Retenues sur salaire : 29 avril 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00085

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Retenues sur salaire : 29 avril 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 21/00085

ARRÊT DU

29 Avril 2022

N° 326/22

N° RG 21/00085 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TMOM

PL/VM

RO

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de calais

en date du

15 Décembre 2020

(RG 19/00123 -section 5 )

GROSSE :

aux avocats

le 29 Avril 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

M. [Z] [K]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Mickaël ANDRIEUX, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉ :

E.U.R.L. COUSIN ALAIN CA

[Adresse 2]

[Localité 4] / FRANCE

représentée par Me Franck TREFEU, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS :à l’audience publique du 23 Février 2022

Tenue par Philippe LABREGERE

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Séverine STIEVENARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Philippe LABREGERE

: MAGISTRAT HONORAIRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Avril 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 25 Janvier 2022

EXPOSE DES FAITS

 

[Z] [K] a été embauché par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 24 décembre 2009 par la société COUSIN ALAIN CA.

Il a fait l’objet d’un avertissement infligé le 31 mars 2016. Il a ensuite été convoqué par courrier recommandé le 3 octobre 2016 a un entretien préalable le 11 octobre 2016 en vue d’une éventuelle mesure de licenciement. Cette convocation n’a eu cependant aucune suite. Il a de nouveau été convoqué par courrier recommandé du 13 septembre 2018 à un entretien préalable le 25 septembre 2018 avant une éventuelle sanction disciplinaire. A la suite de cet entretien, il a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire de six jours, notifiée par courrier du 12 octobre 2018 rédigé dans les termes suivants :

« Nous regrettons d’avoir à vous faire connaître la présente mise à pied disciplinaire, conformément à l’Article L.1332-2, pour les faits fautifs suivants :

– Manque de respect envers votre responsable

– Non-exécution de taches ou de travaux demandés

– Non transmission de l’état d’avancement de vos travaux de chantier.

Nous avions déjà dû déplorer des faits similaires, mais vous n’avez pas tenu compte de nos observations verbales, puis écrites, ni lors des échanges de notre avant dernière convocation. Ces faits perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise, et nuisent à son image.

Les explications recueillies, lors de l’entretien du 25 septembre 2018, accompagné de Monsieur [H] de la DIRECCTE, ne nous ont pas permis de remettre en cause notre appréciation des faits. Nous ne pouvons laisser de tels agissements se reproduire, c’est pourquoi, nous vous notifions une mise à pied de 6 jours. Cette mise à pied prendra effet à partir de lundi 22 octobre 2018 jusqu’au 27 octobre 2018 inclus. Vous serez donc dispensé de travail et une retenue sur salaire correspondant aux journées non travaillées seront appliqués sur la paie du mois d’octobre.

Cette lettre sera classée à votre dossier»

Malgré les contestations émises par le salarié le 19 octobre 2018, son employeur a décidé de maintenir sa décision par courrier du 29 octobre 2018.

Par requête reçue le 13 septembre 2019, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Calais afin d’obtenir un rappel de salaire et des remboursements de frais professionnels, de faire constater l’illégitimité de la sanction disciplinaire et d’obtenir le versement de dommages et intérêts.

A la date de la saisine de la juridiction prud’homale, [Z] [K] exerçait les fonctions de menuisier-poseur et était classé au niveau III, position 2 coefficient 230 de la convention collective des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant jusqu’à dix salariés.

 

Par jugement en date du 15 décembre 2020, le conseil de prud’hommes a condamné la société à lui verser

– 100,73 euros à titre de rappel de salaire sur le coefficient pour la période de février à décembre 2016

– 10,07 euros au titre des congés payés y afférents

a débouté le salarié du surplus de sa demande,

a condamné la société à lui verser la somme de 1000 euros sur fondement de l’article 700 du code de procédure civile et a laissé les dépens à la charge de chaque partie.

Le 15 janvier 2021, [Z] [K] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance en date du 25 janvier 2022, la procédure a été clôturée et l’audience des plaidoiries a été fixée au 23 février 2022.

Selon ses conclusions récapitulatives et en réplique reçues au greffe de la cour le 8 octobre 2021, [Z] [K] sollicite de la cour la réformation du jugement entrepris, l’annulation de la mise à pied disciplinaire notifiée le 12 octobre 2018, la condamnation de la société COUSIN ALAIN CA à lui verser

– 424,35 euros brut à titre de rappel de salaire

– 42,43 euros brut au titre des congés payés y afférents

– 2000 euros net à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive

– 500 euros net à titre de remboursement de frais professionnels exposés,

la confirmation du jugement pour le surplus et la condamnation de la société à lui verser – 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

 

L’appelant expose qu’il a perçu une rémunération entre les années 2016 et 2018 basée sur un taux horaire brut de 12,63 euros alors qu’au regard des minimas conventionnels et compte tenu de sa qualification au niveau 3 position 2 coefficient 230, il aurait dû être payé à un taux de 12,6883 euros de janvier 2016 à janvier 2017 et de 12,777 euros de février 2017 à janvier 2018, qu’il n’a été rémunéré conformément au minima conventionnel qu’à compter du mois de février 2018, que son action ayant été enregistrée le 13 septembre 2019, la prescription ne s’applique qu’aux demandes antérieures à septembre 2016, que l’employeur a reconnu le bien-fondé de sa demande puisqu’il a procédé à une régularisation partielle à compter de janvier 2017, qu’il appartient à la société de verser les éléments sur lesquels elle s’est fondée pour notifier la sanction disciplinaire de mise à pied, qu’à défaut de production soit du règlement intérieur soit d’un règlement intérieur valable, la sanction notifiée est manifestement entachée d’irrégularité, que l’employeur ne produit pas aux débats des éléments objectifs permettant de caractériser les fautes reprochées, que l’appelant conteste toute négligence dans son travail et tout refus de travail, que le seul élément produit est un audit réalisé le 24 octobre 2018, à la suite à de réunions tenues des 22 au 24 octobre 2018, que ce document ne peut justifier la sanction disciplinaire notifiée, qu’il a été contraint d’utiliser son téléphone portable personnel pour recevoir les différentes directives données par son responsable, que l’employeur doit assurer le remboursement de ses frais professionnels exposés qui doit être calculé sur la base d’une prime de d’outillage d’environ 8,80 euros par mois.

 

Selon ses écritures récapitulatives reçues au greffe de la cour le 8 juillet 2021, la société COUSIN ALAIN CA intimée et appelante incidente sollicite de la cour la réformation du jugement entrepris, conclut au débouté de la demande, à titre subsidiaire à la réduction à hauteur de 211,20 euros de la demande de rappel sur frais professionnels et à la condamnation de l’appelant à lui verser 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

L’intimée soutient qu’elle a recours au cabinet comptable COMPTEXXIA situé à [Localité 4] pour l’établissement des paies et des déclarations sociales, que l’appelant se contente de solliciter l’attribution de la classification menuisier poseur, Niveau III, Position 2, coefficient 230, au seul regard de la classification indiquée sur son bulletin de salaire, qu’il ne remplissait pas les conditions requises par l’article 12.2 de la convention collective pour en bénéficier, que la détention d’un brevet professionnel, d’un brevet de technicien, d’un baccalauréat professionnel ou technologique ou d’un diplôme équivalent était exigée, qu’aucun curriculum vitae ni diplôme ne figurait dans le dossier de l’appelant, que dans un but d’apaisement des tensions présentes dans l’entreprise et sur les conseils de la fédération du bâtiment, [M] [F], dirigeant de la société, a attribué à l’appelant les coefficients 185 dès juin 2016, 210 en décembre 2018 et enfin 230 en mars 2019, que sur le rappel de salaire relatif à l’attribution du coefficient 230 dès 2016, l’appelant est prescrit en ses demandes sur les rappels portant sur la période de janvier à septembre 2016, que la société n’étant adhérente à aucun syndicat patronal signataire de la convention, l’augmentation conventionnelle du taux horaire brut à 12,6853 euros de janvier 2016 n’était applicable dans l’entreprise qu’à partir du 15 mars 2016, l’augmentation conventionnelle du taux horaire brut à 12,777 euros qu’à partir du 30 juin 2017 et enfin l’augmentation conventionnelle du taux horaire brut à 12,87 euros de février 2018 n’était applicable que le 20 mars 2019, que la société était donc redevable de 268,35 euros bruts et de 26,835 euros au titre des congés payés afférents, qu’alertée par son expert-comptable, elle a fait procéder à une régularisation de salaire au mois de février 2019, que la sanction disciplinaire est bien fondée, que l’effectif de la société n’ayant jamais atteint le seuil d’au moins vingt salariés, celle-ci n’avait aucune obligation de mise en ‘uvre d’un règlement intérieur, qu’elle pouvait sanctionner en l’absence de celui-ci, que les faits son caractérisés, que l’usage de la profession conduit les salariés du bâtiment à user de leur caisse à outils et leur téléphone personnels, que l’appelant ne démontre pas avoir dû débourser le moindre euro pour remplacer ses outils défectueux ou usés.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Attendu en application de l’article L3245-1 du code du travail que l’appelant ne peut solliciter de rappel de salaire pour la période antérieure au 13 septembre 2016, compte tenu de la date à laquelle il a saisi la juridiction prud’homale ;

Attendu en application de l’article L1221-1 du code du travail qu’il résulte des bulletins de paye versés aux débats qu’en janvier 2016 au moins l’appelant occupait l’emploi de menuisier-poseur et était classé au niveau III, position 2 coefficient 230 de la convention collective ; que la société intimée ne démontre par aucun élément de fait qu’elle lui avait attribué par erreur une telle position ni que la nature des fonctions réellement exercées par l’appelant ne correspondaient pas à la qualification figurant sur les bulletins de paye à la date de janvier 2016 ; qu’elle se borne à objecter que le salarié n’était pas titulaire des diplômes requis par la convention collective pour revendiquer la classification 230 alors que selon l’article 12.2 de celle-ci auquel se réfère l’intimée, à la formation professionnelle reconnue par des diplômes, il peut être suppléé par une expérience équivalente dont l’appelant pouvait se prévaloir compte tenu de son ancienneté dans l’entreprise ; que la société étant en réalité adhérente à un syndicat patronal signataire de la convention collective, elle devait appliquer le nouveau taux horaire brut à 12,6853 euros à compter de janvier 2016, celui de 12,777 euros à compter de février 2017 et enfin celui de 12,87 euros à partir de février 2018  ; que la société a procédé à la régularisation des sommes dues pour les années 2017 et 2018 en versant 351,86 euros bruts comme le fait apparaître le bulletin de paye du mois de février 2019 ; qu’il reste donc dû à l’appelant un rappel de salaire limité à la seule période de septembre à décembre 2016 de 36,73 euros et de 3,67 euros au titre des congés payés y afférents ;

Attendu en application de l’article L1333-2 du code du travail que la mise à pied disciplinaire est fondée sur les griefs suivants : un manque de respect envers le responsable de l’appelant, une inexécution de taches ou de travaux demandés et une absence de transmission de l’état d’avancement de ses travaux de chantier ;

Attendu que pour les caractériser, la société se fonde sur un rapport confidentiel, dit de diagnostic, établi par la société CEDEC le 24 octobre 2018, soit un mois après la convocation de l’appelant à l’entretien préalable et douze jours après la mise à pied disciplinaire, à la demande de [M] [F], dirigeant de l’entreprise ; que ce rapport avait pour objet de dresser un diagnostic-performance à la suite d’une analyse du fonctionnement de tous les services de l’entreprise conduisant à une critique qualifiée de constructive mettant en évidence les forces et les faiblesses de celle-ci et suggérant les solutions les mieux adaptées ; que selon [D] [Y], auteur de ce rapport, l’analyse a été menée du 22 au 24 octobre 2018 dans les locaux de [Localité 4] ; que le « besoin urgent d’une secousse sismique pour changer en profondeur les habitudes liées au train-train qui s’est installé au fil du temps : tranquillement le matin, gentiment l’après-midi ‘ sinon paisiblement le soir !» souligné par [D] [Y] correspondait exclusivement aux préoccupations du chef d’entreprise ; que l’enquête qu’il a menée s’est traduite par l’audition de salariés chargés de fonctions principales, ainsi que par une analyse financière, une analyse des faits et des éléments déterminants dans l’activité de l’entreprise et une analyse des interactions et des conséquences du mode de fonctionnement en usage dans la société ; qu’en particulier le diagnostic social auquel s’est livré [D] [Y] ne fait apparaître l’existence d’aucun fait imputable personnellement à l’appelant et susceptible de caractériser les griefs retenus à son encontre ; qu’il conclut à la nécessité d’encourager la «responsabilisation et la motivation» de l’ensemble des collaborateurs et souligne qu'[M] [F] était victime du «syndrome de la pyramide inversée» du fait d’un excès de secteurs et de fonctions relevant de sa personne ; qu’en conséquence, les faits sur lesquels est fondée la mise à pied disciplinaire n’étant pas établis, cette sanction doit être annulée ;

Attendu que la société est redevable d’un rappel de salaire consécutif à la retenue qu’elle a opérée en exécution de la mise à pied disciplinaire dépourvue de fondement ; que celui-ci doit être évalué à la somme de 424,35 euros et à 42,43 euros les congés payés y afférents ;

Attendu que la mise à pied ne repose sur aucun fait matériel ; qu’elle ne peut s’inscrire en réalité que dans le cadre d’une méthode de management agressif destiné à provoquer la « secousse sismique » que le dirigeant de la société appelait de ses v’ux, comme l’a noté l’auteur du rapport précité ; qu’elle a bien occasionné un préjudice à l’appelant qu’il convient d’évaluer à la somme de 1000 euros ;

Attendu sur la prime d’outillage que l’appelant ne démontre pas avoir été exposé à des frais pour remplacer des outils défectueux ; qu’en outre la société produit des factures émises à son nom, du 31 janvier au 30 novembre 2019, correspondant à l’achat de matériel susceptible d’être utilisé par réaliser les travaux dont était chargé l’appelant ; que celui-ci n’établit pas davantage que l’usage de son téléphone portable personnel à des fins professionnelles également ait pu lui occasionner des frais spécifiques ;

Attendu qu’il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l’appelant les frais qu’il a dû exposer tant devant le conseil de Prud’hommes qu’en cause d’appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu’il convient de lui allouer une somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement déféré

 

ET STATUANT A NOUVEAU 

ANNULE la mise à pied disciplinaire en date du 12 octobre 2018

CONDAMNE la société COUSIN ALAIN CA à verser à [Z] [K]

– 36,73 euros à titre de rappel de salaire pour la période de février à décembre 2016

– 3,67 euros au titre des congés payés y afférents

– 424,35 euros à titre de rappel de salaire consécutif à la mise à pied disciplinaire annulée

– 42,43 euros au titre des congés payés y afférents

– 1000 euros à titre d’indemnité en réparation du préjudice subi du fait de la sanction disciplinaire injustifiée,

DÉBOUTE [Z] [K] du surplus de sa demande,

CONDAMNE la société COUSIN ALAIN à verser à [Z] [K] 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE aux dépens.

LE GREFFIER

S. STIEVENARD

LE PRÉSIDENT

P. LABREGERE

 


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