Retenues sur salaire : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/01136

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Retenues sur salaire : 27 janvier 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/01136

ARRÊT DU

27 Janvier 2023

N° 173/23

N° RG 22/01136 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UNNM

IF/VDO

REFERE

Ordonnance de référé du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Tourcoing

en date du

12 Juillet 2022

(RG 22/00010 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 27 Janvier 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANT :

Mme [S] [C]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A. KEOLIS [Localité 5] METROPOLE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Louis VANEECLOO, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Justine VERQUIN, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l’audience publique du 03 Janvier 2023

Tenue par Isabelle FACON

magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaetan DELETTREZ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 20 décembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée du 24 août 2006, la société Transpole, aux droits de laquelle vient la société Keolis [Localité 5] Métropole, a engagé Madame [S] [C], en qualité de conducteur-receveur.

Son salaire mensuel brut s’élevait en dernier lieu à la somme de 2453.24 euros.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs.

Madame [S] [C] a subi une agression qualifiée d’accident du travail, le 3 octobre 2017.

Durant le temps de l’arrêt de travail, la société Keolis [Localité 5] Métropole (la société) a continué de lui verser son salaire, selon le mécanisme organisé à l’article 44 de la convention collective en matière d’accident du travail, l’employeur percevant par subrogation les indemnités de la sécurité sociale.

Sur la demande du médecin conseil de la CPAM, Madame [S] [C] se rendait à la visite de pré-reprise du 3 mars 2020. Ce dernier concluait à l’aptitude à la reprise du travail sur tout poste, hors conduite de bus.

Les parties conviennent que l’arrêt de travail de Madame [S] [C] a été renouvelé, à plusieurs reprises, par le médecin traitant, à compter du 16 mars 2020.

Il sera précisé que le premier confinement lié à la pandémie de la Covid 19 a commencé le 17 mars 2020.

Après trois autres visites de pré-reprise, les 1er décembre 2020, 7 janvier 2021 et 25 février 2021, Madame [S] [C] reprenait le travail, le 1er mars 2021, dans le cadre d’un détachement au service recouvrement, conformément aux préconisations du médecin du travail.

Peu après la reprise du travail, la société réclamait à Madame [S] [C] la somme de 23 729.87 euros correspondant, selon elle, au salaire indûment maintenu du 16 mars 2020 au mois de février 2021 et a organisé une retenue sur salaire de 300 euros puis de 150 euros par mois, sur le fondement de la compensation légale.

Madame [S] [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Tourcoing aux fins de suspension des retenues sur salaire et de restitution des sommes retenues au titre de la compensation.

Par ordonnance de référé du 12 juillet 2022, le conseil de prud’hommes de Tourcoing a dit n’y avoir lieu à référé, en raison de l’existence d’une contestation sérieuse, et a débouté les parties de leurs demandes.

Madame [S] [C] a fait appel de ce jugement par déclaration du 26 juillet 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions, Madame [S] [C] sollicite l’infirmation de l’ordonnance de référé et demande à la cour :

– d’ordonner à la société de cesser les prélèvements sur les salaires de Madame [S] [C]

– de condamner la société à rembourser à Madame [S] [C] la somme 4.638,99 euros, arrêtée à la date du 31 mars 2022, outre 150 euros par mois à compter du 1er avril 2022 jusqu’à la date de la décision à intervenir

– de condamner la société à verser à Madame [S] [C] la somme de 4500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre la charge des dépens

Aux termes de ses dernières conclusions, la société demande, à titre principal, la confirmation de l’ordonnance de référé, excepté sur le débouté de sa demande d’indemnité de procédure.

A titre subsidiaire, s’il devait y avoir lieu à référé, la société demande la condamnation de Madame [S] [C] à lui payer la somme de 23.729,87 euros au titre de la créance indue, ainsi que l’autorisation d’opérer une compensation judiciaire entre la somme due par Madame [J] et les salaires versés et à venir, la validation du plan d’échelonnement mis en place, à défaut, l’autorisation de l’action en répétition de l’indu pour un montant de 23.729,87 euros, par la délivrance d’un titre exécutoire.

La société demande la condamnation de Madame [S] [C] à lui payer la somme de 2000 euros, au titre de l’indemnité de procédure, outre la charge des dépens.

Il est référé aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs moyens, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’existence d’une contestation sérieuse à l’action en référé portant sur le droit au maintien de salaire à compter du 16 mars 2020

Aux termes de l’article R 1455-5 du code du travail, dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Aux termes de l’article R 1455-6 du code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Aux termes de l’article R 1455-7 du code du travail, dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

L’article 44 de la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs dispose que les agents victimes d’un accident du travail (…) reçoivent le complément de leur solde pendant leur incapacité de travail jusqu’au moment de la consolidation.

L’article 37 de la même convention collective organise le dispositif du maintien de salaire pour les arrêts de droit commun et les soumet à la condition d’être pris en charge par la sécurité sociale pour ce qui concerne les indemnités journalières.

Madame [S] [C] estime que la somme réclamée par la société n’est pas due, principalement parce que son employeur lui a demandé de retourner en arrêt maladie dans le contexte du premier confinement du 17 mars 2020 qui ne permettait pas de lui trouver un reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail.

Au demeurant, elle conteste la compensation opérée par la société sur son salaire courant, au motif que le montant de la créance est incertain, pour deux raisons au moins :

– elle pouvait bénéficier du complément de son salaire jusqu’à la date de consolidation, fixée par la sécurité sociale au 15 mars 2021, dès lors la société ne distingue pas la part d’indemnité de sécurité sociale, soumise à subrogation de l’employeur, de celle du complément de salaire

– la somme soumise à la répétition de l’indu pourrait être minorée par le juge du fond en application de l’article 1302-3 alinea 2 du code civil si le paiement procède d’une faute

En réponse, la société estime que Madame [S] [C] est redevable d’une créance de 23 789.27 euros, en raison du maintien de salaire indu pendant une période d’arrêt de travail de droit commun, alors qu’elle ne bénéficiait plus des indemnités de sécurité sociale.

Elle expose que Madame [S] [C] ne l’a pas prévenue que le médecin conseil avait fixé, dès le 14 février 2020, la date de la fin de l’arrêt maladie issu de l’accident du travail du 3 octobre 2017 au 15 mars 2020.

Elle conteste avoir invité Madame [S] [C] à consulter son médecin traitant pour rester en arrêt maladie à partir du 16 mars 2020. Au contraire, elle indique avoir reçu de Madame [S] [C] un arrêt de travail de prolongation émanant de son médecin traitant à compter du 16 mars 2020, sans autre explication.

En l’espèce, Madame [S] [C] produit un courrier de l’assurance maladie daté du 19 mai 2021 qui envisageait de fixer la date de guérison de l’accident du travail du 3 octobre 2017 à la date du 15 mars 2021.

La question de l’incidence de la date de guérison sur la nature de l’arrêt maladie à compter du 16 mars 2020 est une question essentielle du litige sur laquelle les parties s’opposent pour faire application de l’article 37 de la convention collective, selon l’employeur, ou de l’article 44 de la même convention, selon la salariée ; étant observé qu’en l’état des éléments produits, le fait générateur apparaît être survenu durant le temps de travail. Les deux régimes de maintien de salaire se distinguent, en effet, par la nécessité ou non d’une prise en charge par la sécurité sociale.

En outre, au regard du contexte exceptionnel lié à la pandémie de la Covid 19, l’appréciation des devoirs de la salariée et de l’employeur en matière de suivi des arrêts de travail devra faire l’objet d’une appréciation souveraine du juge du fond, aux fins d’établir si une faute justifierait la réduction de la créance à restituer.

En conséquence, il revient au seul juge du fond d’apprécier si Madame [S] [C] avait droit ou non au maintien de son salaire pendant la période litigieuse et le cas échéant, de fixer le montant de la créance.

Pour autant, l’existence de plusieurs contestations sérieuses n’empêchent pas l’examen de demandes conservatoires ou provisionnelles.

Sur la demande de référé-conservatoire pour que soit mis fin au prélèvement sur salaire au titre de la compensation légale

Madame [S] [C] demande au juge des référés de mettre fin, à titre conservatoire, au prélèvement sur salaire dans le cadre de la compensation légale appliquée par l’employeur en répétition de l’indu, tant pour prévenir le dommage imminent lié à l’endettement de son ménage que pour faire cesser le trouble manifestement illicite de la privation indue de salaire, au delà de la quotité saisissable pour les mois de février, mars et avril 2021.

La société n’apporte aucune contradiction au dépassement de la quotité saisissable en mars et avril 2021, s’agissant de la retenue de 300 euros, là où Madame [S] [C] estime que le montant maximum saisissable était de 287,35 euros. Le trouble a cessé puisque le prélèvement mensuel est passé, dès le mois de mai 2021, à la somme de 150 euros.

S’agissant du mois de février 2021, les parties s’opposent quant au motif de l’absence de versement de tout traitement.

La société estime que le maintien de salaire par subrogation auprès de la sécurité sociale avait pris fin et que Madame [S] [C] devait reprendre un premier mois de travail avant d’être rémunérée mensuellement. Madame [S] [C] estime que son employeur a retenu l’entièreté de son salaire.

Cette question relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et cette situation n’étant pas en cours, elle ne constitue, en aucun cas, un trouble illicite courant qu’il faudrait faire cesser.

En revanche, Madame [S] [C] expose les ressources et les charges de son ménage, dont la société ne conteste aucunement les montants. Il en résulte que le couple présente un endettement structurel qui s’accumule de mois en mois, en considération de la retenue mensuelle de 150 euros de salaire, de la retenue du 13ème mois et des primes de mai, telle que prévue à l’échéancier en cours.

En conséquence, Madame [S] [C] justifie d’un dommage imminent d’aggravation de son endettement par la retenue exercée chaque mois par son employeur, au point de mettre en péril l’équilibre financier du couple, en ce compris l’emprunt immobilier permettant le logement familial.

Il convient donc, à titre conservatoire, d’ordonner à la société de mettre fin au prélèvement de tout salaire de Madame [S] [C] jusqu’à ce que la créance soit fixée par les juges du fond, saisis par la partie la plus diligente.

Sur la demande de référé-provision de la somme de 4638.99 euros, augmentée de 150 euros par mois au profit de Madame [S] [C]

Madame [S] [C] estime que la société a indûment retenu sur son salaire, au fondement de la compensation légale, une somme s’élevant à 4638.99 euros au 31 mars 2022 et augmentée, de mois en mois, de 150 euros.

Elle en réclame, à titre provisionnel, la restitution.

Pour autant, la société expose un moyen supplémentaire à ceux précédemment développés, en tant que contestation sérieuse. Elle allègue, à juste titre, que la répétition de l’indu suppose un paiement fait unilatéralement et non, comme en l’espèce, un accord entre les parties et relève, tout autant, de l’appréciation souveraine du juge du fond.

Il en résulte que les conditions prévues à l’article R 1455-7 du code du travail ne sont pas réunies pour que soit attribuée à Madame [S] [C] une provision sur la créance alléguée.

Sa demande de restitution provisionnelle des sommes précédemment prélevées sera, en conséquence, rejetée.

Sur la demande reconventionnelle et subsidiaire de référé-provision de la somme de 23.729.87 euros au profit de la société Keolis [Localité 5] Métropole

Il résulte des développements précédents que Madame [S] [C] présente également une contestation sérieuse quant à l’existence d’une créance de son employeur et qu’il revient au seul juge du fond d’apprécier si Madame [S] [C] avait droit ou non au maintien de son salaire pendant la période litigieuse.

La demande de la société tendant à la condamnation de Madame [S] [C] au paiement de la somme de 23.729.87 euros ne pourra donc pas être accueillie.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

En application de l’article 696 du code de procédure civile, la société, partie perdante, sera condamnée aux dépens de la procédure de première instance et d’appel.

Compte tenu des éléments soumis aux débats, il est équitable de condamner la société à payer à Madame [S] [C] la somme de 1200 euros, en application de l’article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance et d’appel.

Le jugement sera infirmé sur les dépens, ainsi que sur l’indemnité de procédure qui en découle.

PAR CES MOTIFS

La cour d’appel, statuant en référé,

Infirme l’ordonnance déférée,

Statuant à nouveau,

Constate que les créances dont se prévalent chacune des parties font toutes deux l’objet d’une contestation sérieuse,

Renvoie les parties à se pourvoir au fond,

A titre conservatoire, ordonne à la société Keolis [Localité 5] Métropole de cesser tout prélèvement sur le salaire de Madame [S] [C],

Condamne la société Keolis [Localité 5] Métropole aux dépens de première instance et d’appel.

Condamne la société Keolis [Localité 5] Métropole à payer à Madame [S] [C] la somme de 1200 euros, au titre de l’indemnité de procédure de première instance et d’appel.

LE GREFFIER

Annie LESIEUR

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE

 


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