ARRÊT DU
27 Mai 2022
N° 831/22
N° RG 19/01337 – N° Portalis DBVT-V-B7D-SMWL
AM/CH
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VALENCIENNES
en date du
29 Avril 2019
(RG 18/00190 -section 2)
GROSSE :
aux avocats
le 27 Mai 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [O] [L]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Manuel DE ABREU, avocat au barreau de VALENCIENNES, substitué par Me Corinne PHILIPPE, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
S.A.R.L. JSK FORM
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me David LACROIX, avocat au barreau de DOUAI
DÉBATS :à l’audience publique du 22 Mars 2022
Tenue par Alain MOUYSSET
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Monique DOUXAMI
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT :Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Mai 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 21 mars 2022
FAITS ET PROCEDURE
Suivant contrat de travail à durée indéterminée Mme [O] [L] a été embauchée le 14 octobre 2015 par la société JSK FORM, qui est l’une des sociétés détenues par la société JSK DEVELOPPEMENT, en qualité de responsable d’une salle de sport exploitée sous l’enseigne « Orange Bleue ».
Par avenant du même jour la salariée s’est vu attribuer une somme de 150 euros par mois au titre des frais d’essence générés par l’eloignement de sa résidence.
Le 19 février 2016 l’embauche de la salariée est devenue définitive à la suite de la fin de la période d’essai, précédemment renouvelée.
Le 5 décembre 2016 les parties ont conclu une rupture conventionnelle du contrat de travail, et sollicité son homologation par la DIRECCTE, qui a fait droit à leur demande.
Le 10 juillet 2017 la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Valenciennes, lequel par jugement en date du 18 février 2019 a débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes, en la condamnant à payer à la société la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Le 9 juin 2019 la salariée a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées le 4 mars 2022 par la salariée.
Vu les conclusions déposées le 28 février 2022 par la société.
Vu la clôture de la procédure au 21 mars 2022.
SUR CE
De la demande en nullité de la convention de rupture conventionnelle
Lorsqu’à la date de la signature de la convention de rupture conventionnelle, un salarié est dans une situation de violence morale en raison du harcèlement moral et des troubles psychologiques qui en sont découlés, celui-ci peut se prévaloir d’un vice de son consentement, et par là même de la nullité de la convention de rupture conventionnelle.
Il convient de rappeler à ce titre qu’en cas de litige, l’article L. 1154-1 du code du travail dispose que le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Il incombe à la partie adverse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce il y a donc lieu dans de rechercher si la salariée a été victime d’un harcèlement moral l’ayant placée dans une situation de violence morale dont il est découlé des troubles psychologiques, de sorte que son consentement à la convention de rupture conventionnelle a été vicié.
Il convient tout d’abord de constater que les deux parties s’expliquent à titre liminaire dans leurs écritures sur la production par la salariée d’attestations émanant de collègues de travail étant également en litige avec la société, laquelle stigmatise la situation de Mme [C], en soulignant ce qu’elle considère comme des contradictions décribilisant non seulement son dossier mais aussi celui des autres salariés.
Si les témoignages émanant de salariés étant également en litige avec la société doivent être examinés avec circonspection, compte tenu des risques d’impartialité pouvant être induits par une telle situation, pour autant ils peuvent être pris en compte s’ils sont corroborés par des éléments objectifs relativement aux faits qu’ils décrivent.
S’agissant de la situation de Mme [C], le fait que cette dernière ait parallèlement et même postérieurement à la signature d’une convention de rupture conventionnelle formalisé sa satisfaction quant au déroulement de la relation de travail au sein de la société, tout en indiquant que sa demande de rupture conventionnelle est la conséquence d’un changement de lieu géographique de vie, est seulement de nature à fournir des arguments à l’employeur quant à l’absence de vice de son consentement.
Le lien établi par la société entre sa situation et celle des autres salariées ne peut pas être pris en compte, seule l’utilisation éventuelle par l’une de ses collègues de travail d’un témoignage de Mme [C] peut conduire à ne pas reconnaître à ce dernier de force probante, ce qui ne prive pas ladite collègue de se prévaloir d’autres éléments.
Il y a lieu par ailleurs d’observer que les allégations de la société selon lesquelles les demandes des différentes salariées seraient le résultat d’une concertation, voire le signe d’un complot, ne reposent sur aucun élément objectif, étant précisé qu’il n’est pas impossible que les agissements de harcèlement moral aient été commis à l’égard de plusieurs personnes.
La salariée présente des éléments de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral, à savoir, la délivrance de mails durant les jours de repos, des changements de plannings de travail intempestifs, le dépassement de la durée maximale de travail s’accompagnant de la réalisation d’heures supplémentaires, une retenue sur salaire à la suite de l’intervention d’une société pour réparer une grille des locaux, l’émission d’un questionnement quant à un possible caractère stratégique d’un arrêt de travail, l’absece de mesure d’investigation à la suite de la dénonciation par la salariée de situation de stress.
Il importe peu que la possibilité d’une surveillance et d’une réduction du nombre de cours ne ressorte pas des pièces fournies par la salariée, qui interprète par ailleurs à tort des documents comme contenant des menaces.
De même les risques tenant à l’implication dans le conflit et par là même à l’absence de garanties suffisantes d’impartialité, des deux salariées ayant attesté en faveur de Mme [L], comme l’absence de justification de suites judiciaires aux dénonciations par la salariée auprès de l’inspection du travail de ses conditions de travail, ne sont pas de nature à remettre en cause les éléments dont la salariée peut se prévaloir
Or ces éléments précités pris dans leur ensemble font présumer un harcèlement moral, de sorte qu’il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que cette décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La société tente tout d’abord de souligner le faible nombre de messages envoyés un dimanche, comme la limitation à deux semaines des dépassements de la durée maximale de travail, et des changements d’horaires également circonscrits.
Toutefois la société ne tient pas compte du fait que ces éléments se combinent et sont de nature à générer chez la salariée un stess et un sentiment de devoir s’adapter en permanence aux souhaits de l’employeur.
Il apparait en effet que non seulement la salariée effectuait beaucoup d’heures de travail par le biais d’heures supplémentaires, ayant même dépassé par deux fois la durée maximale du travail, mais aussi qu’elle était destinataire de messages ses jours de repos.
Certes un des messages constitue une réponse à une demande de la salariée, mais il n’en demeure pas moins que le représentant de la société n’hésite pas à rappeler à la salariée ses propres prérogatives, notamment en matière de résiliation d’abonnement sans justifier d’une urgence, comme il l’informe sans respect d’un délai de prévenance de changements au niveau de l’organisation du travail, et notamment les horaires de travail.
De la même manière la société explique la retenue sur salaire par la réponse inadaptée de Mme [L] à une panne d’un portail, n’affectant pas selon elle l’entrée et la sortie, sans se soucier de ce que ce mode de fonctionnement peut constituer une violation de la prohibition des sanctions pécuniaires.
S’agissant de l’arrêt de travail de la salarié la société ne justifie d’aucun élément lui permettant de considérer que la salariée a pu bénéficier d’un arrêt de complaisance comme une réponse à une situation ne lui convenant pas.
Relativement à la dénonciation par la salariée de faits s’apparentant à du harcèlement moral, il convient de constater que la société s’est contentée de formuler des reproches à l’égard de Mme [L], sans même envisager la moindre mesure d’investigation, comme à tout le moins un entretien pour faire le point sur la situation.
Or la dégradation des conditions de travail consécutive à ces pratiques conjuguées est patente.
La société ne peut pas à ce titre se contenter de la production de témoignages de deux salariées faisant état de leur bonheur de travailler pour l’entreprise, dont l’une d’entre elle affirme même l’avoir réintégré à la suite d’un départ qu’elle a regretté, pour établir qu’aucun harcèlement moral ne lui est imputable.
De même les allégations d’un ancien employeur de la salariée, de surcroît par un document ne respectant pas les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, sont inopérantes en ce qu’elles ne concernent pas les conditions de travail de la salariée dans l’entreprise.
La société souligne l’absence de constatations médicales au profit de la salariée pour contester la réalité d’une détérioration de son état de santé, alors même qu’il est suffisant que la dégradation des conditions de travail soit susceptible d’entraîner une telle détérioration.
Par ailleurs la salariée a subi un arrêt de travail, aux termes duquel le médecin a constaté sont état pathologique même si relativement à son origine il a eu la prudence de se contenter de faire état des propos de Mme [L] sur ses conditions de travail.
Il ressort de ces éléments que l’employeur ne justifie pas que de tels agisements sont étrangers à tout harcèlement moral.
Au contraire il résulte de l’ensemble de ces éléments que la salariée a été victime d’agissements de harcèlement moral au cours de l’exécution du contrat de travail, que l’employeur limite à une période ancienne et antérieure à l’établissement d’une convention de rupture conventionnelle, alors même que de tels agissements ont en partie perduré jusqu’à la rupture du contrat de travail, et que leur accumulation doit être prise en compte.
Il apparaît ainsi que lors de la délivrance de son consentement pour l’établissement d’une telle convention la salariée était placée dans une situation de violence morale ayant eu des répercussions psychologiques pour cette dernière.
Il y a lieu en conséquence de prononcer la nullité de la convention de rupture conventionnelle, et par là même de juger que ladite rupture doit s’analyser en un licenciement nul.
La salariée a droit au paiement d’une indemnité de préavis de 1875 euros ainsi que des congés payés afférents à hauteur de 187,50 euros, étant observé que ces sommes ont été contestées dans le principe de leur octroi mais pas en leurs montants.
Compte tenu de son ancienneté dans l’entreprise, de sa qualification et de sa capacité à retrouver un emploi qui s’est traduite par la création d’une « auto-entreprise, des circonstances de la rupture et de leurs conséquences au niveau de son état psychologique, la salariée doit se voir allouer, au regard des textes applicables au moment des fait et du caractère nul du licenciement, la somme de 12000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
Par ailleurs la salariée a subi du fait du harcèlement moral un préjudice distinct de celui consécutif à la nullité du licenciement, qu’il convient de réparer par l’octroi d’une somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts.
En revanche le jugement entrepris doit être confirmé quant au rejet de sa demande en dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité, dès lors qu’indépendamment de la question de la constatation d’une telle violation, la salariée ne fait pas état d’un préjudice en lien avec une telle situation, se contentant d’affirmer que celle-ci lui cause nécessairement un préjudice, dont la réalité n’est pas ainsi établie.
Du fait de la nullité de la convention de rupture conventionnelle, il y a lieu de faire droit la demande reconventionnelle de la société en condamnation de la salariée en restitution de la somme de 495 euros qu’elle a perçue en application de ladite convention.
De l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
L’équité commande de condamner la société à payer à la salariée la somme de 1800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés tant en première instance qu’en appel.
Des dépens
La société doit être condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté Mme [O] [L] de sa demande en dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,
Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,
Prononce la nullité de la convention de rupture conventionnelle,
Dit que la rupture du contrat de travail doit s’analyser en un licenciement nul,
Condamne la société JSK FORM à payer à Mme [O] [L] les sommes suivantes :
-1875 euros à titre d’indemnité de préavis outre la somme de 187,50 euros pour les congés payés afférents
-12000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul
-1000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
-1800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne Mme [O] [L] à rembourser à la société JSK FORM la somme de 495 euros versée en application de la convention de rupture conventionnelle,
Condamne la société JSK FORM aux dépens.
LE GREFFIER
Serge LAWECKI
LE PRESIDENT
Monique DOUXAMI