RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 27 AVRIL 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/03071 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7OD7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Septembre 2018 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 16/07629
APPELANT
Monsieur [G] [W]
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représenté par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515
INTIMÉE
SOCIÉTÉ SEL [J] prise en la personne de Maître [V] [J] ès qualité de commissaire à l’exécution de plan de la SOCIÉTÉ PRO SAP FORMATIONS
[Adresse 4]
[Localité 5]
SELAFA MJA prise en la personne de Me [P] ès qualité de mandataire judiciaire de la SOCIÉTÉ PRO SAP FORMATIONS
[Adresse 1]
[Localité 7]
SAS PRO SAP FORMATIONS
[Adresse 2]
[Localité 6]
Toutes représentées par Me Marie JANET, avocat au barreau de PARIS, toque : G0249
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe MICHEL, président de chambre
Mme Valérie BLANCHET, conseillère
M. Fabrice MORILLO, conseiller
Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.
– signé par Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller, pour le président empêché et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2012, M. [W] a été engagé en qualité de directeur des services généraux, statut cadre, par la société Pro Enfance, aux droits de laquelle vient désormais la société Pro SAP Formations, celle-ci employant habituellement au moins 11 salariés et appliquant la convention collective nationale des organismes de formation du 10 juin 1988.
Par jugements des 30 octobre 2015 et 27 janvier 2016, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l’égard de la société Pro SAP Formations et désigné la société [J] en la personne de Maître [J] en qualité d’administrateur judiciaire ainsi que la société BTSG en la personne de Maître [B] et la société MJA en la personne de Maître [P] en qualité de mandataires judiciaires.
M. [W] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 17 février au 15 avril 2016.
Après avoir fait l’objet d’une mise à pied conservatoire et été convoqué à un entretien préalable suivant courrier recommandé du 4 mai 2016, M. [W] a été licencié pour faute grave suivant courrier recommandé du 25 mai 2016.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [W] a saisi la juridiction prud’homale le 1er juillet 2016.
Par jugement du 7 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de sauvegarde à l’égard de la société Pro SAP Formations, mis fin à la mission de la société [J] en la personne de Maître [J] en qualité d’administrateur judiciaire et l’a désignée en qualité de commissaire à l’exécution du plan et maintenu la société MJA en la personne de Maître [P] et la société BTSG en la personne de Maître [B] en qualité de mandataires judiciaires.
Par jugement du 7 septembre 2018, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– fixé le salaire à 3 908,89 euros,
– condamné la société Pro SAP Formations à payer à M. [W] les sommes suivantes :
– 11 726,67 euros à titre d’indemnité de préavis,
– 1 172,67 euros à titre de congés payés afférents,
– 2 866,52 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 3 067,34 euros à titre de salaire sur mise à pied conservatoire,
– 306,73 euros à titre de congés payés afférents,
– 1 000 euros à titre des rappel de salaire de mai 2016,
– 475,91 euros à titre de remboursement de notes de frais impayées,
avec intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation en bureau de conciliation et jusqu’au jour du paiement,
– 23 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts de droit à compter du prononcé du jugement et jusqu’au jour du paiement,
– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la remise des documents sociaux conformes à la décision,
– débouté M. [W] du surplus de ses demandes,
– condamné la société Pro SAP Formations à rembourser à Pôle Emploi la somme de 7 800 euros au titre des indemnités de chômage perçues par le salarié outre les dépens.
Par déclaration du 28 février 2019, M. [W] a interjeté appel du jugement (RG n°19/03071).
Par déclaration du 15 mars 2019, la société Pro SAP Formations, la société [J] et la société MJA, ès qualités, ont interjeté appel du jugement (RG n°19/03633).
Par ordonnance du 10 septembre 2019, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel a :
– constaté le désistement d’appel partiel de M. [W] à l’égard de Maître [B] en qualité de mandataire judiciaire de la société Pro SAP Formations, lequel emporte acquiescement au jugement à l’égard de cette partie,
– constaté l’extinction de l’instance et le dessaisissement de la cour d’appel en ce qui concerne Maître [B] en qualité de mandataire judiciaire de la société Pro SAP Formations.
Par ordonnance du 23 mars 2021, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel a ordonné la jonction des procédures inscrites au rôle sous les n°19/03071 et 19/03633 et dit qu’elles se poursuivront sous le n°19/03071.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 janvier 2022, M. [W] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Pro SAP Formations à lui payer les sommes de 3 067,44 euros à titre de salaire sur mise à pied conservatoire et 306,74 euros à titre de congés payés afférents, 11 726,67 euros à titre d’indemnité de préavis et 1 172,67 euros à titre de congés payés afférents, 2 866,52 euros à titre d’indemnité de licenciement, 1 000 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de mai 2016 et 475,91 euros à titre de remboursement de notes de frais impayées, et ce avec intérêts au taux légal,
– infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau,
– condamner la société Pro SAP Formations au paiement des sommes suivantes :
– 70 460,02 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 7 817,78 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure vexatoire,
– 46 800 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
– 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et 8 000 euros à hauteur d’appel,
– ordonner la remise de l’attestation Pôle Emploi, du certificat de travail et du solde de tout compte régularisés sous astreinte de 100 euros par jour de retard ainsi que l’application des intérêts au taux légal.
Dans leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 mai 2021, la société Pro SAP Formations, la société [J] et la société MJA, ès qualités, demandent à la cour de :
– mettre hors de cause les organes de la procédure collective,
– infirmer le jugement et, statuant à nouveau,
à titre principal,
– dire que le licenciement repose sur une faute grave,
– débouter en conséquence M. [W] de l’ensemble de ses demandes,
à titre subsidiaire,
– dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
– débouter en conséquence M. [W] de l’ensemble de ses demandes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en tout état de cause,
– débouter M. [W] de ses demandes au titre de la procédure vexatoire, de dommages-intérêts pour préjudice moral, de rappel de salaire pour le mois de mai 2016 ainsi que de remboursement de notes de frais,
– condamner M. [W] aux entiers dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction est intervenue le 15 février 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 23 février 2022.
MOTIFS
Sur la demande de mise hors de cause des organes de la procédure collective
Les sociétés [J] et MJA, ès qualités, sollicitent leur mise hors de cause en ce que le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de sauvegarde le 7 février 2017 et qu’elles n’ont en conséquence plus qualité pour représenter la société intimée.
Suivant jugement du 7 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de sauvegarde à l’égard de la société Pro SAP Formations et a mis fin à la mission de la société [J] en qualité d’administrateur judiciaire, désignant par ailleurs celle-ci en qualité de commissaire à l’exécution du plan et maintenant la société MJA en qualité de mandataire judiciaire pendant le temps nécessaire à la vérification et à l’établissement définitif de l’état des créances.
Au regard de cette décision et des missions restant confiées aux sociétés [J] et MJA, ès qualités, il n’y a pas lieu à les mettre hors de cause.
Sur la rupture du contrat de travail
L’appelant fait valoir que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse en précisant que le grief relatif à l’utilisation abusive du véhicule de société, de la carte de carburant et du badge de télépéage est partiellement prescrit et en tout état de cause infondé, notamment en ce qu’il a continué à travailler à la demande de son employeur durant ses arrêts de travail, ses déplacements étant connus de la société intimée et correspondant en majorité à des motifs professionnels, le salarié soulignant, s’agissant des déplacements effectués à titre personnel, qu’il avait reçu l’accord de son employeur pour utiliser son véhicule de fonction dans un tel cadre. Concernant le kilométrage excessif du véhicule, il soutient que l’on ne peut raisonnablement justifier un licenciement, pour faute grave de surcroît et accompagné d’une mise à pied, par un grief inexistant ou hypothétique et qu’il n’existe aucun écrit limitant le nombre de kilomètres qu’il pouvait effectuer dans l’année. S’agissant du grief relatif à la remise en cause de l’autorité de l’employeur, il souligne avoir uniquement sollicité de ce dernier une explication quant à la demande soudaine de restitution du véhicule de société, ce qu’il était légitimement en droit de faire, mais qu’il n’a pas discuté plus avant la décision de son employeur et a simplement demandé à pouvoir décaler cette restitution compte tenu d’impératifs professionnels. Il précise, s’agissant de l’absence de remise de rapports d’activité, qu’il n’a jamais été prévu ni dans les contrats et avenants initiaux, ni dans le descriptif de poste, ni par quelque moyen que ce soit ultérieur, qu’il effectue des comptes rendus d’activité et qu’il a exercé au sein du groupe durant plus de 4 ans sans qu’il ne lui soit demandé d’établir de tels rapports d’activité, l’intéressé soulignant avoir toujours communiqué par mail avec la société, et ce en étroite collaboration avec la direction, celle-ci étant en copie de tous ses courriels. Il affirme enfin que les véritables raisons qui ont conduit la société intimée à le licencier trouvent leur source dans le désir de l’écarter de l’offre de reprise du groupe Yoopala-SAP Développement.
Les intimées répliquent que les griefs ne sont pas prescrits en ce qu’il est reproché au salarié des manquements s’étant répétés ou poursuivis dans le temps, qu’ils sont parfaitement justifiés et constitutifs d’une faute grave, et ce eu égard, d’une part, à l’utilisation par l’appelant, à titre personnel et sans autorisation, du véhicule de société, de la carte de carburant et du badge de télépéage au préjudice de l’entreprise et, d’autre part, à la remise en cause du pouvoir décisionnaire de l’employeur. A titre subsidiaire, elles précisent que, si par impossible la cour venait à considérer que le licenciement ne repose pas sur une faute grave, elle devrait néanmoins considérer que ledit licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
Selon l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instructions qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, le salarié licencié pour faute grave n’ayant pas droit aux indemnités de préavis et de licenciement.
L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.
En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :
« Ainsi que nous vous l’avons exposé lors de l’entretien, les motifs de ce licenciement sont les suivants :
1/ Vous avez effectué de nombreux déplacements à titre personnel dont plusieurs pendant votre arrêt maladie et ce, avec le véhicule de société que vous monopolisiez.
En effet, vous vous trouviez à titre personnel en Belgique et durant votre temps de travail le 15 février 2016. Nous avons reçu une amende de stationnement en Belgique datant du 15/02/2016.
Le 1er mars 2016, pendant votre arrêt maladie, le badge télépéage a enregistré un passage à la barrière de [Localité 10], sur l’autoroute A2 menant à la frontière Belge ; le 2 mars 2016, toujours pendant l’arrêt maladie à [Localité 9] ainsi qu’en Bretagne par deux fois (du 21 février 2016 et du 26 au 28 mars 2016) encore une fois pendant votre arrêt maladie.
En outre vous avez utilisé la carte essence société le 17/02/2016, 11/03/2016 et 15/03/2016 pendant votre arrêt maladie.
L’ensemble de ces déplacements ne sont pas autorisés, tant par vos arrêts de travail qui imposent votre présence à votre domicile à certaines heures de la journée que par votre devoir de loyauté envers votre employeur.
Vous avez délibérément renoncé à ce devoir de loyauté en utilisant les fonds et le matériel de la société pour vos convenances personnelles.
Ces faits sont extrêmement graves.
D’ailleurs, vous avez mentionné durant l’entretien n’avoir rien à dire sur ces faits en les reconnaissant sans ne rien vouloir préciser d’autre.
2/ Le nombre de kilomètres constatés et réalisés par vous, avec la voiture de société Mercedes dont vous vous octroyez le monopole comme rappelé précédemment est tout simplement énorme et injustifié (19.000 kms en 9 mois) d’autant que vous monopolisiez également un scooter mp3, lui aussi véhicule de société.
Vous avez donc détourné l’usage de la voiture de société à des fins personnelles.
Il est à noter qu’à ce rythme, la voiture en question aurait présenté plus de 15.000 kms de trop à sa restitution (compte tenu du nombre maximal de kilomètres à ne pas dépasser prévu au contrat de location) et la facturation des kilomètres supplémentaires s’y rapportant se serait élevée à plus de 2.700 € TTC (0.179€ le kilomètre en trop).
Il est d’ailleurs à noter que, rien que pour vos déplacements pendant les arrêts maladie, les relevés de péage Vinci comptent environ 2000 kms et uniquement pour l’autoroute puisqu’il est impossible de vérifier vos déplacements exacts en dehors du réseau autoroutier.
Cette volonté de vous octroyer cet avantage (véhicules de société) à des fins personnelles est, là-encore, d’une gravité et d’une déloyauté extrêmes.
Cela vous a en outre conduit à remettre en cause le pouvoir décisionnaire de votre Direction, point que nous évoquerons ci-après.
3/ Vous avez remis en cause à plusieurs reprises le pouvoir décisionnaire de votre employeur.
Pour exemple, lorsqu’il vous a été demandé de rendre le véhicule de société vous vous êtes permis de répondre par un mail en date du 21/04/2016 – 10h45 dont nous citons les propos : « Bonjour [R], Merci de me motiver cette décision en mon sens pas judicieuse ».
Votre comportement est grave car vous inversez les rôles. Il n’est pas tolérable qu’un salarié, subordonné aux décisions de sa hiérarchie se permette de demander à ce qu’on lui justifie une simple décision visant à récupérer un véhicule appartenant à la société.
Nous comprenons cependant aujourd’hui les raisons d’une telle réticence et insubordination eu égard aux éléments évoqués précédemment.
4/ Toujours concernant la défiance dont vous faites preuve à l’égard de votre Direction vous n’avez pas produit, malgré les demandes à de nombreuses reprises, les rapports de votre activité.
Vous ne répondez pas non plus à diverses interrogations de votre Direction en place en laissant un grand nombre de mails sans réponse.
Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise »
Au vu du contrat de travail initial et des avenants liant les parties ainsi que des bulletins de paie afférents à la relation de travail, en l’absence de toute stipulation contractuelle relative à la mise à disposition d’une voiture de fonction à usage professionnel et personnel ainsi que de toute mention relative à l’existence d’un avantage en nature dans les bulletins de paie précités, il convient dès lors de relever que l’appelant ne peut ainsi prétendre qu’il était effectivement autorisé par son employeur à se servir du véhicule litigieux, y compris s’agissant de déplacements effectués pour des motifs personnels, ledit véhicule n’ayant été mis à sa disposition qu’à des fins professionnelles, étant observé que le salarié s’abstient par ailleurs de justifier de l’existence d’un usage d’entreprise de ce même chef.
Compte tenu de la convocation à entretien préalable intervenue suivant courrier recommandé du 4 mai 2016, il apparaît que, contrairement aux affirmations de l’appelant, aucune prescription des faits fautifs litigieux ne peut être retenue en application de l’article L. 1332-4 du code du travail, en ce que la société intimée n’a eu une connaissance exacte des faits du 15 février 2016 que lors de la réception de l’avis de contravention de stationnement le 19 avril 2016 et en ce qu’il s’agit en toute hypothèse de faits de même nature liés à l’utilisation du véhicule de société, de la carte de carburant et du badge de télépéage s’étant poursuivis ou répétés durant l’ensemble de la période litigieuse entre le 15 février et le 28 mars 2016.
Au vu des éléments justificatifs produits par l’employeur et notamment des factures et relevés de consommation péage et carburant des mois de février, mars et avril 2016, il apparaît que l’appelant s’est ainsi rendu à Bruxelles le 15 février 2016 puis, alors qu’il était en arrêt de travail pour maladie à compter du 17 février 2016, a effectué des déplacements dans le nord de la France (à nouveau en direction de la frontière belge le 1er mars et à [Localité 9] le 2 mars) ainsi qu’en Bretagne les 21 et 28 février ainsi que les 26 et 28 mars 2016 , et ce alors qu’il ne bénéficiait pas de sorties libres au titre des arrêts de travail pour maladie établis relativement à la période du 18 mars au 1er avril 2016.
Si l’appelant soutient en réplique que lesdits déplacements avaient été autorisés par son employeur et qu’ils correspondaient pour la plupart à son activité professionnelle, en ce comprise la période postérieure au 17 février 2016 durant laquelle il était en arrêt de travail pour maladie, outre le fait que, mises à part ses propres affirmations, il ne résulte d’aucune pièce versée aux débats qu’il était effectivement autorisé à se servir du véhicule de fonction à des fins purement personnelles, la cour ne peut par ailleurs que relever que l’intéressé ne justifie pas plus du fait que ses déplacements correspondaient effectivement à l’exercice de ses activités professionnelles, celles-ci n’impliquant que des déplacements en Ile de France, à [Localité 13] (06), [Localité 11] (69) et [Localité 12] (13), la recherche de nouveaux locaux professionnels pour le centre de formation de [Localité 14] alléguée par le salarié ne pouvant en toute hypothèse que générer des déplacements dans [Localité 14], la recherche de locaux en Belgique pour y ouvrir une crèche au profit de la société Yoopala (société faisant partie du même groupe et dont l’appelant était actionnaire) n’étant pas démontrée et ne relevant en tout état de cause pas de l’activité de la société intimée.
Dès lors, le grief relatif à l’utilisation abusive du véhicule de fonction à des fins personnelles et au manquement du salarié à son obligation de loyauté est établi.
Concernant l’utilisation de la carte carburant les 17 février, 11 mars et 15 mars 2016, les pleins d’essence litigieux ayant été effectués dans [Localité 14] ou en Seine [Localité 15], il apparaît que l’existence d’un usage abusif de la carte carburant n’est pas suffisamment caractérisé au regard des éléments précités.
Concernant le grief relatif à l’existence d’un kilométrage excessif et au fait pour la société intimée de se voir facturer des kilomètres supplémentaires lors de la restitution du véhicule loué, s’agissant d’allégations purement hypothétiques et non justifiées par l’employeur, il apparaît que ledit grief n’est pas établi.
S’agissant du grief afférent à la remise en cause réitérée du pouvoir décisionnaire de l’employeur, il résulte des échanges de mails afférents à la période litigieuse que l’appelant a effectivement contesté et remis en cause à plusieurs reprises l’application des consignes de sa hiérarchie, et ce s’agissant tant de la restitution du véhicule de fonctions (mails des 21 avril 2016 : « Merci de me motiver cette décision en mon sens pas judicieuse », « Je ne pense pas que cela soit une urgence dans l’absolu », « Je suis vraiment très étonné de ta réaction non constructive envers moi ‘ Cela m’interroge fortement sur notre relation future »), la restitution litigieuse étant finalement intervenue le 26 avril 2016, que de l’établissement de comptes rendus d’activité (mails des 9 février, 18 et 21 mars 2016 : « J’espère que tu fais cela à tout le personnel PRO SAP afin d’optimiser et appréhender le travail de chacun », « C’est dommage d’en arriver là. Il serait plus intelligent de travailler en commun, comme pendant le mois de décembre. Que s’est-il passé ‘», « Je te remercie de me répondre sur le fait de devoir te fournir un compte rendu d’activité ‘ Quelles sont les motivations et les raisons de ce document. Jusqu’alors, en tant que président de Pro Sap, jamais une telle demande n’a été faite par tes soins », « Etant PDG de PRO SAP depuis quelques années, je te remercie de motiver ta demande de compte rendu d’activité de janvier et février. Aucun compte rendu à ce jour ne m’a été demandé de ta part, donc je ne comprends pas »), étant observé de ce chef que les simples mails envoyés par le salarié dans le cadre de son activité professionnelle ne peuvent s’analyser comme des comptes rendus d’activité à part entière. De surcroît, il sera relevé que l’appelant s’est également abstenu de respecter les directives de son employeur qui lui avait expressément demandé d’annuler son déplacement sur le site de [Localité 13] à des fins d’économie (mails des 25 janvier 2016 : « Franchement, je ne comprends pas tes réactions actuelles, travaillant que de ton côté. Je crains que mes déplacements ne sont pas les plus onéreux au vu du reste. Je reste encore à ce jour actionnaire de ce groupe et une fonction dans celle-ci. Je dois me déplacer afin de préparer la réunion future. Quand je ne serai plus dans mes fonctions et plus actionnaire, tu pourras tenir ce discours. Je n’y vais pas que pour les RDV […]Ne prends pas ma réponse de façon personnelle mais strictement pro»). Le grief susvisé est en conséquence établi.
Au vu de l’ensemble des développements précédents, eu égard aux griefs établis dans le cadre de la présente instance, il apparaît que si lesdits agissements justifient le licenciement de l’appelant, ceux-ci ne revêtent cependant pas un degré de gravité suffisant pour rendre immédiatement impossible son maintien dans l’entreprise et le priver ainsi de ses indemnités de rupture, étant précisé que si le salarié fait valoir que les véritables raisons qui ont conduit à le licencier trouvent leur source dans le désir de l’écarter de l’offre de reprise du groupe Yoopala-SAP Développement, il est cependant établi que dès lors que le motif invoqué dans la lettre de licenciement est justifié et constitue une cause valable de licenciement, la cour n’a pas à examiner le moyen allégué par un salarié selon lequel la cause véritable du licenciement serait autre.
Par conséquent, la cour infirme le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et dit que le licenciement de l’appelant est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières de la rupture
En application des dispositions du code du travail et de la convention collective nationale des organismes de formation, sur la base d’une rémunération de référence de 3 908,89 euros, la cour confirme le jugement en ce qu’il a alloué au salarié les sommes de 3 067,34 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire outre 306,73 euros au titre des congés payés y afférents, 11 726,67 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 1 172,67 euros au titre des congés payés y afférents et 2 866,52 euros à titre d’indemnité de licenciement.
Par ailleurs, le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse ainsi que cela résulte des développements précédents, il convient, par infirmation du jugement, de débouter l’appelant de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure vexatoire
Le salarié affirme qu’après avoir repris de manière officielle son travail le 16 avril 2016, il a reçu, sans aucune explication, un courrier de convocation à entretien préalable en date du 4 mai 2016 lui notifiant de surcroît une mise à pied conservatoire, que lors de l’entretien préalable, il lui a été reproché des fautes imaginaires ne justifiant certainement pas une mise à pied brutale, et sans fondement et que bien plus, lors de cet entretien, il lui était reproché d’occuper un « emploi fictif» alors même qu’il avait toujours été en contact étroit avec le dirigeant de la société dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail, le caractère vexatoire et brutal de la procédure engagée, sans aucun fondement juridique, étant donc évident.
Les intimées répliquent que les fautes reprochées à l’appelant n’étaient en aucun cas imaginaires et reposent sur des éléments de faits existants, que ce dernier a été convoqué à un entretien préalable et mis à pied à titre conservatoire, ce qui est d’usage lorsque l’employeur procède à un licenciement pour faute grave et que dès lors le licenciement n’est aucunement entouré de conditions vexatoires.
Outre le fait que l’appelant ne démontre pas l’existence d’une faute ou d’un manquement de la société intimée à ses obligations en sa qualité d’employeur s’agissant de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement litigieuse, la cour ne peut par ailleurs que relever, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations du salarié, que ce dernier ne justifie pas du principe et du quantum du préjudice allégué ni en toute hypothèse de son caractère distinct des seuls effets de son licenciement.
Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour procédure vexatoire.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral
Le salarié indique avoir été licencié de manière extrêmement brutale alors même qu’il entretenait encore quelques mois auparavant de très bons rapports avec le président de la société, que ce licenciement fait de surcroît suite à un précédant syndrome d’anxiété sévère et qu’il s’est alors enfoncé dans une dépression profonde dont il peine à se remettre en ce qu’il ne s’attendait absolument pas à un traitement de ce type alors même qu’il n ‘avait eu que de très bons rapports avec sa hiérarchie, qu’il était âgé de 49 ans lors de son licenciement et qu’à ce jour il n’a toujours pas retrouvé d’emploi et rencontre des difficultés financières importantes qui ne font qu’ajouter à son stress existant, qu’il a été accusé de déloyauté envers son employeur ce qui est particulièrement blessant pour un salarié qui a tout mis en ‘uvre dans l’intérêt de la société lors de la procédure de redressement puis de liquidation judiciaire, qui n’a jamais compté ses efforts et qui se voit licencié au moment de la reprise de la société par voie de cession, ce qui est un traumatisme supplémentaire pour lui.
Les intimées répliquent que l’appelant ne rapporte pas la preuve de son préjudice.
Outre le fait que le licenciement de l’appelant est fondé sur une cause réelle et sérieuse ainsi que cela résulte des développements précédents, la cour ne peut à nouveau que relever, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations du salarié, que ce dernier ne justifie pas du principe et du quantum du préjudice allégué ni en toute hypothèse de son caractère distinct des seuls effets du licenciement.
Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Sur la retenue sur salaire du mois de mai 2016
L’appelant soutient qu’il a été retenu sur le dernier salaire du mois de mai 2016 la somme de 1 000 euros motivée par une prétendue avance mais qu’il n’a jamais demandé une telle avance et que celle-ci n’a de surcroît jamais été réalisée.
Les intimées répliquent qu’il s’agissait d’une avance qui lui avait été versée en novembre 2015 et qui n’avait jamais été remboursée par l’appelant, celle-ci ayant donc été déduite de son solde de tout compte.
Au vu du bulletin de paie du mois de mai 2016 faisant état d’une retenue de 1 000 euros avec comme seul motif « avance », si l’employeur affirme que ladite retenue correspond à une avance de frais intervenue en novembre 2015, outre le fait que celle-ci n’est pas mentionnée sur le bulletin de paie du mois de novembre 2015, la cour ne peut en toute hypothèse que relever que l’employeur s’abstient de produire les justificatifs suffisants de nature à établir que l’avance de frais litigieuse était injustifiée, les seuls échanges de mails internes avec la directrice administrative et comptable de la société étant manifestement insuffisants de ce chef.
Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu’il a alloué au salarié un rappel de salaire de 1 000 euros pour retenue injustifiée sur le salaire du mois de mai 2016.
Sur la demande de remboursement de frais professionnels
L’appelant soutient qu’il était prévu au contrat signé par les parties ainsi que dans tous les avenants, un remboursement des frais et qu’un certain nombre de frais professionnels pour la période de décembre à février 2016 ne lui ont jamais été remboursés.
Les intimées répliquent qu’elles sont « circonspectes » quant au bien-fondé de la demande de remboursement de frais qualifiés de professionnels par l’appelant et qu’elles s’en remettent à l’analyse de la cour sur le sujet.
En application de l’article 5 du contrat de travail prévoyant que « les frais professionnels engagés par le salarié dans l’exercice des fonctions seront, sur justificatifs, pris en charge ou remboursés aux conditions et selon les modalités en vigueur au sein de la société », au vu des éléments justificatifs produits par le salarié, l’employeur ne démontrant pour sa part aucunement le caractère infondé ou excessif des frais litigieux, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué au salarié un rappel de remboursement de frais professionnels de 475,91 euros.
Sur les autres demandes
Il convient d’ordonner la remise à l’appelant d’un certificat de travail, d’un solde de tout compte et d’une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision, sans qu’il apparaisse nécessaire d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte, et ce par confirmation du jugement.
En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du jugement, pour les créances indemnitaires.
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse ainsi que cela résulte des développements précédents, la cour, par infirmation du jugement, dit n’y avoir lieu à ordonner le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié.
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser au salarié, au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens, la somme supplémentaire de 1 500 euros, la somme accordée en première instance étant confirmée.
L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Dit n’y avoir lieu à mettre hors de cause la société [J], en la personne de Maître [J], en qualité de commissaire à l’exécution du plan et la société MJA, en la personne de Maître [P], en qualité de mandataire judiciaire ;
Infirme le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la société Pro SAP Formations à payer à M. [W] la somme de 23 500 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu’à rembourser à Pôle Emploi la somme de 7 800 euros au titre des indemnités de chômage perçues par M. [W] ;
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [W] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Déboute M. [W] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit n’y avoir lieu à ordonner le remboursement par la société Pro SAP Formations à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [W] en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail ;
Condamne la société Pro SAP Formations à payer à M. [W] la somme supplémentaire de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Pro SAP Formations aux dépens d’appel.
LE GREFFIER Monsieur Fabrice MORILLO,
conseiller, pour le président empêché