COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
————————–
ARRÊT DU : 04 JANVIER 2023
PRUD’HOMMES
N° RG 19/05132 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LHYH
Madame [S] [B]
c/
SARL ALIENOR PROMOTION
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 septembre 2019 (R.G. n°F 18/00095) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PÉRIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d’appel du 27 septembre 2019,
APPELANTE :
Madame [S] [B]
née le 21 Novembre 1985 à [Localité 3] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Me Frédéric COIFFE, avocat au barreau de PERIGUEUX
INTIMÉE :
SARL Aliénor Promotion, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]
représentée par Me Rose MARTINS DA SILVA de la SELAS NUNEZ-LAGARDE COUDERT-MARTINS DA SILVA, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 novembre 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d’instruire l’affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
***
EXPOSE DU LITIGE
Madame [S] [B], née en 1985, a été engagée en qualité d’employée administrative, niveau B de la convention collective des Etam du bâtiment,par la SARL Alienor Promotion, par contrat de travail à durée déterminée à compter du 17 septembre 2012.
La relation contractuelle s’est ensuite poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée conclu aux mêmes conditions.
Le montant de la rémunération mensuelle est discuté.
Par lettre datée du 6 mars 2017, Mme [B] a démissionné.
Elle a également sollicité une dispense partielle de son préavis de deux mois, qui a été acceptée. Les relations contractuelles ont donc pris fin le 31 mars 2017.
Le 6 avril 2017, la société a adressé à Mme [B] ses documents de fin de contrat.
Par courrier du 1er octobre 2017, Mme [B] a sollicité en vain le paiement d’heures supplémentaires ainsi que le remboursement de la somme de 270,26 euros déduite du solde de tout compte.
Demandant à se voir reconnaitre une classification D, outre des rappels de salaires pour heures supplémentaires, le paiement au titre du travail dissimulé ainsi qu’une indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos, Mme [B] a saisi le 28 juin 2018, le conseil de prud’hommes de Périgueux qui, par jugement rendu le 3 septembre 2019, a
– condamné la société Aliénor Promotion, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Mme [B] la somme de 270,26 euros au titre du remboursement de la facture abusivement déduite du solde tout compte,
– débouté Mme [B] de toutes ses autres demandes,
* soit sur les heures supplémentaires,
* soit la contrepartie obligatoire en repos,
* soit au titre du travail dissimulé,
* soit sur de la classification D,
– condamné la société Alienor Promotion prise en la personne de son représentant légal à verser la somme de 150 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Mme [B] vis à vis de sa demande de versement d’intérêts de retards,
– ordonné l’exécution provisoire pour le remboursement de la somme de 270,26 euros,
– débouté Mme [B] de sa demande de condamner la société Alienor Promotion aux entiers dépens et frais d’exécution enventuels.
Par déclaration du 27 septembre 2019, Mme [B] a relevé appel de cette décision, notifiée le 3 septembre 2019.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 mai 2022, Mme [B] demande à la cour de :
– dire qu’il convient d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Mme [B] de ses demandes en paiement des heures supplémentaires accomplies et non payées, en paiement d’une indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos non accordée, en reconnaissance du travail dissimulé et en paiement de l’indemnité forfaitaire correspondante, en reconnaissance de la classification au niveau D et en paiement du rappel de salaire correspondant, les sommes ayant la nature d’un salaire ainsi que l’indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos étant à majorer de l’indemnité compensatrice de congés payés afférente,
Puis, statuant à nouveau,
– qu’il convient de condamner la société Aliénor Promotion au paiement de la somme de 2.458,68 euros bruts au titre des heures supplémentaires accomplies et non payées, somme à majorer de 245,86 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– qu’il convient de condamner la société Aliénor Promotion au paiement d’une indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour la somme de 1.012,62 euros nets, somme à majorer de 101,25 euros nets au titre des congés afférents,
– qu’il convient de condamner la société Aliénor Promotion au paiement d’une indemnité de 10.351 euros pour travail dissimulé,
– qu’il convient d’attribuer à Mme [B] l’attribution d’une classification au niveau D conformément aux dispositions de la convention collective des ETAM du Bâtiment, et de lui octroyer en conséquence un rappel de salaire pour la somme de 542,96 euros bruts, somme à majorer des congés payés afférents,
– qu’il convient à l’inverse de confirmer le jugement entrepris, en ceci qu’il a condamné
la société Aliénor Promotion au remboursement de la somme de 270,26 euros au titre de la facture abusivement déduite du solde de tout compte, avec exécution depuis la date de jugement du conseil de prud’hommes,
– qu’il convient de condamner la société Aliénor Promotion au paiement de la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– qu’il convient d’assortir la décision à intervenir du paiement des intérêts de droit depuis la date de saisine du conseil de prud’hommes,
– qu’il convient de condamner la société Aliénor Promotion aux dépens et frais
d’exécution éventuels.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 juin 2022, la société Aliénor Promotion demande à la cour de’:
Avant dire droit :
– déclarer recevable et bien fondé l’appel incident de la société Aliénor Promotion sur l’omission de statuer sur la violation du principe de loyauté de la preuve,
– dire que les pièces 24 à 39 et 41 produites par Mme [B] ont été obtenues de manière déloyale,
– écarter des débats les pièces 24 à 39 et 41 produites par Mme [B],
– débouter Mme [B] de l’intégralité de ses demandes, au titre des heures supplémentaires, au titre de la contrepartie obligatoire en repos, au titre du travail dissimulé, au titre de la revalorisation de la classificationau niveau D,
A titre principal :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Périgueux, le 3 septembre 2019, sauf en ce qu’il a :
* condamné la société Aliénor Promotion à payer la somme de 270,26 euros, au titre du remboursement de la facture abusivement déduite du solde de tout compte,
* ordonné l’exécution provisoire pour le remboursement de la somme de 270,26 euros,
Les frais irrepétibles :
– condamner Mme [B] à payer la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à la société Aliénor Promotion, ainsi qu’aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 octobre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 8 novembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour constate que la société a abandonné se demande de sursis à statuer.
Les heures supplémentaires
Mme [B] fait valoir que la société ne lui avait pas interdit d’utiliser ses codes qu’elle n’avait même pas changés après la rupture du contrat de travail et qu’elle ne conteste pas le contenu des pièces.
La société demande à la cour d’écarter les pièces 24 à 39 et 41 de Mme [B] qui les a obtenues de manière déloyale puisqu’elle a introduit tant le webmail que le serveur de la société après la rupture de son contrat de travail.
Elle ajoute que les attestations versées par l’appelante sont imprécises, que les tâches indiquées n’étaient pas les siennes et que des périodes d’arrêt de travail doivent être prises en compte.
Les pièces cotées 25, 27, 28,30 et 32 à 41 sont des messages électroniques en provenance ou à destination de l’entreprise depuis l’année 2014 ; Mme [B] ne conteste pas les avoir imprimés après son départ de l’ entreprise et notamment le 21 mai 2018. Elle ne conteste pas non plus avoir procédé à une intrusion dans le système informatique de la société et ne peut valablement opposer l’absence d’interdiction faite par l’employeur d’utiliser ses codes. Mme [B] a effectué une partie de son préavis et l’emploi de ces pièces n’est pas justifié par la stricte nécessitée d’assurer son droit à la preuve. Mme [B] produit ces pièces obtenues de manière déloyale qui seront écartées des débats.
Aux termes de l’article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Les pièces 24, 26, 29, 31 et 40 sont des décomptes réalisés sur la base des documents sus visés et sont dépourvues de force probante d’autant que la société verse des messages aux termes desquels la salariée informe son employeur qu’elle partira plus tôt ou ne viendra pas pour cause de rendez – vous médical, et les pièces auxquelles Mme [B] se référe pour établir l’annulation des rendez vous ont été écartées. Les mentions portées sur les décomptes ne sont pas fiables.
Les attestations versées par l’appelante sont inopérantes : Mme [R] était une cliente et elle mentionne l’heure de 13h30 comprise dans l’horaire de travail de la salariée depuis la modification apportée en 2015. Les trois autres témoignages sont rédigés en termes trop généraux ne permettant pas à l’ employeur de répondre.
Compte-tenu de ces éléments, Mme [B] sera déboutée de ses demandes de paiement d’ heures supplémentaires, de repos compensateur et de l’ indemnité pour travail dissimulé.
La classification professionnelle
Le salarié qui revendique une classification supérieure doit établir qu’il accomplit des tâches en relevant.
Mme [B], employée au niveau B de la catégorie ETAM, revendique le niveau D au motif qu’elle accomplissait, en sus du travail de secrétariat, des tâches commerciales et techniques relatives à la gestion des chantiers, à l’engagement de frais généraux, à la formation et au contact avec des tiers.
La société répond que Mme [B] n’a jamais réclamé une classification antérieurement à la rupture de son contrat de travail, qu’elle effectuait des tâches administratives sans une autonomie plus importante que celle attachée au niveau B, qu’elle mentionne deux fois le même travail sous des appellations différentes, que certaines autres tâches étaient ponctuelles. Elle fait valoir que l’organigramme versé par
la salariée n’est pas celui de l’ entreprise.
L’absence de réclamation antérieure ne prive pas la salariée de son droit à revendiquer une classification supérieure.
Le niveau D de la convention collective des Etam du bâtiment exige d’effectuer des travaux courants, variés et diversifiés, de maîtriser la résolution des problèmes courants, d’être responsable de ses résultats, de mettre en oeuvre la démarche Prévention, d’avoir une technicité courante affirmée, une expérience acquise au niveau C ou une formation générale, technologique ou professionnelle.
La pièce 7, rédigée par Mme [B] elle -même, n’est pas confortée par d’autres pièces non écartées des débats. L’organigramme produit sous cote 6 indique que la salariée est employée au sein du pôle secrétariat sans précision d’un niveau de responsabilité. Aucune pièce n’est produite pour établir que la salariée effectuait des tâches relevant du niveau D, étant précisé que le salarié classé au niveau B peut être amené à prendre une part d’initiative dans le choix des modes d’exécution, que la technicité affirmée de Mme [B] n’est pas établie, qu’elle n’a pas d’expérience acquise au niveau C et ne peut faire état d’une formation générale, technologique ou professionnelle.
Mme [B] sera déboutée de cette demande.
La somme de 270,26 euros
Celle-ci a été déduite du solde de tout compte au titre de la valeur de poignées de porte emportées par Mme [B] au cours du contrat de travail.
Mme [B] dit qu’elle s’est vue offrir des poignées de porte dont le paiement ne lui a jamais été demandé,que cette compensation n’est pas permise par l’article L.3251-2 du code du travail, ces objets n’étant pas du matériel nécessaire à l’exécution du travail et que la facture datée du 1er janvier 2014 était prescrite au moment du solde de tout compte en application du délai de deux années prévu par le code de la consommation.
La société répond que la somme n’a pas été déduite sur le salaire mais du solde de tout compte et que les dispositions de l’ article L.3251-2 du code du travail ne sont pas applicables, dès lors que Mme [B] avait la charge des poignées de porte et que les dispositions du code de la consommation ne sont ici pas applicables .
En premier lieu, les deux parties s’accordent sur la nature, le nombre et la valeur des objets faisant l’objet de la facture datée du 1er juillet 2014.
Ensuite, Mme [B] ne produit pas d’élément établissant les caractères de fixité, de constance et de généralité d’un usage consistant à offrir aux salariés de l’ entreprise des matériels vendus par cette dernière.
Aux termes de l’ article L.3251-1 du code du travail, l’employeur ne peut opérer une retenue sur salaire pour compenser des sommes qui lui seraient dues par un salarié pour fournitures diverses qu’elle qu’en soit la nature.
Par dérogation à ces dispositions, une compensation est possible entre le montant des salaires et les sommes qui seraient dues à l’employeur dans le cas des fournitures suivantes :
*outils et instruments nécessaires au travail ;
* matières et matériaux dont le salarié a la charge et l’usage,
* sommes avancées pour l’acquisition des mêmes objets.
Les poignées de porte n’étaient ni des outils, ni des instruments nécessaires au travail de Mme [B] ni des matériaux dont elle avait la charge et l’usage.
L’interdiction posée par l’article L.3251-1 du code du travail porte sur les salaires. Le solde de tout compte ne mentionne que des sommes versées à Mme [B] en contrepartie ou à l’occasion de son travail. Les indemnités de sécurité sociale et la prime parainnage ont été versées à l’occasion de la relation de travail et l’ employeur ne pouvait opérer la compensation litigieuse, peu important le moyen tiré de la prescription prévue par le code de la consommation.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société au paiement de la somme de 270,26 euros.
Vu l’équité, la société sera condamnée à payer à Mme [B] la somme complémentaire de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles engagés à hauteur d’appel.
Partie perdante, la société supportera les entiers dépens des procédures de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
la cour,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté Mme [B] de sa demande relative aux intérêts de retard,
Statuant à nouveau,
Dit que la somme due par la société produira intérêts à compter de la date de réception par la société de sa convocation devant le conseil des prud’hommes,
Y ajoutant,
Écarte des débats les pièces cotées 25, 27, 28,30 et 32 à 41 de Mme [B],
Condamne la SARL Aliènor Promotion à payer à Mme [B] la somme complémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL Aliéner Promotion aux entiers dépens des procédures de première instance et d’appel.
Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard