ARRET
N°
[I]
C/
SARL CHAMPIGNONNIERES DE [Localité 4]
copie exécutoire
le 25 mai 2022
à
Me Colignon-Bertin
Me Broyon
MVH/MR/BG
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 25 MAI 2022
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N° RG 21/02911 – N° Portalis DBV4-V-B7F-ID3K
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE SOISSONS DU 27 AVRIL 2021 (référence dossier N° RG 19/00073)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [B] [I]
né le 03 Octobre 1960 à [Localité 3] (Aisne)
[Adresse 1]
[Localité 6]
représenté par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d’AMIENS substitué par Me Eric POILLY, avocat au barreau d’AMIENS, avocat postulant
concluant par Me Nathalie COLIGNON-BERTIN de la SELARL SELARL COLIGNON-BERTIN, avocat au barreau de SOISSONS
ET :
INTIMEE
S.A.R.L. CHAMPIGNONNIERES DE [Localité 4] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée et concluant par Me Ludovic BROYON de la SELARL LEFEVRE-FRANQUET ET BROYON, avocat au barreau de SOISSONS
DEBATS :
A l’audience publique du 07 avril 2022, devant Mme Marie VANHAECKE-NORET, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.
Mme [D] [R] indique que l’arrêt sera prononcé le 25 mai 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme [D] [R] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Fabienne BIDEAULT, conseillère,
Mme Marie VANHAECKE-NORET, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 25 mai 2022, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.
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* *
DECISION :
Vu le jugement en date du 27 avril 2021 par lequel le conseil de prud’hommes de Soissons, statuant en formation de départage dans le litige opposant M. [B] [I] (le salarié) à son ancien employeur, la société Champignonnières de [Localité 4] (SARL), a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse mais non sur une faute grave, a condamné la société à payer au salarié les sommes précisées au dispositif de la décision au titre du non-respect du délai de convocation à l’entretien préalable (1498,50 euros), au titre de l’indemnité de préavis (2 997 euros), des congés payés y afférents (299,70 euros), à titre d’indemnité légale de licenciement (8741,60 euros), a débouté M. [I] du surplus de ses demandes en paiement, a ordonné à la société de procéder à la régularisation des documents de fin de contrat dans un délai d’un mois suivant notification de la décision, a condamné la société au paiement d’une indemnité de 1000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Vu l’appel interjeté le 3 juin 2021 par voie électronique par M. [B] [I] à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 4 mai précédent ;
Vu la constitution d’avocat de la société Champignonnières de [Localité 4], intimée, effectuée par voie électronique le 8 juin 2021;
Vu les conclusions notifiées par voie électronique le 18 janvier 2022 par lesquelles le salarié appelant, soutenant le non-respect par l’employeur du délai de convocation requis aux dispositions de l’article L.1232-2 du code du travail, contestant les faits invoqués à l’appui du licenciement et indiquant que la preuve n’en est pas rapportée par l’employeur, soulevant l’inapplicabilité du plafond d’indemnisation prévu par l’article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité et en ce qu’il ne permet pas la réparation intégrale de son préjudice, soutenant le caractère brutal et soudain de son licenciement ce qui lui a causé un préjudice distinct, soutenant également que le comportement de l’employeur l’a affecté engendrant ainsi un préjudice moral, indiquant qu’à défaut de cause réelle et sérieuse de licenciement, la mise à pied conservatoire est injustifiée, le rappel de salaires étant englobé dans la demande formulée précédemment, faisant valoir que la société n’a pas respecté ses obligations en matière de portabilité de la mutuelle, sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse mais pas une faute grave, a condamné la société à lui payer la somme de 1498,50 euros pour non-respect du délai de convocation à l’entretien préalable et l’a débouté du surplus de ses demande en paiement, prie la cour statuant à nouveau de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la société à lui verser les sommes reprises au dispositif de ses conclusions à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (53946 euros), de dommages et intérêts distincts pour rupture abusive (10000 euros), de dommages et intérêts pour préjudice moral (10000 euros), de dommages et intérêts pour non-respect de la portabilité de la mutuelle (10000 euros), de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société au versement de la somme de 2997 euros au titre du non-respect du délai de convocation à entretien préalable, de le confirmer aussi en ce qu’il a condamné la société au titre des indemnités de préavis, congés payés sur préavis et de licenciement ainsi que sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en tout état de cause de débouter la société de l’intégralité de ses demandes, d’ordonner la régularisation des documents de fin de contrat, de condamner la société à lui payer la somme de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance ;
Vu les conclusions notifiées par voie électronique le 18 octobre 2021 aux termes desquelles la société intimée et appelante incidente, réfutant les moyens et l’argumentation du salarié et soutenant notamment que l’irrégularité de procédure n’a causé aucun préjudice à ce dernier, que les griefs sont matériellement établis et sont constitutifs de faute grave s’agissant de violences, que le plafond d’indemnisation instauré par l’article L.1235-3 dans sa version applicable au litige est conforme aux engagements européens et internationaux de la France, que la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive est irrecevable puisque faisant double emploi avec la demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que la demande de réparation d’un préjudice moral n’est ni motivée ni justifiée, que la mise à pied conservatoire est justifiée compte tenu du comportement du salarié, qu’elle a respecté ses obligations en matière de portabilité de la couverture complémentaire santé, sollicite pour sa part l’infirmation du jugement en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse mais pas d’une faute grave, l’a condamnée à payer au salarié une indemnité pour non-respect du délai de convocation à entretien préalable ainsi qu’au titre du préavis, des congés payés y afférents et à une indemnité légale de licenciement, également en ce qu’il lui a ordonné de régulariser les documents de fin de contrat et l’a condamnée à une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile, prie la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [I] du surplus de ses demandes, de dire le licenciement justifié pour faute grave, débouter le salarié de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, le condamner à lui payer la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 30 mars 2022 renvoyant l’affaire pour être plaidée à l’audience du 7 avril suivant ;
Vu les conclusions transmises le 18 janvier 2022 par l’appelant et le 18 octobre 2021 par l’intimée auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel ;
SUR CE, LA COUR
M.[B] [I], né en 1960, a été engagé à compter du 9 décembre 1998 suivant contrat de travail à durée déterminée par la société Champignonnières de [Localité 4] sise à [Localité 2] (Aisne), les relations de travail se sont poursuivies à durée indéterminée ce qui a été formalisé par un avenant.
En dernier lieu, M. [I] occupait l’emploi d’ouvrier spécialisé coefficient 116 et son salaire mensuel brut de base s’élevait à 1521,25 euros.
La relation de travail était régie par la convention collective des exploitations et entreprises champignonnistes de l’Aisne et de l’Oise.
M. [I] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 janvier 2019 par lettre du 16 janvier précédent, mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 30 janvier 2019, motivée comme suit :
‘ Nous vous avons convoqué à un entretien préalable en date du 23 janvier 2019 auquel vous ne vous êtes pas présenté. Nous vous informons, par la présente, de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants :
– insubordination ( le 16 janvier 2019, vous avez refusé d’effectuer la tâche demandée par votre employeur lorsqu’il vous à fait des remontrances sur la qualité de votre travail)
– violences envers votre employeur (le 16 janvier 2019, vous avez attrapé par les épaules et poussé Mr [A] [K])
– injures envers votre employeur (le 16 janvier 2019, vous avez insulté Mr [A] [K])
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l’entreprise est impossible. Votre licenciement prend donc effet immédiatement, sans indemnité de préavis ni de licenciement.
Vous avez fait par ailleurs l’ objet d ‘une mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifié le 16 janvier 2019. Dès lors, la période non travaillé du 17 janvier 2019 au 31 janvier 2019 ne sera pas rémunérée.
A l’expiration de votre contrat de travail, nous tiendrons à votre disposition votre certificat de travail, votre reçu pour solde tout compte et votre attestation Pôle emploi.
Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d’y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l’initiative d’apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement.’
Contestant la régularité et la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits au titre de la rupture de son contrat de travail, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Soissons, qui, statuant par jugement du 27 avril 2021, dont appel, s’est prononcé comme indiqué précédemment.
Sur la légitimité du licenciement
M. [I] conteste les faits qui lui sont reprochés et expose que c’est lui qui a été victime de l’agressivité de son employeur qui lui a fait des reproches injustifiés, qu’au cours de la querelle il a dû mettre ses mains en avant pour le maintenir à distance et que lui-même est tombé à terre après avoir été poussé, il relate que M. [K] lui a hurlé dessus, que se sentant mal, il s’est rendu chez son médecin qui lui a prescrit un arrêt de travail. Il fait valoir que la société ne rapporte pas la preuve de la matérialité des griefs, qu’en particulier le témoignage d’un salarié M. [N] tel que rapporté dans le constat d’huissier produit aux débats est non-probant en raison des conditions dans lesquelles il a été recueilli et parce que la teneur des propos est soumise à interprétation. Il ajoute que les avertissements antérieurs invoqués par l’employeur et qu’il avait contestés ont participé du harcèlement moral dont il était victime et pour lequel il avait déposé plainte et pris attache avec la médecine du travail.
La société soutient rapporter la preuve des griefs, réfute en substance les arguments de la partie adverse visant à contester la valeur et la portée des éléments qu’elle produit, soutient à cet égard que le témoignage de M. [N] retranscrit par l’huissier de justice n’est pas contredit et confirme sans équivoque l’agression et les insultes contre M. [A] [K], que le salarié a fait précédemment l’objet d’avertissements justifiés en raison de son comportement au travail, sans lien avec son état de santé.
Elle fait valoir que contrairement à ce que retenu par les premiers juges, les faits sont constitutifs de faute grave.
Sur ce,
La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis ; les faits invoqués comme constitutifs de faute grave doivent par conséquent être sanctionnés dans un bref délai.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.
En l’espèce, aux termes de la lettre de notification telle que reproduite in extenso précédemment, le licenciement repose sur trois griefs.
Sur le premier grief : l’insubordination
Au vu des pièces versées en cause d’appel, il apparaît que c’est par une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis, que les premiers juges ont retenu que ce grief n’était pas établi.
En effet, la cour observe que les pièces dont se prévaut l’employeur et notamment la déclaration de main courante de M. [A] [K] et la retranscription des propos de M. [N] par huissier de justice ne permettent pas d’établir matériellement le comportement d’insubordination tel que stigmatisé dans la lettre de licenciement à savoir le refus d’exécuter une tâche demandée par l’employeur ; en effet M. [K] fait état uniquement d’une réflexion qu’il aurait formulée au salarié sur la qualité de son travail et M. [N] ne l’évoque pas.
Sur les violences physiques et les insultes à l’encontre de l’employeur (deux griefs)
La société verse aux débats un procès-verbal de constat d’huissier en date du 28 août 2019 retranscrivant une audition recueillie auprès de M. [J] [N], salarié de l’entreprise.
La cour relève toutefois que cette audition s’est déroulée en présence de l’employeur ([A] [K]), plus de sept mois après les faits, que sa teneur ne permet pas de vérifier l’origine de l’altercation, ni de l’imputer à M. [I], que M. [N] indique en effet notamment ‘moi ce que j’ai vu, bah, la première partie quand ils se sont agressés dans la cave, la première cave. Moi je les ai entendu arrivant en s’engueulant (…)’, qu’il ne décrit pas de violences physiques telles que rapportées dans la lettre de licenciement sauf à préciser uniquement qu’il a vu M. [I] repousser le patron ce qui n’est pas contradictoire avec la version de l’appelant, que si sur question de l’huissier, M. [N] répond avoir entendu des insultes, il ne dit pas clairement qu’elles n’ont été proférées que par M. [I].
Dans ces conditions, la fiabilité du témoignage, peu précis sur le rôle de chacun des protagonistes et le déroulement des faits, est sujette à caution et ne suffit à conforter les termes de la main courante déposée par [A] [K] étant relevé que pour sa part, M. [I] fournit l’arrêt de travail qui lui a été prescrit juste après l’incident le 16 janvier 2019, élément de nature à corroborer ses dires.
Le fait que le salarié se soit présenté par la suite pour s’excuser ne permet pas de conclure qu’il se reconnaissait responsable ni que les faits reprochés sont établis, ce geste pouvant aussi être inspiré par la volonté de ne pas perdre son travail.
Enfin, les deux avertissements dont se prévaut l’employeur remontent à plus de trois ans avant les faits et ne sauraient constituer une preuve de la matérialité des griefs articulés au sein de la lettre de licenciement étant relevé que M. [I] s’ils ne les a pas contestés formellement auprès de l’employeur les a évoqués comme agissements ou décisions participant du harcèlement moral pour lequel il a déposé plainte auprès du commissariat de police de [Localité 6] le 9 mars 2015.
En conséquence, il apparaît que les éléments de l’employeur ne permettent pas de tenir les faits reprochés au salarié comme établis avec certitude, en sorte que, le doute devant profiter au salarié comme prévu à l’article L.1235-1 du code du travail, l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement et a fortiori d’une faute grave doit être écartée.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.
Le salarié est par conséquent en droit de prétendre, non seulement aux indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés afférents, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement), mais également à des dommages et intérêts au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
Ses droits au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents et de l’indemnité légale de licenciement, non spécifiquement critiqués dans leur quantum et exactement évalués par les premiers juges seront confirmés.
M. [I] peut également prétendre à l’indemnisation de l’absence de cause réelle et sérieuse.
Il demande à la cour de lui allouer la somme de 53 946 euros en soulevant l’inconventionnalité du plafond d’indemnisation instauré par les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable au moment du licenciement querellé.
Il invoque expressément :
– l’article 10 de la convention internationale du travail n° 158 de l’Organisation internationale du travail (l’OIT ci-après) dont il ressort que si les tribunaux «’arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée’»,
– l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, qui énonce «’En vue d’assurer l’exercice effectif du droit a la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître (…) :
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou a une autre réparation appropriée»
Pour la définition de l’indemnité adéquate, M. [I] cite la décision du comité du 8 septembre 2016 «’Finish Society of Social Rights c. Finlande’» (n°106/2014, § 45) du Comité européen des droits sociaux (C.E.D.S), organe en charge de l’interprétation de la Charte, selon lequel «les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient :
– le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours ;
– la possibilité de réintégration ;
– des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime’».
Il soutient que la charte sociale européenne et l’interprétation qu’en fait le comité européen des droits sociaux sont d’application directe en droit interne français et doivent conduire la cour à faire prévaloir la nécessité d’une indemnisation intégrale des préjudices qu’il a subis et à écarter par conséquent le barème de l’article L.1235-3 du code du travail lequel ne permet pas en outre d’octroyer des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour être dissuasives.
La cour constate que le point litigieux est donc relatif au fait que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévus à l’article L. 1235-3 du code du travail ne constituent pas une indemnité adéquate au sens des articles 10 de la Convention internationale du travail n° 158 de l’OlT et 24 de la Charte sociale européenne.
L’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.
Lorsque des dispositions internes sont en cause, comme en l’espèce, le juge du fond doit vérifier leur compatibilité avec les normes supra-nationales que la France s’est engagée à respecter, au besoin en écartant la norme nationale en cas d’incompatibilité irréductible.
Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
La cour retient que l’invocation de son article 24 ainsi que les décisions du comité européen des droits sociaux ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.
En revanche, l’article 10 de la Convention n° 158 précitée est d’application directe en droit interne.
La cour retient que M. [I] ayant au jour du licenciement une ancienneté de 20 années complètes, il est en droit d’obtenir en vertu de l’article L.1235-3 du code du travail une indemnité dont le montant doit être compris entre 3 et 15,5 mois de salaires bruts dès lors que la société Champignonnières de [Localité 4] emploie plus de 11 salariés.
A l’examen des moyens débattus, la cour retient que les dispositions de l’article L 1235-3 sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT aux motifs que :
– une indemnité dite adéquate ou une réparation appropriée n’implique pas, en soi, une réparation intégrale du préjudice de perte d’emploi injustifiée et peut s’accorder avec l’instauration d’un plafond
– le terme adéquat doit donc être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation, dont l’Etat français n’a fait qu’user en instituant des planchers et des plafonds d’indemnisation
– lorsque le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, comme c’est le cas en l’espèce, le juge peut proposer la réintégration et ce n’est que lorsque celle-ci est refusée par l’une ou l’autre des parties que le juge octroie au salarié une indemnité dans la limite du barème
– le barème est écarté en cas de nullité du licenciement en application de l’article L 1235-3-1 du code du travail,
– l’article L.1235-4 du code du travail dans sa version applicable au litige prévoit qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge ordonne au besoin d’office le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour du licenciement dans la limite de six mois de prestations.
Ces dispositions, qui permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur, sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.
En conséquence, M. [I] sera débouté de sa demande tendant à écarter les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige prévoyant un plafond d’indemnisation.
Justifiant d’une ancienneté de 20 années complètes au moment du licenciement et l’entreprise employant habituellement au moins onze salariés, M. [I] peut prétendre à une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant doit être compris entre 3 et 15,5 mois de salaire brut.
Au dernier état de la relation contractuelle en janvier 2019, son salaire mensuel brut était de 1521,25 euros.
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge (58 ans) et à l’ancienneté de ses services au moment de la rupture du contrat de travail, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l’arrêt et qui offre une indemnisation adéquate du préjudice résultant du licenciement illégitime.
Le salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté et l’entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, il convient de faire application d’office des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail et d’ordonner à l’employeur de rembourser à l’antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l’intéressé depuis son licenciement dans la limite d’un mois de prestations.
En l’absence de faute grave, l’employeur ne pouvait opérer de retenue sur salaire durant la période de mise à pied conservatoire.
Toutefois le salarié ne sollicite pas de rappel de salaire et ne peut substituer à une telle prétention une demande indemnitaire.
Sur la régularité de la procédure de licenciement
M. [I] réclame une indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement en raison du non-respect du délai de cinq jours ouvrables pleins entre la convocation à l’entretien préalable à licenciement et la tenue du dit entretien.
Sur ce,
Aux termes de l’article L.1232-2 in fine du code du travail, l’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée.
La computation de ce délai auquel le salarié ne peut renoncer obéit aux règles fixées par les articles 641 et 642 du code du procédure civile.
Le salarié doit disposer d’un délai de cinq jours ouvrables plein, le jour de la présentation de la lettre recommandée ne compte pas dans ce délai pas plus que le dimanche qui n’est pas un jour ouvrable.
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la lettre recommandée avec demande d’avis de réception convoquant M. [I] à l’entretien préalable à licenciement fixé le 23 janvier 2019 a été présentée le 17 janvier précédent ; le délai commençant à courir le lendemain soit le vendredi 18 janvier et le dimanche ne comptant pas, il est patent que le délai requis n’a pas été respecté.
Toutefois lorsque le licenciement est, comme tel est le cas en l’espèce, entaché d’une irrégularité de procédure et se trouve par ailleurs dénué de cause réelle et sérieuse, les dispositions de l’article L.1235-2 du code du travail et celles de l’article L.1235-3 du même code ne permettent pas le cumul d’indemnités et seule est octroyée l’indemnité pour licenciement illégitime.
M. [I] doit donc être débouté de sa demande.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour rupture abusive
M. [I] soutient avoir subi un préjudice distinct en raison des conditions de la rupture de son contrat de travail du fait du caractère brutal et soudain de son licenciement.
Il résulte de ces moyens que le salarié poursuit la condamnation de son employeur en réparation d’un préjudice distinct de celui de la perte injustifiée de son emploi et résultant des circonstances ayant entouré le licenciement.
Le salarié peut réclamer la réparation d’un préjudice particulier lié au caractère abusif de la procédure.
Il lui appartient d’établir à cet égard un comportement fautif de l’employeur.
En l’espèce, il ne résulte pas des pièces versées et des moyens débattus des éléments établissant des circonstances particulières de mise en oeuvre de la procédure de licenciement de manière brutale ou vexatoire caractérisant l’abus de droit de l’employeur.
La demande d’indemnité présentée à ce titre ne peut par conséquent être accueillie.
Pour ces motifs, le jugement entrepris qui a débouté M. [I] sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de réparation d’un préjudice moral
M. [I] soutient que le comportement de la société l’a fortement affecté.
Il n’explicite pas d’avantage sa demande, n’expose pas de faits précis, n’allègue ni ne démontre un préjudice distinct de celui déjà réparé par l’allocation d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour ces motifs, il convient de confirmer le jugement entrepris qui l’a débouté de cette demande.
Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect par l’employeur de ses obligations en matière de portabilité de la mutuelle
Le salarié expose avoir découvert au mois de mai 2019 qu’il ne bénéficiait plus de la mutuelle obligatoire en dépit des dispositions instaurant une portabilité des droits. Il soutient que l’employeur n’a pas respecté ses obligations pour qu’il bénéficie de manière effective de la portabilité et qu’il a été contraint de reporter des soins médicaux.
La société rappelle que le certificat de travail mentionne la portabilité de la couverture complémentaire santé et de la garantie prévoyance conformément à l’article L.911-8 du code de la sécurité sociale pendant une période de douze mois et soutient qu’elle a respecté ses obligations, la difficulté soulevée relevant d’un problème entre l’organisme (MSA) et le salarié.
Sur ce,
M. [I] verse aux débats un courrier émanant de la MSA en date du 14 mai 2019 l’informant que l’assurance complémentaire frais de santé dont il a bénéficié du fait de son activité au sein de la société intimée a expiré le 31 janvier précédent en raison de la rupture de son contrat de travail. Il produit également les justificatifs d’un remboursement d’un indu auquel il a été contraint de procéder auprès de l’organisme concerné suite à la résiliation du contrat d’assurance ‘complémentaire frais de soins’ le 31 janvier 2019.
M. [I] justifie ainsi qu’il n’a pas bénéficié du dispositif légal lui permettant de conserver à titre individuel le bénéfice de la complémentaire frais de santé dont il disposait en tant qu’actif sans pour autant qu’il entre dans un des cas d’exclusion.
Aux termes de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1989, dite loi Évin, le contrat collectif conclu entre l’employeur et l’organisme de prévoyance doit prévoir une clause permettant aux anciens salariés de l’entreprise de conserver le bénéfice de la couverture complémentaire santé dont ils bénéficiaient en tant qu’actifs, dans le cadre de ce contrat.
Le contrat entre l’employeur et l’organisme de prévoyance doit prévoir notamment les modalités et les tarifs du maintien de la couverture frais de santé (sans condition de période probatoire, ni examens ou questionnaires médicaux).
A cet égard, l’employeur doit assurer de l’existence d’une telle clause dans le contrat collectif conclu avec l’organisme assureur.
Or, si le certificat de travail mentionne le principe de la portabilité des droits, la société, qui ne verse pas le contrat collectif ne justifie pas de l’insertion d’une telle clause et ne justifie pas avoir satisfait à son obligation d’information envers le salarié sur la nature, l’étendue, la mise en oeuvre de la portabilité ou le point de départ de ses droits.
Le préjudice subi par le salarié, résultant de la perte de chance de bénéficier du maintien des garanties, sera suffisamment réparé à hauteur de la somme précisée au dispositif de l’arrêt.
Sur la remise des documents de fin de contrat
Il convient d’ordonner à la société Champignonnières de [Localité 4] de remettre au salarié les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions de première instance sur les frais irrépétibles seront confirmées.
Succombant en cause d’appel, la société Champignonnières de [Localité 4] sera condamnée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à payer à M. [I] une somme que l’équité commande de fixer à 1500 euros pour la procédure d’appel.
Partie perdante, la société Champignonnières de [Localité 4] sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire en dernier ressort
Confirme le jugement rendu le 27 avril 2021 par le conseil de prud’hommes de Soissons sauf
– en ce qu’il a dit que le licenciement repose sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse,
– en ce qu’il a débouté M. [B] [I] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts en raison de la non portabilité de la mutuelle,
– en ce qu’il a condamné la société Champignonnières de [Localité 4] à une indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;
L’infirme de ces chefs,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant
Dit que le licenciement de M. [B] [I] prononcé par la société Champignonnières de [Localité 4] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Champignonnières de [Localité 4] à payer à M. [B] [I] les sommes suivantes :
– 10 648,75 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l’absence de portabilité des droits au titre de la complémentaire frais de santé,
– 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;
Ordonne d’office à la société Champignonnières de [Localité 4] de rembourser à l’antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à M. [B] [I] depuis son licenciement dans la limite d’un mois de prestations ;
Ordonne à la société Champignonnières de [Localité 4] de remettre au salarié les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision ;
Déboute M. [B] [I] de sa demande d’indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;
Déboute M. [B] [I] de sa demande tendant à écarter le plafond d’indemnisation instauré par les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent arrêt ;
Condamne la société Champignonnières de [Localité 4] aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.