Retenues sur salaire : 31 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/02710

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Retenues sur salaire : 31 mai 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/02710

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

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ARRÊT DU : 31 MAI 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 21/02710 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDIZ

S.A.S. GROUPE NEMESIS VENANT AUX DROITS DE LA SAS ENR&CO

S.A.R.L. EKIP es qualité de mandataire liquidateur du groupe NEMESIS

c/

Monsieur [I] [P]

UNION Délégation AGS-C.G.E.A DE BORDEAUX

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 avril 2021 (R.G. n°F 18/01634) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 10 mai 2021,

APPELANTE :

SAS Groupe Nemesis venant aux droits de la SAS Enr&Co, placée en liquidation judiciaire

N° SIRET : 830 093 514

INTIMÉ :

Monsieur [I] [P]

né le 23 Août 1977 à [Localité 8] (MAROC) (20000) de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Fabrice DELAVOYE de la SELARL DGD AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTS :

S.A.R.L. EKIP es qualité de mandataire liquidateur du groupe NEMESIS, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]

UNION Délégation AGS-C.G.E.A DE BORDEAUX prise en la personne de son directeur régional domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 9]

non comparants

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 mars 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d’instruire l’affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [I] [P], né en 1977, a été engagé en qualité de directeur d’agence par la SAS Enr&Co, devenue la SAS Groupe Nemesis, par contrat de travail à durée indéterminée signé le 4 décembre 2017.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des voyageurs représentants placiers.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute de base de M. [P] s’élevait à la somme de 1.950 euros à laquelle se rajoutaient des commissions.

Par lettre datée du 5 juin 2018, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 juin 2018, avec mise à pied à titre conservatoire.

M. [P] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 3 juillet 2018 aux motifs de dénigrements répétés de la société et de la volonté du salarié d’effectuer une prestation de travail de manière clandestine.

A la date du licenciement, M. [P] avait une ancienneté de sept mois.

Par courrier du 11 juillet 2018, M. [P] a contesté son licenciement et demandé des rappels de salaires pour les mois d’octobre et novembre 2017 ainsi qu’au titre de commissions non versées ; l’assureur de protection juridique du salarié a réitéré les demandes de celui-ci auprès de la société par courrier du 20 juillet 2018.

Le 23 juillet 2018, la société a déposé plainte contre M. [P] pour abus de confiance, invoquant une utilisation des fichiers de l’entreprise par ce dernier à des fins personnelles.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, notamment pour travail dissimulé outre des rappels de salaires et de commissions, M. [P] a saisi le 25 octobre 2018 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 16 avril 2021, a :

– dit que le licenciement de M. [P] pour faute grave est justifié,

– donné acte à la société Enr&Co du paiement à M. [P] de la commission d’un montant de 282,89 euros nets ainsi que de la remise d’un bulletin de paie rectifié,

– dit que la demande de rappel de salaire sur commissions n’est pas justifié,

– dit que la société Enr&Co s’est rendue coupable de travail dissimulé pour la période d’octobre et novembre 2017,

– dit qu’elle a effectué une retenue sur salaire non justifiée,

– condamné la société Enr&Co à verser à M. [P] les sommes suivantes :

* 3.900 euros bruts au titre de rappel de salaire pour les mois d’octobre et novembre 2017,

* 390 euros bruts au titre de congés payés sur le rappel de salaire,

* 11.700 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,

* 227,57 euros au titre de la retenue injustifiée sur salaire,

* 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que l’exécution provisoire est de droit pour le rappel de salaire et les congés payés sur rappel de salaire ainsi que pour la retenue sur salaire, dans la limite de 9 mois de salaire sur la base d’un salaire moyen de 3.875,15 euros,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– condamné la société Enr&Co aux dépens.

Par déclaration du 10 mai 2021, la société Groupe Nemesis venant aux droits de la société Enr&Co a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 juillet 2021, la société Groupe Nemesis venant aux droits de la société Enr&Co demande à la cour de :

– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a :

* jugé que la société Groupe Nemesis, venant aux droits de la société Enr&Co, a commis des actes assimilables à un travail dissimulé pour la période d’octobre à novembre 2017 dans le cadre de la seule commande de M. [L],

* jugé que la société Groupe Nemesis venant aux droits de la société Enr&Co a effectué une retenue de salaire non justifiée,

– dire que l’élément intentionnel du travail dissimulé n’est pas rapporté par M. [P],

– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a condamné la société Enr&Co à verser à M. [P] la somme de 11.700 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,

– infirmer ledit jugement en ce qu’il a condamné la société Enr&Co à verser les sommes suivantes :

* 3.900 euros au titre de rappel de salaire pour les mois d’octobre et novembre 2017,

* 390 euros au titre des congés payés sur le rappel de salaire,

* 227,57 euros au titre de la retenue injustifiée sur salaire,

– confirmer le jugement pour le surplus,

En toute hypothèse :

– dire que la retenue sur salaire de 227,57 euros en remboursement du matériel non restitué à l’entreprise était justifiée et débouter M. [P] de cette demande,

– condamner M. [P] au paiement d’une indemnité de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Groupe Nemesis par jugement du 9 février 2022 et désigné la SELARL Ekip’en qualité de mandataire liquidateur.

Par courrier du 8 mars 2022, le conseil de la société appelante a indiqué ne plus intervenir dans le dossier en raison de la liquidation judiciaire de sa cliente.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 28 juillet 2022, M. [P] demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a jugé que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,

– le confirmer en ce qu’il a retenu que l’employeur avait eu recours au travail dissimulé,

– l’infirmer en ce qu’il l’a débouté de ses demandes au titre des rappels de commissions ainsi qu’au titre des retenues abusives sur salaires liées à la restitution de l’ordinateur,

En conséquence,

– fixer au passif de la société Groupe Nemesis venant au droit de la société Enr&Co les sommes suivantes :

* 3.900 euros bruts au titre du salaire du mois d’octobre et novembre 2017 outre 390 euros au titre des congés payés afférents,

* 1.950 euros au titre des salaires dus pendant la période de mise à pied outre 195 euros au titre des congés payés afférents,

* 1.950 euros au titre de l’indemnité de préavis outre 195 euros au titre des congés payés afférents,

* 11.700 euros au titre du travail dissimulé,

* 1.950 euros au titre du licenciement abusif,

* 2.650,51 euros nets au titre des commissions restant dues sur les dossiers [X] et [C] (mais 2.550,51 euros dans le corps des écritures),

* 227,57 euros au titre de la retenue abusive sur salaire liée à l’ordinateur,

* 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– déclarer l’arrêt à intervenir opposable à l’organisme de garantie des créances salariales UNEDIC.

Par acte d’huissier de justice remis le 2 août 2022 à personne habilitée, M. [P] a fait assigner en intervention forcée la SELARL Ekip’, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Groupe Nemesis, qui n’a pas constitué avocat.

Par acte d’huissier de justice signifié le même jour selon les dispositions de l’article 656 du code de procédure civile, M. [P] a fait également assigner en intervention forcée l’UNEDIC Délégation AGS CGEA de Bordeaux.

Par courrier du 8 août 2022, le CGEA, qui n’a pas constitué avocat, a indiqué à la cour qu’il ne serait ni présent ni représenté, n’étant pas en mesure d’apprécier la validité des demandes présentées et ne disposant d’aucun élément lui permettant de participer utilement à l’audience.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 21 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La Selarl Ekip’ a été assignée à personne et, au vu de son courrier du 8 août 2022, l’UNEDIC a été destinataire de l’assignation ; il sera donc statué par arrêt réputé contradictoire.

Sur les conclusions du 16 juillet 2021

Le débiteur dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens, dont les droits et actions sur son patrimoine sont exercés par le liquidateur, conserve le droit propre d’exercer un recours contre les décisions le condamnant à payer un créancier pour une cause antérieure au jugement d’ouverture de sa liquidation judiciaire.

En conséquence, la cour examinera la pertinence des motifs des premiers juges au vu des moyens de la société appelante et de ceux de l’intimé.

Sur le licenciement

Par courrier du 3 juillet 2018 qui fixe les limites du litige, M. [P] a été licencié pour faute grave.

M. [P] conclut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, brutal et injustifié alors même qu’il a toujours exercé ses missions avec rigueur et professionnalisme.

Il ajoute n’avoir jamais adopté de conduite inappropriée. Selon lui, l’employeur est dans l’impossibilité de justifier ses allégations et les attestations produites en ce sens sont imprécises et non datées.

Quant au grief de travail dissimulé proposé à un client, l’intimé précise que les attestations de M. [Y] et M. [X] produites par la société sont des attestations de complaisance car il n’aurait jamais fait une proposition de travail ‘au noir’ à un commercial.

La société appelante soutient en premier lieu que les propos tenus à plusieurs reprises par M. [P] ne sont pas acceptables et ce, d’autant plus au regard des fonctions de directeur qu’il occupait et alors même qu’une clause de discrétion figurait à son contrat de travail.

En second lieu, elle reproche à M. [P] d’avoir proposé à l’un de ses subordonnés d’effectuer une prestation de travail, clandestinement, chez un client, qui avait vu son chantier interrompu en l’absence de paiement, et ce, dans le but de s’enrichir personnellement.

Les premiers juges ont indiqué dans leur décision que la société présentait plusieurs attestations pour justifier des griefs, que celui concernant la proposition de travail dissimulé à M. [Y] est attesté par ce dernier sans que M. [P] n’y apporte la contradiction de sorte qu’ils en ont déduit que ce grief était réel et constituait à lui seul une cause sérieuse et suffisante pour justifier le licenciement pour faute grave.

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

« (…)

Vous avez intégré notre société ENR&CO le 04 Décembre 2017 en qualité de Directeur de l’agence de [Localité 6] ([Localité 3]). Vous étiez en charge de la direction commerciale de l’agence, à savoir accompagner le personnel de l’agence, le recruter, le former et l’encadrer. De même, vous deviez vendre les produits et services commercialisés par la Société ENR&CO.

Pourtant, dès le mois de Mai 2018, nous avons été contraints de constater votre conduite totalement inappropriée vis-à-vis de vos collaborateurs ou de nos clients.

Nous avons pu constater que le 05 Juin 2018 au matin, vous avez proposé à l’un de nos salariés d’effectuer du travail dissimulé à votre profit pour des travaux de couverture chez l’un de nos clients, M. [X].

Cette pratique est une violation grave et incontestable de votre obligation de loyauté vis-à-vis de votre employeur, qui plus est au vu de votre poste stratégique de Directeur d’agence.

Au surplus, nous avons été alertés par le fait que vous avez dénigré la Société ENR&CO ainsi que la politique des dirigeants auprès des collaborateurs de l’entreprise.

Vous faites savoir à certains de nos salariés que vous n’êtes pas satisfait de vos conditions salariales, des procédures et les outils de travail mis en place au sein de Société.

Poursuivant dans un comportement de provocation, vous avez le 05 Juin 2018, interpellé M. [W], Président de la Société, avec des propos vifs en menaçant ouvertement, je vous cite, de « faire couler la boîte », que votre entreprise était « gérée par des imbéciles », tout ceci devant deux de nos collaborateurs qui pourront en attester au besoin.

Enfin, dans le prolongement de votre mise à pied en fin d’après-midi, vous avez contacté un de nos clients pour lui faire savoir que la Société ENR&CO était dirigée par des « escrocs » afin que ce dernier perde toute confiance en la Société.

Ces faits mettent gravement en cause la bonne marche et le climat social au sein des équipes qui vivent mal ces débordements.

Vos observations lors de l’entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

C’est pourquoi, compte tenu de leur répétition comme de leur gravité, nous sommes au regret de devoir procéder à votre licenciement pour faute grave.

(…) ».

La décision des premiers juges est ainsi libellée :

« (…)

Que M. [P] conteste son licenciement pour faute grave; que la société présente plusieurs attestations pour justifier des griefs ; que le grief concernant la proposition de travail dissimulé à M. [Y] est attesté par M. [Y] et que M. [P] n’apporte aucun élément contradictoire à cette attestation. Que ce grief est donc réel ;

Que le grief concernant la proposition de travail dissimulé à M. [Y] constitue à lui seul une cause sérieuse et d’une gravité tel qu’il justifie le licenciement pour faute grave ; En conséquence le Conseil dit que le licenciement pour faute grave de M. [P] est justifié. »

Les griefs ayant motivé le licenciement seront successivement examinés, à savoir le dénigrement répété de la société et la volonté de réaliser une prestation de travail clandestine chez un client de l’entreprise, étant rappelé que l’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise.

Sur le dénigrement répété de la société

Dans ses écritures adressées à la cour, la société appelante s’est limitée à reprendre des extraits d’attestations non datés et non circonstanciés.

La motivation succinte du conseil de prud’hommes mentionne certes l’existence de plusieurs attestations présentées par la société pour justifier des griefs mais sans en reproduire le contenu.

Aucune attestation n’ayant été remise au soutien des allégations de la société, la cour n’est pas en mesure d’apprécier la force probante desdites attestations.

En conséquence, ce grief ne peut être considéré comme matériellement établi.

Sur la volonté de réaliser une prestation de travail clandestine chez un client de l’entreprise

Dans ses écritures, la société appelante cite les attestations de M. [Y] et de M. [X] à l’appui de ce grief qui n’a pas été examiné par le conseil de prud’hommes.

Non seulement la cour ne dispose pas des attestations pour en apprécier leur force probante, mais en outre, M. [X] est ensuite revenu sur sa première attestation.

Il témoigne en effet le 12 octobre 2019 (pièce 24 intimé) qu’il « regrette et dénonce fermement l’attestation qui a été faite contre M. [P] puisqu’elle est fausse et ne correspond pas à la réalité ».

Dès lors, le second grief n’est pas établi.

Il résulte de ces éléments que les griefs retenus à l’égard de M. [P] ne sont pas démontrés de sorte que le licenciement pour faute grave prononcé le 3 juillet 2018 est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux du 16 avril 2021 sera donc infirmé de ce chef.

Sur les conséquences du licenciement

Sur le rappel de salaire correspondant à la mise à pied à titre conservatoire

M. [P] a été mis à pied à titre conservatoire par lettre du 5 juin 2018.

La faute grave n’est pas démontrée et notamment la nécessité de faire cesser immédiatement la situation par une rupture du contrat de travail avec mise à pied conservatoire et sans préavis.

M. [P] a donc droit à un rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied à titre conservatoire.

L’intimé sollicite la somme de 1.950 euros à ce titre outre les congés payés y afférents.

La société appelante est taisante sur ce point.

***

Sur la base des bulletins de salaires produits, la période de mise à pied à titre conservatoire ayant débuté le 5 juin 2018 et le licenciement ayant été prononcé le 3 juillet 2018, la somme de 1.950 euros outre celle de 195 euros seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Groupe Nemesis à titre de rappel de salaire et des congés payés y afférents.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Aux termes de l’article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis, s’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et deux ans, à un préavis d’un mois.

M. [P] sollicite le paiement d’une somme équivalente à un mois de préavis soit 1.950 euros ainsi que les congés payés y afférents.

***

Compte tenu de son ancienneté de sept mois, il sera fait droit à la demande de M. [P] et la somme de 1.950 euros outre celle de 195 euros seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Groupe Nemesis au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [P], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il lui sera alloué la somme de 500 euros en application de l’article L.1235-3 du code du travail.

Sur le travail dissimulé

M. [P] soutient avoir démarché et prospecté des clients dès le mois d’octobre 2017, juste après avoir signé sa promesse d’embauche et antérieurement à la date d’effet figurant sur son contrat de travail, soit le 4 décembre suivant.

Il produit un bon de commande du 17 octobre 2017, signé et établi sur un document ayant l’entête de la société ainsi que des échanges de courriels et deux attestations.

Il sollicite en conséquence la somme de 3.900 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les mois d’octobre et novembre 2017 outre les congés payés y afférents ainsi qu’une indemnité pour travail dissimulé d’un montant de 11.700 euros.

La société appelante nie tout élément intentionnel de dissimulation d’emploi, n’ayant jamais sollicité d’exécution de travail de M. [P] avant le 4 décembre 2017. Elle affirme que M. [P] a démarché de son propre chef un ami, qui habitait dans la même région que lui, en Auvergne, en vue de faire augmenter sa rémunération future, basée sur des commissionnements. Elle ajoute que non seulement ce contrat ne s’est pas concrétisé mais qu’au surplus, aucune prestation de travail, aucune directive, aucune rémunération n’ont été mises en oeuvre.

Après avoir reproduit les dispositions des articles L. 8221-1, L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail, les premiers juges ont fait droit aux demandes de M. [P] en retenant les éléments suivants :

« Qu’en l’espèce, la société ENR&CO reconnait avoir fait une promesse d’embauche à Monsieur [P] à compter du 4/10/2017 ;

Que le contrat de travail n’a été signé que le 4/ 12/2017 par monsieur [P].

Qu’ il est établit et non contesté par la société qu’un bon de commande a été signé le 17/ 1 0/20 17 par monsieur [P] avec Monsieur [L] avant la date de signature de contrat.

Qu’il est établit et non contesté par la société qu’un bon de commande a été signé le 17/10/20 17 par monsieur [P] avec Monsieur [L] avant la date de signature de contrat.

Que ce bon de commande est celui de la société ENR&CO et qu’il a été mis a la disposition de monsieur [P] avant le 4/12/2017 ;

Que des échanges de mails entre la société ENR&CO et monsieur [P] en date du 17 et 19/ 10/2017 concernant le client ne sont pas contestés.

Que la société avait toute conscience de l’activité de Monsieur [P] pour son compte pour la période d’octobre à novembre 2017.

Que Monsieur [L] atteste l’activité de Monsieur [P] pour la société ENR&CO, indiquant qu’ il serait passé plusieurs fois pour le démarcher.

Que Monsieur [P] n’a aucun bulletin de salaire pour les mois d’octobre et novembre 2017.

Que la société n’a fait aucune déclaration aux organismes de protection sociale pour la période d’octobre et novembre 2017 concernant Monsieur [P].

Que le contrat de travail prévoit une rémunération de 1950€ par mois.

En conséquence le Conseil de prud’hommes dit que Monsieur [P] a bien effectué une activité de commerce à but lucratif pour la societé ENR&CO pendant la période d’octobre et novembre 2017 non déclarée par la société, que ce travail est qualifié de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié (…) ».

Il se déduit des articles L. 8221-5 et L. 8224-1 du code du travail que le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié suppose que soit établi un lien de subordination.

Par ailleurs, il appartient à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat de travail d’en apporter la preuve.

En l’espèce, M. [P] verse la promesse d’embauche du 10 octobre 2017 qui lui a faite par la société Enr&Co et il n’est pas contesté que le contrat de travail a été établi le 4 décembre 2017.

Au soutien de ses affirmations de travail dissimulé en tant que salarié à compter du mois d’octobre 2017, M. [P] produit :

– un bon de commande, avec entête de la société Enr&Co située à [Adresse 7], signé le 17 octobre 2017 par M. [P] et M. [L], ce dernier étant domicilié dans le département de l'[Localité 4],

– un courriel de Mme [B] de la société Enr&Co adressant un bon de commande le 17 octobre 2017 à M. [P] sur une adresse électronique personnelle : [Courriel 5],

– un courriel du 19 octobre 2017 du directeur technique de la société Enr&Co de [Localité 6] informant M. [P], sur son adresse électronique personnelle, que M. [L] a annulé la commande susvisée,

– l’attestation de M. [L] qui indique que M. [P] est passé à plusieurs reprises pour représenter la société Enr&Co lui proposant un projet de chauffage par une pompe à chaleur et qu’il a signé un bon de commande le 17 octobre 2017.

Le contrat de travail liant les parties à compter du 4 décembre 2017 stipule que M. [P] ‘exerce sa mission sur le secteur géographique défini, à savoir dans un rayon de 60 kilomètres autour de [Localité 6] (33)’.

L’unique bon de commande, annulé, dans un secteur géographique distinct de celui prévu contractuellement ainsi que les deux courriels échangés avec une adresse électronique personnelle entre M. [P] et une salariée de la société Enr&Co ne permettent pas de caractériser une activité exercée par M. [P] pour les mois d’octobre et novembre 2017, à la demande, pour le compte et sous la direction de ladite société alors qu’aucun élément n’est versé au soutien d’un quelconque lien de subordination.

En conséquence, ces éléments sont insuffisants pour établir une relation contractuelle et un lien de subordination pour cette période antérieure au contrat de travail.

En l’absence de caractérisation d’un lien de subordination effectif, l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié n’est pas constituée de sorte qu’ infirmant le jugement dont appel, M. [P] sera débouté de ses demandes relatives au travail dissimulé.

Sur le rappel de commissions

M. [P] demande à la cour de prendre acte que dans le cadre de la présente procédure prud’homale, la société lui a réglé la somme de 282,89 euros au titre d’un rappel de commissions.

Par ailleurs, il prétend ne pas avoir perçu les commissions correspondantes aux dossiers [C] et [X], soit la somme de 2.550,51 euros nets (ou 2.650,51).

La société appelante explique avoir versé le juste commissionnement au regard de l’annexe 1 du contrat de travail de M. [P] pour le dossier [C], la somme de 282,89 euros nets ayant été réglée à titre de rappel de commission pour un montant de travaux s’élevant à la somme de 8.639,99 euros hors taxes.

Quant au dossier [X], la société soutient que les travaux ont été partiellement réalisés mais arrêtés pour défaut de paiement de sorte qu’aucun commissionnement n’est dû.

Le conseil de prud’hommes a pris acte du paiement de la somme de 282,89 euros nets par la société, expliquant le calcul de cette somme au titre de la commission sur le dossier [C] et a dit qu’aucune commission sur le dossier [X] n’était due, la société ayant démontré que l’encaissement du prix n’avait pu être effectué.

***

Les parties s’accordent sur le versement par la société à M. [P] de la somme de 282,89 euros nets à titre de rappel de commissions.

Il résulte de l’article 7 du contrat de travail signé par les parties que :

« la commission est calculée sur le chiffre d’affaires hors taxes facturé de toutes les affaires ‘indirectes’ sur le secteur géographique qui lui est confié.

On entend par ‘chiffre d’affaires hors taxes facturé’ : le montant net hors taxes des ventes sous déduction des frais ou coûts engagés pour la réalisation de ces mêmes ventes (tels notamment que : coûts de parrainage, frais de financement à charge ou vendeurs). Le droit à la commission intégrale est strictement subordonné au respect des conditions cumulatives suivantes :

– Respect des délais de pose

– Acceptation de la commande par les services techniques,

– Parfaite exécution de la commande et encaissement de son prix,

– Respect du tarif de la société (notamment des conditions de rabais remises indiquées au VRP) tels qu’il résulte du catalogue Enr&Co ou des directives de son supérieur hiérarchique. (…) Les commissions sont réglées sur la base de ses prises de commandes déduites des annulations ».

Par ailleurs, l’annexe 1 de ce même contrat prévoit qu’en « contrepartie de son activité de ventes, ‘LE SALARIÉ’ percevra une commission de 8% sur le chiffre d’affaires des commandes hors taxes facturé découlant de contacts prospectés personnellement (affaires ‘directes’) et une commission de 4% sur le chiffre d’affaires des commandes hors taxes découlant de contacts prospectés indirectement par les téléprospecteurs (affaires « fournies’) ».

M. [P] produit les bons de commande des dossiers [C] et [X].

Il résulte des dispositions contractuelles que le droit à la commission est subordonné à l’exécution de la commande et à l’encaissement de son prix.

La société affirme sans le démontrer que plusieurs chèques impayés de M. [X] n’ont pas permis l’encaissement de cette commande alors même qu’elle indique avoir assigné ce dernier devant le tribunal judiciaire.

Sur la base des bons de commande versés aux débats, en application des dispositions contractuelles précitées et tenant compte de la somme de 282,89 euros nets déjà versée, il sera fait droit à la demande de M. [P] mais à hauteur de la somme de 1.774,90 euros bruts, laquelle sera fixée au passif de la société Groupe Nemesis.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur la retenue liée au matériel informatique

M. [P] indique avoir restitué l’ordinateur qui lui avait été confié de sorte que la retenue que son employeur a effectuée sur le bulletin de salaire de juillet 2018 pour un montant de 227,57 euros avec la mention ‘ordinateur non restitué’ est injustifiée. Il sollicite en conséquence la fixation de cette somme au passif de la liquidation de la société Groupe Nemesis venant aux droits de la société Enr&Co.

La société appelante prétend que M. [P] n’a jamais restitué l’ordinateur de l’entreprise malgré la plainte déposée contre le salarié pour abus de confiance (dont l’issue n’est ni justifiée ni précisée) et la mise en demeure qui lui a été adressée le 16 juillet 2018, ce qui justifie la retenue de salaire.

Le conseil de prud’hommes a estimé que la société ne démontre pas la réalité de la non-remise du matériel et qu’elle communique une facture dont il n’est pas justifié qu’elle corresponde au matériel remis à M. [P] ; il a également rappelé l’interdiction des sanctions pécuniaires. Aussi, après avoir fait le constat de cette retenue sur le bulletin de salaire du mois de juillet 2018, les premiers juges ont condamné la société à reverser à M. [P] la somme de 227,57 euros.

La cour relève qu’il n’est pas démontré que M. [P] n’a pas restitué le matériel litigieux de sorte que la retenue de salaire figurant sur le bulletin du mois de juillet 2018 et correspondant à un montant de 227,57 euros n’est pas justifiée.

En conséquence, le jugement dont appel sera confirmé sur ce point et la somme de 227,57 euros sera fixée au passif de la société Groupe Nemesis.

Sur les autres demandes

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire mais il n’apparaît pas justifié de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, compte tenu de la situation de la société.

L’arrêt à intervenir sera déclaré opposable à l’UNEDIC, dans la limite légale de sa garantie.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux du 16 avril 2021 en ce qu’il a estimé injustifiée la retenue sur salaire à hauteur de 227,57 euros,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [I] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Fixe les créances de Monsieur [I] [P] au passif de la liquidation judiciaire de la société Groupe Nemesis, venant aux droits de la société Enr&Co, représentée par son liquidateur, la SELARL Ekip’,aux sommes suivantes :

– 1.950 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire outre la somme de 195 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

– 1.950 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 195 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

– 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

– 1.774,90 euros bruts à titre de rappel de commissions,

– 227,57 euros nets au titre d’une retenue sur salaire injustifiée,

Déboute Monsieur [I] [P] de ses demandes relatives au travail dissimulé,

Dit l’arrêt à intervenir opposable à l’UNEDIC Délégation AGS-CGEA de Bordeaux, dans la limite légale de sa garantie et du plafond applicable, à l’exception des dépens,

Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

 


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