AFFAIRE : N° RG 21/01191
N° Portalis DBVC-V-B7F-GXTS
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’ARGENTAN en date du 01 Avril 2021 RG n° F19/00027
COUR D’APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 1
ARRÊT DU 07 JUILLET 2022
APPELANTE :
Madame [Y] [R] épouse [E]
[Adresse 1]
Représentée par Me Serge DESDOITS, avocat au barreau d’ARGENTAN
INTIMEES :
S.A.S. MOTEURS JM prise en la personne de son représentant légal,
[Adresse 7]
Représentée par Me David LEGRAIN, avocat au barreau de CAEN
S.E.L.A.R.L. TRAJECTOIRE Commissaire à l’exécution de la SAS MOTEURS JM.
[Adresse 4]
S.E.L.A.R.L. LEMEE Mandataire judiciaire de la SAS MOTEURS JM.
[Adresse 2]
Association AGS – CGEA DE [Localité 6]
[Adresse 3]
Représentées par Me POMAR, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller,
Mme VINOT, Conseiller, rédacteur
DÉBATS : A l’audience publique du 05 mai 2022
GREFFIER : Mme ALAIN
ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 07 juillet 2022 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
Mme [E] a été embauchée à compter du1er décembre 1995 par la société moteurs JM en qualité de secrétaire.
Elle est devenue par la suite assistante commerciale puis, en outre, assistante achats.
Le 5 novembre 2018, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’égard de la société moteurs JM.
Mme [E] a été licenciée pour faute grave le 28 février 2019.
Le 9 mars 2019, elle a saisi le conseil de prud’hommes d’Argentan aux fins de contester son licenciement et obtenir paiement de diverses indemnités outre de rappels de salaire.
En cours d’instance, elle a également sollicité des dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et faits répétés de harcèlement durant l’exécution du contrat de travail.
Le 3 juin 2020, un plan de redressement de la société moteurs JM a été adopté.
Ont été appelés à l’instance Maître ès qualités de mandataire judiciaire, la selarl Trajectoire ès qualités de commissaire à l’exécution du plan, l’AGS CGEA.
Le 9 juin 2020, les conseillers se sont déclarés en partage de voix et l’affaire a été renvoyée à l’audience présidée par le juge départiteur.
Par jugement du 1er avril 2021, le juge départiteur d’Argentan a :
– rejeté les demandes de restitution de sommes et dommages et intérêts au titre de la retenue sur salaire du mois d’avril 2018
– dit que la procédure de licenciement est régulière
– requalifié le le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse
– condamné la société Moteurs JM à payer à Mme [E] les sommes de :
– 6 784,58 euros à titre d’indemnité de préavis
– 678,45 euros à titre de congés payés afférents
– 23 367,11 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement
– déclaré recevable la demande additionnelle en dommages et intérêts formée pour licenciement vexatoire et faits répétés de harcèlement
– dit que la société Moteurs JM devra indemniser Mme [E] en lui versant les sommes de :
– 20 353,74 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement
– rejeté la demande d’indemnisation au titre du harcèlement moral
– mis hors de cause l’AGS CGEA
– ordonné la délivrance par la société moteurs JM d’un bulletin de salaire et de l’attestation pôle emploi conformes
– dit que la société moteurs JM devra payer à Mme [E] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamné la société moteurs JM aux dépens.
Mme [E] a interjeté appel de ce jugement, en celles de ses dispositions ayant rejeté ses demandes au titre de la retenue sur salaire d’avril 2018, évalué à 20 353,74 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à 2 000 euros les dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement et rejeté la demande d’indemnisation au titre du harcèlement moral.
La société moteurs JM a interjeté appel de ce jugement, en celles de ses dispositions ayant requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, déclaré recevable la demande additionnelle, prononcé les condamnations susvisées, ordonné la remise de pièces et l’ayant déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens.
Les deux procédures ont été jointes.
La selarl Lemée et la selarl Trajectoire auxquelles ont été signifiées les déclarations d’appel n’ont pas constitué avocat.
Pour l’exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 2 mai 2022 pour Mme [E], du 5 avril 2022 pour la société moteurs JM et du 4 août 2021 pour l’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 6].
Mme [E] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en celles de ses dispositions ayant rejeté ses demandes au titre de la retenue sur salaire d’avril 2018, évalué à 20 353,74 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à 2 000 euros les dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement et rejeté la demande d’indemnisation au titre du harcèlement moral
– condamner la société moteurs JM à lui payer les sommes de :
– 835,66 euros au titre du solde de salaire d’avril 2018
– 83,56 euros à titre de congés payés afférents
– 500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive
– 57 668,93 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement et harcèlement moral
– 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner la société moteurs JM à lui remettre sous astreinte un bulletin de salaire et une attestation pôle emploi régularisés
– débouter la société moteurs JM et l’AGS CGEA de leurs demandes
– subsidiairement fixer les créances au redressement judiciaire de la société moteurs JM
– dire l’arrêt commun et opposable à l’AGS CGEA
La société moteurs JM demande à la cour de :
– infirmer le jugement en celles de ses dispositions ayant requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, déclaré recevable la demande additionnelle, prononcé les condamnations susvisées, ordonné la remise de pièces et l’ayant déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens
– confirmer le jugement sur le rejet des demandes au titre du salaire d’avril 2018, de la demande pour procédure irrégulière de licenciement, de la demande d’indemnité pour harcèlement moral et sur la mise hors de cause de l’AGS CGEA
– dire irrecevable la demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement et harcèlement moral
– débouter Mme [E] de l’ensemble de ses demandes
– condamner Mme [E] à lui payer la somme de 10 000 euros pour procédure abusive et celle de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– à titre subsidiaire dire que le montant de l’indemnité de préavis ne peut être supérieur à 6 367,60 euros et l’indemnité légale de licenciement à 22 157,06 euros
– à titre infiniment subsidiaire dire que le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne saurait excéder 9 551,40 euros.
L’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 6] demande à la cour de :
– à titre principal, confirmer le jugement en ce qu’il l’a mise hors de cause
– à titre subsidiaire, constater l’irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement et harcèlement moral et débouter Mme [E] de l’ensemble de ses demandes
– plus subsidiairement, exclure la garantie de l’AGS pour les dommages et intérêts pour harcèlement, débouter Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– encore plus subsidiairement réduire à 10 176,87 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– en tout état de cause, lui déclarer la décision à intervenir opposable dans les seules limites de la garantie légale et des plafonds applicables.
– condamner à lui payer les sommes de :
– ordonner à l’employeur de remettre sous astreinte les documents de fin de contrat conformes et les bulletins de paie et de régulariser les cotisations dues auprès des diverses caisses de protection sociale
– dire ce que de droit sur l’application de l’article L.1235-4 du code du travail
La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 mai 2022.
SUR CE
1) Sur la retenue sur salaire d’avril 2018
Sur le bulletin de salaire d’avril 2018 figure une retenue de 1 580,32 euros pour absence non rémunérée du 3 au 17 avril
Mme [E] soutient qu’elle était en arrêt de travail pour maladie et sollicite la somme de 835,66 euros correspondant à la différence entre celle retenue et le montant des indemnités journalières reçues.
Sont produits aux débats un avis d’arrêt de travail prescrit le 26 mars 2018 jusqu’au 17 avril 2018, une convocation adressée le 27 mars à Mme [E] par le service médical patronal lui demandant de se rendre le 3 avril au cabinet du docteur [G] à [Localité 5] pour un contrôle médical demandé par l’employeur, la réponse de Mme [E] ayant indiqué le 29 mars qu’elle était dans l’impossibilité de se déplacer à [Localité 5] le 3 avril et restait à disposition pour une visite à domicile.
Aucune visite n’a été entreprise au domicile et d’autres salariés attestent que le contrôle a été opéré par visite à leur domicile.
Contrairement à ce qu’indique le premier juge il n’appartient pas à Mme [E], malade, de justifier de son impossibilité de se déplacer, la contre-visite étant effectuée au domicile
Il sera donc fait droit à la demande au titre de la retenue injustifiée mais il n’est pas justifié d’un préjudice distinct justifié à raison d’un contrôle que l’employeur a la faculté de faire réaliser de sorte que la demande de dommages et intérêts sera rejetée.
2) Sur le licenciement
La lettre de licenciement rappelle ‘l’enchaînement des faits’ et contient en substance le reproche d’actes d’insubordination répétés en particulier le départ de l’entreprise en congés sans autorisation et sans préparation pour la prise en charge de votre travail par l’entreprise, de plus dans un contexte de fragilité de l’entreprise lié à la procédure en cours de redressement judiciaire.
Il importe de relever en préambule que le rappel de l’enchaînement des faits n’a trait qu’à ce départ en congés du 4 au 12 février 2019 et à un refus, lors de l’entretien préalable, de produire une réponse chiffrée permettant au superviseur de se positionner en particulier dans la problématique en cours de clôture des comptes 2017.
Sont produites les pièces suivantes : une demande de congés formée par Mme [E] le 30 octobre 2018 pour la période du 4 au 12 février 2019 par mail adressé à M. [V] et M. [O], la réponse de M. [V] le jour même ‘demande validée par [V] (validant 1)’, la réponse le 2 novembre de M. [O] ‘dans les incertitudes actuelles de l’entreprise, je pense qu’il est trop tôt pour se positionner sur une telle demande lointaine. Nous aviserons courant décembre’, une capture d’écran (‘référence : demandes d’absence’) indiquant pour Mme [E] des congés cochés en vert (le vert correspondant à ‘validé’ du 4 au 12 février), une copie d’écran afférente à un autre congé demandé par Mme [E] et apparaissant coché en jaune (le jaune correspondant à ‘supprimée’), un mail de M. [O] adressé le 29 janvier 2019 à Mme [E] et ainsi rédigé ‘vous m’avez indiqué que vous preniez des congés la première semaine de février. Je vous rappelle donc mon email du 2 novembre en pièce jointe. Les circonstances actuelles de l’entreprise… ne permettent toujours pas de donner une suite favorable à cette demande actuelement. Pour rappel, nous n’avons eu aucun échange à ce propos entre le 4 novembre et le 24 janvier’).
De ces éléments, il ressort que si la demande de congés n’avait été expressément validée le 30 octobre que par le ‘validant 1″, d’une part il n’est pas justifié par l’employeur du processus exact de validation des congés et des pouvoirs de M. [O] en la matière, d’autre part que M. [O], qui avait suspendu son accord jusqu’à décembre (et non pas refusé le congé demandé), n’a cependant fait connaitre aucune position avant le 29 janvier 2019 soit dans le délai de prévenance d’un mois de l’article L.3141-16 du code du travail pas plus qu’il n’a fait procéder à la suppression des congés dans le logiciel.
Quant à l’échange de mails produit en pièce 13 par la société moteurs JM et faisant référence à la façon de traiter les mails de fournisseurs en l’absence de Mme [E], ils ne fait pas la preuve d’une désorganisation induite par le départ de celle-ci en congés du 4 au 12 février.
Dans les circonstances et la chronologie qui viennent d’être évoquées, le départ en congés de Mme [E] ne saurait être considéré comme une faute grave ni même comme une faute justifiant un licenciement.
Nonobstant les énonciations de la lettre de licenciement, la société moteurs JM ne s’explique et ne se prévaut d’aucun autre fait.
Le licenciement sera donc sans cause réelle et sérieuse.
Au vu des salaires mentionnés sur les bulletins de salaire une indemnité de préavis de 6 367,60 euros est due ainsi qu’une indemnité de licenciement de 22 157,06 euros.
En considération de l’ancienneté (23 ans), de l’âge de la salariée, de sa situation préciare postérieurement au licenciement (contrats précaires pour un salaire moindre) et du salaire moyen prime de treizième mois comprise (3 183,80 euros) et en application de l’article L.1235-3 du code du travail, les dommages et intérêts seront évalués à 54 000 euros.
3) Sur la demande de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture et harcèlement
Cette demande a été formée en cours de première instance.
En ce qu’elle vise les circonstances prétendument vexatoires du licenciement, elle se rattachait par un lien suffisant à la demande initiale tendant à l’octroi de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et était donc recevable.
En revanche, en ce qu’elle est fondée sur le prétendu traitement harcelant subi durant toute la vie du contrat, elle ne rattachait pas par un lien suffisant aux demandes initiales portant sur le licenciement et sur un rappel de salaire, ce qui la rend irrecevable.
À l’appui de la demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement, Mme [E] se borne à indiquer qu’elle n’avait jamais fait l’objet de la moindre remarque ou sanction avant le licenciement, circonstance prise en compte pour apprécier le sérieux de la mesure et qui ne caractérise en rien une vexation ouvrant droit à dommages et intérêts distincts de sorte que la demande sera rejetée.
La remise des documents demandés sera ordonnée sans qu’il y ait lieu de l’assortir d’une astreinte en l’absence d’allégation de circonstances le justifiant.
La société Moteurs JM, étant in bonis, le jugement sera confirmé en ce qu’il a mis hors de cause l’AGS-CGEA.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement entrepris, sauf en celle de ses dispositions ayant mis hors de cause l’AGS-CGEA,
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Condamne la société Moteurs JM à payer Mme [E] les sommes de :
– 835,66 euros à titre de solde de salaire d’avril 2018
– 83,56 euros à titre de congés payés afférents
– 6 367,60 euros à titre d’indemnité de préavis
– 636,76 euros à titre de congés payés afférents
– 22 157,06 euros à titre d’indemnité de licenciement
– 54 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 2 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Déboute Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts pour retenue injustifiée et de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement.
Condamne la société Moteurs JM à remettre à Mme [E], dans le délai de deux mois de la signification du présent arrêt,un bulletin de salaire par année et une attestation Pôle emploi, conformes au présent arrêt.
Ordonne le remboursement par la société Moteurs JM à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à Mme [E] dans la limite de trois mois d’indemnités.
Condamne la société Moteurs JM aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
M. ALAINL. DELAHAYE