Retenues sur salaire : 28 avril 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 17/16950

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Retenues sur salaire : 28 avril 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 17/16950

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 28 AVRIL 2022

N° 2022/

FB/FP-D

Rôle N° RG 17/16950 – N° Portalis DBVB-V-B7B-BBGCH

SA DELVIL

C/

[V] [F]

Copie exécutoire délivrée

le :

28 AVRIL 2022

à :

Me Gilles MATHIEU, avocat au barreau D’AIX-EN-

PROVENCE

Me Benjamin CORDIEZ, avocat au barreau D’AIX-EN-

PROVENCE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’AIX-EN-PROVENCE en date du 10 Août 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F13/01002.

APPELANTE

SA DELVIL prise en la personne de son représentant légal, demeurant Allée du Verdon – Les Logissons – 13770 VENELLES

représentée par Me Gilles MATHIEU, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Madame [V] [F]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/4184 du 12/04/2018 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant 9 Résidence l’Adaouste – Quartier Blégier – 13490 JOUQUES

représentée par Me Benjamin CORDIEZ, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [F] (la salariée) a été engagée par la SA Delvil (la société), exploitant l’enseigne Intermarché à Venelles, par contrat à durée déterminée du 9 juin au 9 juillet 2008 à temps partiel de 24 heures par semaine en qualité d’hôtesse de caisse, catégorie employée, niveau II.

Par avenant du 20 juin 2008 à effet du 1er juillet 2008 le contrat à durée déterminée s’est poursuivi sans terme certain au motif du remplacement d’une salariée absente pour 27 heures hebdomadaires.

Par avenant du 2 janvier 2009 la relation de travail s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée à temps partiel de 24 heures par semaine.

Par avenant du 13 mars 2019 à effet du 1er avril 2009 son temps de travail a été porté à 30 heures par semaine.

Dans le dernier état de la relation contractuelle elle percevait un salaire brut de base de 1172,48 euros pour 123,82 heures par mois.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective du commerce de gros à prédominance alimentaire.

La société employait habituellement au moins 11 salariés au moment du licenciement.

Par courrier du 6 février 2013 la société convoquait la salariée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, fixé le 13 février 2013.

Le 18 février 2013 la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 22 février 2013.

Par lettre du 27 février 2013 la société lui a notifié son licenciement pour faute grave en ces termes :

‘Cette décision repose sur les motifs qui vous ont été exposés lors de l’entretien précité, à savoir:

‘ Vous êtes passée en caisse le 04 février 2013 à 16h35 en ne payant qu’une partie seulement de vos achats en demandant cette faveur à votre collègue de travail.

‘ Vous avez d’abord démenti cette version, pour ensuite admettre la situation en vous reposant sur le fait que ces méthodes sont habituelles au sein de l’entreprise.

En conséquence, la date de première présentation du présent courrier à votre domicile marquera la date de rupture définitive de votre contrat de travail.’

La salariée a saisi le conseil de Prud’hommes d’Aix en Provence le 22 juillet 2013 d’une contestation de son licenciement, de demandes subséquentes et de rappel de salaire pour sanction pécuniaire prohibée.

Par jugement du 10 août 2017 le conseil de prud’hommes d’Aix en Provence statuant en départage a :

– dit que le licenciement de [V] [F] n’est fondé, ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse;

– condamné la SA Delvil à payer à [V] [F] les sommes de :

– dix mille euros (10.000 euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

– deux mille quatre cent soixante deux euros et seize centimes (2.462,16 euros) au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– deux cent quarante six euros et vingt et un centimes (246,21 euros) au titre de l’incidence de congés payés sur ladite indemnité de préavis,

– mille cent quarante neuf euros (1.149 euros) à titre d’indemnité de licenciement,

– trente trois euros et soixante et un centimes (33,61 euros) à titre de rappel de salaire pour sanction pécuniaire prohibée

– mille euros (1.000 euros) sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991;

– dit que la somme allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ne portera intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision;

– dit que les sommes allouées aux titres de l’indemnité compensatrice de préavis, de son incidence congés payés, de l’indemnité de licenciement, de rappel de salaire pour la période de mise à pied et de l’incidence congés payés sur le rappel porteront intérêt au taux légal à compter de la demande en justice;

– condamné la SA Delvil aux entiers dépens de la présente instance;

– ordonné l’ exécution provisoire de la présente décision.

La société a interjeté appel du jugement par acte du 11 septembre 2017 libellé en ces termes :

‘Cf lettre de motivation.jgt a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné Delvil à payer 10 000 euros de dommages et intérêts, 2426,16 euros d’indemnité compensatrice de prévis, outre congés payés, 1149 euros d’indemnité de licenciement, 33,61 euros de salaire, 1000 euros art 37 L 91, dépens + exécution provisoire’.

Dans un document annexe à l’entête du cabinet d’avocat, la société indique interjeter appel de ce jugement en ce qu’il a :

 » dit et jugé que les tickets produits, édités à des heures différentes, ne permettaient de caractériser le vol (matérialité et imputabilité).

‘ A retenu qu’il existait un second ticket, édité plus d’une heure après le premier, avec des produits différents, de sorte que la matérialité de la fraude n’était pas avérée

‘ Dit et jugé que le témoignages de deux salariés, sous lien de subordination, ne revêtaient pas de valeur probante suffisante,

‘ A dit et jugé que le licenciement pour faute grave notifié à Madame [F] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société Delvil à lui payer:

– indemnité compensatrice de préavis; 2462,16 euros outre 246,21 euros de congés payés afférents,

– indemnité de licenciement: 1949 euros

Et ce avec intérêt au taux légal à compter de la saisine.

– 10 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

– 33,61 euros au titre de la retenue sur salaire, s’agissant d’une sanction pécuniaire prohibée.

– 1000 euros sur le fondement de l’article 37 Loi 1991 (aide juridictionnelle)

Et ce avec exécution provisoire pour le tout en application de l’article 515 du CPC’.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 avril 2021 la SA Delvil, appelante, demande de :

REFORMER le jugement rendu le 3 mai 2017 par le Juge départiteur près le Conseil de prud’hommes de Marseille en ce qu’il a déclaré le licenciement de madame [F] dépourvu de cause réelle et sérieuse et l’ a condamné à lui payer, outre ses indemnités de rupture, 10.000 euros de dommages et intérêts, outre 33,561 euros au titre de la sanction pécuniaires, et 1000 euros d’article 700 du CPC .

DIRE et JUGER que la retenue pour crédit alimentaire ne constitue pas une double sanction avec le licenciement pour faute grave.

DIRE et JUGER que Madame [F] a commis une faute grave justifiant son licenciement immédiat.

DIRE et JUGER, dans ces conditions, que le licenciement notifié le 27 février 2013 à Madame [F] pour faute grave est pleinement légitime.

La DEBOUTER, en conséquence, de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions.

La CONDAMNER à verser la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du CPC.

Subsidiairement,

PROCEDER à la requalification du licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

FIXER le salaire moyen de référence de Madame [F] à 1.231,08 euros bruts.

FIXER 1’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 2.462,16 euros bruts, outre 246,21euros bruts de congés payés y afférents.

FIXER l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 1.149 euros bruts.

La DEBOUTER en tout état de cause du remboursement des 33,61 euros retenus au titre du crédit alimentaire.

À titre infiniment subsidiaire,

DEBOUTER Madame [F] de sa demande indemnitaire exorbitante, et non justifiée.

FAIRE une stricte application de l’article L1235-3 du Code du travail et réduire dans de plus

justes proportions l’indemnisation allouée par le Juge départiteur.

DIRE et JUGER n’y avoir lieu à la capitalisation des intérêts.

CONDAMNER Madame [F] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 21 mai 2021 Mme [F], intimée, demande de :

DIRE Madame [F] bien fondée en son appel incident,

CONFIRMER le jugement de départage du Conseil de Prud’homme d’Aix en Provence du 10 août 2017 du chef de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et du chef de la condamnation de la société Delvil au paiement des sommes suivantes:

– 33,61 € (trente-trois euros et soixante et lin centimes) à titre de rappel de salaire pour action pécuniaire prohibée;

– 2.462,16 € (deux mille quatre cent soixante-deux euros et seize centimes) à titre d’indemnité compensatrice de préavis;

– 246,21 € (deux cent quarante-six euros et vingt et un centimes) à titre d’incidence congés payés sur rappel précité;

– 1.149,00 € (mille cent quarante-neuf euros) à titre d’indemnité de licenciement;

L’INFIRMER du chef du quantum des dommages intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

STATUANT A NOUVEAU sur ce point,

CONDAMNER la société Delvil à payer à Madame [F] la somme de 12.000,00 € (douze mille euros) à titre de dommages et intérêt pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Y ajoutant,

DIRE qu’en application des dispositions de l’article 1231-6 du Code civil, les intérêts courront à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes pour les créances salariales, et pour les créances indemnitaire, à compter du jugement de première instance.

ORDONNER la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du Code Civil.

CONDAMNER la société Delvil à payer à Madame [F] la somme de 1.500,00 € (mille cinq cents euros) sur le fondement des dispositions de l’article 700 du CPC en sus de l’indemnité allouée par le Conseil de Prud’hommes sur le même fondement,

LA CONDAMNER aux entiers dépens.

Vu l’article 455 du code de procédure civile,

L’ordonnance de clôture a été rendue le 31 mai 2021.

Par arrêt avant-dire droit du 2 décembre 2021 la cour a ordonné la réouverture des débats sans révocation de l’ordonnance de clôture et renvoyé l’affaire à l’audience de plaidoiries du 2 février 2022.

SUR CE

Sur le licenciement

Aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis.

Les motifs de faute doivent contenir des griefs précis, objectifs et matériellement vérifiables.

En l’espèce la salariée fait valoir à l’appui de sa demande en licenciement sans cause réelle et sérieuse trois moyens, en ce que d’une part la société ne rapporte pas la preuve d’une fraude qui lui serait imputable, d’autre part elle a fait l’objet d’une double sanction, enfin le licenciement contrevient aux principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.

Il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société reproche à la salariée :

– de n’avoir réglé qu’une partie de ses achats lors de son passage en caisse le 4 février 2013 à 16h 35 en ayant sollicité la complicité de sa collègue en poste à la caisse;

– d’avoir d’abord démenti ces faits avant de les admettre en invoquant une pratique habituelle dans l’entreprise.

A l’appui du premier et principal grief la société produit :

– la copie du ticket de caisse du 4 février 2013 à 16 h35 d’un montant de 8,27 euros comprenant quatre articles (DVD à 2,99 euros, steak haché à 2,40 euros, baguette à 1,02 euros et clémentines à 1,86 euros) et le passage de quatre ‘bons industriels’ de réduction pour un montant de 6, 50 euros, avec un paiement en espèces de 1,77 euros;

– la copie d’un ticket de caisse édité le 4 février 2013 à 17h50 d’un montant de 33, 61 euros comprenant six articles (DVD à 17 euros, buche de chèvre à 2,47 euros, cuisses de poulet à 8,52 euros, pago orange/carotte à 1,95 euros, coffret de sheba à 2,57 euros, télémagazine à 1,10 euros) que la société affirme avoir établi pour objectiver son préjudice, en présence de la salariée sur la base des marchandises retrouvées en sa possession.

– les attestations des supérieures hiérarchiques intervenues :

– Mme [J], manager produits frais, qui déclare que ‘le lundi 4 février 2013, j’ai été amenée à contrôler les achats effectués par Mme [F] [V], caissière. Le ticket de caisse ne correspondait pas avec le nombre d’articles trouvés. Des produits n’ont pas été encaissés et un produit n’a pas été compté au bon prix. Un premier constat a été effectué en présence de Mme [F] et le deuxième constat avec Mme [N], caissière ayant reconnu avoir participé au vol de cette marchandise en acceptant de ne pas encaisser tous les produits et d’avoir modifié le prix d’achat du DVD, d’avoir laissé sortir du magasin Mme [F] avec de la marchandise non encaissée. Elle a également reconnu s’être laissée attendrir par Mme [F]’;

– Mme [I], agent de maîtrise, qui déclare ‘en faisant un contrôle de routine, je me suis aperçue que Mme [F] [V] s’était fait encaisser une partie seulement de ses achats. En effet sur les deux sacs de courses, un seul figurait sur le ticket de caisse où un DVD avait été encaissé à 2,99 euros au lieu de 19,99 euros. Le 2ème sac n’avait pas été encaissé. J’ai (…illisible) Mme [N] [O] à la suite de ce contrôle, qui m’a avoué avoir laissé sortir du magasin Mme [F] [V] avec de la marchandise non encaissée et m’a avoué également s’être fait avoir par les sentiments par cette dite personne’ ;

– les éléments de la procédure disciplinaire de la caissière en cause, Mme [N], sanctionnée par une mise à pied de trois jours (convocation, notification, écrit de l’intéressée par lequel elle ‘reconnaît avoir passé des bons de réduction et ne pas avoir facturé et encaissé volontairement de la marchandise lorsque Mme [F] [V] me l’a demandé. Je reconnais ma faute’);

– les courriers de protestation de la salariée en date du :

* 28 février 2013 par lequel elle énonçait ‘Je suis passée en caisse 1 « caisse panier» à 16 H 35 pendant ma pause mais je n’ai en aucun cas demandé à ma collègue de travail, [O] [N] de m’avantager sur le total de mes achats. Je tiens à confirmer que ma collègue a pris seule cette initiative, soit disant pour « m’arranger». Et c’est lorsqu’elle a été convoquée par la manager, Madame [I], que [O] a démenti en affirmant que c’était moi qui en avais eu l’initiative pour se couvrir étant donné qu’elle est en CDD et qu’elle ne veut pas perdre son poste car espère avoir un CDI’.

Je ne tiens pas à être complice de son geste et il est déplorable que j’assume l’irresponsabilité et l’inconscience de [O] [N] Je ne suis ni vigile, ni responsable des faits et gestes du Personnel.’;

* 11 mars 2013 par lequel elle indique ‘Je maintiens mes propos, à savoir:

– La caissière [O] [N] a fait preuve de zèle prenant seule cette initiative de pratiquer des démarques, soit disant pour m’avantager.

– J’ai régularisé le montant de mes achats le jour même, soit un total de 33, 61 euros, prouvant ainsi ma bonne foi.

– J’ai admis être sortie avec mes 2 sachets plastiques Intermarché, en tant que cliente.

Vous avez pu traduire mon silence pour de la complicité mais je vous rappelle et je n’en démords pas que [O] [N] m’a demandé de la couvrir car elle avait peur de perdre son travail, car étant en CDD, elle espère obtenir un CDI’.

Il n’est pas discuté que le ticket de caisse du 4 février 2013 à 16 h35 correspond au passage en caisse de la salariée, ni que le montant de ses achats a été minoré.

La salariée conteste en revanche l’imputation d’une fraude au paiement en ce que la matérialité de la marchandise litigieuse alléguée et sa mise en cause par les témoins et la caissière impliquée, ne sont pas établies par des pièces dénuées de toute valeur probante.

A l’analyse des pièces du dossier la cour relève que l’imputation de la fraude repose sur les attestations de Mme [J], de Mme [I] et sur l’écrit de Mme [N].

Si les attestations de Mme [J] et Mme [I] ne sont pas établies en pleine conformité avec les exigences de l’article 202 du code de procédure civile en ce que ces témoins ont omis de mentionner leur lien de subordination à la société appelante, qualité qui est au demeurant connue, cette irrégularité ne prive pas celles-ci de toute valeur probatoire mais conduit la cour à les apprécier dans le cadre du lien de subordination à l’employeur.

Or bien que convergentes, ces attestations ne constituent que des témoignages indirects en ce que ces supérieures hiérarchiques n’ont procédé à aucun constat personnel et ne rapportent que la version recueillie auprès de la caissière.

S’agissant de l’écrit rédigé par Mme [N] dans le cadre de son entretien préalable à sanction disciplinaire, il ne peut être tenu comme objectif dès lors que son positionnement était de nature à impacter la décision de son employeur. Et si la société souligne que cette salariée ne tirait pour elle-même aucun bénéfice de l’opération litigieuse, la cour ne peut procéder par supposition.

Mais même à supposer avérée l’intervention frauduleuse de la salariée intimée lors de son passage en caisse, la matérialité de l’objet de la fraude alléguée, à savoir des marchandises non comptabilisés ou à leur prix réel, n’est pas établie au moyen du seul ticket ‘témoin’du 4 février 2013 à 17h50.

Celui-ci liste des produits différents du ticket édité à 16h35, excepté un DVD dépourvu de toute caractéristique et rien ne permet de vérifier qu’il correspond à des marchandises retrouvées en possession de la salariée, en l’absence de toute pièce de nature à les authentifier, à déterminer leur valeur et que les deux témoins ne précisent pas le détail des constats qu’elles rapportent.

La circonstance que la salariée indique dans son courrier du 11 mars 2013 avoir régularisé la somme de 33, 61 euros en guise de bonne foi, ne peut valoir preuve de cette matérialité, dans le contexte de la procédure de licenciement et alors qu’elle maintenait dans le même temps être étrangère à toute opération frauduleuse.

S’agissant du second grief, la seule imputation précise porte sur la négation des faits qui ne peut constituer en soi une faute et à l’analyse des écritures de la société la cour n’a pas trouvé de développement concernant le fait pour la salariée d’avoir prétexté de méthodes habituelles dans l’entreprise.

Les seuls éléments figurant dans les pièces sont:

– la mention figurant dans la lettre de la société du 6 mars 2013 venant en réponse au premier courrier de protestation de la salariée : ‘Ce fait ne peut en aucun cas être considéré comme un fait banal car il s’agit là d’une fraude caractérisée. Par ailleurs nous avez expliqué que ce n’était pas un acte isolé’;

– le rappel dans ce courrier de l’article 8 du règlement intérieur prévoyant notamment pour les achats du personnel que ‘l’encaissement ne pourra être effectué que par la caissière principale’ auquel la salariée rétorquait dans son courrier du 11 mars 2013 que ‘je vous rappelle que depuis mon entrée au sein de votre société le 9 juin 2008 la politique du magasin consiste à ce que les caissières en poste encaissent les achats du personne du magasin’ après avoir indiqué que’si doute il y avait, le règlement aurait dû être appliqué par Madame [I], responsable des caisses, qui aurait dû intervenir au moment de mon passage en caisse. C’est une faute interne de la direction’.

Toutefois le premier élément n’est qu’une assertion qui n’est étayée par aucune pièce et le second ne ressort pas des griefs énoncés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la preuve de la faute grave, ni d’une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse de licenciement, n’est pas rapportée par la société appelante.

De ce chef et sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens, la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement

1° l’indemnité compensatrice de préavis

En application de l’article L.1234-1 du code du travail dans sa rédaction applicable, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit s’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Les dispositions conventionnelles auxquelles se réfèrent la salariée ne prévoient pas de dispositions plus favorables, la durée du préavis étant de la même façon fixée à deux mois par l’article 5 de l’annexe 1 pour un salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté.

En application de l’article L.1234-5, l’indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait travaillé durant cette période.

La salariée est en conséquence fondée à obtenir une indemnité compensatrice de préavis de deux mois calculée sur la base de son salaire de référence comprenant tous les éléments de rémunération (1231,08 euros), soit la somme de 2462,16 euros et 246,21 euros de congés payés afférents.

En conséquence la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société à verser à la salariée les sommes de 2462,16 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et de 246,21 euros de congés payés afférents.

2° l’indemnité de licenciement

En application des articles L.1234-9 et R.1234-4 du code du travail dans leur version applicable, le salarié qui compte une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement, qui est calculée, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, sur la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou le tiers des trois derniers mois et qui est égale à 1/ 5ème de mois de salaire par année d’ancienneté de 1 à 10 ans, auquel s’ajoutent 2/15ème de mois par année au delà de dix ans.

La salariée qui présentait une ancienneté de 4 ans et 8 mois est en conséquence fondée à obtenir une indemnité légale de licenciement calculée sur la base d’un salaire de 1231,08 euros, d’un montant de 1149 euros.

En conséquence la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société à verser à la salariée la somme de 1149 euros à titre d’indemnité de licenciement.

3° les dommages et intérêts

En application de l’article de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la salariée peut prétendre à une indemnité en réparation de la perte de l’emploi, laquelle ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Sur l’étendue de son préjudice, la salariée fait valoir sa précarité professionnelle et financière en ce qu’elle n’a retrouvé un emploi à temps partiel en 2017 pour une rémunération inférieure et qu’elle a fait l’objet d’une procédure de surendettement. Si elle produit le justificatif de son admission au bénéfice de la procédure de surendettement, la cour observe qu’elle date du 25 juillet 2007 et qu’elle est donc étrangère aux conséquences du licenciement. Par ailleurs elle produit des justificatifs de ses charges mais limite les pièces justificatives de sa situation postérieure à la perception de l’ARE jusqu’en novembre 2013, à son avis d’imposition 2017 sur les revenus 2016 et aux bulletins de salaire de la société Home Service des mois de novembre 2017 à janvier 2018.

Eu égard à son ancienneté, au montant de la rémunération brute perçue par la salariée (1231,08 euros) et aux éléments qu’elle produit sur l’étendue de son préjudice, il apparaît que le préjudice résultant pour la salariée de la rupture de son contrat de travail doit être fixé à la somme de 8000 euros.

En conséquence et en infirmant le jugement déféré sur le quantum des dommages et intérêts, la cour condamne la société à verser à la salariée la somme de 8000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le rappel de salaire pour sanction pécuniaire prohibée

L’article L. 1331-2 du code du travail dispose que les amendes et autres sanctions pécuniaires sont interdites.

Constitue une sanction pécuniaire prohibée toute retenue sur salaire opérée en raison d’une faute du salarié.

Par ailleurs la responsabilité pécuniaire du salarié à l’égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde.

En l’espèce la salariée demande un rappel de salaire pour la somme de 33,61 euros retenue sur son bulletin de salaire de février 2013 sous le libellé ‘crédit alimentaire’ en faisant valoir que la société a procédé à une sanction pécuniaire illicite en lien direct avec les faits reprochés à l’appui du licenciement.

Sans contester que la somme retenue avait pour origine les faits reprochés, la société oppose que la salariée reconnaissait être redevable du montant des marchandises non réglées et que celle-ci ne prétend ni ne justifie s’être libérée de sa dette par un autre moyen.

Sur le procédé la société fait valoir que la salariée avait donné son accord pour que l’employeur recouvre cette somme sous la forme d’un ‘crédit alimentaire’, pratique de l’avance financière en usage dans la société pour le règlement des courses du personnel, à laquelle la salariée avait déjà eu recours, comme en atteste ses bulletins de paie de janvier 2010 et de janvier à novembre 2011.

Mais dès lors que la retenue était opérée par la société en raison de la faute qu’elle imputait à sa salariée, celle-ci s’analyse en sanction pécuniaire prohibée et la salariée est fondée à obtenir un rappel de salaire pour le montant ainsi retenu.

En conséquence la cour confirme le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société à verser la somme de 33, 61 euros à titre de rappel de salaire pour sanction pécuniaire prohibée.

Sur les intérêts

En infirmant le jugement déféré, la cour dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée au titre de l’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et la créance indemnitaire à compter du présent arrêt.

Les conditions de l’article 1154 ancien du code civil qui, en application de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, sont applicables à la présente instance en ce qu’elle a été engagée avant le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de ladite ordonnance, étant remplies, il convient de faire droit, en infirmant le jugement déféré, à la demande de capitalisation des intérêts formée par le salariée dans les conditions de ce texte.

Sur les dispositions accessoires

En application de l’article 700 du code de procédure civile il est équitable que la société contribue aux frais irrépétibles qu’il a contraint la salariée à exposer en cause d’appel. La société sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 1500 euros et sera déboutée de sa demande à ce titre.

En application de l’article 696 du même code, il échet de mettre les dépens d’appel à la charge de l’employeur qui succombe.

PAR CES MOTIFS

statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a :

– fixé le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 10 000 euros

– dit que les créances salariales et la somme allouée au titre de l’indemnité de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et la créance indemnitaire à compter du jugement

– rejeté la demande de capitalisation des intérêts,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Condamne la SA Delvil à verser à Mme [F] la somme de 8000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que les créances salariales ainsi que la somme allouée au titre de l’indemnité de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et la créance indemnitaire à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts,

DIT que la somme allouée est exprimée en brut,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SA Delvil à verser à Mme [F] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SA Delvil à supporter les dépens d’appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

 


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