Retenues sur salaire : 24 mai 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/08002

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Retenues sur salaire : 24 mai 2023 Cour d’appel de Montpellier RG n° 19/08002

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 24 MAI 2023

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 19/08002 – N° Portalis DBVK-V-B7D-ON2R

Décision déférée à la Cour :

Arrêt du 04 NOVEMBRE 2019

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE SETE N° RG F18/00114

APPELANT :

Monsieur [M] [N]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représenté par Me Marie josé GARCIA, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

SASU SAMAT SUD

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Philippe GARCIA de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Yves TALLENDIER avocat et Me Virginie SAUVAT BOURLAND avocat de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de MARSEILLE

Ordonnance de clôture du 07 Mars 2023

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 MARS 2023,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, chargé du rapport et par Monsieur FOURNIE Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

Madame Caroline CHICLET, Conseillère

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

– contradictoire;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE :

[M] [N] a été engagé par la Sasu Samat Sud, en son établissement secondaire de [Localité 6], à compter du 28 mars 2011, en qualité de conducteur routier, groupe 7, coefficient 150M, par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à raison de 186 heures mensuelles.

Par décision notifiée le 18 mars 2016, le salarié a été reconnu travailleur handicapé à la suite d’un accident du travail.

Le 19 octobre 2017, le salarié a été élu délégué du personnel suppléant puis est devenu délégué du personnel titulaire à compter du 21 août 2018.

Estimant avoir été discriminé par son employeur, il a saisi le défenseur des droits le 12 avril 2018 en faisant grief à son employeur d’avoir installé un siège ergonomique adapté à son handicap sur ‘un vieux camion accidenté’ et de lui avoir imposé la prise de jours de repos compensateurs équivalents.

Le 13 juillet 2018, il a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure son employeur de lui régler ses jours de repos compensateurs de remplacement et congés payés non pris en lui proposant un règlement amiable du litige.

Le 4 septembre 2018, M. [S], directeur de l’agence Samat Sud [Localité 6], a notifié au salarié son refus de régler les sommes sollicitées à l’exception d’une erreur qu’il s’est engagé à régulariser.

Le 24 janvier 2019, le salarié a été désigné représentant de la section syndicale de l’Union Solidaire Transports au sein de l’établissement Samat Sud [Localité 6]. L’employeur a contesté cette désignation devant le tribunal d’instance de Martigues pour ensuite s’en désister

Par courrier du 25 avril 2019, l’employeur a informé le salarié qu’il lui était interdit d’exercer ses prérogatives de représentant de section syndicale et notamment de distribuer des tracts sur le site de [Localité 3] dépendant du siège social de la société à Porter sur Garonne.

A compter du 6 mai 2019, l’employeur a interdit au salarié l’accès au site de [Localité 3] qui était son lieu initial de prise de poste.

Estimant avoir été discriminé tant au titre de son mandat syndical que de son handicap et réclamant diverses sommes salariales et indemnitaires, le salarié a saisi, le 10 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de Sète lequel, par jugement du 4 novembre 2019, a débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes, débouté la société de sa demande de condamnation du salarié au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné le salarié aux entiers dépens.

Le 12 décembre 2019, le salarié a régulièrement interjeté appel des chefs de ce jugement.

Le 7 octobre 2020, le salarié a été désigné en qualité de délégué syndical Union Solidaire Transports au sein de l’entreprise Samat Provence.

Vu les conclusions d'[M] [N] remises au greffe le 3 mars 2023 ;

Vu les conclusions de la Sasu Samat Sud [Localité 6] remises au greffe le 1er mars 2013 ;

Vu l’ordonnance du 7 mars 2023 ;

MOTIFS :

I/ Sur la demande au titre des repos compensateurs de remplacement :

Le salarié conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre des repos compensateurs de remplacement et sollicite la somme de 2 540.66 € de rappel de salaire à ce titre outre 254,06 € au titre des congés payés y afférents. Il reproche à l’employeur d’avoir détourné les repos compensateurs de leur finalité en les utilisant pour compléter sa durée contractuelle quand il ne l’atteignait pas et de ne pas avoir respecté les dispositions de l’article D.3171-11 du code du travail en omettant de mentionner, dans le document annexé aux bulletins de paie du salarié, l’ouverture effective de son droit à repos et l’obligation de les prendre dans le délai conventionnel de trois mois.

Il produit aux débats :

– des courriers de réclamation des 5 septembre 2016, 7 avril 2018 et 4 et 13 juillet 2018 par lesquels le salarié demande à son employeur de lui restituer ou régler les heures de repos compensateur de remplacement dont la prise lui a été imposée sans qu’il en ait été informé préalablement, selon le détail suivant:

* 2016 : 36 heures 15 ;

* 2017 : 79 heures 15 ;

* 2018 : 43 heures 30.- un courrier de l’inspection du travail du 16 novembre 2018 laquelle indique au salarié qu’un délai de prévenance de sept jours doit être respecté par l’employeur lorsqu’il prend l’initiative de fixer les dates de repos compensateurs, en l’absence de précision sur ce point dans l’accord collectif applicable,

– ses bulletins de salaire et rapports d’activité indiquant les jours décomptés par l’employeur en repos compensateur de remplacement. Ceux-ci sont indiqués par la mention ‘RCR en heures’.

En réplique, la société fait valoir qu’elle a imposé la prise des jours de repos compensateurs acquis par le salarié au terme d’un délai de trois mois, conformément aux dispositions de l’accord d’entreprise relatif au repos compensateur du site de [Localité 6] du 24 janvier 2011, qu’aucune différence de traitement n’a été appliquée et qu’elle a accepté à plusieurs reprises de régler ces jours de repos compensateurs de remplacement au salarié.

En application de l’article L. 3121-33 du code du travail, dans sa version issue de la loi du 8 août 2016, un accord d’entreprise peut prévoir le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires ainsi que des majorations, par un repos compensateur équivalent.

L’article D. 3171-11 du code du travail prévoit qu’à défaut de précision conventionnelle contraire, les salariés sont informés du nombre d’heures de repos compensateur de remplacement portés à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie. Dès que ce nombre atteint sept heures, ce document comporte une mention notifiant l’ouverture du droit à repos et l’obligation de le prendre dans un délai maximum de deux mois après son ouverture.

L’accord d’entreprise relatif au repos compensateur de remplacement au sein de l’établissement de [Localité 6] du 24 janvier 2011 dispose que :

‘Les heures de travail ou équivalentes effectuées dans le mois au delà de 208 heures de service ne sont pas rémunérées dans le mois mais converties en droit à repos compensateur de remplacement.

La conversion se fait sur la base des heures majorées (1 heure supplémentaire à 150% donnant droit à 1 heure 30 minutes de repos compensateur) ou d’heures non majorées, selon la nature des heures ainsi traitées.

Les salariés sont régulièrement informés, par le biais d’une annexe au bulletin de paie du nombre d’heures acquises au titre du repos compensateur. Lorsque ce nombre atteint 7 heures, le salarié a droit de prendre son repos.

Le salarié doit utiliser ce droit dans les 3 mois qui suivent l’acquisition. Les demandes de prise de repos seront effectuées en concertation avec l’exploitation en prenant en compte les périodes de baisse d’activité.

A défaut de prise des repos compensateurs de remplacement dans les 3 mois suivant leur acquisition, la Direction les fera prendre à son initiative’.

L’employeur était fondé, en vertu des dispositions conventionnelles précitées, à imposer au salarié la prise des jours de repos compensateurs de remplacement non pris dans un délai de trois mois suivant leur acquisition.

Il résulte des bulletins de paie versés aux débats que l’employeur a respecté le délai de trois mois précité avant d’imposer la prise des jours de repos compensateurs de remplacement.

En outre, le salarié, qui a bénéficié de ses jours de repos compensateurs, ne peut en solliciter le paiement. S’il aurait pu être indemnisé à défaut d’avoir été suffisamment informé sur ses droits au titre des repos compensateurs, il ne formule aucune demande de dommages et intérêts à ce titre.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes sur ce point.

II/ Sur les demandes au titre de la discrimination :

En application de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération et d’affectation, en raison de ses activités syndicales ou de son handicap.

A ce titre, il résulte de l’article L. 1134-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, que lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions précitées, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et, au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le salarié forme des demandes d’indemnisation distinctes au titre, d’une part, de la discrimination syndicale (A) de la discrimination en raison de son handicap (B) et de la discrimination salariale dont il aurait fait l’objet (C).

A) Sur la discrimination syndicale :

Le salarié conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de la discrimination syndicale et demande à la cour de faire droit à sa prétention indemnitaire de 10.000 € en visant les agissements suivants :

– le changement de son lieu de prise de poste de [Localité 3] (34) à [Localité 6] (13) alors qu’il demeure à [Localité 7] (34) en raison de son activité syndicale pendant quatre mois du 8 mai au 2 septembre 2019, l’ayant contraint à engager des frais de transport et à subir un trajet de 2h30 au lieu de 15mn précédemment pour se rendre à [Localité 6] ;

– l’interdiction de distribuer des tracts au siège social de la société à [Localité 5] au motif que ses prérogatives en tant que représentant de section syndicale ne pouvaient être exercées qu’au sein de l’établissement secondaire de [Localité 6] où il avait été désigné ;

– la contestation par l’employeur de sa désignation en tant que représentant de section syndicale du syndicat Union Solidaires Transports sur le site de [Localité 6].

Au soutien de ses allégations, il verse aux débats :

– un courrier du 20 avril 2019 du responsable Samat Sud [Localité 8] au directeur de l’établissement de [Localité 6] demandant à ce que le salarié cesse de stationner son véhicule sur le parc automobile de [Localité 3] à compter du 24 avril 2019. Ce courrier indique que le salarié a été vu, après visionnage des caméras de vidéo-surveillance, distribuer des tracts d’appel à la grève les 29 mars 2019 et le 20 avril 2019 sur le site de [Localité 3] ;

– un courrier du 25 avril 2019 adressé par le directeur de l’établissement de [Localité 6] au salarié lui interdisant d’exercer ses prérogatives de représentant de section syndicale et notamment de distribuer des tracts d’appel à la grève sur le site de [Localité 8] indiquant qu’il s’agit d’un établissement distinct de celui de [Localité 6] où il a été désigné. Ce courrier ajoute que les affichages et distributions sauvages à 5 heures du matin dans les casiers des conducteurs (qui ne sont pas ceux de son électorat) son interdites et précise que l’affichage d’un tract ne peut se faire qu’après remise d’un exemplaire à la direction et uniquement en main propre aux salariés aux heures de prises et fin de service ;

– un courriel du 26 avril 2019 adressé par M. [S] au salarié lui proposant de se garer pour le weekend du 27 et 28 avril à [Localité 7] pour éviter des tensions avec Samat Sud [Localité 8] et de prendre en charge les frais de taxi pour qu’il puisse récupérer son véhicule à [Localité 3] ;

– des billets de train pour un trajet datant du 6 mai 2019 (départ à 5h14 à [Localité 7] et arrivée à 7h43 à [Localité 6]) pour un montant de 29,40€ ;

– un courrier du 7 mai 2019 adressé par M. [S] au salarié lui indiquant ne pas avoir trouvé de solution durable de stationnement et lui demandant de se garer à [Localité 7] pour le weekend ;

– un courrier de l’inspection du travail du 7 mai 2019 informant le salarié, suite à son signalement, qu’il avait été enjoint à l’employeur de le réaffecter sur son lieu de prise de poste initial. Ce courrier indique que le déplacement du lieu de prise de poste, de [Localité 3] à [Localité 6], qui a eu lieu sans l’accord du salarié, le premier jour de la grève à laquelle il a participé, alors que les missions confiées n’ont pas été modifiées, n’est pas justifié par la tâche à accomplir et proportionné au but recherché ;

– un courrier de l’inspection du travail du 13 juin 2019 indiquant que l’infraction de discrimination syndicale est constituée dès lors que l’interdiction faite au salarié de se garer à [Localité 3] est directement liée à l’exercice de son mandat, que la société n’a pas mis fin à cette mesure discriminatoire malgré un courrier de rappel à la loi du 7 mai 2019 et que cette mesure a eu des répercussions importantes sur la vie privée du salarié.

– un courrier du 20 août 2019 adressé par l’employeur au salarié lui indiquant qu’à compter du 2 septembre 2019, il devra stationner sur le parking de la société Frankis Karam à [Localité 3].

Ces éléments de fait, pris dans leur ensemble, laissent supposer une situation de discrimination syndicale dès lors que la modification du lieu de prise de poste du salarié de [Localité 3] à [Localité 6] et l’interdiction de distribution de tracts étaient en relation directe avec son activité syndicale ainsi que cela résulte des motifs explicites contenus dans les courriers précités de l’employeur.

Il appartient dès lors à la société de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

L’employeur soutient que la décision de modifier le lieu de prise de poste du salarié a été prise en raison des tensions entre ce dernier et le responsable du dépôt de [Localité 3] qui lui reprochait d’avoir refusé de laisser les clés de son véhicule en stationnement et d’avoir distribué des tracts sur ce site. Il ajoute qu’un tel changement ne constituait pas une modification du contrat de travail du salarié ; que ses frais de déplacement avaient été pris en charge et qu’une solution de stationnement avait été proposée au salarié à compter du 2 septembre 2019. Il produit aux débats des courriels transmis par le responsable du dépôt de [Localité 3] au directeur de l’établissement de [Localité 6] rapportant le refus par le salarié de laisser les clés de son véhicule, empêchant de le déplacer en son absence.

Les courriels adressés à l’employeur par le responsable du site de [Localité 3], qui ne sont corroborés par aucun élément, sont insuffisants à démontrer une violation par le salarié des consignes de sécurité. L’employeur ne démontre pas avoir informé le salarié de son obligation de laisser les clés de son véhicule en stationnement et ce dernier n’a fait l’objet d’aucun avertissement ni sanction à ce titre.

De même, l’interdiction faite au salarié de distribuer des tracts au dépôt de [Localité 3] était injustifiée dès lors que celle-ci avait eu lieu, conformément aux dispositions de l’article L.2142-4 du code du travail, dans l’enceinte de la société (au sein du dépôt de [Localité 3]), aux heures d’entrée du travail (à 5 heure du matin), à destination des travailleurs de la société Samat Sud, sans qu’aucun trouble à l’exécution normale du travail des conducteurs n’ait été constatée.

La circonstance que le changement de prise de poste n’ait pas eu pour effet de modifier le contrat n’est pas de nature à renverser la présomption de discrimination.

Il ressort des éléments produits que l’employeur échoue à justifier par des raisons objectives étrangères à toute discrimination syndicale le changement du lieu de prise de poste du salarié à plus de 2h30 de son domicile et l’interdiction de distribuer des tracts au dépôt de [Localité 3].

La cour retiendra en conséquence qu'[M] [N] a subi une discrimination syndicale.

Au regard de la période de quatre mois au cours de laquelle les faits de discrimination syndicale sont retenus, des frais de transport engagés par le salarié subséquemment à cette discrimination et de l’allongement de ses temps de trajet ayant impacté sa vie personnelle, il convient de lui allouer une somme de 10.000€ en réparation du préjudice subi.

Le salarié sollicite également la somme de 6.000€ à titre de dommages-intérêts pour modification déloyale de son contrat de travail entre le 8 mai et le 2 septembre 2019.

Le salarié ne justifiant pas d’un préjudice distinct et non déjà indemnisé par la somme allouée ci-avant, il y a lieu de le débouter de cette demande.

B) Sur la discrimination liée au handicap :

Le salarié, reconnu en qualité de travailleur handicapé le 18 mars 2016, conclut à l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande d’indemnisation au titre de la discrimination liée à son handicap. Il sollicite la somme de 5.000€ à titre de dommages et intérêts de ce chef.

Pour faire juger qu’il a été victime d’une telle discrimination, il vise les agissements suivants :

– des moqueries liées à son handicap, son employeur le dénommant ‘l’handicapé’;

– l’installation en 2016 d’un fauteuil adapté à son handicap sur un véhicule accidenté, sale, ayant plus de 300 000 kilomètres alors que le parc était constitué de plusieurs véhicules neufs.

Au soutien de ses allégations, il verse aux débats :

– la notification de la décision de reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé à compter du 18 mars 2016, celle-ci ayant été renouvelée jusqu’au 30 septembre 2025 ;

– un courrier de mise en demeure du 13 juillet 2018 adressé par le conseil du salarié à l’employeur lui reprochant d’avoir installé un siège adapté au handicap du salarié ‘dans un vieux camion’ et d’employer le terme ‘l’handicapé’ pour le dénommer ;

– deux attestations de M. [B] [T], ancien salarié de la société, qui rapporte avoir entendu M. [S] dénommer le salarié comme étant ‘l’handicapé’ en son absence. Il indique également que le salarié, qui devait bénéficier d’un véhicule neuf en 2016, n’en avait pas bénéficié, le directeur de l’agence ayant décidé d’installer son fauteuil adapté ‘sur un vieux tracteur accidenté et très sale, ayant 400 000km’ ;

– un courriel du 29 juin 2018 du médecin du travail qui remercie l’employeur d’avoir aménagé le siège ergonomique du salarié ;

– un courrier du 29 août 2018 du médecin du travail qui recommande à l’employeur de faire essayer le nouveau véhicule au salarié et de recueillir son avis, de se rapprocher du fournisseur du siège pour vérifier que celui-ci est adaptable à d’autres tracteurs. Il précise que ce siège est, d’après les informations qui lui avaient été transmises, adaptable à d’autres tracteurs.

Pris dans leur ensemble, ces éléments de fait laissent présumer, au sens des dispositions légales précitées, une situation de discrimination liée au handicap.

Dès lors, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

L’employeur conteste avoir employé le terme ‘l’handicapé’ pour désigner le salarié et fait valoir qu’il a respecté les préconisations du médecin du travail en 2016 en installant un siège ergonomique sur le véhicule qui était à l’époque affecté au salarié, qu’il s’est rapproché du médecin du travail en 2018 pour faire suite à sa demande de se voir attribuer un véhicule neuf ; que le siège n’a pas été installé sur un véhicule accidenté ; et qu’un véhicule neuf a finalement été attribué au salarié en octobre 2018.

Il verse aux débats:

– des échanges de courriels avec la médecine du travail concernant l’aménagement du siège de conduite ;

– un courriel du 4 septembre 2018 au sein duquel l’employeur indique à l’inspecteur du travail avoir installé le siège ergonomique du salarié en 2016 sur le véhicule qui était attitré ; avoir depuis cette date investi dans de nouveaux véhicules neufs mais être pour l’instant dans l’impossibilité de lui attribuer ce type de véhicule du fait d’une incompatibilité entre le siège ergonomique du salarié fait sur mesure pour un tracteur Renault de gamme Premium et les nouveaux tracteurs Renault de gamme T. Il ajoute avoir sollicité le médecin du travail afin qu’une étude de poste soit réalisée à ce titre, et être en attente de ses conclusions pour décider de l’attribution d’un véhicule neuf;

– la fiche d’entretien du véhicule affecté au salarié démontrant qu’il a fait l’objet de contrôles de sécurité et préventifs réguliers.

Pour justifier de l’absence d’attribution d’un véhicule neuf au salarié, l’employeur se borne à évoquer une incompatibilité entre son siège ergonomique, fait sur mesure pour le tracteur de Marque Renault gamme premium, et les véhicules neufs, de marque Renault gamme T.

Or, cet argument, qui ne résulte que de ses seules affirmations et n’est corroboré par aucun élément technique, est contredit par le courrier du médecin du travail du 29 août 2018 indiquant qu’il s’agissait au contraire, d’après les informations qui lui avaient été transmises, d’un siège adaptable à d’autres tracteurs. Cet argument est d’autant plus inopérant que le salarié s’est finalement vu attribuer un véhicule neuf en octobre 2018, sans que la moindre incompatibilité entre ce véhicule et le siège ergonomique fabriqué en 2016 n’ait été signalée.

L’employeur se borne également à contester l’existence de moqueries proférées à l’encontre du salarié sans apporter le moindre élément permettant de contredire l’attestation précise de Monsieur [T], ancien salarié de la société, qui rapporte avoir entendu Monsieur [S] désigner [M] [N] comme ‘l’handicapé’.

Il s’ensuit que l’employeur échoue tant à justifier par une raison objective, étrangère au handicap du salarié, de l’absence d’attribution à ce dernier d’un véhicule neuf dès 2016 qu’à contredire le témoignage précis d’un ancien salarié ayant personnellement entendu le directeur de l’agence le stigmatiser en raison de son handicap.

La cour retiendra en conséquence que Monsieur [N] a subi une discrimination liée à son handicap.

Compte tenu du préjudice subi par l’appelant qui a dû continuer à exercer son activité pendant 2 ans dans un camion vétuste (camion avec 300.000 km au compteur et accidenté en 2016) et qui se savait stigmatiser en raison de son handicap, il lui sera alloué la somme de 5000€ à titre de dommages-intérêts et le jugement du conseil de prud’hommes sera infirmé sur ce point.

C) Sur la discrimination salariale :

Sous couvert d’une demande qualifiée de discrimination syndicale, le salarié entend en réalité visé implicitement mais nécessairement le principe d’égalité de traitement selon lequel il n’aurait pas bénéficié de la même rémunération que d’autres salariés placés dans la même situation que lui.

Il soutient en l’espèce être le seul à ne pas avoir pu bénéficier de la monétisation des jours de repos compensateurs non pris et, avoir à ce titre, connu une situation défavorable par rapport à ses collègues de travail. Il sollicite la somme de 5.000€ de dommages et intérêts à ce titre.

Il verse aux débats :

– un courriel adressé à son employeur le 19 août 2016 par lequel il demande le paiement de 12 jours de ‘congés payés’;

– une attestation du 16 avril 2018 établie par M. [X] [W], salarié de la société en qualité de conducteur, qui déclare que M. [S] a fait droit à sa demande de monétisation de certains jours de repos compensateurs.

Ces éléments ne sont pas suffisants pour laisser présumer, au sens des dispositions légales précitées, une inégalité de traitement salariale.

En effet, d’une part, le salarié ne justifie pas avoir demandé la monétisation de ses jours de repos compensateurs dès lors que le mail qu’il produit fait référence à une demande de paiement de jours de congés payés et qu’il ne produit aucun courrier de refus, d’autre part, il compare sa situation à celle d’un seul salarié, M. [W], dont aucun élément ne permet d’établir qu’il se trouvait placé dans la même situation que lui.

Dès lors, il convient de débouter le salarié de sa demande à ce titre.

III/ Sur la demande relative au versement de la prime de 13ème mois :

Le salarié fait grief à l’employeur d’avoir refusé de lui verser une prime de 13ème mois en sa qualité de conducteur routier et d’avoir réservé l’attribution de cette prime aux seuls salariés sédentaires. Il sollicite la somme de 9.812,74€ à titre de rappel de salaire pour rupture d’égalité relative au 13ème mois.

L’employeur soulève une fin de non recevoir sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile en faisant valoir que cette demande n’avait pas été sollicitée en première instance, qu’elle a été présentée pour la première fois en cause d’appel et qu’en conséquence, elle est irrecevable.

En application de l’article 564 code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Cependant, l’article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent et si, en vertu de l’article 566 du code de procédure civile, elles en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l’espèce, aucune demande au titre de la prime de 13ème mois n’avait été formulée par le salarié devant le conseil des prud’hommes.

Cette demande n’est pas née de la survenance ou de la révélation d’un fait et ne tend pas aux mêmes fins ni ne constitue l’accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises au premier juge lesquelles ne concernaient que des demandes de rappels de salaire au titre des repos compensateurs, retenue sur salaire pour faits de grève et congés payés, ainsi que des demandes de dommages et intérêts pour discriminations.

Il s’agit donc d’une demande nouvelle en cause d’appel qui est, en conséquence, irrecevable.

IV/ Sur la retenue sur salaire pour cause de grève :

Le salarié fait grief à l’employeur d’avoir retenu sur son bulletin de paie du mois de mai 2019 deux jours de grève au taux horaire applicable aux heures supplémentaires, alors qu’il aurait dû, selon lui, appliquer le taux horaire de base et il sollicite la somme de 27,15€ à ce titre.

En réplique, l’employeur détaille le calcul de l’abattement effectué à partir de l’horaire mensuel du salarié soit 186 heures, et de sa rémunération mensuelle brute de 2.126,86€.

La retenue opérée sur le salaire pour cause de grève doit être strictement proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail pour ce motif car, à défaut, il s’agit d’une sanction pécuniaire prohibée.

Pour être proportionnel à l’interruption de travail, l’abattement pour fait de grève doit être calculé sur l’horaire mensuel des salariés (et non sur une base journalière même si cela est plus favorable au salarié).

La retenue doit être égale au rapport du salaire mensuel sur le nombre d’heures de travail dans l’entreprise pendant le mois considéré.

En l’espèce, l’employeur détaille précisément le calcul effectué :

‘Base 152h + 34HS = 1.662,12€ + 464,74€ = 2126,86€

2126,86/26 = 81,80€ brut/jour

2 x 81,80 = 163,60″

Il démontre ainsi que l’abattement pour fait de grève d’un montant de 163,60€ est proportionnel à la durée de l’arrêt de travail (deux jours soit 14 heures 30) et a été calculé sur la base de son horaire mensuel.

Il convient donc de le débouter de sa demande à ce titre.

V/ Sur les demandes accessoires :

Compte tenu de la solution apportée au litige, il est équitable de condamner la Sasu Samat Sud aux entiers dépens et à payer à Monsieur [N] la somme de 3.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais engagés en première instance et en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement ;

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Sète du 4 novembre 2019 sauf en ce qu’il a débouté [M] [N] de ses demandes de dommages et intérêts pour discriminations liées à son mandat syndical et à son handicap, de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il l’a condamné aux entiers dépens de l’instance.

Statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés ;

Dit que l’employeur a engagé sa responsabilité envers [M] [N] pour discrimination syndicale et à raison de son handicap ;

Condamne la Sasu Samat Sud à verser à [M] [N] les sommes de :

-10.000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;

– 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination liée au handicap ;

Condamne la Sasu Samat Sud aux entiers dépens de première instance et d’appel et à verser à [M] [N] la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile pour ses frais engagés en première instance et en cause d’appel ;

Dit que les intérêts sur les sommes allouées sont dûs à compter de la réception par le débiteur de la première demande en justice pour les sommes de nature salariale et à compter du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire ;

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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