ARRÊT DU
27 Mai 2022
N° 822/22
N° RG 20/00924 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S4RB
MD/SST
AJ
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de ROUBAIX
en date du
12 Décembre 2019
(RG 18/280 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 27 Mai 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [Y] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002/20/08976 du 17/11/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
S.A.S. DERICHEBOURG PROPRETE DERICHEBOURG PROPRETE venant aux droits de MIROIR 2000
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Stéphane JANICKI, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS :à l’audience publique du 15 Mars 2022
Tenue par Monique DOUXAMI
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Nadine BERLY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Monique DOUXAMI
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT :Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Mai 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 22 février 2022
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Madame [Y] [J] a été embauchée par la SA Miroir 2000, aux droits de laquelle vient désormais la société Derichebourg Propreté, en qualité d’agent de propreté par contrat à durée déterminée renouvelé du 12 novembre 2007 au 31 mai 2008 puis contrat à durée indéterminée à compter du 2 juin 2008.
La convention collective nationale des entreprises de propreté est applicable à la relation de travail.
Par lettre datée du 24 janvier 2012 que la SA Miroir 2000 a tenté en vain de lui remettre en main propre le 25 juin avant de la lui adresser par lettre recommandée avec accusé de réception distribuée le 27 juin 2015, Madame [Y] [J] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 29 juin 2015 et a été mise à pied à titre conservatoire. Par une nouvelle lettre recommandée datée 29 juin 2015 et distribuée le 1er juillet 2015, la SA Miroir 2000 lui a demandé de ne pas tenir compte de son précédent envoi entaché d’ « erreurs de frappe », l’a convoquée à un entretien préalable fixé au 7 juillet 2015 et lui a indiqué que la direction avait pris la décision de procéder à sa mise à pied conservatoire dans l’attente de cet entretien.
L’entretien préalable s’est tenu le 7 juillet 2015.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 juillet 2015, Madame [Y] [J] a été licenciée pour faute grave.
Par demande réceptionnée par le greffe le 14 novembre 2018, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Roubaix aux fins de contester son licenciement et d’obtenir la condamnation de la SA Miroir 2000 au paiement de diverses sommes à titre de d’indemnité de licenciement, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, congés payés y afférents, rappel de salaire sur mise à pied, congés payés y afférents et frais irrépétibles.
Par jugement rendu le 12 décembre 2019, la juridiction prud’homale l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes, l’a condamnée au paiement de la somme de 700 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et a dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.
Par déclaration transmise au greffe par voie électronique le 28 janvier 2020, Madame [Y] [J] a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 15 décembre 2020, elle demande à la cour de :
-infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
-à titre principal, condamner la SA Miroir 2000 au paiement des sommes suivantes :
*1449 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 144,90 euros au titre des congés payés y afférents,
*1111 euros à titre d’indemnité de licenciement,
*10.860 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*471,49 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied et 47,15 euros au titre des congés payés y afférents ;
-à titre subsidiaire, condamner la SA Miroir 2000 au paiement de la somme de 724 euros pour irrégularité de la procédure de licenciement ;
-en tout état de cause, condamner la SA Miroir 2000 au paiement de la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de celle de 3600 euros à Maître Barège au titre des frais irrépétibles d’appel ;
-dire que les sommes dues porteront intérêts à compter du jour de la demande et dire y avoir lieu à capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1154 du code civil.
Elle soutient en substance que :
Sur le licenciement
-la société Derichbourg Propreté ne démontre pas la réalité des fautes qu’elle lui impute : le premier grief a été sanctionné par l’avertissement du 19 juin 2015 de sorte que l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire et le second grief n’est pas matériellement établi ;
-la première mise à pied, qui lui a été notifiée le 24 juin 2015, a été exécutée puisqu’elle a subi une retenue sur salaire pour une période débutant dès le 25 juin 2015, soit antérieurement à la convocation du 29 juin 2015. Cette première période de mise à pied a nécessairement un caractère disciplinaire et a sanctionné les faits litigieux ne pouvant donc plus motiver le licenciement prononcé ;
-dans ses conclusions, la société Derichbourg Propreté se prévaut de plusieurs convocations et sanctions disciplinaires prises à son encontre en 2009, 2010, 2012 et 2013. Or, elle ne peut faire état des sanctions prononcées antérieurement au 9 juillet 2012 et en les invoquant, elle s’autorise à la salir dans le but de renforcer une procédure qu’elle sait fragile, l’obligeant de surcroît à s’expliquer sur des faits pour lesquels elle ne devrait pas avoir à le faire ;
Sur l’irrégularité du licenciement
la lettre de licenciement a été expédiée moins de deux jours ouvrables après la date à laquelle elle a été convoquée à l’entretien préalable.
Par ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 23 juin 2020, la société Derichebourg Propreté demande à la cour de :
-confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
-condamner Madame [Y] [J] au paiement de la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et des dépens.
Elle fait valoir pour l’essentiel que :
Sur le licenciement
-il n’est pas interdit de rappeler des faits déjà sanctionnés dans la lettre de licenciement si celle-ci vise d’autres faits non encore sanctionnés. Les faits à l’origine du licenciement se sont déroulés les 20 et 24 juin 2015 tandis que l’avertissement a été notifié le 19 juin 2015 ;
-la lettre de licenciement ne vise pas des événements du 13 juin 2015 et si la convocation à l’entretien préalable vise par erreur ces événements, celle-ci ne fixe pas les limites du litige ;
-Madame [Y] [J] a été concomitamment mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable. Elle n’a pas annulé la procédure initiée le 24 juin 2015 pour en diligenter une nouvelle mais a simplement décalé la date de l’entretien, la seconde convocation n’ayant vocation qu’à réparer une erreur de frappe de la première concernant sa date ;
-la matérialité des faits reprochés et leur imputabilité sont démontrées. La lettre de licenciement ne repose pas sur le rappel de sanctions antérieures : elle fait état du passé disciplinaire de Madame [Y] [J] car cette dernière plaide l’absence de précédents ;
Sur la régularité du licenciement
-le délai légal a été respecté dans la mesure où la lettre de licenciement a été notifiée postérieurement au délai de 48 heures ;
-Madame [Y] [J] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
L’article L 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse. La cause doit ainsi être objective, exacte et les griefs doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.
La faute privative du préavis prévu à l’article Ll234-1 du même code résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre le intérêts légitimes de l’employeur.
Il appartient à ce dernier de rapporter la preuve de l’existence d’une faute grave, à défaut de quoi le juge doit rechercher si le faits reprochés sont constitutifs d’une faute pouvant elle-même constituer une cause réelle et sérieuse. Le doute profite au salarié.
En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
« Madame,
Nous faisons suite, par la présente, à l’entretien préalable auquel nous vous avions convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception du 29/06/2015 et qui devait se dérouler le mardi 07 juillet 2015 à 11H00 avec Monsieur [E].
Pour les motifs qui vous ont été exposés lors de notre entretien, nous entendons par la présente vous notifier votre licenciement pour faute grave.
Aux motifs suivants:
-retards répétés
-insultes envers un agent de la sécurité sur le site [Adresse 5]
A la première présentation de cette lettre vous cesserez définitivement de faire partie du personnel de notre entreprise. »
En premier lieu, la société Derichbourg Propreté a notifié à Madame [Y] [J] par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juin 2015 un avertissement pour « non respect des horaires sur votre lieu de travail ». Elle n’invoque pas et a fortiori n’établit pas l’existence de « retards répétés » qui seraient intervenus postérieurement. Ayant épuisé son pouvoir disciplinaire par l’avertissement, elle ne saurait sanctionner les mêmes faits une seconde fois par un licenciement.
En second lieu, la société Derichbourg Propreté produit aux débats deux mails de Madame [N], agent du PC sécurité [Adresse 5], faisant état d’insultes qui auraient été proférées à son encontre les 20 et 24 juin 2015 par Madame [Y] [J] qui les conteste. Les allégations de Madame [N] ne sont corroborées par aucun élément. Le mail de Monsieur [V] [R], directeur technique sécurité, que la société Derichbourg Propreté communique également, ne concerne pas les faits dénoncés. Le témoignage de la seule personne citée comme ayant été témoin direct des faits, Monsieur [M], n’est pas fourni. Il s’ensuit qu’un doute subsiste sur la réalité du grief d’ «insultes envers un agent de la sécurité sur le site [Adresse 5] » articulé à l’encontre de Madame [Y] [J].
Dès lors que les premiers faits reprochés avaient déjà été sanctionnés et que le doute sur la réalité des seconds doit profiter à Madame [Y] [J], le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de son ancienneté (7 ans et 7 mois) et de son salaire brut moyen mensuel sur les 12 derniers mois (724,36 euros), Madame [Y] [J] peut prétendre à une indemnité de licenciement de 1098,60 euros.
Elle est également fondée à obtenir l’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés y afférents, le rappel de salaire sur mise à pied, les congés payés y afférents qu’elle sollicite dont les montants ne sont pas discutés.
Il résulte de l’article L1235-5 du code du travail que la perte injustifiée de l’emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue.
Compte tenu des circonstances de la rupture, de salaire de référence de Madame [Y] [J], de son âge de son ancienneté et de sa capacité à retrouver un emploi, il lui sera alloué une somme de 4500 euros à titre de dommages-intérêts.
La société Derichbourg Propreté sera condamnée au paiement de ces sommes et le jugement déféré sera infirmé en ce sens.
Sur les autres demandes
Il convient de rappeler que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances de nature indemnitaire à compter de la décision qui les alloue.
Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, seront capitalisés dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil.
La société Derichbourg Propreté sera déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
Madame [Y] [J] sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance. En revanche, la société Derichbourg Propreté sera condamnée à payer à Maître Barège, la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
La société Derichbourg Propreté sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Le jugement déféré sera infirmé et complété en ce sens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire mis à disposition par les soins du greffe,
Infirme le jugement rendu le 12 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Roubaix en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Derichbourg Propreté à payer à Madame [Y] [J] les sommes suivantes :
-1098,60 euros à titre d’indemnité de licenciement,
-1449 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 144,90 euros au titre des congés payés y afférents,
-471,49 euros à titre de rappel sur mise à pied et 47,15 euros au titre des congés payés y afférents,
-4500 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Derichbourg Propreté à payer à Maître Barège la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;
Dit que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances de nature indemnitaire à compter de la décision qui les alloue ;
Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, seront capitalisés dans les conditions prévues par l’article 1343-2 du code civil ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Derichbourg Propreté aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRESIDENT
Monique DOUXAMI