Retenues sur salaire : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/03545

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Retenues sur salaire : 7 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/03545

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 7 JUIN 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/03545 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7RJA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Juin 2018 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Commerce chambre 3 – RG n° F17/07909

APPELANTE

Madame [U] [A] [W]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jonathan CADOT, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

INTIMÉE

SOCIÉTÉ RIA FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Sophie GACHET-BARETY de la SELEURL GACHET-BARETY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : D2113

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Philippine QUIL, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 9 août 2007, Mme [U] [A] [W] a été engagée en qualité de guichetière par la société Ria France, celle-ci employant habituellement au moins 11 salariés et appliquant la convention collective nationale des sociétés financières.

Mme [A] [W] a été victime d’un accident du travail le 2 février 2009 et a ensuite également fait l’objet de plusieurs périodes d’arrêt de travail pour maladie.

Mme [A] [W] s’est vue reconnaître la qualité de travailleur handicapée à compter du 1er janvier 2010.

Après avoir été convoquée, suivant courrier recommandé du 16 février 2017, à un entretien préalable fixé au 28 février 2017, Mme [A] [W] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse suivant courrier recommandé du 9 mars 2017.

Invoquant l’existence de manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, contestant le bien-fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment remplie de ses droits, Mme [A] [W] a saisi la juridiction prud’homale le 25 septembre 2017.

Par jugement du 25 juin 2018, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– fixé le salaire moyen à 1 163 euros,

– condamné la société Ria France à payer à Mme [A] [W] les sommes suivantes :

– 6 978 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la partie demanderesse du surplus de ses demandes et la partie défenderesse de sa demande reconventionnelle,

– condamné la partie défenderesse au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 12 mars 2019, Mme [A] [W] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 15 février 2019.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 février 2022, Mme [A] [W] demande à la cour de :

– déclarer irrecevables les conclusions et pièces de la société Ria France communiquées le 14 février 2022 et rejeter la demande de péremption d’instance,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages-intérêts au regard de la violation par la société Ria France de son obligation de sécurité de prévention ainsi que de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents,

– confirmer le jugement pour le surplus sauf sur le quantum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– dire que la société Ria France a manqué à son obligation de sécurité de prévention,

– condamner la société Ria France à lui payer les sommes suivantes :

– 1 175,62 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de préavis outre 117,50 euros au titre des congés payés y afférents,

– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de prévention,

– 14 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 000 euros à titre d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

– dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l’article 1343-2 du code civil,

– condamner la société Ria France aux entiers dépens.

Par ordonnance sur incident du 12 mai 2022 n’ayant pas fait l’objet d’un déféré devant la cour, le conseiller de la mise en état a :

– prononcé l’irrecevabilité des conclusions de la société Ria France notifiées le 14 février 2022 et de ses pièces,

– rappelé que la présente ordonnance peut faire l’objet d’un déféré à la cour dans les quinze jours de sa date, dans les conditions de l’article 916 du code de procédure civile,

– condamné la société Ria France à verser à Mme [A] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Ria France aux dépens de l’incident.

L’instruction a été clôturée le 7 février 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 15 mars 2023.

MOTIFS

A titre liminaire, compte tenu de l’ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 12 mai 2022, la cour constate qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande (également formée devant elle) aux fins de voir déclarer irrecevables les conclusions et pièces de la société Ria France communiquées le 14 février 2022, la demande de péremption de l’instance formée par l’intimée dans le cadre desdites conclusions étant également irrecevable. Il sera en toute hypothèse constaté de ce dernier chef qu’aucune péremption ne peut être retenue en l’espèce compte tenu de l’avis de fixation en collégiale rendu par le conseiller de la mise en état le 24 septembre 2020, en ce qu’à compter de la fixation de la date des débats, les parties n’avaient plus à accomplir de diligences de nature à faire progresser l’instance, de sorte que le délai de péremption se trouvait suspendu.

En application de l’article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s’en approprier les motifs, étant rappelé que dès lors que les conclusions de l’intimée ont été déclarées irrecevables, celle-ci est également réputée s’être appropriée les motifs du jugement.

Par ailleurs, il sera rappelé qu’en application de l’article 906 du code de procédure civile, les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables, ladite irrecevabilité concernant tant les pièces de première instance que celles d’appel.

Sur l’obligation de sécurité

L’appelante fait valoir que la société intimée a manqué à son obligation de sécurité compte tenu du non-respect des préconisations du médecin du travail en matière de réalisation d’une étude de poste ainsi que de fourniture d’un siège ergonomique adapté, l’absence de respect desdites mesures ayant dégradé son état de santé.

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Il résulte de l’article L. 4121-2 du même code que l’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

En application de ces dispositions, il est établi que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

S’agissant du respect des préconisations de la médecine du travail, il résulte de l’avis du 6 juin 2008, établi dans le cadre d’une surveillance médicale renforcée, que la salariée a été déclarée apte, le médecin du travail indiquant : « Siège ergonomique recommandé (étude de poste possible) », la même préconisation afférente à un siège ergonomique adapté ayant été confirmée selon avis du médecin du travail des 17 novembre 2008, 12 janvier 2009, 1er juin 2009 (« Siège ergonomique non surélevé recommandé »), 23 juillet 2009 (« Siège ergonomique non surélevé recommandé ») et 27 novembre 2009 (« Fournir un siège ergonomique non surélevé »), l’avis du 8 janvier 2010 faisant à nouveau état de la nécessité de procéder à une étude de poste ainsi qu’à un avis ergonomique. Or, il ressort des éléments versés aux débats que l’étude de poste n’a finalement été réalisée que le 12 février 2010, soit plus de 20 mois après l’avis médical initial et après un nouvel avis du médecin du travail du 8 janvier 2010, l’étude concluant que « le poste de Madame [A] ne correspond pas aux recommandations ergonomiques en ce qui concerne: – l’accessibilité à l’unité centrale de l’ordinateur,

– le piètement de son siège,

– l’inclinabilité du dossier du siège ».

Il résulte par ailleurs des avis ultérieurs de la médecine du travail établis au titre des années 2010, 2011 ainsi que 2015, que les préconisations relatives à la fourniture d’un siège ergonomique en bon état avec dossier réglable ont continué à être mentionnées par le médecin du travail.

Si les premiers juges ont retenu que l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité en indiquant que la société intimée justifiait de la facture d’achat de chaises ergonomiques établie le 31 mai 2013 et des livraisons effectuées dans les différentes agences la même année, qu’elle avait effectivement et systématiquement veillé à l’organisation effective des visites médicales de reprise, que lors du retour provisoire de la salariée le 7 septembre 2015 au sein de l’agence de [Localité 6], celle-ci était équipée de siège ergonomique depuis 2013, tout comme l’agence d'[Localité 5] au sein de laquelle la salariée a été mutée en novembre 2016, la cour relève cependant que, comme justement allégué par l’appelante, la facture d’achat litigieuse n’a été établie que le 31 mai 2013 alors que la première recommandation du médecin du travail relative à la fourniture d’un siège ergonomique remontait au 6 juin 2008 et que l’étude de poste datait du 12 février 2010, étant de surcroît observé que le médecin du travail a continué à faire état des mêmes préconisations relatives à la fourniture d’un siège ergonomique en bon état, non surélevé et comportant un dossier réglable, ce qui implique que les sièges effectivement fournis par l’employeur n’étaient en toute hypothèse pas conformes aux dites préconisations.

Il sera en outre relevé à la lecture du courrier de la salariée en date du 26 octobre 2015 (daté par erreur de 2009) que son poste de travail au sein de l’agence de [Localité 6] n’était pas conforme compte tenu notamment de l’emplacement et de la disposition des imprimantes et des compteurs/vérificateurs de billets, lui occasionnant de fortes douleurs au niveau du dos et du cou, le médecin du travail ayant pour sa part indiqué, dans le cadre des avis médicaux des 5 septembre et 5 octobre 2015, qu’il convenait d’obtenir un avis ergonomique sur le poste de travail de l’intéressée compte tenu de son agencement, la salariée ayant également sollicité son transfert au sein de l’agence d'[Localité 5], lequel sera effectif en novembre 2016.

Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour retient que l’employeur ne justifie pas avoir effectivement pris les différentes mesures nécessaires prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité de la salariée et protéger sa santé physique et mentale.

Par conséquent, la société intimée ayant ainsi manqué à son obligation de sécurité, lesdits manquements ayant causé à la salariée un préjudice spécifique compte tenu de l’importance des répercussions sur son état de santé ainsi que cela résulte des différents éléments médicaux produits, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail

L’appelante fait valoir que le licenciement est intervenu dans un contexte de violation par l’employeur de son obligation de sécurité et dans le cadre de son retour sur son poste de travail à la suite d’un arrêt maladie, l’intéressée concluant à l’existence d’un lien entre l’absence de mesure prise pour préserver sa santé et la mesure de licenciement et soulignant qu’en tout état de cause, aucun fait fautif ne peut lui être reproché, ceux-ci étant soit prescrits soit infondés.

Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instructions qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En application de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :

« A la suite de faits que nous avons jugés préoccupants, nous vous avons convoquée le 16 février 2017 par lettre recommandée AR à un entretien préalable à un éventuel licenciement afin de recueillir vos explications. L’entretien préalable s’est tenu le 28 février 2017 en présence de Monsieur [S] [Z], Responsable du Réseau Agences, et de Monsieur [N] [I], Responsable de Zone Ile de France. Malheureusement, les explications que vous avez apportées lors de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

En conséquence, nous avons décidé de vous licencier pour cause réelle et sérieuse.

Vous avez été embauchée le 09 Août 2007 suivant contrat à durée indéterminée en qualité de Guichetière et travaillez au sein de l’agence d'[Localité 5].

Or nous constatons avec regret que, de manière délibérée, vous n’exécutez pas correctement votre contrat de travail.

Tout d’abord, vous arrivez très fréquemment en retard à votre poste de travail à l’occasion de la prise de poste, ce qui est inadmissible dans le cadre d’une relation de travail et nuit au bon fonctionnement de l’agence dans laquelle vous travaillez puisqu’il entraîne notamment une surcharge de travail pour vos collègues.

Ensuite, nous avons à déplorer votre comportement au quotidien au sein de l’agence et notamment la nonchalance et l’insubordination dont vous faites preuve.

Pour exemples :

– Lorsque vous le pouvez, vous évitez d’appuyer sur le bouton Travailleur Isolé situé près de votre poste de travail, contraignant ainsi votre collègue situé un tout petit peu plus loin du bouton à se courber pour le désactiver ;

– Le 27 décembre 2016, à la suite d’un écart de caisse de votre part, votre Responsable d’Agence, Monsieur [G] [F], vous a demandé de remplir une « feuille d’écart », ce que vous avez par la suite refusé de faire, faisant ainsi acte d’insubordination. Il est à noter que nous avions déjà eu à vous reprocher ce comportement dans le passé.

Votre comportement traduit un total manque d’esprit d’équipe, pourtant nécessaire en agence pour occuper votre fonction. En outre, il n’est pas admissible dans la mesure où il démontre votre volonté d’agir en « électron libre » au sein de l’agence, au gré de vos souhaits, ce qui génère une nette dégradation de vos relations avec vos collègues ainsi qu’une mauvaise ambiance de travail.

Votre attitude est d’autant plus regrettable et préjudiciable à notre société qu’elle est sans nul doute à l’origine de vos mauvais résultats et de votre faible productivité en termes de transferts d’argent.

En effet, la moyenne des transferts que vous effectuez à l’heure est bien constamment et significativement inférieure au rendement de vos collègues.

Ainsi :

– Le 6 janvier 2017, vous avez effectué en moyenne 2 transferts de l’heure alors que [O] [B] en faisait 5,4 de l’heure et [P] [H] [K], 3,2.

– Le 19 janvier 2017, vous avez effectué en moyenne 1,14 transferts de l’heure alors que [O] [B] en faisait 2,3 de l’heure et [P] [H] [K], 3,8.

– Le 23 janvier 2017, vous avez effectué en moyenne 2,28 transferts de l’heure alors que [O] [B] en faisait 3,8 de l’heure.

– Le 27 janvier 2017, vous avez effectué en moyenne 0,75 transferts de l’heure alors que [O] [B] en faisait 2,38 de l’heure et [P] [H] [K], 1,7.

Cette tendance ne s’est malheureusement pas inversée au mois de février 2017.

Lors de l’entretien préalable, vous avez nié les faits que nous vous reprochions relatifs aux retards répétés ainsi qu’au défaut d’établissement de la « feuille d’écart » et avez imputé les autres reproches, notamment la différence au niveau du nombre de transferts, à votre handicap et au fait que les bengladeshis préfèrent commercer entre eux.

Cependant, l’ensemble des éléments que nous avons en notre possession montrent votre manque d’implication dans l’exécution de votre contrat de travail ainsi que votre habitude d’outrepasser les règles existantes au sein de notre société et expliquent votre faible productivité. […] »

S’agissant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, il sera relevé que la salariée a été licenciée pour cause réelle et sérieuse et non pour inaptitude, de sorte qu’elle ne peut utilement invoquer la jurisprudence selon laquelle est dépourvue de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée, l’intéressée n’ayant pas plus sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail ou pris acte de la rupture de son contrat de travail en conséquence des manquements précités de l’employeur à son obligation de sécurité.

Concernant les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement, outre le fait que la société intimée, dont les conclusions et pièces ont été déclarées irrecevables, ne produit pas d’éléments de nature à justifier des manquements allégués à l’encontre de la salariée, la cour relève par ailleurs qu’en application des dispositions précitées de l’article L. 1332-4 du code du travail, compte tenu d’une convocation à entretien préalable intervenue le 16 février 2017, les éventuels faits fautifs antérieurs au 16 décembre 2016 sont nécessairement prescrits.

S’agissant des retards, étant constaté que la salariée n’a fait l’objet d’aucun avertissement ou d’aucune retenue sur salaire de ce chef, la cour relève également, ainsi que l’ont justement retenu les premiers juges, que les feuilles de temps versées aux débats par la salariée (lesdites fiches ayant été approuvées et validées par les trois supérieurs hiérarchiques de l’intéressée) ne font état d’aucun retard au titre de la période litigieuse.

Concernant les griefs relatifs au comportement nonchalant et à l’insubordination, il apparaît que le refus d’appuyer sur le bouton travailleur isolé n’est ni précisément circonstancié et daté dans la lettre de licenciement, ni caractérisé au regard des seuls éléments produits, et ce alors que la salariée fait valoir que deux boutons étaient installés dans l’agence d'[Localité 5], et ce à égale distance des deux postes de travail. De même, s’agissant de la feuille d’écart, outre que l’employeur n’établit pas l’existence d’un refus de la salariée d’en établir un le 27 décembre 2016, il apparaît également, ainsi que l’ont justement relevé les premiers juges, que l’intéressée a expliqué qu’elle n’avait aucunement refusé de remplir une telle feuille mais qu’il avait été convenu avec son responsable d’agence qu’elle la renseignerait lors de son prochain jour de travail effectif, soit le 29 décembre 2016. Enfin, il sera observé que l’existence d’un manque d’esprit équipe n’est aucunement caractérisée en l’espèce.

S’agissant enfin de l’insuffisance de résultats, étant rappelé que l’insuffisance de résultats ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement que lorsque le fait de ne pas avoir atteint les objectifs résulte d’une insuffisance professionnelle, lesdits objectifs devant présenter un caractère réaliste et correspondre à des normes sérieuses et raisonnables, il sera observé qu’il n’est pas justifié par l’employeur de l’existence d’objectifs en termes de transferts d’argent, et ce alors que la salariée effectuait d’autres tâches en sa qualité de guichetière selon les demandes des clients se présentant à elle (versement, paiement, change).

Dès lors, au vu de l’ensemble des éléments produits, ceux-ci ne permettant pas d’établir la réalité, la matérialité ainsi que l’imputabilité à l’appelante des faits allégués à son encontre, ni d’ailleurs le caractère volontaire et délibéré des manquements lui étant reprochés, étant rappelé que le doute persistant doit en toute hypothèse profiter à la salariée, la cour confirme le jugement en ce qu’il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

S’agissant de l’indemnité compensatrice de préavis, la durée du préavis étant de 3 mois en application des articles L. 5212-13 et L. 5213-9 du code du travail, et ce eu égard à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé de l’appelante à compter du 1er janvier 2010, l’intéressée n’ayant cependant bénéficié que d’une indemnité correspondant à 2 mois de salaire, la cour lui accorde un rappel d’indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 1 175 euros outre 117,50 euros au titre des congés payés y afférents, et ce par infirmation du jugement.

Selon l’article l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234-9.

En application de ces dispositions, eu égard à l’ancienneté dans l’entreprise (9 ans et 9 mois), à l’âge de la salariée (35 ans) et au montant de la rémunération de référence (1 163 euros) lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, la cour lui accorde la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce par infirmation du jugement sur le quantum.

Sur les autres demandes

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Selon l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, il y a lieu d’ordonner à l’employeur fautif de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à la salariée du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser à la salariée, au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens, la somme supplémentaire de 2 500 euros, la somme accordée en première instance étant confirmée.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Dit ne plus y avoir lieu de statuer sur la demande de Mme [A] [W] formée devant la cour aux fins de voir déclarer irrecevables les conclusions et pièces de la société Ria France communiquées le 14 février 2022 ;

Constate l’absence de péremption de l’instance ;

Infirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [A] [W] de ses demandes de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de rappel d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents ainsi que sur le quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Ria France à payer à Mme [A] [W] les sommes suivantes :

– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– 1 175 euros à titre de rappel d’indemnité compensatrice de préavis outre 117,50 euros au titre des congés payés y afférents,

– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Ria France de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus ;

Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l’article 1343-2 du code civil ;

Ordonne à la société Ria France de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Mme [A] [W] du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de trois mois d’indemnités ;

Condamne la société Ria France à payer à Mme [A] [W] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Déboute Mme [A] [W] du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Ria France aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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