COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
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ARRÊT DU : 04 MAI 2022
PRUD’HOMMES
N° RG 18/06887 – N° Portalis DBVJ-V-B7C-KZDQ
SCP [N] [Y] & [P] [F], ès qualités de mandataire liquidateur de la société I CONCEPT MENUISERIE
c/
Monsieur [B] [U]
UNEDIC délégation AGS – CGEA de BORDEAUX
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 novembre 2018 (RG n° F 17/01066) par le conseil de prud’hommes – formation paritaire de BORDEAUX, section Industrie, suivant déclaration d’appel du 21 décembre 2018,
APPELANTE :
SCP [N] [Y] & [P] [F], es qualité de mandataire liquidateur à la procédure ouverte à l’encontre de la Société I Concept Menuiserie siret n° 797 393 162 00020 désignée à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 18 avril 2018, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social, [Adresse 1]
représentée par Maître Juliette CAILLON substituant Maître Philippe HONTAS de la SELARL HONTAS ET MOREAU, avocats au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [B] [U], né le 21 novembre 1996 à [Localité 4], de nationalité française, demeurant [Adresse 3],
représenté par Maître Fanny METRA-FAUCON, avocate au barreau de BORDEAUX,
UNEDIC délégation AGS – CGEA de Bordeaux, prise en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité audit siège social, [Adresse 2],
représentée par Maître Juliette CAILLON substituant Maître Philippe HONTAS de la SELARL HONTAS ET MOREAU, avocats au barreau de BORDEAUX,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 février 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Rémi Figerou, conseiller chargé d’instruire l’affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sophie Masson, conseillère
Monsieur Rémi Figerou, conseiller
Greffière lors des débats : Anne-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [B] [U], né en 1996, a été engagé par la SASU I Concept Menuiseries par un contrat de professionnalisation à durée déterminée pour la période du 3 octobre 2016 au 31 août 2018 en qualité de technico-commercial.
Le 19 avril 2017, M. [U] a été placé en arrêt de travail pour maladie, jusqu’au 3 mai 2017 et a adressé à son employeur un courrier lui reprochants différents manquements à ses obligations.
Par lettre du 9 mai 2017, M. [U] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en faisant référence à son courrier précédent.
Le 7 juillet 2017, soutenant que sa prise d’acte de la rupture doit produire les effets d’une rupture anticipée abusive de son contrat à durée déterminée, M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux.
Par jugement du 18 avril 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la liquidation judiciaire de la société I Concept Menuiseries et a désigné la SCP [Y]-[F] en qualité de liquidateur.
Par jugement rendu le 13 novembre 2018, le conseil de prud’hommes a :
– dit que l’employeur a gravement manqué à ses obligations contractuelles,
– déclaré que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par M. [U] produit les effets d’une rupture anticipée de contrat de travail à durée déterminée, abusive et aux torts de l’employeur,
– fixé la créance de M. [U] au passif de la liquidation judiciaire de la société I Concept Menuiseries à la somme de 16.320,23 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
– dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire du jugement,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– dit le jugement opposable à l’AGS dans la limite légale de sa garantie.
Par déclaration du 21 décembre 2018, la SCP [Y]-[F], en sa qualité de liquidateur de la société I Concept Menuiseries a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions du 19 mars 2019, SCP [Y]-[F] demande à la cour de :
– réformer le jugement en ce qu’il a retenu que la prise d’acte de la rupture produit les effets d’une rupture abusive aux torts de l’employeur et de débouter M. [U] de ses demandes à ce titre ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [U] de ses autres demandes tendant à voir fixer au passif ses créances aux sommes suivantes :
* 2.345,87 euros à titre de rappel des indemnités de fin de contrat,
* 164,70 euros à titre de rappel de salaires correspondant aux retenues injustifiées outre les congés payés y afférents, soit la somme de 16,47 euros,
* 777,15 euros à titre de rappel de l’indemnité compensatrice de congés payés,
* 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
– confirmer le jugement en ce qu’il jugé que la demande de M. [U] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens n’était pas fondée.
Aux termes de ses dernières écritures du 15 juin 2021, M. [U] demande à la cour de confirmer le jugement rendu en ce qu’il a dit que l’employeur avait gravement manqué à ses obligations contractuelles et en ce qu’il a fait produire à la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail les effets d’une rupture anticipée de contrat de travail à durée déterminée abusive et aux torts de l’employeur, et a fixé au passif de la société I Concept Menuiseries sa créance ‘salariale’ pour un montant de 16.320,23 euros, soit les dommages et intérêts pour rupture abusive.
Il demande également à la cour de lui donner acte de ce qu’il renonce à sa demande relative à l’indemnité de fin de contrat.
Par ailleurs, il sollicite la réformation du jugement en ce qu’il l’a débouté de ses autres demandes et la fixation au passif de la société I Concept Menuiseries des sommes suivantes :
– 164,70 euros au titre des salaires correspondant aux retenues injustifiées outre 10 % de congés payés, soit la somme de 16,47 euros,
– 777,15 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,
– 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Il demande enfin à la cour de dire que chaque partie conserve à sa charge les frais engagés au titre de la présente instance.
Aux termes de ses dernières conclusions du 11 juin 2019, l’UNEDIC délégation AGS – CGEA de Bordeaux demande à la cour de dire qu’en matière de prise d’acte, le doute doit profiter à l’employeur, de réformer le jugement en ce qu’il a dit que la prise d’acte de la rupture produit les effets d’une rupture anticipée abusive de contrat de travail à durée déterminée et de débouter M. [U] de sa demande de fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société I Concept Menuiseries de la somme de 16.320,23 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.
Elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté M. [U] de ses autres demandes.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 22 février 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail
La prise d’acte de la rupture du contrat par un salarié produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d’acte de la rupture produit les effets d’une démission.
En l’espèce, M. [U] invoque les manquements suivants de son employeur :
– harcélement moral
– absence de visite médicale d’embauche,
– retards dans le paiement des salaires,
– absence de formation.
Sur le harcélement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 du même code, en vigueur au moment des faits litigieux, dispose : ‘Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’
M. [U] invoque les faits suivants :
– une surveillance excessive de sa personne par l’envoi par Mme [Z], présidente de la société, de SMS les 10 avril, 11 avril, 18 avril, et 19 avril 2017 ;
– le ton agressif de Mme [Z] employé dans les SMS adressés le 11 avril 2017 ;
– des accusations infondées d’absences, notamment le 4 avril 2017 ;
– des menaces de sanctions, notamment le 11 avril 2017 ;
– une invitation à rentrer chez lui sans motif, le 12 avril 2017.
Pour étayer ses affirmations, M. [U] produit notamment :
– l’attestation de M. [T] [V],
– les SMS échangés avec Mme [Z].
L’attestation de M. [T] [V] ne peut être retenue car le témoin affirme avoir constaté la présence au quotidien de M. [U] à son poste durant les horaires de bureau,
alors qu’il n’est pas contesté que celui-ci devait s’absenter pour suivre ses cours théoriques, si bien qu’il ne pouvait pas être toujours présent durant les horaires de bureau, contrairement à ce qu’affirme M. [V].
Par ailleurs, la surveillance dont se plaint M. [U] n’apparaît pas excessive n’étant que l’expression du pouvoir de direction de l’employeur, qui est en droit de savoir où se trouve un salarié, quand il ne répond pas au téléphone (le 10 avril), est en retard à la suite d’une panne de scooter (le 11 avril), ou encore oublie de rappeler son employeur au téléphone comme cela avait été prévu (les 18 et 19 avril).
En outre, si la proximité de Mme [Z] avec le père du salarié ne doit pas entrer en ligne de compte pour apprécier l’existence d’un éventuel harcèlement moral, le tutoiement employé par les parties ainsi que celle d’un langage plus direct résultent de cette proximité. Ainsi, le fait que M. [U] ne répondait pas au téléphone à une heure où il était censé être au travail, permettait légitimement à Mme [Z] de penser qu’il ne s’y trouvait pas et d’utiliser un langage franc et direct, ce qui ne saurait s’apparenter à du harcèlement (le 11 avril).
De plus, ‘l’accusation d’absence’ le 4 avril était fondée puisque M. [U] a reconnu être parti pour visiter un appartement pendant ses heures de travail.
De même, les menaces de sanctions du 11 avril reposent sur un comportement inadapté du salarié qui ne répond pas au téléphone à son employeur pendant ses heures de présence, si bien que de telles menaces ne peuvent davantage être assimilées à du harcèlement.
Enfin, l’invitation de l’employeur à son salarié de rentrer chez lui le 12 avril ne résulte pas des pièces produites.
Ainsi, la matérialité d’éléments de faits précis et concordants laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral ne résulte pas des explications et des pièces fournies.
Les demandes relatives au harcèlement doivent par conséquent être rejetées, le jugement étant confirmé de ce chef.
Par suite, le jugement déféré est confirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de ses demandes relatives au harcèlement.
Sur l’absence de visite médicale d’embauche
La SCP [Y]-[F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société I Concept Menuiseries conteste le fait que l’employeur aurait manqué à ses obligations. Notamment M. [U] fait état qu’il n’aurait pas fait l’objet d’une visite médicale dans les 8 jours de son embauche, ni bénéficié de la visite d’information et de prévention. Or , il n’est pas démontré que cette absence de visite médicale soit le fait du refus de l’employeur, alors qu’elle peut résulter d’un simple oubli de sa part. En toute hypothèse, ce premier reproche ne pouvait rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
M. [U] fait valoir que l’absence de visite médicale d’embauche n’est pas contestée, ni davantage celle de la visite d’information et de prévention, qui s’est substituée, depuis le 1er janvier 2017, à la visite d’aptitude. S’il reconnaît que ce manquement serait insuffisant pour justifier à lui seul la prise d’acte de la rupture, il illustrerait, la négligence de son employeur sur les autres reproches.
L’UNEDIC délégation AGS – CGEA de Bordeaux considère que l’absence de visite médicale d’embauche ne constitue pas un comportement suffisamment grave de l’employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail, lorsqu’il s’agit d’une simple négligence de ce dernier.
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Il n’est pas contesté que M. [U] n’a pas bénéficié d’une visite médicale d’embauche. Il est ainsi constant que l’employeur n’a pas fait diligence pour organiser cette formalité conforme à son obligation de sécurité.
Toutefois, ce manquement avéré n’est pas contemporain de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, elle n’a pas empêché la poursuite du contrat de travail si bien qu’il ne peut à lui seul justifier une telle prise d’acte.
Sur les retards dans les paiements des salaires et sur les retenues sur salaires
L’appelante considère que les retards de paiement des salaires ne justifient pas nécessairement du bien-fondé d’une prise d’acte aux torts de l’employeur, en l’absence de mauvaise foi de sa part. Elle expose que, malgré ses difficultés financières, la société I Concept Menuiseries, a toujours réglé les salaires de M. [U].
Le liquidateur ajoute que les retenues sur salaire d’un montant de 167,70 euros étaient fondées et correspondent à l’absence volontaire du salarié. De même, M. [U] a revendiqué le paiement de son salaire alors qu’il se trouvait en arrêt maladie et qu’il devait donc percevoir de la sécurité sociale des indemnités journalières compensant, partiellement, cette perte de salaire.
M. [U] soutient que les retards dans le paiement des salaires qui ne sont pas contestés par l’appelante, justifient à eux seuls la prise d’acte de la rupture alors qu’ils constituent une faute grave et renouvelée.
M. [U] conteste par ailleurs le caractère justifié des retenues sur salaires, contestant des absences injustifiées, et produisant son arrêt maladie du 19 février 2017 et les justificatifs de sa présence aux cours de formation théorique. Il considère que c’est à l’employeur de rapporter la preuve que la retenue sur salaire serait justifiée.
L’UNEDIC invoque également l’absence de mauvaise foi de l’employeur qui ne permet pas au salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail, alors qu’en l’espèce malgré les difficultés rencontrées, celui-ci a toujours fait diligence pour que les salaires soient réglés. Elle ajoute que les retenues sur salaire étaient fondées, alors que le salarié ne justifie pas de sa présence au sein de l’entreprise ou en cours, les jours qui ont fait l’objet des retenues.
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Il n’est pas contesté que les salaires de Monsieur [U] ont été réglés avec retard, puisque notamment le salaire du mois de décembre 2016 a été réglé le 16 janvier 2017 ; celui de février 2017 a été payé le 6 mars 2017 mais le chèque émis a été rejeté à deux reprises les 16 mars et 31 mars 2017. Aussi un nouveau chèque a été établi par l’employeur, le 5 avril 2017, et en raison de ses difficultés, la banque du salarié a attendu la confirmation de l’existence d’une provision pour créditer le compte, si bien que ce dernier n’a été effectivement réglé de son salaire de février 2017 que le 24 avril 2017 (pièce 9 M. [U]).
Le paiement régulier des salaires est la contrepartie nécessaire de la prestation de travail fournie par le salarié, si bien qu’un manquement à cette obligation peut constituer à lui seul un motif justifiant de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Or, si le liquidateur justifie de difficultés économiques de la société I Concept Menuiseries contemporaines aux retards de paiements, celles-ci ne sont pas d’une gravité telle qu’elles puissent justifier les manquements réitérés de l’employeur, depuis décembre 2016, date des premiers incidents de paiement, à son obligation essentielle d’assurer au salarié le versement régulier et complet de ses salaires.
Cette répétition est suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ce, même si, au moment de la prise d’acte, la situation avait été régularisée.
Par ailleurs, l’appelante ne justifie pas du bien-fondé des retenues sur le salaire de M. [U] alors qu’il appartient à l’employeur qui prétend que son salarié est absent, d’en rapporter la preuve.
En conséquence, ce manquement de l’employeur justifie aussi la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par M. [U].
Sur l’absence de formation
La SCP [Y]-[F] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société I Concept Menuiseries conteste encore le fait que M. [U] n’aurait reçu aucune formation alors qu’il bénéficiait d’un contrat de professionnalisation.
Elle fait valoir que cette affirmation n’est corroborée par aucun élément de preuve soulignant que M. [U] aurait été fréquemment absent des cours qui devaient lui être dispensés. Or, de tels comportements sont de nature à justifier qu’une faute grave soit reconnue et à lui rendre imputable la rupture de son contrat de travail. Pour ce qui était de la formation pratique, le salarié n’était pas livré à lui-même mais recevait l’instruction de son tuteur autant que cela était nécessaire. L’appelante verse aux débats un mail de la société Ouvêo, à laquelle la formation pratique aurait été déléguée, pièce confirmant la réalité de la formation reçue par le salarié.
M. [U] affirmé qu’au contraire, il a été livré à lui-même tout au long de son contrat de travail, si ce n’est les courriels qu’il recevait de son employeur qui voulait vérifier sa présence. Selon lui, ses absences à la formation théorique ne représentaient en réalité quasiment que des retards ayant fait l’objet de récupérations et ne justifiaient pas, en toute hypothèse, l’absence de formation pratique de la part de son tuteur. Il soutient que l’attestation de la société Ouvêo, laquelle contient des fautes d’orthographe, de syntaxe, et de présentation (dans la mesure où elle commence comme une attestation mais se termine comme un devis) constitue un faux pour lequel il a déposé une main courante le 27 mai 2019.
L’UNEDIC fait valoir que M. [U] ne justifie pas de ses dires, alors que pour les cours théoriques, il était régulièrement absent de ceux-ci, ainsi qu’en font foi les relevés de l’établissement de formation outre les avertissements dont il a été l’objet.
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Si le mandataire liquidateur justifie de nombreuses absences de Monsieur [U] en cours théoriques et des sanctions qu’il a reçues en raison de comportements inadaptés, ces fautes ne sauraient justifier l’absence d’une formation pratique dont l’existence n’est pas démontrée, et qui justifie également une prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
En effet, la pièce 2 de l’appelante, constituée par une lettre non signée de la société Ouvêo ne permet pas de mesurer la réalité et le sérieux de cette formation dont la durée n’est pas précisée.
En conséquence, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [U] repose sur des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle et doit s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement déféré étant ainsi confirmé.
Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail
Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat à durée déterminée
La SCP [Y]-[F] considère que la réparation du dommage de M. [U] ne
peut excéder le montant du préjudice qu’il a subi. Or, il ne démontrerait nullement l’existence et l’étendue d’un tel préjudice.
M. [U] sollicite le paiement des salaires qu’il aurait perçus jusqu’à la fin de son contrat. Il considère que la sanction d’une rupture d’un tel contrat est automatique. Il estime avoir subi un préjudice complémentaire, n’ayant pas reçu la formation qui aurait dû lui être dispensée, et souligne que depuis l’année 2017, il a multiplié les contrats d’intérim, en alternance avec des périodes de chômage.
L’UNEDIC considère pour sa part que la rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée du fait de la faute grave de l’employeur ouvre seulement droit pour le salarié à des dommages et intérêts dont le montant est fixé par les juges en fonction du préjudice effectivement subi et justifié.
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Il résulte de l’article L. 1243-4 du code du travail que la rupture abusive du contrat de travail à durée déterminée par l’employeur ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat. Cette somme ne peut faire l’objet d’une réduction.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a fait droit à la demande du salarié à hauteur de la somme de 16.320,23 euros, correspondant aux salaires dûs jusqu’au terme initial du contrat.
Sur l’indemnité de congés payés
La SCP [Y]- [F] considère qu’une telle indemnité ne serait pas due alors que le droit à congés payés est toujours subordonné à l’accomplissement d’un travail. En outre c’est à la caisse des congés payés du bâtiment d’assurer le paiement de cette indemnité.
M. [U] sollicite une somme de 777,15 euros à ce titre.
Il justifie qu’au jour de la rupture de son contrat de travail, il avait acquis 17,5 jours de droit à congés, ce qui représente sur la base de son salaire annuel la somme de 777,15 euros (13.322, 64 x 10 % x 17, 5/30). Il ajoute que la caisse de congés payés du bâtiment n’a pas pu prendre en charge cette indemnité, faute pour l’employeur d’avoir rempli le certificat qui permet de justifier de la réalité d’une telle créance, ainsi qu’en fait foi la lettre de ladite caisse le 15 novembre 2017.
L’UNEDIC soutient comme le mandataire liquidateur de l’employeur que le droit à congés payés est toujours subordonné à l’accomplissement d’un travail effectif, alors qu’en outre l’employeur n’est pas débiteur d’une telle indemnité.
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M. [U] est fondé à solliciter le paiement de l’indemnité compensatrice des congés payés acquis à la date de la rupture abusive.
En outre, ni l’appelante ni l’UNEDIC ne démontrent que l’employeur a établi le certificat nécessaire pour la prise en charge cette créance par la caisse des congés payés et celui-ci, par son abstention fautive, est devenu débiteur de cette indemnité.
En conséquence, le jugement sera réformé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande à ce titre, laquelle est fondée en son quantum.
Sur les retenues sur salaires
La SCP [Y]- [F] soutient que les retenues sur salaires sont justifiées dès lors que M. [U] a demandé à prendre quelques jours de congés sans solde en février 2017 et qu’il ne démontre pas s’être tenu à la disposition de son employeur ou de s’être rendu en cours, les jours où les retenues ont été effectuées.
M. [U] soutient que son employeur a retenu des jours d’absence pour un montant de 164,70 euros.
L’UNEDIC sollicite la confirmation du jugement entrepris, dès lors que M. [U] ne démontre pas sa présence à son poste de travail les jours où les retenues sur salaires ont été entreprises.
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A partir du moment où M. [U] affirme qu’il avait travaillé les jours où les retenues ont été pratiquées, ce qui constituent des éléments suffisamment précis, il appartient à l’employeur de produire des éléments de contrôle de la présence ou de l’absence du salarié ces jours-là. Or, aucun élément n’a été fourni par le liquidateur.
En conséquence, les retenues litigieuses sont irrégulières et il convient de faire droit à la demande de M. [U] à ce titre et de lui accorder la somme de 164,70 euros outre la somme de 16,47 euros au titre des congés payés y afférents.
Sur les autres demandes
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande relative à l’indemnité de fin de contrat que celui-ci ne soutient plus en cause d’appel.
Les dépens seront supportés par la liquidation judiciaire de la société, partie perdante à l’instance et en son recours.
Le présent arrêt sera déclaré opposable à l’UNEDIC délégation AGS – CGEA de Bordeaux dans les limites légales et réglementaires de sa garantie et du plafond applicable et à l’exception des dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté M. [B] [U] de ses demandes à titre de rappels de salaire et d’indemnités de congés payés,
Le réformant de ces chefs et statuant à nouveau,
Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la SASU I Concept Menuiseries représentée par son liquidateur, la SCP [Y]-[F], la créance de M. [B] [U] à la somme de 164,70 euros outre celle de 16,47 euros pour les congés payés y afférents au titre des retenues injustifiées sur les salaires et à celle de 775,15 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Déclare le présent arrêt opposable à l’UNEDIC délégation AGS – CGEA de Bordeaux dans les limites légales et réglementaires de sa garantie et du plafond applicable et à l’exception des dépens,
Dit que les dépens seront supportés par la liquidation judiciaire de la société I Concept Menuiseries.
Signé par Madame Sylvie Hylaire, présidente et par Anne-Marie Lacour-Rivière, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Anne-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire