ARRÊT DU
29 Avril 2022
N° 588/22
N° RG 20/00057 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S22B
AM/VM
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BÉTHUNE
en date du
20 Décembre 2019
(RG F19/00008 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 29 Avril 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [Z] [T]
[Adresse 4]
[Localité 3] (Belgique)
représenté par Me Frédéric PAU, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉ :
G.I.E. RADIOPOLE ALLIANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Nathalie POULAIN, avocat au barreau d’ARRAS
DÉBATS :à l’audience publique du 01 Mars 2022
Tenue par Alain MOUYSSET
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Annie LESIEUR
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Monique DOUXAMI
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT :Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Avril 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Séverine STIEVENARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 08 Février 2022
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée M. [Z] [T] a été embauché à compter du 19 janvier 2015 par le GIE RADIOPOLE ALLIANCE en tant qu’assistant en physique médicale, la convention collective nationale du personnel des cabinets médicaux étant applicable à la relation de travail.
Ce contrat a été conclu sous la condition suspensive de la validation d’un diplôme auprès des instances françaises avant le 20 septembre 2015 et a mentionné que le salarié n’est pas soumis aux limites légales maximales journalières et hebdomadaire de travail, ni au décompte des heures réelles travaillées, tout en précisant que la durée annuelle du temps de travail est fixée forfaitairement à 210 jours par an.
Bien qu’à la date du 20 septembre 2015 ladite condition n’a pas été remplie dans la mesure où la commission de validation a demandé au salarié de réaliser deux stages compensatoires et complémentaires, le salarié a été maintenu dans les effectifs avec parallèlement la signature d’un avenant du 29 septembre 2015 instaurant une clause de dédit-formation avec engagement de la société à lui verser une somme mensuelle de 2700 euros le temps de la réalisation des stages
Le 18 juillet 2016 le préfet du Nord a autorisé le salarié à exercer des fonctions de personnes spécialisées en radio physique médicale dans le cadre des dispositions réglementent l’exercice de cette profession sur le territoire français.
Par lettre en date du 26 avril 2018 le salarié a démissionné de son emploi.
Durant l’exécution du préavis il a été placé en arrêt de travail à compter du 18 mai 2018 jusqu’au 28 juin 2018, pour bénéficier par la suite de congés payés avant d’être à nouveau placé en arrêt de travail du 19 juillet 2018 au 26 juillet 2018.
Préalablement, soit le 23 juillet 2018, le salarié a adressé à l’employeur une lettre faisant état des motifs ayant conduit à sa démission, à savoir sa surcharge de travail et le non-respect par l’employeur de la législation applicable en matière de radiologie.
Après avoir tenté d’obtenir un règlement amiable du litige le salarié a saisi le 21 janvier 2019 le conseil de prud’hommes d’Arras, lequel par jugement en date du 20 décembre 2019, après avoir jugé que la clause du contrat de travail faisant référence à une durée forfaitaire du travail n’est pas valide, a condamné le GIE à payer au salarié les sommes de 9100 euros au titre d’une retenue sur salaire injustifiée, et celle de 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par cette même décision le conseil de prud’hommes a débouté le salarié et le GIE de leurs autres demandes, en laissant à chacun la charge de ses propres dépens.
Le 14 janvier 2020 le salarié a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 28 janvier 2022 par le salarié.
Vu les conclusions déposées le 3 février 2022 par le GIE.
Vu la clôture de la procédure au 8 février 2022.
SUR CE
De la rupture du contrat de travail
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté libre de mettre fin au contrat de travail.
Quand bien même la lettre de démission ne fait état d’aucune réserve au moment où elle a été présentée, celle-ci peut-être remise en cause et s’analyser comme une prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur, lorsqu’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque.
La prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse quand les griefs invoqués par le salarié à l’appui de celle-ci sont fondés, en revanche ladite prise d’acte doit produire les effets d’une démission quand aucun manquement grave à ses obligations ne peut être imputé à l’employeur.
Il appartient à ce titre au salarié de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations pour empêcher la poursuite des relations de travail.
En l’espèce il convient de constater que la lettre de démission ne fait référence à aucun grief formulé à l’encontre de l’employeur pouvant conférer à la démission la qualité de prise d’acte, et fait état au contraire de remerciement pour les années de collaboration.
Si de tel remerciements ne sont pas de nature à établir l’absence de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission permettant de retenir son caractère équivoque, en revanche le défaut de revendications antérieures à la rupture du contrat de travail initiée par le salarié permet de conférer à ladite rupture la qualification de démission.
En effet aucun élément n’établit, qu’avant la rédaction de la lettre du 23 juillet 2018, soit quasiment trois mois après la » démission, le salarié se soit plaint d’une charge de travail excessive.
De même l’événement, à l’origine de la dénonciation par le salarié d’erreurs et de la nécessité de les déclarer à l’ASN, n’a pas donné lieu lors de sa survenance à des déclarations consistant à imputer au GIE une volonté tendant à falsifier certains résultats.
Il convient de préciser à ce titre que cet événement, qui date de plusieurs mois avant la décision du salarié de rompre le contrat de travail, n’a pas été porté à la connaissance de l’employeur par le seul salarié, puisqu’un de ses collègues de travail s’est associé à l’information du GIE relativement à des erreurs.
Il apparaît que la dénonciation effectuée dans le cadre de la lettre du 23 juillet 2018 va bien au-delà des déclarations réalisées de concert avec cet autre salariée, accusé dans cette lettre d’avoir accepté de modifier certains résultats et de s’être ainsi soumis aux diktats de l’employeur.
À aucun moment lesdites déclarations n’ont établi un lien avec une volonté de l’employeur de fausser les résultats pour éviter de devoir les déclarer à l’autorité de contrôle, étant observé que le salarié a continué à travailler de nombreux mois après cet événement, auquel il prête une portée et un sens qui ne ressortent pas des mails transmis lors de sa survenance.
Il y a lieu d’observer que le collègue de travail, qui s’est associé aux dites déclarations ne l’aurait pas fait s’il s’était s’agit de dénoncer une volonté de l’employeur de modifier les résultats, à laquelle il se serait plié comme l’indique M. [T] plusieurs mois après sa démission.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que lors de sa délivrance la décision de démissionner du salarié n’était pas équivoque et que celui-ci a tenté de lui conférer un tel caractère presque trois mois après sa formulation, étant précisé que lorsqu’il s’est renseigné auprès de l’employeur sur l’incidence de la clause de dédit-formation et sa possible volonté de quitter l’entreprise, il n’a aucun moment fait référence à des situations à l’origine d’une telle volonté.
Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il n’a pas retenu l’existence d’une prise d’acte devant produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes indemnitaires en lien avec l’absence d’une telle cause.
De la validité de la clause de forfait et de la demande en rappel de salaire
Il convient de constater que contrairement à ce que le salarié soutient, le contrat de travail ne se limite pas à énoncer que la durée annuelle du temps de travail est fixée forfaitairement à 210 jours par an, mais fait bien référence à l’accord collectif, de sorte qu’il n’en ignorait pas l’existence contrairement à ses affirmations.
Il apparaît ainsi que les informations figurant dans le contrat de travail, que le salarié a signé, sont suffisantes pour que l’existence d’une convention de forfait soit établie.
Par ailleurs les allégations du salarié relativement à l’absence d’autonomie, et par là même de conditions de travail compatibles avec l’existence d’une convention en forfait jours, sont infondées dans la mesure où le salarié se prévaut d’échanges avec la direction n’ayant pas pour but de limiter son pouvoir d’organisation, mais seulement de lui demander d’harmoniser ses jours de travail avec ceux de ses collègues exerçant les mêmes fonctions, pour éviter une discontinuité dans l’activité du GIE.
Il convient de préciser à ce titre que les interventions de l’employeur n’ont eu pour but que d’éviter que plusieurs de ces salariés soient absents en même temps.
En revanche contrairement à ce qu’il soutient l’employeur ne justifie pas de la mise en oeuvre d’un suivi satisfaisant notamment au niveau de la charge de travail du salarié et l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, comme l’article L. 3121-64 du code du travail lui en fait obligation.
En effet l’employeur se contente de l’indication dans un mail de la nécessité d’une rencontre » afin que nous fassions le point sur votre forfait jours de 2017 et 2018 » , étant précisé que le mail date du 23 février 2018.
Au-delà du fait que le bilan pour l’année 2017 n’est effectué qu’au cours de l’année 2018, il y a lieu de souligner l’absence de précision sur la nature des points devant être évoqués, mais aussi le défaut de production d’un compte rendu d’entretien, étant précisé que pour les années précédentes il n’est pas justifié de la même démarche.
Par ailleurs les échanges de courriels portent essentiellement sur l’organisation des jours de travail pour éviter des difficultés au niveau des emplois du temps des membres du même service, sans qu’il ne soit fait référence à la charge de travail.
Au regard de tels éléments la convention de forfait est inopposable au salarié, de sorte que celui-ci peut se prévaloir d’une évaluation de la durée du travail prenant en compte l’exécution d’heures supplémentaires.
En ce qui concerne le rappel de salaires pouvant être revendiqué par la salarié, la demande du GIE de lui opposer une prescription pour une partie de sa demande est infondée, dès lors que l’employeur ne prend pas en compte le fait que le point de départ de la prescription doit courir à compter de la date de la rupture du contrat de travail, à savoir à partir de la démission.
Il apparaît à ce titre que le décompte fourni par le salarié est suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre, de sorte que celui-ci doit justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié, ce qu’il ne fait pas en se contentant d’affirmer qu’en appel le salarié n’étaye pas plus sa demande en première instance.
Il y a lieu au regard de ces éléments de faire droit à la demande du salarié sauf à prendre en compte le fait que celui-ci a précisé dans son décompte sa durée de présence au sein de l’établissement, sans fournir d’éléments relativement à la durée des pauses qu’il a dû prendre au cours des très longues journées de travail.
La cour dispose d’éléments lui permettant de fixer à la somme de 33150 euros le montant du rappel de salaire devant être octroyé au salarié, outre la somme de 3315 euros pour les congés payés afférents.
Il convient en conséquence d’infirmer le jugement entrepris sur ce point.
De la demande en dommages et intérêts pour travail dissimulé
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris quant au rejet de la demande en dommages et intérêts du salarié pour travail dissimulé, dès lors que le seul montant du rappel de salaire n’est pas de nature à établir la réalité d’une intention de dissimulation de la part de l’employeur, compte tenu du fait que ledit rappel est la conséquence d’une inopposabilité d’une clause de forfait.
En effet le GIE a pu se méprendre sur la portée du suivi mis en place relativement à la convention de forfait, et son caractère suffisant, sans avoir eu une intention de dissimulation, et ce d’autant que ces interventions n’ont pas eu pour but de réduire l’autonomie du salarié dans l’organisation de son temps de travail, mais seulement de rendre celle-ci compatible avec les jours choisis par ses collègues, et la nécessité d’une continuité du service.
De la demande au titre d’une retenue salariale
Si le salarié peut se prévaloir des mentions figurant sur les bulletins de salaire relativement à l’origine d’une retenue, pour opposer à l’employeur son absence de fondement, pour autant ce dernier sur qui la charge de la preuve pèse en la matière a la faculté de démontrer que la retenue est justifiée pour un motif autre que celui mentionné.
Tel est le cas en l’espèce puisque l’employeur établit qu’il est titulaire d’une créance au titre de la clause de dédit-formation, dans la mesure où le salarié, qui a démissionné, a pris l’initiative d’une rupture avant la date finalisant son engagement de rester dans l’entreprise, en compensation du versement par le GIE d’une rémunération durant la période de formation.
Il convient de constater par ailleurs que le salarié était parfaitement informé de cette situation au regard de l’avenant établi par les parties du 29 septembre 2015, mais aussi de la réponse lui ayant été adressée par mail à la suite de sa demande d’information quant au reliquat d’indemnisation dû au titre de la clause de dédit-formation.
Il y a lieu en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et de débouter le salarié de sa demande en rappel de salaire au titre de la retenue effectuée sur sa rémunération.
De l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de sorte qu’il convient d’infirmer le jugement entrepris.
Des dépens
Chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté M. [Z] [T] de ses demandes indemnitaires en lien avec un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande en dommages-intérêts pour travail dissimulé et en ce qu’il n’a pas retenu l’application de la clause de forfait jour,
Statuant à nouveau, et ajoutant au jugement entrepris,
Condamne le GIE RADIOPOLE ALLIANCE à payer à M. [Z] [T] la somme de 33150 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, outre celle de 3315 euros pour les congés payés afférents,
Déboute M. [Z] [T] de sa demande en rappel de salaire au titre d’une retenue sur salaire infondée,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
LE GREFFIER
Séverine STIEVENARD
LE PRÉSIDENT
Monique DOUXAMI