Servair à payer à M. [D] [S] la somme de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Servair aux dépens d’appel. 

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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