ARRET
N°
S.A.S. SOUFFLET AGRICULTURE
C/
[E]
copie exécutoire
le 30/06/2022
à
Selarl VERDUN
Me ANDRIEU
MHN/IL/MR
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 30 JUIN 2022
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N° RG 21/01803 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IBXP
ARRET DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 09 MARS 2021 (référence dossier N° RG 19/00163)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. SOUFFLET AGRICULTURE
[Adresse 6]
[Localité 1]
représentée, concluant et plaidant par Me Franck VERDUN de la SELARL VERDUN VERNIOLE, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Barbara BENOSIO, avocat au barreau de PARIS
représentée par Me Ludivine BIDART-DECLE, avocat au barreau D’AMIENS, avocat postulant
ET :
INTIME
Monsieur [C] [E]
né le 19 Mai 1972 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté, concluant et plaidant par Me Claire ANDRIEU, avocat au barreau de CAEN
représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D’AMIENS, avocat postulant
DEBATS :
A l’audience publique du 19 mai 2022, devant Mme Marie VANHAECKE-NORET, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :
– Mme Marie VANHAECKE-NORET en son rapport,
– les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.
Mme Marie VANHAECKE-NORET indique que l’arrêt sera prononcé le 30 juin 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Marie VANHAECKE-NORET en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,
Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 30 juin 2022, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.
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DECISION :
Vu le jugement en date du 9 mars 2021 par lequel le conseil de prud’hommes de Beauvais, statuant dans le litige opposant M. [C] [E] (le salarié) à son ancien employeur la société SAS Soufflet Agriculture (la société), a dit que le salarié a été victime de harcèlement par sa hiérarchie, dit que le licenciement est nul, fixé le nonuple du salaire à prendre en considération pour l’exécution provisoire de droit à 21735 euros bruts, condamné la société à verser au salarié les sommes précisées au dispositif de la décision à titre d’indemnité compensatrice de préavis (5313 euros), d’indemnité légale de licenciement (7449,18 euros), d’indemnité pour licenciement nul (30000 euros), d’indemnité pour harcèlement moral (10000 euros), d’indemnité pour manquement à l’obligation de sécurité (3000 euros), de rappel de prime 2017 (440,83 euros), de rappel de prime 2018 (1569,75 euros), d’indemnité compensatrice de congés payés (2666,16 euros), d’indemnité pour clause de non-concurrence (17388 euros), d’indemnité pour les frais irrépétibles (1500 euros), a ordonné la remise sous astreinte à M. [E] d’un bulletin de salaire, de l’attestation Pôle emploi et d’un solde de tout compte, s’est réservé la liquidation partielle ou totale de l’astreinte, a débouté le salarié de ses demandes au titre du montant mensuel du salaire, de la prime de bilan, de la moyenne de salaire, de rappels de prime de 13ème mois, de congés payés afférents aux rappels de prime de 13ème mois non datés, du remboursement de la retenue sur salaire, d’exécution provisoire hors celle de droit, a débouté la société de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
Vu l’appel interjeté le 7 avril 2021 par la société Soufflet Agriculture à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 7 avril précédent ;
Vu l’avis d’avoir à signifier la déclaration d’appel en date du 17 mai 2021 ;
Vu la signification de la déclaration d’appel à M. [E] suivant exploit d’huissier délivré le 27 mai 2021 ;
Vu la constitution d’avocat de M. [E], intimé, effectuée par voie électronique le 8 juin 2021 ;
Vu les conclusions notifiées par voie électronique le 22 décembre 2021 via le RPVA par lesquelles la société Soufflet Agriculture, appelante, soutenant l’absence de harcèlement moral aux motifs que le salarié n’a apporté aucun élément laissant présumer de tels faits et qu’au contraire elle démontre leur absence, faisant valoir que la dénonciation de mauvaise foi de faits inexistants de harcèlement moral, comportement constitutif de faute grave, est établie, que dès lors le licenciement ne saurait être nul, faisant valoir subsidiairement sur les demandes indemnitaires de M. [E] que le salaire de référence servant de base de calcul des indemnités de préavis et de licenciement est erroné et qu’il ne justifie pas du préjudice allégué découlant de la prétendue nullité du licenciement, soutenant aussi que faute de harcèlement moral, aucun manquement à son obligation de sécurité n’est caractérisé et qu’elle a pris en outre les mesures de prévention nécessaires, exposant par ailleurs que la demande de rappel de salaire de base et les demandes de rappels subséquents sont mal fondés, indiquant à cet égard que le salarié a signé un nouveau contrat de travail fixant de nouvelles modalités de rémunération et ce sans subir de pression et qu’aucune nullité de la convention de forfait n’est encourue, indiquant aussi qu’il ne remplit pas les conditions pour percevoir la prime réclamée, opposant que les périodes d’absence du salarié ne peuvent être retenues pour le calcul de ses congés, faisant valoir que la clause de non-concurrence n’a pas été mise en oeuvre et que M. [E] n’a pas été entravé dans ses recherches d’emploi, soutenant que la déduction de salaire n’a pas été indûment opérée sur le bulletin de paie de juillet 2018 et qu’elle n’est redevable d’aucune somme au titre des indemnités journalières le salarié étant au contraire débiteur d’un trop-perçu, sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [E] de ses demandes au titre du montant mensuel du salaire, des rappels de salaire, de la prime de bilan, de la moyenne des salaires, des rappels de prime de 13ème mois non datés, des congés payés afférents aux rappels de prime de 13ème mois 2017 et 2018, du remboursement de la retenue sur salaire opérée à hauteur de 3576,76 euros, prie la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce que qu’il a dit que M. [E] a été victime de harcèlement moral, dit le licenciement nul, condamné la société à payer à M. [E] les sommes rappelées au dispositif de ses conclusions à titre d’indemnité compensatrice de préavis, indemnité légale de licenciement, indemnité pour licenciement nul, indemnité pour harcèlement moral, indemnité pour manquement à l’obligation de sécurité, rappel de prime 2017, rappel de prime 2018, indemnité compensatrice de congés payés, indemnité pour clause de non-concurrence, enfin au titre des frais irrépétibles, en ce qu’il a ordonné sous astreinte la remise des documents de fin de contrat, s’est réservé la liquidation de l’astreinte, l’a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles, prie la cour statuant à nouveau de dire que M. [E] n’a pas été victime de harcèlement moral, de dire qu’elle n’a pas manqué à son obligation de sécurité, de dire que M. [E] a dénoncé de mauvaise foi des faits de harcèlement moral, de dire qu’il a commis une faute grave, que le licenciement n’est pas nul puisque justifié pour faute grave, qu’elle n’a pas modifié unilatéralement le contrat de travail, que le contrat de travail en date du 5 avril 2017 est valable et ne peut être entaché de nullité, de dire qu’elle n’est redevable d’aucun rappel de salaire au titre de la prime d’ancienneté, de la prime de 13ème mois et de l’indemnité de congés payés, de dire qu’elle n’est redevable d’aucune indemnité de non-concurrence, de dire que M. [E] est redevable de la somme de 1779,53 euros net à son égard, en conséquence de débouter M. [E] de l’ensemble de ses fins, moyens et conclusions, de le condamner à lui verser la somme de 1779,53 euros net au titre du trop-perçu d’indemnités journalières qui lui ont été versées, de le condamner à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions notifiées par voie électronique via le RPVA le 10 mars 2022 aux termes desquelles le salarié, intimé et appelant incident, réfutant les moyens et arguments de la partie adverse et soutenant que le licenciement prononcé au cours de l’arrêt de travail suite à un accident du travail est nul en l’absence de faute grave établie et de mauvaise foi démontrée, soutenant avoir été victime de harcèlement moral, soutenant encore que la société a manqué à son obligation de sécurité en s’abstenant de prendre des dispositions préventives dans le cadre de l’intégration de la société Etablissements Bordage et de ses effectifs et en cautionnant les agissements constitutifs de harcèlement moral, faisant valoir sur les conséquences financières du licenciement nul que le calcul du salaire de référence pour la détermination des diverses indemnités doit tenir compte des rappels de salaire auxquels il peut prétendre, que certains de ses préjudices ont été insuffisamment réparés par les premiers juges, exposant que concomitamment à la fusion, son contrat de travail a été modifié, que la convention de forfait annuelle en jours est nulle ce qui justifie un rappel de salaire de base, qu’il peut prétendre à la prime de bilan en vertu de l’usage en vigueur dans les Etablissements Bordage non régulièrement dénoncé par la société Soufflet Agriculture, que la prime de 13ème mois est due pour 2017 conformément au contrat de travail, qu’elle est dûe aussi pour 2018 du fait notamment du caractère nul du licenciement, qu’il n’a pas été rempli de ses droits au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés qui lui est due nonobstant le recours de l’employeur contre la décision de prise en charge de l’accident du travail par la CPAM, soutenant aussi qu’il n’a pas été délié par l’employeur de son obligation de non-concurrence de sorte que la contrepartie financière lui est due intégralement, dénonçant enfin le caractère injustifié de la retenue sur salaire pratiquée sur le bulletin de paie de juillet 2018 ainsi que du trop perçu allégué par l’employeur, sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a dit qu’il avait été victime de harcèlement moral, dit que le licenciement est nul, dit que la société Soufflet Agriculture a manqué à son obligation de sécurité, a condamné la société à lui verser une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité légale de licenciement, des dommages et intérêts à titre de licenciement nul, des dommages et intérêts pour harcèlement moral, des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, un rappel de prime de 13ème mois pour l’année 2017, un rappel de prime de 13 ème mois pour l’année 2018, un rappel d’indemnité compensatrice de congés payés, une indemnité pour clause de non-concurrence, une indemnité de 1500 euros au titre des frais irrépétibles, en ce qu’il a ordonné la remise sous astreinte des documents de fin de contrat conformes et s’est réservé la liquidation de l’astreinte, en ce qu’il a débouté la société de sa demande au titre des frais irrépétibles, prie la cour de le recevoir en son appel incident et l’y dire bien fondé, en conséquence d’infirmer le jugement en ce qu’il a fixé les montants de l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité légale de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement nul, harcèlement moral, manquement à l’obligation de sécurité, des rappels de prime de 13ème mois, de l’indemnité compensatrice de congés payés, de l’indemnité pour clause de non-concurrence, de l’astreinte, de l’infirmer également en ce qu’il l’a débouté de ses demandes au titre du montant mensuel du salaire, du rappel de salaire mensuel, de la prime de bilan, de la moyenne des salaires, du rappel de prime de 13ème mois non daté, des congés payés afférents aux rappels de prime de 13ème mois 2017 et 2018, du remboursement de la retenue sur salaire, de condamnation aux intérêts de retard, statuant à nouveau à titre principal de dire nulle la convention de forfait annuel en jours et que le salaire mensuel de référence est fixé à 3367,61 euros brut, de condamner la société Soufflet Agriculture à lui payer les sommes reprises au dispositif de ses conclusions devant lui être allouées à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (45 000 euros net de CSG CRDS), de dommages et intérêts pour harcèlement moral (30 000 euros net de CSG CRDS), de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité (25 000 euros net de CSG CRDS), d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés y afférents (6417,55 euros), d’indemnité de licenciement (10 215,38 euros), de rappel de salaire comprenant les congés payés (7690,48 euros), de rappel de prime de bilan de l’année 2018 (2000 euros brut) outre les congés payés incidents (200 euros), de rappel de prime de 13ème mois pour 2017 (2552,42 euros en ce compris les congés payés), de rappel de prime de 13ème mois pour 2018 (2753,79 euros en ce compris les congés payés), de rappel d’indemnité de congés payés (3717,95 euros), de rappel d’indemnité de non-concurrence (24247,51 euros), à titre de remboursement (3576,76 euros), de dire que l’astreinte assortissant la condamnation à la remise des documents de fin de contrat conformes soit fixée à 100 euros par document et jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision à intervenir, de condamner la société aux intérêts de retard avec capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, prie la cour à titre subsidiaire de fixer le salaire de référence à la somme de 2816,20 euros brut et en conséquence de condamner la société à lui verser les sommes reprises au dispositif des conclusions à titre de rappel de prime de 13ème mois 2017 en ce compris les congés payés (1994,63 euros), de rappel de prime de 13ème mois pour 2018 en ce compris les congés payés (2326,65 euros), de rappel d’indemnité de congés payés (3109,08 euros), de rappel d’indemnité de non-concurrence (20 276,64 euros), en tout état de cause demande à la cour de débouter la société de l’ensemble de ses prétentions, de la condamner à lui payer une indemnité de 3500 euros pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 5 mai 2022 renvoyant l’affaire pour être plaidée à l’audience du 19 mai suivant ;
Vu les dernières conclusions transmises le 22 décembre 2021 par l’appelante et le 10 mars 2022 par l’intimé auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel ;
SUR CE LA COUR
M. [C] [E], né en 1972, a été embauché à compter du 19 mars 2007 par la société Etablissements Bordage en qualité de responsable agronomique préconisateur suivant contrat de travail non écrit.
La société Soufflet Agriculture, qui appartient au groupe Soufflet, est spécialisée dans la collecte auprès des agriculteurs de toutes graines, oléagineux, protéagineux et la commercialisation de ces produits ; elle a également pour activité la vente d’intrants aux agriculteurs (engrais, semences, produits de protection des plantes).
Elle emploie plus de 600 salariés et applique la convention collective nationale des entreprises du négoce et de l’industrie des produits du sol, engrais et produits connexes du 2 juillet 1980.
A compter de la fin de l’année 2016, elle a pris le contrôle de la société Etablissements Bordage qui a été définitivement intégrée le 1er juillet 2017.
Dans ce contexte, un contrat de travail a été formalisé avec M. [E] le 5 avril 2017 prenant effet à compter du 1er juillet 2017, l’ancienneté acquise au service de la société Etablissements Bordage étant reprise.
Aux termes de ce contrat, l’intitulé du poste de M. [E] était ‘agent relation culture’ et il était convenu une rémunération mensuelle pour partie fixe de 2000 euros, rémunération forfaitaire pour 218 jours travaillés sur l’année, à laquelle s’ajoutait une prime annuelle versée fin décembre, et pour partie variable.
Le 3 août 2017, M. [E] a été victime d’un infarctus du myocarde et placé consécutivement en arrêt de travail qui sera successivement prolongé jusqu’au licenciement. La Caisse primaire d’assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de cet accident le 18 février 2019.
Par courrier du 22 janvier 2018 adressé à son employeur et en copie au CHSCT, le salarié a dénoncé des faits de harcèlement moral et mis la société en demeure de procéder à la déclaration de son accident du travail auprès de l’organisme compétent.
Il a été convoqué à un entretien préalable fixé le 20 août 2018 par lettre du 7 août précédent puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 24 août 2018 motivée comme suit :
«’Par courrier envoyé avec accusé réception du 7 août 2018 vous avez été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement le lundi 20 août 2018 à 10h00 en application des articles L 1232-2 à L 1232-4 du Code du travail. Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs de cette procédure et vous avez été à même de vous exprimer afin de nous fournir toutes explications sur les faits qui vous sont reprochés.
Vous étiez employé depuis le 19 mars 2007 par les Etablissements BORDAGE et suite au rachat de cette Société par la Société SOUFFLET AGRICULTURE, vous avez été transféré au 1er juillet 2017 dans cette nouvelle société, formalisé par avenant signé à votre contrat de travail.
Par courrier du 22 janvier 2018, vous m’avez signalé en qualité de Président de la société SOUFFLET AGRICULTURE, des faits de harcèlement moral dont vous auriez été victime de la part de votre supérieur hiérarchique Monsieur [M] qui auraient dégradé « mes conditions de travail conduisant à un état de stress majeur ayant altéré mon état de santé ».
A l’appui de ce signalement, vous avez évoqué les faits suivants:
– la suppression de l’aide du secrétariat commercial et la mise en place d’outils informatiques moins performants ayant pour conséquence d’augmenter le travail quotidien,
– une augmentation disproportionnée des objectifs sans politique tarifaire cohérente avec les prix du marché,
– un dénigrement permanent et des critiques répétées, brutales et vexantes devant l ‘ensemble de l’ équipe,
– une absence de déconnexion pendant les week-ends que pendant les jours de congés payés,
– une intention de diviser l’équipe originelle de commerciaux par des procédés déloyaux,
– une différence de traitement des commerciaux. certains bénéficiant de « cartouches » permettant ainsi de pouvoir s’aligner vis-à-vis des concurrents et dénigrement des autres commerciaux au cours des réunions,
– un harcèlement téléphonique pendant les congés,
– des reproches sur la prise de congés payés,
– une absence de repos journalier quotidien,
– une pression continuelle,
– une pression récurrente sur ma situation de pluri-actif .
Vous avez évoqué à l’encontre de monsieur [M] d’autres griefs comme des messages téléphoniques pendant vos congés «systématiquement agressifs» qu’il laissait sur votre répondeur au sujet de tâches à réaliser, voire sur votre téléphone privé à votre domicile.
Vous signalez enfin une réunion du 1er août 2017 à votre retour de congés où Monsieur [M], devant témoins, aurait «dénigré votre travail devant les autres », puis au cours d’un entretien individuel vous aurait «fait des reproches, d’une façon très violente et agressive» notamment sur votre situation de pluri-actif .
Le 3 août 2017 vous avez été arrêté pour une pathologie que vous estimez liée avec les circonstances d’exécution de votre contrat de travail et qui n’a pas été reconnue comme telle par la CPAM.
Bien que votre signalement de harcèlement moral ne fasse état que d’affirmations, sans présenter d’ éléments probants, nous avons saisi le CHSCT qui a décidé de réaliser une enquête.
Le 2 février 2018, le CHSCT a désigné un bureau d’enquête qui a rendu son rapport le 27 juin 2018.
Le bureau d’enquête du CHSCT a consulté notamment
– les tickets informatiques, les relevés téléphoniques professionnels entre vous-même et Monsieur [M], ceux du site de [Localité 5], les échanges de mails entre vous-mêmes et Monsieur [M],
– Il a réalisé l’audition de l’ensemble de l’équipe commerciale en poste dans la région NORD, de vous-même, de Monsieur [M] et de Monsieur [D],
– Il vous a invité à communiquer à plusieurs reprises toute pièce utile à l ‘appui de vos déclarations, ce que vous n’avez pas fait.
Au terme de son enquête, le CHSCT a conclu le 6 juillet 2018 dans les termes suivants: « ayant pris toutes les informations nécessaires, le CHSCT constate l’absence totale de faits de harcèlement de la part de Monsieur [M] ou d’autres membres de la Société SOUFFLET AGRICULTURE à l’encontre de Monsieur [E] ».
Aux conclusions du CHSCT, nous devons ajouter la circonstance suivante :
Par un courrier du 1er juin 2018 vous me signalez que Monsieur [M] vous a appelé à votre domicile et aurait interpellé votre conjointe « comme à son habitude, de façon autoritaire et agressive» au sujet de la restitution du véhicule de fonction compte tenu de la prolongation de l’arrêt: « Monsieur [M] m’a interpellé, à proximité de mon domicile, le 16 avril 2018, en indiquant d’un ton parfaitement ironique : « Ça va ‘ Tu n’as pas l’air malade ! ». De la même manière, je vous informe que Monsieur [M] s’est permis de téléphoner à mon domicile le 16 mai 2018 à 19h21. Ce dernier, comme à son habitude, a interpellé ma conjointe de façon autoritaire et agressive en demandant « pourquoi ils n’auront pas le véhicule ‘ Un courrier lui a été envoyé! ».
Monsieur [M], a enregistré la conversation et l’a fait retranscrire par huissier de justice.
Il en ressort que Monsieur [M] n’a utilisé aucune tournure agressive. Celui-ci s’est contenté, sur instruction de son responsable hiérarchique, de demander à vous parler pour organiser la restitution du véhicule, ce qui vous avait été demandé par courrier de Monsieur [O] [V] depuis le mois d’avril sans aucune réaction de votre part.
En qualité d’employeur, nous sommes tenus de tirer les conséquences de ces éléments.
La dénonciation de faits de harcèlement moral qui est faite de bonne foi ne peut entraîner aucune sanction contre son auteur et même si les faits de harcèlement ne sont pas constitués.
Ce n’est cependant pas le cas lorsque cette dénonciation est faite de mauvaise foi, c’est-à-dire lorsque son auteur à connaissance que les faits sont faux.
En l’occurrence, nous constatons que vous avez gravement mis en cause Monsieur [M] sur la base de simples affirmations.
Le CHSCT dans son enquête a fait apparaître que celles-ci n’étaient pas fondées.
Mais de plus, aucune des pièces rassemblées par le bureau d’enquête ne vient étayer vos déclarations mensongères.
En outre, nous avons établi que votre appréciation faussée des propos de Monsieur [M] à l’occasion de son appel du 16 mai 2018 a été présentée de façon à soutenir vos accusations de harcèlement moral.
Nous considérons que l’ensemble de ces allégations en l’absence de toute pièce probante et contraires aux faits constatés sont constitutifs d’une faute grave au regard de leur caractère mensonger et nous vous licencions pour ce motif.
La rupture de votre contrat de travail est effective à la date d’ envoi du présent courrier.
Nous vous adresserons par courrier votre solde de tout compte et votre attestation Pôle Emploi.
Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d’y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l’initiative d’apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement.
Si vous en faites la demande, vous pouvez garder le bénéfice des garanties complémentaires et prévoyance appliquées dans notre entreprise à compter de la date de cessation de votre contrat de travail et pendant la période de prise en charge par l’assurance chômage, sans que celle-ci puisse excéder la durée de votre dernier contrat de travail, appréciée en mois entiers et dans la limite de 12 mois de couverture.
Vous voudrez bien vous présenter au site le plus proche de votre domicile dès réception de ce courrier pour restituer le matériel de la Société encore en votre possession.
(…)’».
Contestant la licéité de son licenciement, sollicitant la reconnaissance d’un harcèlement moral, estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Beauvais qui par jugement du 9 mars 2021, dont appel, a statué comme indiqué précédemment.
Les demandes relatives à l’exécution du contrat de travail
Sur le harcèlement moral
M. [C] [E] expose avoir été victime de harcèlement moral de la part de M. [L] [M] qui a encadré l’équipe de commerciaux à laquelle il appartenait à compter de mi avril 2017, que ce harcèlement s’est matérialisé avant son accident du 3 août 2017 mais encore durant son arrêt de travail.
Il maintient les termes de son courrier de dénonciation en date du 22 janvier 2018 s’agissant des faits subis et principalement une surcharge de travail administratif du fait de la suppression de l’aide du secrétariat commercial et de la mise à disposition d’outils informatiques peu performants, une augmentation disproportionnée des objectifs, un dénigrement et des critiques répétées et brutales devant l’équipe, la privation du droit à la déconnexion durant les congés payés ou les week-end, des procédés déloyaux pour diviser l’équipe commerciale avec une différence de traitement constatée entre les commerciaux, un harcèlement téléphonique et par le biais de courriels durant les congés, des reproches sur la prise des congés pourtant validés par la direction, des propos tendant à remettre en cause sa situation de pluri-actif (salarié et exploitant agricole) qui jusqu’alors n’avait jamais posé de difficultés à l’employeur. Il maintient que M. [M] l’a interpellé de manière ironique à proximité de son domicile lors de son arrêt de travail et a aussi téléphoné à son domicile.
Il fait valoir que les méthodes de gestion et de management de M. [M] ont été dénoncées par plusieurs salariés. Il souligne que la DIRECCTE a qualifié sa situation de harcèlement moral et a écrit en ce sens à la CPAM dont l’enquête confirme la réalité des faits. Il indique qu’une enquête pénale est toujours en cours.
Pour preuve de sa bonne foi, il soutient que son état de santé s’est dégradé de manière concomitante aux agissements relatés : apparition soudaine en mai 2017 d’un psoriasis en suite de quoi du repos a été préconisé par son médecin traitant ce qui l’a conduit à solliciter quatre semaines de congés payés en juillet, et un infarctus lié au stress après une entrevue violente avec M. [M] le 1er août précédent. Il rappelle que la CPAM a in fine considéré que cet infarctus était un accident du travail.
La société Soufflet réfute tout harcèlement moral.
Elle souligne que M. [E] a attendu plus de cinq mois après le début de son arrêt de travail pour dénoncer les faits. Elle soutient que le salarié ne communique pas d’éléments laissant présumer de tels faits alors qu’ils ont pourtant été sollicités à plusieurs reprises au cours de l’enquête du bureau désigné par le CHSCT, que les faits avancés sont en tout point contredits par cette enquête menée, contrairement à ce que prétend M. [E], de manière impartiale ainsi que par les éléments qu’elle verse aux débats et qui démentent entre autres le harcèlement téléphonique et par mails dénoncé par le salarié. Elle fait valoir qu’elle a mis en place une organisation plus structurée qui a pu être mal comprise par les salariés ‘ex Bordage’ mais qui était nécessaire et justifiée. A cet égard elle dénonce le caractère orienté des investigations de la DIRECCTE dont la position partiale est contredite par les auditions des collègues de M. [E] recueillies par le CHSCT. Elle soutient que les mesures prises par M. [M] s’inscrivaient toutes dans le cadre d’un exercice normal du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur. Elle entend préciser que suite à la dénonciation de M. [E] auprès de l’inspection du travail, M. [M] a été auditionné librement et qu’à ce jour aucune déclaration définitive de culpabilité n’est intervenue. Elle indique aussi que suite à la demande de déclaration d’accident du travail formulée par M. [E] pour l’infarctus du 3 août 2017, elle a procédé à la dite déclaration auprès de la CPAM en émettant des réserves et que cet organisme qui a dans un premier temps refusé de reconnaître le caractère professionnel de cet accident, a pris une décision contraire plus de six mois après la rupture du contrat de travail. Elle précise avoir saisi le tribunal judiciaire d’une contestation de cette décision impliquant une prise en charge de l’accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
Sur ce,
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il en résulte que le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.
Les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période mais un fait isolé, faute de répétition, ne peut caractériser un harcèlement moral.
Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de direction mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors qu’ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l’existence d’une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l’ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.
Selon l’article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, au soutien de ses dires M. [E] invoque et verse notamment aux débats :
– le courrier adressé par le contrôleur du travail à la CPAM de la Somme le 13 février 2019 rendant compte de ses investigations et faisant part de ses constats sur la situation du salarié, en soulignant notamment qu’il a été privé de son droit à la déconnexion pendant son congé en juillet 2017, et en retenant l’existence d’un harcèlement moral visant à le déstabiliser, la cour observant que le contrôleur du travail a procédé dans le cadre de ses investigations à l’audition de M. [M], principalement mis en cause par M. [E], ce qui contredit que la DIRECCTE s’en soit tenue uniquement aux affirmations du salarié ;
– la synthèse établie par la CPAM à l’issue de son enquête sur l’accident du 3 août 2017 et les procès-verbaux d’auditions d’anciens salariés par l’agent assermenté qui confirment que la reprise de la société Etablissements Bordage par la société Soufflet Agriculture s’est traduite par des changements profonds dans les pratiques professionnelles dus à un management beaucoup plus directif avec l’instauration d’objectifs et un formalisme qui n’existait pas auparavant ce qui a poussé plusieurs collaborateurs à quitter l’entreprise ; M. [I] a indiqué que les méthodes de M. [M] étaient ‘discriminantes’ à l’égard de M. [E], qu’ainsi il lui reprochait son chiffre d’affaires sans prendre en compte la consistance de son porte-feuille clients ni sa marge qui était la plus importante, qu’il l’attaquait en réunion usant de formules comme’T’es pas bon’, que le salarié était souvent appelé en entretien après les réunions, entretiens dont il ressortait persuadé qu’il allait être licencié ; M. [H] a constaté pour sa part qu’après son entretien avec M. [M] le 1er août 2017, M. [E] qui lui disait avoir été ‘secoué’ durant cette entrevue à propos des objectifs était livide, ‘déballé’ ; enfin la CPAM expose avoir été destinataire en copie du courrier adressé par le contrôleur du travail à la société Soufflet Agriculture informant cette dernière qu’un signalement était transmis au procureur de la république en raison des témoignages de souffrance au travail recueillis et des risques pour la santé des salariés ;
– le signalement adressé à la DIRECCTE par M. [N] [K], licencié pour motif économique en juin 2017, selon lequel le suivi de M. [M] était exercé avec une pression sans pareil sur les commerciaux dont plusieurs à l’instar de M. [E] ont rencontré le médecin du travail ;
– l’attestation de M. [W], dont la valeur et la portée ne sont pas sérieusement contestées, qui confirme que le salarié était stigmatisé au sein de la société en raison de résultats considérés comme insuffisants sans qu’il soit tenu compte de son taux de marge qui était au-dessus de la moyenne et met directement en cause M. [M] comme ayant contribué à la dégradation de l’état de santé de plusieurs collaborateurs, dont M. [E], venant des Etablissements Bordage ;
– un procès-verbal de constat d’huissier dont il ressort que le salarié a reçu 8 appels téléphoniques entre le 3 et le 21 juillet 2017, période de congés, suivis d’un message notamment de M. [M] le sollicitant à propos de clients et de ses objectifs et lui demandant de le rappeler, la cour relevant le 5 juillet trois messages en moins d’une heure -ce qui est de nature à caractériser une insistance certaine de M. [M] à le joindre- ainsi que plusieurs appels du siège pour lui dire qu’il avait mal saisi des commandes ou l’interroger sur la situation d’un client ;
– un courriel que lui a adressé M. [M] pendant la deuxième semaine de congés relatif à ses objectifs d’automne jugés ‘pour le moins frileux’ avec usage du point d’exclamation et imposant une réponse avant le 21 du même mois ;
– la lettre de liaison établie par le CHU d’Amiens à sa sortie d’hospitalisation, le certificat médical rectificatif établi pour accident du travail survenu le 3 août 2017, soit deux jours après l’entrevue avec M. [M], la notification le 18 février 2019 par la CPAM de la décision de prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
M. [E] présente ainsi, contrairement à ce que soutenu par l’employeur, des éléments de fait en rapport avec des remises en cause ou critiques de ses compétences ou qualités professionnelles formulées en termes disqualifiants par M. [M] parfois en présence d’autres salariés, un management inutilement brutal à son endroit, des appels téléphoniques répétés pendant les congés pourtant préalablement validés par qui de droit, l’injonction par courriel de réviser à la hausse ses objectifs et de répondre à une date où il est encore en congés, laissant supposer l’existence d’une situation de harcèlement moral.
Il appartient dès lors à la société Soufflet Agriculture d’établir que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Elle produit notamment aux débats diverses pièces justifiant de la constitution du bureau d’enquête lors de la réunion du CHSCT du 2 février 2018, suite au courrier du 22 janvier 2018 de M. [E], les auditions de salariés réalisées par ce bureau, le compte-rendu de son enquête établi le 20 juin 2018 qui conclut que les accusations du salarié n’ont pas été confirmées.
Toutefois, il apparaît que l’audition de certains salariés encore présents à l’effectif, et notamment ceux que M. [E] souhaitait voir entendre, a été d’emblée écartée, que le médecin du travail n’a pas été associé à l’enquête mais simplement convoqué comme ‘témoin’, ce qu’il ne pouvait que décliner étant tenu au secret professionnel. En outre ainsi que le relève M. [E] dans ses conclusions certains des salariés auditionnés ne dénient pas les faits qu’il a dénoncés comme la nécessité de devoir rester joignable même pendant les congés, le fait de présenter les chiffres de toute l’équipe en réunion, ce qui était totalement nouveau et n’a pas fait l’objet d’une information préalable des salariés concernés auparavant, l’existence d’une entrevue entre M. [M] et M. [E] le 1er août 2017 au cours de laquelle notamment les chiffres de ce dernier ont été analysés et jugés insuffisants par rapport aux autres commerciaux. M. [Z] suggère que des reproches ont pu être formulés à M. [E] notamment liés à sa pluri activité. Plusieurs de ces salariés considèrent le management de M. [M] directif voire autoritaire même s’ils ne le qualifient pas de harcelant. La cour constate que les salariés entendus ont tous été auditionnés en suivant un questionnaire standard constitué de questions fermées de nature à orienter les réponses ce qui a été relevé par la DIRECCTE et qui amène à relativiser les conclusions du CHSCT qui reposent essentiellement sur ces auditions.
La cour observe que l’employeur ne produit pas d’éléments sur les chiffres du salarié comparés à ceux des autres agents relation culture permettant de conforter le bien fondé des appréciations défavorables portées sur ses résultats et son implication ni ne justifie objectivement de la nécessité d’appeler le salarié à plusieurs reprises durant ses vacances ou encore de l’urgence qu’il y avait à l’interpeller sur ses objectifs par courriel alors qu’il est en congés, étant relevé qu’il n’est pas contredit que M. [M], l’auteur des communications litigieuses, avait connaissance des dates de congés.
Au résultat de ces développements, la société Soufflet Agriculture ne contredit pas les éléments du salarié ni ne démontre que les faits et décisions dénoncés étaient objectivement justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement moral.
Il convient dès lors de tenir le harcèlement moral pour établi.
Eu égard à la nature des faits, leur durée, leur impact sur la santé du salarié dont l’état ne lui a pas permis de reprendre le travail, le préjudice sera suffisamment réparé par l’allocation de la somme précisée au dispositif de l’arrêt, le salarié ne démontrant pas par les éléments qu’il produit en cause d’appel un préjudice d’une ampleur telle qu’il justifierait une indemnité supérieure.
Le jugement entrepris sera infirmé sur le quantum des dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
M. [E] expose que l’employeur n’a pris aucune disposition visant à mettre en place des actions de prévention dans le cadre de l’intégration de la société Etablissements Bordage afin de se prémunir contre les difficultés liées pour les salariés au changement de fonctionnement et d’organisation induits par cette fusion.
Il expose aussi que l’employeur a cautionné l’attitude harcelante de M. [M] et n’a pris aucune mesure pour faire cesser le harcèlement.
La société soutient que le salarié n’ayant pas été victime de harcèlement moral, il ne peut invoquer de manquement qui lui serait imputable. Elle oppose aussi qu’elle a mis en place les mesures de prévention afin d’assurer la sécurité des salariés et protéger leur santé, qu’elle a saisi le CHSCT à la suite des dénonciations de M. [E] et qu’elle a fait en sorte que ce dernier ne dépende plus hiérarchiquement de M. [M].
Sur ce,
En application de l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu à l’égard de son personnel d’une obligation de sécurité qui lui impose notamment, en présence de risques identifiés, de prendre les mesures nécessaires pour assurer de manière effective la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Un manquement à cette obligation et en particulier à l’obligation de prendre les mesures de prévention nécessaires est de nature, indépendamment de la survenance d’un accident ou d’une maladie, à engager sa responsabilité contractuelle.
L’article L.4121-2 du code du travail énonce :
‘L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.’
L’article L.1152-4 du code du travail précise que l’employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, ce qui constitue une déclinaison de l’obligation de sécurité qui pèse sur lui par application des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 ci-dessus rappelés.
Les obligations édictées par les articles L. 1152-4 et L. 1152-1 du code du travail étant distinctes, la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.
Enfin ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
En l’espèce, il a été constaté précédemment que la société Soufflet Agriculture avait fait diligenter une enquête par le CHSCT sur les faits dénoncés par M. [E] et elle justifie avoir informé le salarié le 7 février 2018 que pour le temps de cette enquête il ne répondrait plus hiérarchiquement à M. [M] qu’il mettait en cause nommément.
Toutefois il ressort des pièces soumises à l’appréciation de la cour que les agissements de harcèlement moral se sont inscrits dans le contexte du profond bouleversement des pratiques professionnelles du salarié qui a accompagné l’intégration de la société Etablissements Bordage à la société Soufflet Agriculture. M. [M], recruté peu avant que cette intégration ne soit effective pour animer l’équipe, a lui-même reconnu qu’il a mis en oeuvre de nombreux changements pour rendre l’organisation, jugée incohérente et ‘archaïque’, conforme à celle de la société Soufflet Agriculture. La DIRECCTE a souligné ce contexte en relevant qu’a priori aucune étude d’impact de la fusion n’a été réalisée par le CHSCT avant la reprise ce qui n’est pas factuellement infirmé par la société Soufflet Agriculture. Pourtant M. [E] comme certains salariés de la société Bordage avait une ancienneté importante avec des habitudes de travail très ancrées ce qui majorait les risques de difficultés d’adaptation et de dégradation des conditions de travail, risques qui auraient dû être évalués et anticipés. La cour observe qu’aucun problème n’avait été remonté à la DIRECCTE lorsque la société Etablissements Bordage était l’employeur alors que le processus d’intégration par la société Soufflet Agriculture a généré des signalements et témoignages de souffrance au travail de la part de plusieurs salariés dont M. [E]. La cour observe qu’au titre des mesures d’aide et d’accompagnement de celui-ci à cette intégration, il n’est justifié concrètement que de l’organisation d’une session de formation en informatique sur une journée.
Il résulte de ce qui précède que la société a insuffisamment évalué et prévenu les risques pesant sur la santé de M. [E] du fait de la réorganisation imposée ce qui lui a causé un préjudice distinct de celui résultant du harcèlement moral subi.
Au vu des éléments produits en cause d’appel, il apparaît que les premiers juges ont procédé à une exacte évaluation de la réparation due, évaluation qui n’est pas sérieusement critiquée.
Il convient de confirmer la décision entreprise de ce chef.
Sur les rappels de rémunération
A titre liminaire, la cour relève que si M. [E] fait valoir qu’il a été contraint de signer l’avenant contractuel applicable à compter du 1er juillet 2017 et que cet avenant lui a été imposé en violation des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail, il précise expressément ne formuler aucune demande spécifique à ce titre.
Sur la demande de rappel de salaire de base
M. [E] prétend à un rappel de salaire de base au motif que la convention de forfait en jours formalisée dans l’avenant contractuel applicable à compter du 1er juillet 2017 est nulle. Il sollicite en conséquence un rappel du salaire de base en vigueur jusqu’à cette date qui était de 2482,93 euros brut par mois en ce compris le paiement d’heures supplémentaires de la 35ème à la 39 ème heure en indiquant qu’il a continué à effectuer son travail au sein de la société Soufflet Agriculture dans les mêmes conditions et que sa durée hebdomadaire de travail est demeurée de 39 heures.
Au soutien de la nullité de la convention de forfait, il expose que la société ne justifie pas de l’existence d’un accord collectif conforme aux prescriptions légales et aux exigences jurisprudentielles sur le caractère raisonnable de la charge et l’amplitude de travail ni qu’il bénéficiait d’une autonomie dans l’organisation de son travail susceptible de le faire relever d’un tel forfait.
La société expose que M. [E] n’était pas soumis à l’horaire collectif de travail, que ses fonctions itinérantes impliquaient une autonomie dans le cadre de l’organisation de son emploi du temps, qu’il n’apporte pas d’éléments quant à son temps de travail, que le recours à la convention de forfait en jours est prévu par un accord d’entreprise et l’avenant n°4 de la convention collective applicable qui fait référence à l’accord de branche du 29 juillet 1998 lequel encadre l’exécution du forfait.
Elle souligne que la convention de forfait n’a jamais pu être réellement mise en application dans la mesure où elle a été effective à compter du 1er juillet 2017 et que M. [E] a été en congés payés en juillet puis n’a travaillé que du 31 juillet au 2 août 2017.
Sur ce,
Aux termes de l’article L.3121-63 du code du travail, il ne peut être recouru au forfait annuel en jours que si un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou de groupe ou, à défaut, une convention ou un accord de branche l’autorise expressément.
Le salarié qui conclut une convention de forfait en jours doit entrer dans les prévisions de la loi et relever des catégories définies par l’accord collectif.
Ainsi en application de l’article L.3121-58 du code du travail, peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l’année dans la limite de 218 jours les salariés dont la durée de travail ne peut être prédéterminée et qui dispose d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.
En l’espèce, il est justifié que le recours à la convention de forfait en jours est autorisé au sein de la société Soufflet Agriculture par l’accord d’entreprise du 25 octobre 1999 dont l’article 10-5 prévoit la conclusion d’un tel forfait pour les salariés, non cadres, relevant de la catégorie commerciaux et techniciens itinérants qui travaillent plus de 80% de leur temps de travail à l’extérieur de l’entreprise.
Il ressort des éléments du dossier que M. [E] qui relevait de la catégorie TAM de la convention collective était itinérant, ses fonctions l’amenant à prospecter et à visiter une clientèle d’agriculteurs, à effectuer la partie administrative de son travail et la préparation de ses tournées à son domicile ne se rendant que ponctuellement pour les réunions sur un des sites de la société à [Localité 5] ; les changements intervenus avec l’intégration de la société Etablissements Bordage à la société Soufflet n’ont pas modifié cette organisation qui laissait M. [E] très autonome dans la gestion de son emploi du temps.
Dès lors, et contrairement à ce qu’il est soutenu, l’accord collectif d’entreprise était bien applicable à M. [E].
En revanche, aux termes de l’article L.3121-64 II l’accord collectif doit déterminer :
-les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié,
-les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise,
-les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu par l’article L. 2242-8 du code du travail.
Or force est de constater que l’accord d’entreprise du 25 octobre 1999 ne prévoit aucune de ces modalités, que les dispositions de l’accord de branche du 29 juillet 1998 invoqué par la société relatives aux conventions de forfait annuel en jours sont incomplètes s’agissant des conditions de contrôle de leur exécution puisque ne prévoyant pas les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail, l’articulation entre l’activité professionnelle du collaborateur et sa vie personnelle, sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise.
Il n’est pas démontré ni d’ailleurs allégué par la société Soufflet Agriculture qu’elle a pallié ces lacunes en respectant l’ensemble des modalités supplétives de suivi et contrôle de la charge de travail prévues par l’article L.3121-65 du code du travail.
En conséquence, et peu important que M. [E] ait été placé en arrêt de travail très peu de temps après la mise en application du forfait, la convention individuelle de forfait annuel en jours doit être déclarée nulle.
Il sera ajouté en ce sens au dispositif du présent arrêt.
Cependant, cette nullité ne permet pas à M. [E] de solliciter le bénéfice des conditions de rémunérations applicables antérieurement au 1er juillet 2017.
L’application de l’article L. 1224-1 du code du travail relatif au transfert d’entreprise ne fait pas obstacle à ce que le nouvel employeur apporte au contrat transféré des modifications dès lors que le salarié y consent et la cour ne relève pas dans les pièces soumises à son appréciation d’éléments matérialisant la pression alléguée par M. [E] qu’aurait exercé la société Soufflet Agriculture pour qu’il signe le contrat de travail qui a pris effet au 1er juillet 2017.
La nullité du forfait en jours permet à M. [E] de revendiquer le bénéfice des dispositions légales sur la durée du travail et en particulier sur les heures supplémentaires.
La cour rappelle que conformément aux dispositions de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige sur le nombre d’heures de travail accomplies, il appartient d’abord au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Force est de constater en l’espèce que M. [E] a été en congés payés au mois de juillet 2017 puis a été placé en arrêt de travail le 3 août 2017. Il ne produit aucun élément de décompte de son temps de travail permettant à l’employeur d’y répondre.
En conséquence, sa demande de rappel n’est pas fondée.
Pour ces motifs, il convient de confirmer le jugement entrepris qui l’a débouté de sa demande.
Sur le rappel de prime de bilan
M. [E] indique qu’il bénéficiait d’une prime annuelle de bilan versée tous les ans et non prévue au contrat de travail le liant à la société Etablissements Bordage. Il fait valoir qu’il appartenait à la société Soufflet Agriculture, à laquelle les usages en vigueur sont opposables par application de l’article L.1224-1 du code du travail, de dénoncer régulièrement cet usage ou cet engagement unilatéral de l’employeur, ce qu’elle n’a pas fait, peu important la signature d’un nouveau contrat de travail.
La société oppose en substance qu’un nouveau contrat de travail a été signé fixant de nouvelles modalités de rémunération.
Sur ce,
La cour rappelle que les usages sont caractérisés par la réunion des caractères de généralité, de fixité et de constance de l’avantage reconnu aux salariés.
Ainsi l’usage est établi lorsque l’avantage accordé concerne tout le personnel ou toute une catégorie du personnel.
En l’espèce, le salarié produit ses bulletins de paie ce qui ne suffit à établir que la prime qui figure sur ces derniers bénéficiait aux autres salariés ou à tout le moins aux salariés de la même catégorie que lui ou placés dans une situation identique. La preuve de la généralité de la prime n’est pas rapportée.
Le salarié n’établit pas non plus que le versement de cette prime est un engagement unilatéral de l’employeur faute d’invoquer et de justifier de l’acte ou du document qui formaliserait de manière impérative pour l’employeur son versement.
En conséquence, M. [E] ne rapporte pas la preuve d’un usage ou d’un engagement unilatéral opposable à la société Soufflet Agriculture par l’effet des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail.
Pour ces motifs, sa demande doit être rejetée.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la prime de 13ème mois pour l’ année 2017
M. [E] fait valoir que cette prime est due conformément au contrat de travail pour l’intégralité de l’année 2017 alors qu’il n’a perçu que 766,67 euros.
La société Soufflet Agriculture expose que le salarié ne percevait pas de prime de 13ème mois au sein des Etablissements Bordage, que si une prime annuelle est prévue au contrat de travail qu’il a conclu avec elle, il ne peut prétendre à aucun rappel au titre de l’année 2017, que l’ensemble des primes ‘Bordage’ ont été versées avant la mise en oeuvre du nouveau contrat de travail. Elle ajoute que M. [E] a été en maladie et que le caractère professionnel de l’accident est contesté devant le pôle social du tribunal judiciaire d’Amiens. Elle indique aussi que la base de calcul du rappel de prime est erronée dans la mesure où le salarié intègre à tort la prime d’ancienneté.
Sur ce,
Le contrat de travail prenant effet le 1er juillet 2017 stipule en son article 2 :
‘Vous percevrez également une prime annuelle versée fin décembre de chaque année calculée au prorata du 12ème des rémunérations acquittées au cours des 12 mois précédant le 1er décembre de l’année en cours, exclusion faite de la prime annuelle comprise dans cette base. Cette prime n’est pas accordée aux personnes quittant volontairement l’entreprise ou à l’issue d’un licenciement au cours de l’année concernée sauf pour les départs en retraite ou préretraite’.
Si les stipulations pré-citées ne prévoient pas de versement au prorata du temps de présence en cas de suspension du contrat de travail pour maladie ou accident, elles ne peuvent recevoir application pour la période antérieure au 1er juillet 2017, alors que le salarié était encore contractuellement lié à la société Etablissements Bordage au sein de laquelle aucune prime de cette sorte, prime de fin d’année ou prime de 13ème mois, n’était en vigueur.
Il convient donc de retenir que le salarié qui a perçu en décembre 2017 la somme de 766,67 euros, correspondant à la période courant à compter du 1er juillet 2017, a été rempli de ses droits.
Il convient dès lors de le débouter de sa demande de rappel.
Le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef.
Sur la demande de remboursement de la somme déduite du salaire de juillet 2018 et la demande reconventionnelle de la société de remboursement d’un trop-perçu
Monsieur [E] poursuivant l’infirmation du jugement entrepris conteste le bien fondé de cette retenue opérée à hauteur de 3576,76 euros en exposant qu’il ne peut lui être opposé par l’employeur l’absence d’indemnisation par l’organisme de prévoyance dès lors que pour sa part il a rempli ses obligations en transmettant ses différents arrêts de travail.
La société expose que le salarié n’a pas toujours transmis les justificatifs en temps et en heure. Elle indique que le salaire a été maintenu à M. [E] à compter de son arrêt de travail, qu’il a reçu directement les indemnités de la CPAM à compter de novembre 2017 alors qu’elle lui reversait et ce jusqu’en juin 2018 les indemnités de prévoyance.
Elle soutient que le montant de la retenue apparaissant sur le bulletin de paie d’août 2018 correspondant à 55 jours d’absence entre le 1er juillet et le 24 août 2018.
Elle fait valoir qu’elle a avancé des indemnités journalières pour un total de 4240 euros alors qu’elle n’a obtenu le remboursement que de la somme de 2305,73 euros, qu’il en résulte que M. [E] a trop perçu.
Sur ce,
Des moyens débattus et des pièces versées aux débats, il ressort que conformément aux dispositions conventionnelles (article 55) le salaire de M. [E] a été intégralement maintenu pendant 90 jours, qu’il a ensuite perçu des indemnités journalières complétées par les indemnités prévoyance reversées par l’employeur.
Il s’en déduit que le salarié était affilié à un régime de prévoyance.
Il a ainsi bénéficié de ces indemnités jusqu’au mois de juillet 2018.
La société a ensuite opéré une déduction à hauteur des jours d’absence en invoquant l’absence de transmission par le salarié de ses arrêts de travail à la sécurité sociale et le fait que dès lors l’organisme de prévoyance n’avait pas procédé aux versements des indemnités entre ses mains.
Pour autant et ainsi que souligné par le salarié qui en justifie en produisant l’attestation de paiement des indemnités journalières qui lui ont été versées par la CPAM, il a perçu ses droits sans interruption sur la période considérée or tel n’aurait pas été le cas s’il n’avait pas transmis à temps les certificats d’arrêts de travail.
En conséquence, la déduction pratiquée et non régularisée, n’est pas justifiée.
En outre, la société Soufflet Agriculture ne produit pas d’éléments confirmant le trop perçu allégué.
Dès lors, il convient par infirmation du jugement entrepris de la condamner à payer au salarié la somme de 3576,76 euros. Il convient également de la débouter de sa demande, non soumise aux premiers juges, de remboursement d’un trop-perçu.
Sur la rupture du contrat de travail
Sur la nullité du licenciement
M. [E] rappelant notamment le principe de protection du salarié dénonçant des faits de harcèlement moral rappelle qu’il a été licencié pour avoir dénoncé mensongèrement des faits de harcèlement. Il réfute tout mensonge ou mauvaise foi.
L’article L.1152-2 du code du travail énonce ‘ Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.’
Aux termes de la lettre de notification, M. [E] a été licencié pour faute grave pour avoir dénoncé de mauvaise foi des faits de harcèlement moral inexistants, notamment dans son courrier du 22 janvier 2018.
Cependant il a été précédemment retenu que le harcèlement moral ainsi relaté par M. [E] devait être tenu pour établi.
En conséquence, par application des dispositions de l’article L.1152-3 du code du travail, le licenciement est nul.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur les indemnités de rupture et les dommages et intérêts pour licenciement nul
Le licenciement étant nul, M. [E] peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis.
Il fait valoir que le salaire de référence devant servir de base de calcul de l’indemnité ressort à 3367,71 euros ou, subsidiairement, à 2816,20 euros.
Il ressort toutefois de ses éléments qu’il prend en compte des rappels de rémunération dont il a été précédemment débouté.
Ainsi que retenu par les premiers juges, en vertu de son contrat de travail, M. [E] percevait 2000 euros de salaire de base auquel s’ajoutait une avance sur part variable de 300 euros ainsi qu’une prime mensuelle d’ancienneté de sorte que la rémunération qu’il aurait perçue s’il avait travaillé durant le préavis s’élève à 2415 euros.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la société à payer la somme de 5313 euros (en ce compris les congés payés afférents).
M. [E] peut aussi prétendre à une indemnité de licenciement.
La moyenne des trois derniers mois de salaire, plus favorable, ressort à 2460,28 euros ainsi qu’exactement retenu par les premiers juges.
L’ancienneté du salarié à la fin du préavis est de 11 ans et 7 mois.
Dès lors ses droits tels qu’exactement évalués par les premiers juges seront confirmés.
Il peut enfin prétendre à des dommages et intérêts sur le fondement de l’article L.1235-3-1 du code du travail.
Il sollicite à ce titre la somme de 45000 euros nette de cotisations sociales, CSG et CRDS.
Il produit des justificatifs sur sa situation après son licenciement nul dont il ressort notamment qu’il a perçu les allocations de Pôle emploi jusqu’à la fin de l’année 2019.
En considération de sa situation personnelle, et eu égard notamment à son âge et son ancienneté au moment de la rupture de son contrat de travail, ses capacités à retrouver un nouvel emploi et suivre une formation, aux conséquences financières de la perte de son emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour confirmer l’évaluation de la réparation qui lui est due telle que faite par les premiers juges.
Les demandes plus amples ou contraires seront rejetées.
Sur la prime de fin d’année (13ème mois) 2018
Faisant valoir que son licenciement est nul et qu’il a été reconnu en accident du travail, M. [E] fait valoir que la prime lui est due au prorata de sa présence à l’effectif en ce compris le préavis.
La société s’oppose à cette demande en rappelant que le salarié a été licencié au cours de l’année, qu’elle conteste le caractère professionnel de l’accident pour lequel il était placé en arrêt de travail sur la période, qu’enfin la base de calcul retenue est inexacte.
Il a été précédemment rappelé les stipulations contractuelles relatives à cette prime.
Le licenciement de M. [E] étant nul, la prime lui est due.
La cour rappelle en outre que les stipulations contractuelles n’excluent pas du bénéfice de la prime les salariés placés en arrêt de travail au cours de la période de référence quel qu’en soit le motif.
Les premiers juges ont exactement retenu que la prime devait être calculée sur la base de 2415 euros (soit 1/12ème des rémunérations de la période de référence).
Toutefois elle doit être calculée au prorata de son temps de présence à l’effectif ce qui implique de tenir compte de la durée du préavis (deux mois).
En conséquence, M. [E] peut prétendre à un rappel à hauteur de 1972,25 euros outre les congés payés incidents soit un total de 2169,47 euros.
Le jugement entrepris sera infirmé sur le quantum du rappel alloué.
Sur l’indemnité compensatrice de congés payés
M. [E] réclame le paiement de 23 jours de congés payés acquis et non réglés.
Il soutient que par application des dispositions combinées des articles 53 et 59 de la convention collective les périodes de maladies sont considérées comme du travail effectif pour l’octroi des droits à congés payés. Il fait aussi valoir que l’argument de l’employeur selon lequel le caractère professionnel de l’accident est contesté en justice est inopérant puisqu’il n’est pas partie à ce litige et que la décision à venir ne concernera que les relations employeur / organisme de sécurité social.
Il sollicite l’information du jugement sur le quantum de l’indemnité qu’il convient de lui allouer.
La société oppose qu’elle n’est pas redevable d’un rappel au motif que les périodes d’absence du salarié ne sont pas retenues pour le calcul des congés sauf si elles sont assimilées à du temps de travail effectif, ce qui n’est pas le cas des absences pour maladie ; elle indique que la reconnaissance du caractère professionnel de l’accident est intervenu postérieurement au licenciement et qu’une contestation de cette décision est en cours.
Sur ce,
Par application des dispositions de l’article L.3141-5 du code du travail sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé les périodes dans la limite ininterrompue d’un an pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
M. [E] justifie que l’infarctus survenu le 3 août 2017 a été reconnu comme accident du travail par la CPAM, que la période de suspension consécutive du contrat de travail a pour cause cet accident de sorte que les dispositions ci-dessus rappelées trouvent à s’appliquer, nonobstant la contestation émise par la société devant le tribunal judiciaire laquelle n’a pas d’incidence sur les droits à congés du salarié.
En conséquence, et le nombre de jours de congés acquis n’étant pas spécifiquement contesté, il convient de faire droit au principe de la demande.
En revanche, le quantum réclamé est inexact, M. [E] déterminant l’indemnité compensatrice sur une base erronée incluant des rappels dont il a été débouté.
C’est à juste titre que les premiers juges ont retenu que le salaire de M.[E] était de 2415 euros de sorte qu’il peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés de 2666,16 euros.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande au titre de la clause de non-concurrence
Faisant valoir qu’il n’a pas été délié de la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail, M. [E] expose que l’employeur est tenu de lui verser la contre partie financière convenue équivalente à 24 mois de salaire soit à titre principal 24247,51 euros brut et à titre subsidiaire 20 276,64 euros brut.
La société oppose qu’elle n’a pas eu la volonté de mettre en oeuvre la clause de non-concurrence, M. [E] n’ayant travaillé de manière effective que très peu de temps à son service. Elle indique aussi que le salarié n’a pas sollicité le versement de l’indemnité lors de la rupture de son contrat de travail ce qui selon elle conforte qu’aucune des parties n’avait l’intention d’appliquer la clause. Subsidiairement, elle fait valoir que le salarié ne démontre pas avoir limité ses recherches d’emploi afin d’en respecter les termes.
Sur ce,
L’article 9 du contrat de travail qui impose au salarié une interdiction de concurrence après la rupture du contrat de travail prévoit notamment :
‘Cette interdiction de concurrence est limitée à une période de 2 ans à compter du jour de la cessation effective du contrat.
En contrepartie de l’obligation de non-concurrence prévue ci-dessus, vous percevrez mensuellement après la cessation effective de votre contrat et pendant toute la durée de cette interdiction, une indemnité spéciale forfaitaire égale à 30 % de votre rémunération mensuelle brute.
Le salaire à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité mensuelle est égal à 1/3 de la rémunération brute soumise à cotisations sociales perçue par l’intéressé au cours des 3 derniers mois précédant la cessation effective du contrat-de travail, sans qu’il puisse être inférieur à 1/12 de la rémunération brute des 12 mois précédant la cessation effective du contrat de travail.
Toute prime et/ou gratification de caractère annuel et non exceptionnel versé au salarié pendant la période de référence retenue est prise en compte prorata temporis .
Les sommes n’ayant pas le-caractère de salaire et les indemnités dont le versement trouve sa cause dans la cessation du contrat de travail telle que l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité compensatrice de congés payés, l’indemnité de licenciement, n’ entrent pas dans 1 assiette de calcul de l’indemnité mensuelle telle que définie ci-dessus.
Cette indemnité sera versée mensuellement.
L’entreprise sera dispensée du versement de la contrepartie prévue ci-dessus si vous agissez en violation de ladite clause.
(…)
L’employeur pourra cependant vous libérer de l’interdiction de concurrence et, par là même, se dégager du paiement de l’indemnité prévue en contrepartie, soit à tout moment au cours de l’exécution du contrat, soit à l’occasion de sa cessation.
Dans ce dernier cas, l’entreprise s’engage à notifier sa décision par lettre recommandée avec AR (ou courrier remis en main propre contre décharge), avant l’expiration d’un délai de 1 mois commençant à courir le lendemain du jour de la notification de la rupture du contrat de travail quelle que soit la partie à l’initiative de celle-ci.’»
Il est de principe que l’indemnité compensatrice est due à l’ancien salarié dès lors qu’il respecte son obligation de ne pas concurrencer son ex-employeur. Pour pouvoir prétendre à celle-ci, le salarié n’a pas à prouver que l’application de la clause lui cause un préjudice.
En l’espèce, il n’est pas justifié par la société Soufflet Agriculture qu’elle a délié le salarié de son obligation de non concurrence dans les délai et formes prévus par la clause.
Elle ne démontre ni même allègue que le salarié a violé son interdiction de concurrence.
En conséquence, la contrepartie financière de cette interdiction est due, peu important que le salarié ne l’ait pas réclamée en amont de la procédure judiciaire.
Par application des stipulations contractuelles ci-dessus rappelées, et comme retenu à juste titre par les premiers juges, l’indemnité compensatrice de non-concurrence doit être déterminée sur la base de 2415 euros.
Le montant de l’indemnité soit 17388 euros (2415 x 30% x 24), exactement calculé par les premiers juges, doit être confirmé.
Sur les intérêts et la demande de capitalisation des intérêts
Les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation pour les créances salariales et à compter du jugement de première instance pour les créances indemnitaires.
Par application des dispositions de l’article L.1343-2 du code civil, les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront intérêts.
Sur la remise des documents sous astreinte
Il convient d’ordonner à la société Soufflet Agriculture de remettre à M. [E] un bulletin de paie rectificatif, une attestation Pôle emploi et un solde de tout compte conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision.
Aucune circonstance ne justifie toutefois, en première instance comme en appel, de prononcer une astreinte laquelle n’apparaît pas nécessaire pour garantir l’exécution de la décision.
Les dispositions de première instance sur l’astreinte seront infirmées.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions de première instance seront confirmées.
Succombant en son appel, la société Soufflet Agriculture sera condamnée à payer à M. [E] en application de l’article 700 du code de procédure civile une somme que l’équité commande de fixer à 1800 euros pour la procédure d’appel.
Partie perdante, la société Soufflet Agriculture sera condamnée aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort
Confirme le jugement rendu le 9 mars 2021 par le conseil de prud’hommes de Beauvais sauf :
– sur le quantum des dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– en ce qu’il a condamné la société Soufflet Agriculture à un rappel de prime de fin d’année pour 2017,
– en ce qu’il a débouté M. [C] [E] de sa demande de remboursement de retenue sur salaire,
– sur le quantum du rappel de prime pour l’année 2018,
– en ses dispositions sur l’astreinte ;
L’infirme de ces chefs,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant
Condamne la société Soufflet Agriculture à payer à M. [C] [E] la somme de 7000 euros, somme nette de cotisations sociales, CSG et CRDS, à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral avec intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2021 ;
Condamne la société Soufflet Agriculture à payer à M. [C] [E] la somme de 3576,76 euros brut en remboursement de la retenue sur salaire avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes ;
Condamne la société Soufflet Agriculture à payer à M. [C] [E] la somme de 2169,47 euros brut au titre du rappel de prime pour l’année 2018 avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes ;
Dit nulle la convention individuelle de forfait en jours mais déboute M. [C] [E] de sa demande de rappel de salaire ;
Déboute M. [C] [E] de sa demande de rappel de prime pour 2017 ;
Déboute la société Soufflet Agriculture de sa demande de condamnation de M. [C] [E] au remboursement d’un trop-perçu d’indemnités journalières ;
Ordonne à la société Soufflet Agriculture de remettre à M. [C] [E] un bulletin de salaire rectificatif, une attestation Pôle emploi et un solde de tout compte conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision ;
Dit n’y avoir lieu à astreinte ;
Dit que les sommes allouées par le jugement de première instance à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement, d’indemnité de congés payés, d’indemnité compensatrice de l’obligation de non-concurrence sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes ;
Dit que les sommes allouées par le jugement de première instance à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et pour licenciement nul sont assorties des intérêts au taux légal à compter du 9 mars 2021;
Ordonne la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière ;
Condamne la société Soufflet Agriculture à payer à M. [C] [E] la somme de 1800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent arrêt ;
Condamne la société Soufflet Agriculture aux dépens d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.