Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 23 NOVEMBRE 2022
(n° 2022/ , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01941 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBRXF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juillet 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F18/08869
APPELANTS
Madame [U] [T]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Thomas FORMOND, avocat au barreau de PARIS, toque : C2615
Syndicat CNT-SO SYNDICAT DU NETTOYAGE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Thomas FORMOND, avocat au barreau de PARIS, toque : C2615
INTIMÉE
S.A.R.L. LAUREGE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Patrice BACQUEROT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1017
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 octobre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Stéphane THERME conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Le 18 novembre 2016, Mme [T] a été embauchée par la société Laurege dans le cadre d’un contrat à durée déterminée afin de pourvoir au remplacement d’un salarié.
Le 17 janvier 2017, un contrat à durée indéterminée a été signé entre les parties.
La société Laurege compte plus de 11 salariés.
La convention collective des entreprises de propreté était applicable à la relation de travail.
Mme [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 22 novembre 2018 pour demander la requalification du contrat de travail à temps plein, des rappels de salaire et indemnités.
Par jugement du 09 juillet 2019, le conseil de prud’hommes a :
Débouté le demandeur de l’ensemble de ses demandes ainsi que le syndicat CNT SO du nettoyage.
Mme [T] a démissionné par courrier du 17 juillet 2019.
Mme [T] et le syndicat CNT SO du nettoyage ont formé appel par acte du 02 mars 2020 à 16h51, appel partiel, et le même jour à 17h39.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 25 mars 2020, auxquelles la cour fait expressément référence, Mme [T] demande à la cour de :
Infirmer le jugement déféré en l’ensemble de ses dispositions.
Par suite, statuant à nouveau,
Condamner la société Laurege à régler à Mme [T] les sommes suivantes :
-Rappel de salaire novembre 2016 au 27 juillet 2019 : 10 205,07 euros
-Congés payés afférents : 1 020,50 euros
-Dommages et intérêts pour non respect des dispositions conventionnelles : 1 000 euros
-Rappel de salaire janvier 2019 : 50,60 euros
-Congés payés afférents : 5,06 euros
-Remboursement Pass NAVIGO de novembre 2016 au 27 juillet 2019 : 221,20 euros
-Dommages et intérêts pour pratique illicite de l’abattement forfaitaire : 5 000 euros
A titre principal, et sous réserve de l’admission de l’appelante au bénéfice de l’aide juridictionnelle,
Condamner Mme [T] à verser à Maître Thomas Formond la somme de 2 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique sous réserve que Maître Formond renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État au titre de l’aide juridictionnelle,
A titre subsidiaire, en cas de rejet de la demande d’aide juridictionnelle,
Condamner la société Laurege à verser à Mme [T] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonner la remise de bulletins de salaire conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
Ordonner l’intérêt au taux légal à compter de la saisine,
Condamner la partie défenderesse aux entiers dépens.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 25 mars 2020, auxquelles la cour fait expressément référence, le syndicat CNT SO du nettoyage demande à la cour de :
Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté le syndicat CNT-SO de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’atteinte portée aux intérêts de la profession,
Par suite, statuant à nouveau,
Dire et juger le syndicat CNT-SO du nettoyage et des activités annexes recevable et bien fondé,
Condamner la société Laurege à régler au syndicat CNT-SO du nettoyage les sommes suivantes :
– Dommages et intérêts pour atteinte aux intérêts de la profession : 5 000 euros
– Article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros
Ordonner l’intérêt légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,
Condamner également aux entiers dépens.
La jonction des deux affaires a été ordonnée par le magistrat en charge de la mise en état le 18 mars 2021.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 11 mai 2022, auxquelles la cour fait expressément référence, la société Laurege demande à la cour à l’égard du syndicat CNT Solidarité Ouvrière syndicat du nettoyage :
A titre préliminaire,
– Dire et juger que le syndicat CNT SO du nettoyage ne forme pas de demandes déterminées aux regards des deux déclarations d’appel avec des demandes diamétralement opposées,
– En l’état, débouter le syndicat CNT SO du nettoyage de toutes ses prétentions.
Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en date du 9 juillet 2019 qui a intégralement débouté le le syndicat CNT SO du nettoyage de ses demandes et prétentions.
Condamner le syndicat CNT SO du nettoyage à payer à la société Laurege une somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 11 mai 2022, auxquelles la cour fait expressément référence, la société Laurege demande à la cour à l’égard de Mme [T] de :
Débouter Mme [T] de toutes ses demandes et réclamations
En conséquence,
Confirmer la décision entreprise dans toutes ses dispositions.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 07 juin 2022.
MOTIFS
Sur le rappel de salaire au titre du temps partiel
La convention collective des entreprises de propreté prévoit en son article 6.2.4.1 que sauf demande écrite et motivée du salarié, la durée minimale de travail est fixée à 16 heures hebdomadaires.
Mme [T] demande un rappel de salaire, faisant valoir qu’elle n’a pas formé de demande d’une durée de travail inférieure à celle prévue par la convention collective. Elle conteste le document produit par la société Laurege, qui est postérieur au début de son contrat de travail.
La société Laurege explique que la salariée a formé une demande spécifique pour travailler la durée prévue au contrat de travail. Elle produit un document daté du 17 janvier 2017, le jour du contrat de travail à durée indéterminée, signé par Mme [T] dans lequel elle indique souhaiter exercer pour une durée de 5 heures de travail par semaine afin de lui permettre de cumuler plusieurs activités.
Mme [T] ne produit pas d’élément permettant de remettre en cause ce document et, comme le fait valoir l’employeur, elle produit des éléments qui démontrent qu’elle travaillait par ailleurs à temps partiel pour un autre employeur, de sorte qu’elle était en mesure de cumuler des heures de travail conformément à l’article L. 3123-19 du code du travail, quand bien même l’autre société a le même gérant.
Le contrat de travail à durée indéterminée du 17 janvier 2017 prévoit les jours et heures d’activité, chaque mardi et jeudi de 18h à 20h30, de même que le contrat de travail à durée déterminée conclu en remplacement d’un salarié, de sorte que Mme [T] était en mesure de connaître son emploi du temps et ne devait pas demeurer à la disposition de son employeur.
L’avenant au contrat de travail du 7 janvier 2019 conserve les mêmes jours et heures, ne modifiant que le lieu d’exercice.
La demande de rappel de salaire doit être rejetée.
Mme [T] formule une demande de dommages et intérêts pour inexécution de bonne foi du contrat de travail, expliquant que l’employeur n’a pas respecté les dispositions de la convention collective. En l’absence de manquement de l’employeur établi, cette demande doit être rejetée.
Le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur la retenue sur salaire du mois de janvier 2019
Mme [T] demande un rappel de salaire pour la période du 3 au 5 janvier 2019, expliquant que son congé parental avait pris fin et qu’elle avait ainsi repris son activité dès le début du mois. Elle produit son bulletin de salaire, qui mentionne une retenue jusqu’au 5 janvier au titre d’une absence pour congé parental, et une attestation de paiement de la CAF pour le mois de janvier 2019.
La société Laurege conteste sa date de reprise d’activité.
La réponse adressée par l’employeur à la demande de congé parental de Mme [T] lui indique que, compte tenu du point de départ le 15 juillet 2018 et de la durée du congé parental, la date de reprise serait le 15 janvier 2019.
Un autre salarié a été recruté pour remplacer Mme [T] sur son poste, et la société Laurege justifie qu’il a travaillé jusqu’au 5 janvier 2019 inclus.
Il résulte de ces éléments que Mme [T] n’a pas travaillé avant le 6 janvier 2019. Elle doit être déboutée de sa demande.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le remboursement des frais de transport
Mme [T] demande le remboursement de frais de transport prévus par l’article L. 3261-2 du code du travail.
La société Laurege fait valoir que la salariée ne lui a pas adressé de justificatif de dépense, comme cela lui avait été demandé, et qu’elle ne démontre pas en avoir exposé.
Mme [T] produit un tableau qui reprend le coût de l’abonnement, et le montant demandé au prorata du temps partiel, ce qui ne justifie pas de frais qu’elle aurait exposés.
Dans un courrier du 16 novembre 2016 la société Laurege a demandé à Mme [T] d’adresser les justificatifs mensuels de transport pour qu’ils soient pris en compte. L’employeur justifie que lorsque Mme [T] lui a adressé un justificatif, un remboursement a été opéré, au mois de novembre 2016.
Mme [T] doit être déboutée de sa demande.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur l’abattement forfaitaire
Mme [T] fait valoir que son employeur a pratiqué un abattement forfaitaire de manière illégale.
Il résulte de son contrat de travail qu’elle travaillait sur un site unique.
La société Laurege expose que l’abattement forfaitaire a été accepté par la salariée et que le dispositif est valable, par combinaison des différents textes.
Aux termes de l’article L242-1 du code de la sécurité sociale en sa version alors applicable,
‘Il ne peut être opéré sur la rémunération ou le gain des intéressés servant au calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, de déduction au titre de frais professionnels que dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel. Il ne pourra également être procédé à des déductions au titre de frais d’atelier que dans les conditions et limites fixées par arrêté ministériel’.
Aux termes de l’article R242-1 du même code, ‘Des arrêtés conjoints du ministre chargé de la sécurité sociale, du ministre chargé de l’agriculture, et du ministre chargé du budget déterminent les conditions et limites dans lesquelles la rémunération peut faire l’objet d’un abattement pour frais professionnels’.
L’article 9 de l’ arrêté du 20 décembre 2002, relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l’article 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005, n’ouvre la possibilité de bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels qu’aux professions énumérées à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts, lequel ne vise pas nommément les ouvriers de nettoyage de locaux.
Il est constant que depuis une réponse ministérielle du 18 mai 1972, la doctrine fiscale assimile ces ouvriers aux ouvriers du bâtiment expressément visés par le texte. En outre, dans une lettre circulaire ministérielle du 8 novembre 2012, il a été demandé aux contrôleurs des Urssaf et des Caisses générales de sécurité sociale de ne plus retenir cette condition ‘multisites’ pour les entreprises du secteur de la propreté, cette lettre circulaire ayant ‘en contrepartie’, abaissé la déduction forfaitaire dans le secteur de la propreté dont le taux était de 10 % par analogie avec le bâtiment au taux de 9 % pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2013, puis au taux de 8 % pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2014.
L’article 1 de l’arrêté du 20 décembre 2002 indique que les frais professionnels à prendre en compte sont constitués de charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l’emploi, supportées par le salarié.
Outre, qu’une lettre circulaire est dépourvue de toute valeur normative, il résulte de ces éléments que Mme [T], en sa qualité d’ouvrière de nettoyage n’exerçant habituellement que sur un site n’avait pas vocation à se voir appliquer de déduction forfaitaire.
Si les organismes sont tenus de prendre en compte les circulaires ou instructions du ministre chargé de la sécurité sociale dans leurs demandes de rectification, ou à l’occasion de leurs contrôles, cela n’a pas pour conséquence la validité de l’abattement dans les rapports entre l’employeur et le salarié.
Dès lors, l’abattement imposé à la salariée est injustifié.
La société Laurege soutient que Mme [T] a bénéficié de cet abattement et qu’elle ne justifie pas de son préjudice ; l’abattement pratiqué n’en a pas moins entraîné une diminution structurelle des droits sociaux de la salariée, non compensée par la diminution conjoncturelle de ses cotisations sociales, ce qui cause à la salariée un préjudice certain dont il lui est dû réparation.
Au regard du temps partiel exercé et en l’absence de démonstration d’un préjudice plus important, la société Laurege sera condamnée à verser à Mme [T] une somme de 200 euros en réparation de son préjudice.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l’action du syndicat
La société Laurege expose en premier lieu que l’appel du syndicat CNT SO du nettoyage syndicat est indéterminé, la deuxième déclaration d’appel ne faisant pas mention de la demande dont il a été débouté.
Le premier acte d’appel formé indique bien que le le syndicat CNT SO du nettoyage forme appel du rejet de la demande de dommages et intérêts qu’il avait faite, de sorte que son appel est déterminé.
Aux termes de l’article L2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.
Ils peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
En l’espèce, l’application irrégulière de la déduction forfaitaire spécifique porte un préjudice à l’intérêt de la profession du nettoyage en raison de la minoration des droits sociaux des salariés.
Dès lors, la société Laurege sera condamnée à verser au syndicat CNT-SO du nettoyage une somme de 200 euros en réparation de son préjudice.
Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
Sur les intérêts
L’intérêt au taux légal est dû à compter de la présente décision.
Sur la remise des documents
En l’absence de décision modifiant les éléments de rémunération ou d’emploi de la salariée, il n’y a pas lieu d’ordonner la remise de documents.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le sort réservé aux demandes justifie que chaque partie supporte les dépens qu’elle a exposés et qu’aucune somme ne soit allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement du conseil de prud’hommes, sauf en ce qu’il a débouté Mme [T] et le syndicat de leur demande d’indemnité pour l’abattement forfaitaire,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
CONDAMNE la société Laurege à payer à Mme [T] la somme de 200 euros en réparation en réparation du préjudice résultant de l’application irrégulière de la déduction forfaitaire spécifique,
CONDAMNE la société Laurege à payer au syndicat CNT SO du nettoyage la somme de 200 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif du fait de l’application irrégulière de la déduction forfaitaire spécifique,
DIT que ces sommes portent intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
LAISSE à chaque partie la charge des dépens qu’elle a exposés,
DÉBOUTE les parties et conseils de leurs demandes au titre des frais irrépétibles.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE