Retenues sur salaire : 23 juin 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/00114

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Retenues sur salaire : 23 juin 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/00114

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 JUIN 2022

N° RG 19/00114

N° Portalis DBV3-V-B7D-S4PL

AFFAIRE :

[O] [W]

C/

SASU PREMYS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 décembre 2018 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de RAMBOUILLET

Section : E

N° RG : F 17/00232

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Florence MERCADE-CHOQUET

Me Sophie ETCHEGOYEN

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [O] [W]

né le 4 janvier 1974 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par : Me Sophie ETCHEGOYEN de la SELEURL SOLAW – Société d’Avocats, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: D1227

APPELANT

****************

SASU PREMYS

N° SIRET : 323 592 881

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par : Me Florence MERCADE-CHOQUET de la SELARL LMC PARTENAIRES, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 220, substituée par Me CURIS Laure-Anne, avocate au barreau de Versailles.

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 mai 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle Vendryes, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,

Greffier lors de la mise à disposition: Mme Dorothée MARCINEK

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Genier Deforge , filiale du groupe Colas, est spécialisée dans le secteur d’activité de la déconstruction d’habitation, de la démolition de bâtiments industriels et du traitement de l’amiante. Elle emploie environ 250 salariés.

Le 2 mai 2018, la société Genier Deforge a été absorbée, par transmission universelle de patrimoine, par la société Brunel Démolition. A la même date, la société Brunel Démolition a fait l’objet d’un changement de dénomination sociale et se nomme désormais société Premys.

La convention collective nationale applicable est celle des cadres du bâtiment du 1er juin 2004.

M. [O] [W], né le 4 janvier 1974, a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée par la société Colas Ile de France Normandie le 1er novembre 1999 en qualité d’ingénieur travaux.

A compter du 1er janvier 2004, le contrat de travail de M. [W] a été transféré au sein de la filiale du groupe Colas, la société Genier Deforge. A cette occasion, M. [W] a été promu chef d’exploitation.

Le 1er avril 2009, M. [W] a été promu au poste de chef de centre. A compter de septembre 2009, M. [W] a été chargé du développement de l’établissement secondaire, situé à [Localité 8].

Dans le cadre de ses fonctions, M. [W] disposait d’un pouvoir de représentation et d’engagement de la société.

Le 28 septembre 2016, M. [W] s’est vu remettre un courrier de convocation à un entretien préalable qui s’est déroulé le 6 octobre 2016. Cette convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 14 octobre 2016, la société Premys a notifié à M. [W] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

« ‘vous avez sollicité à plusieurs reprises les représentants de la DRH pour négocier votre départ dans le cadre d’une rupture conventionnelle, notamment [S] [F] Responsable Ressources Humaines ainsi qu'[R] [G] Directeur des Ressources Humaines lors de la réunion des Chefs d’Ets de mai 2016. Vous avez largement communiqué en interne, tant auprès de vos équipes que de vos homologues, sur votre décision de quitter votre poste et le Groupe Colas peu importe si aucune solution de mobilité ne pouvait être envisagée. Depuis, votre implication à votre poste s’en est largement ressentie: perte d’adhésion, absence de management, carence dans l’accomplissement des tâches, manque de rigueur allant jusqu’aux constats de graves manquements et défaillances qui vous ont été explicitées lors de l’entretien du 6 octobre 2016.(‘)

Au cours de la 2ème quinzaine du mois de septembre, nous avons constaté de graves dysfonctionnements et carences dans l’exécution, le suivi, la traçabilité et le respect des règlements de l’activité de travaux de désamiantage de l’agence placée sous votre direction et responsabilité.

Il ressort que vous n’avez pas veillé au strict respect des lois, règlements et normes en matière de travaux de désamiantage et ne vous êtes pas conformé au mode d’organisation général de l’activité déconstruction-désamiantage.

Or vous n’êtes pas sans ignorer la sensibilité qui entoure, compte tenu de sa dangerosité, le sujet de l’amiante lequel est strictement encadré tant par le Code de la santé publique, le Code de l’environnement et le Code du travail.

La certification obligatoire de l’entreprise pour justifier de sa capacité à réaliser les travaux de retrait d’amiante vient encore renforcer ce cadre.

Il vous appartient de veiller personnellement à la stricte application par vos subordonnés des prescriptions légales et réglementaires destinées à assurer la sécurité du personnel, de ne commettre ni imprudence ni négligence ni manquement à toute obligation de prudence ou de sécurité imposée par la Loi ou les règlements.

Or, nous avons constaté :

Sur le suivi du processus.

Le retour d’expérience concernant le suivi des processus (chantier test/validation) et la traçabilité des résultats d’analyse sur chantier n’est plus du tout fait depuis début juillet 2016. Les informations constituant le retour d’expérience de chaque processus (avis médecin du travail/CHSCT, stratégie d’échantillonnage, mesure d’empoussièrement, et rapport final du laboratoire) ne sont pas actualisées.

Nous ne nous expliquons pas les raisons de l’abandon total depuis plusieurs mois de la traçabilité des résultats d’analyse.

Sur le suivi des CAP/BSDA.

Le tableau récapitulatif des Certificats d’Acceptation Préalable(CAP) et Bordereaux de Suivi de Déchets Amiantés (BSDA) n’est plus à jour depuis juillet 2016.

Les documents sont empilés sur les bureaux et ne sont pas présents dans le dossier dès le démarrage du chantier alors que les CAP devraient obligatoirement y être.

Sur le suivi du matériel amiante.

Les documents de suivi (tableaux, fiche de vie du matériel..) ne sont pas à jour.

Certains matériels et équipements de protection individuelle (masques de ventilation assistée, masques d’adduction d’air, matériels ….) ne sont pas vérifiés (date de contrôle dépassée) ou arrivent très prochainement à échéance sans rendez-vous de visite fixé.

A titre d’exemple, les Appareils de Protection Respiratoire (APR) de Mrs [Y], [D], [H], [T] ont dépassé de plusieurs mois la date limite pour le contrôle annuel.

Sur le contenu des fiches d’exposition.

Les fiches d’exposition des chantiers de l’année 2016 sont à établir (ou à corriger pour les rares fiches établies).

Pour l’année 2015, les obligations réglementaires ne sont pas remplies. Les fiches ne sont pas complétées et n’ont pas été adressées au Médecin du travail qui assure le suivi des salariés concernés.

Il y manque les empoussièrements mesurés en zone.

A titre d’exemple, la fiche d’exposition pour l’année 2015 pour M [E] n’est pas complétée s’agissant des empoussièrements mesurés. C’est le cas également pour Mrs [C], [B], [X]..,

Sur la traçabilité et l’archivage des documents.

Les quatre dossiers de travaux terminés que nous avons consultés sont incomplets et ne peuvent être archivés (- Crèche Bon Secours, Batiment Corvesy, Tours Germinal, Arcelor- ) alors que les dossiers doivent être conservés 50 ans.

Les dossiers archivés (PV de consignation, contrôle électrique de l’installation…) présentent des documents non contrôlés ou l’absence de document obligatoire.

Enfin les documents sont stockés en l’état et sans classeur avec le plan de retrait amiante sur les bureaux des conducteurs de travaux qui ne prennent pas le temps nécessaire pour les traiter. Il est impératif et urgent de reprendre l’ensemble des dossiers de l’année 2016 (soit près de 120 dossiers à ce jour) ‘ »

Par requête reçue au greffe le 28 mars 2017, M. [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Rambouillet aux fins de contester son licenciement et voir condamner la société Genier Deforge aux droits de laquelle vient la société Premys au versement de diverses sommes.

Par jugement rendu le 10 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de Rambouillet, section encadrement a :

– dit et jugé que le licenciement de M. [W] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– condamné la société Premys, venant aux droits de la SAS Genier Deforge à verser à M. [W] les sommes suivantes :

‘ 49 649,98 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

‘ 25 142,70 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, y compris les congés payés afférents,

‘ 6 325 euros à titre de prime de treizième mois pour l’année 2016, y compris les congés payés afférents,

‘ 575 euros à titre de rappel de salaire pour les journées des 28 et 29 septembre 2016, y compris les congés payés afférents,

– ordonné l’exécution provisoire sur le fondement de l’article R 1454-28 du code du travail en ce qui concerne les salaires et accessoires de salaire, la moyenne mensuelle des salaires s’élevant à 7 619 euros,

– condamné en outre la société Premys, venant aux droits de la SAS Genier Deforge à verser à M. [W] la somme de :

‘ 1 200 euros à titre d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties ;

– condamné la société Premys, venant aux droits de la SAS Genier Deforge aux dépens y compris les éventuels frais d’exécution du présent jugement.

M. [W] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 10 janvier 2019.

Par conclusions adressées par voie électronique le 26 aout 2021, M. [W] demande à la cour de : – infirmer le jugement rendu le 10 décembre 2018 par le conseil de prud’hommes de Rambouillet en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave de M. [W] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

Et statuant à nouveau,

– dire et juger qu’aucune faute ne peut être reprochée à M. [W] de nature à justifier la rupture de son contrat de travail,

– dire et juger que la rupture du contrat de travail de M. [W] à l’initiative de la société Genier-Deforge est dépourvue de cause réelle et sérieuse,

– fixer le salaire de référence de M. [W] à la somme de 9 808 euros,

En conséquence,

– condamner la société Genier-Deforge à verser les sommes suivantes au profit de M. [W] :

‘ 5 750 euros à titre de prime de treizième mois pour l’année 2016,

‘ 575 euros au titre des congés payés afférents,

‘ 13 750 euros à titre de prime pour l’année 2016,

‘ 1 375 euros au titre des congés payés afférents,

‘ 522,73 euros à titre de rappel de salaire pour le travail fourni le 28 et le 29 septembre 2016,

‘ 52,27 euros à titre de congés payés y afférents,

‘ 58 848 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

‘ 235 404 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

‘ 117 702 euros à titre d’indemnité pour licenciement brutal et vexatoire,

‘ 29 425,50 euros à titre d’indemnité de préavis

‘ 2 942,55 euros à titre de congés payés y afférents,

‘ 49 649,98 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

‘ 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– assortir les condamnations qui seront prononcées des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil, soit le 28 mars 2017,

– condamner la société Genier-Deforge aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais éventuels d’exécution.

Par conclusions adressées par voie électronique le 28 mai 2021, la société Premys, venant aux droits de la société Genier Deforge demande à la cour de :

A titre principal :

– juger qu’elle n’est pas saisie par l’appel de M. [W] , les conclusions d’appelant ne déterminant pas, dans leur dispositif, l’objet du litige porté devant la cour,

A titre subsidiaire :

* Sur le licenciement

– infirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Rambouillet en date du 10 décembre 2018 en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [W] n’était pas fondé sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse

Et en conséquence

– dire le licenciement de M. [W] fondé sur une faute grave

– débouter M. [W] de ses demandes relatives à une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement

– confirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Rambouillet en date du 10 décembre 2018 en ce qu’il a débouté M. [W] de ses demandes d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’indemnité pour licenciement brutal et vexatoire

* Sur l’exécution du contrat

– infirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Rambouillet en date du 10 décembre 2018 en ce qu’il a dit bien fondées les demandes de M. [W] au titre de la prime de 13ème mois et du rappel de salaire pour les journées des 28 et 29 septembre 2016

Et en conséquence

– débouter M. [W] de ses demandes à ce titre

– confirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Rambouillet en date du 10 décembre 2018 en ce qu’il a débouté M. [W] de ses demandes de dommages et intérêts pour travail dissimulé et de prime pour l’année 2016

En tout état de cause :

– débouter M. [W] de l’ensemble de ses demandes

– condamner M. [W] aux dépens ainsi qu’à verser à la société Premys la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Par ordonnance rendue le 20 avril 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 10 mai 2022.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

– sur la rupture

Aux termes de la lettre de licenciement du 14 octobre 2016 qui fixe les limites du litige, l’employeur fait grief à M. [W] d’un manque d’implication à son poste de responsable de chef d’agence GESUD à [Localité 8] (13) soit son irrespect des règlements et normes en matière de travaux de désamiantage et son défaut de conformité aux modes d’organisation générale de l’activité déconstruction’désamiantage, la société explicitant que le salarié disposait en qualité de chef de centre d’une délégation de pouvoirs étendus dans ce domaine.

Les griefs opposés seront examinés successivement :

– s’agissant du suivi des processus (chantier test/validation) et la traçabilité des résultats d’analyses sur chantier, la société retient que le retour d’expérience concernant ce suivi et la traçabilité des résultats d’analyse ne sont plus opérés depuis juillet 2016 sans explicitation sur les raisons de l’abandon total depuis plusieurs mois d’une telle traçabilité. Elle précise que ce processus doit faire l’objet d’un retour d’expérience avec notamment des mesures d’empoussièrement régulières sur un chantier test puis sur trois autres chantiers dans les 12 mois suivants et que le tableau de suivi des processus imprimé début octobre 2016 permet de constater qu’aucun renseignement n’a été porté pour les mois d’août et septembre 2016 et seulement quelques-uns pour le mois de juillet 2016 ce, alors même que l’activité a été soutenue sur la période s’étendant de juin à septembre 2016. Elle vise que les arrêts maladie à compter de juin 2016 de l’assistant en charge de la mise à jour des tableaux ne peut expliquer une telle carence

M. [W] fait ici observer que ce reproche est mal fondé alors que les textes ( notamment les articles R4412-99 et R 4121-2 du code du travail ) imposent une mise à jour soit annuelle soit à chaque modification de processus entraînant un changement de niveau d’empoussièrement ou lors de l’introduction de nouveaux processus . Sur ce point, la société Premys fait observer que s’il est exact que le document unique d’évaluation des risques ne doit être mis à jour qu’une fois par an sauf modification d’un processus, le suivi du niveau d’empoussièrement de chaque processus amiante doit être effectué au minimum quatre fois par an.

Le salarié ajoute que les analyses exigées en méta-opérateurs ou en environnemental ont été réalisées par le laboratoire ITGA ou MICRO BAT pour l’ensemble des chantiers de la société, que des opérations d’échantillonnage et des rapports finaux ont également été facturés par les laboratoires et que le suivi des processus a été assuré sans aucune défaillance par le responsable technique amiante. Il note que le compte rendu de l’audit réalisé le 26 septembre 2019 n’évoque sur ce point aucune difficulté, la mise à jour du document préconisée dans ce cadre ayant été opérée.

La cour observe ici qu’il se déduit de la réglementation déclinée aux articles R 4412-97 et suivants du code du travail qu’avant d’engager des travaux , une évaluation initiale des risques au regard de l’amiante doit être opérée , que dans ce cadre, l’employeur estime le niveau d’empoussièrement correspondant à chacun des processus de travail et les classe en trois niveaux et transcrit les résultats de son évaluation pour chaque processus dans le document unique d’évaluation des risques lequel doit être mis à jour à chaque modification de processus entraînant un changement de niveau d’empoussièrement ou lors de l’introduction de nouveaux processus.

Dans le même temps, en vertu de l’article R 4412-126 du code du travail, l’employeur doit déterminer le niveau d’empoussièrement généré par chaque processus de travail conformément aux dispositions du § 3 de la sous-section 2. A cette fin, il met en ‘uvre un programme de mesure des niveaux d’empoussièrement générés par ces processus qui comprend deux phases: 1° Une phase d’évaluation du niveau d’empoussièrement faite sur le chantier test ; 2° Une phase de validation de cette évaluation par un contrôle périodique réalisé sur au moins trois chantiers par processus sur douze mois.

Si la société Premys produit aux débats un tableau de suivi permettant de noter un défaut de mention des tests de processus sur les mois de juillet à septembre 2016 ( la date de mise à jour dudit tableau restant le 31 juillet 2012) , la cour relève que le salarié produit un tableau de suivi de chantiers du 1er juin au 1er octobre 2016 justifiant d’un certain nombre d’analyses filtres et de prélèvements filtres par la société Microbat en septembre 2016, ainsi que des rapports d’analyse de matériaux validés le 21 juillet 2016 sur divers chantiers par la société ITGA.

Si ces seuls documents ne permettent pas de justifier que la mention a été portée des résultats sur les tableaux ‘processus’ , ils ne peuvent conduire à retenir une déficience dans le suivi lui même des processus et en conséquence d’un grief sérieux.

– S’agissant du défaut de mise à jour depuis juillet 2016 du tableau récapitulatif des certificats d’acceptation préalable (CAP) et des bordereaux de suivi de déchets amiantés (BDSA), l’employeur rappelle ici que par application de la réglementation amiante, il est impératif de disposer, dès le démarrage des chantiers, des certificats susvisés pour le traitement des déchets et d’adresser, un mois avant le démarrage des chantiers, les plans de retrait amiante aux organismes concernés. Il ajoute qu’au fur et à mesure de l’évacuation des déchets, les bordereaux de suivi de déchets amiantés doivent être établis et suivis.

La société Premys relève ici que le tableau de suivi imprimé le 5 octobre 2016 ( pièce 10 de la société) fait état de 47 chantiers pour lesquels des plans de retrait amiante ont été préparés sur les mois de juillet août et septembre 2016 pour lesquels les informations relatives au CAP sont, pour la plupart, manquants et les éléments de suivi des BDSA inexistants comme du reste pour l’ensemble des chantiers de l’année 2016.

Cependant, il est produit aux débats les tableaux de livraison sur le site de vitrification Inertam pour les mois de juillet, août et septembre 2016 ainsi que le tableau correspondant aux tonnages réceptionnés par le centre d’enfouissement sur l’année 2016 ce qui vient présumer de la conformité des opérations aux conditions d’acceptation des déchets amiantes alors qu’il est visé dans les conditions d’acceptation des déchets amiante des organismes en ayant la charge qu’en cas de non-conformité constatée du déchet en cours du déchargement, le site est dans l’obligation de refuser partiellement ou totalement ce dernier. Il se déduit ainsi de la réception de ces déchets le respect des dispositifs relatifs aux CAP.

S’agissant des bordereaux de suivi des déchets amiantés, M. [W] a par ailleurs produit l’ensemble des bordereaux de suivi de ces déchets contenant de l’amiante pour les mois de juillet août et septembre 2016 (ses pièces 112, 113 et 114) de même que l’ensemble des bons de pesée et un tableau récapitulatif des déchets reçus chez Suez.

Ces éléments ne permettent pas de retenir un défaut de diligences dans cette matière au regard des dispositions des articles R 541-43 et suivants du code de l’environnement, l’imputabilité au salarié d’éventuels défauts de transcription de ces diligences n’étant pas justifiée alors même qu’il établit avoir rédigé une note de service le 18 avril 2016 rappelant aux salariés l’ensemble des instructions relatives au traitement de l’amiante.

– S’agissant du suivi du matériel amiante dont l’employeur déplore le défaut de mise à jour des documents de suivi ainsi que le défaut de vérification de certains matériels et équipements de protection individuelle soit notamment les appareils de protection respiratoire de quatre salariés, la société Premys produit aux débats un tableau ( sa pièce 11) portant mention d’appareils de protection respiratoire avec des dates de révision en juillet, et septembre 2016 et en déduit le dépassement de plusieurs mois de la date limite pour le contrôle annuel.

La société vise dès lors un risque grave pour la santé de ses salariés alors même que les carences dans le suivi avaient déjà été soulignées par l’inspection du travail en juillet 2015

La cour observe cependant ici que M. [W] a établi des notes de service les 16 octobre 2015 et 18 avril 2016 aux salariés de l’établissement, relatives à l’entretien des masques de protection respiratoire et déclinant les instructions nécessaires en matière d’équipement de protection, tandis qu’il produit aux débats les demandes qui ont été opérées en septembre 2016 concernant les vérifications des masques des salariés.

La justification n’est pas non plus donnée de l’utilisation par des salariés d’appareils qui seraient demeurés non révisés.

Le grief ne peut donc être retenu.

-S’agissant du contenu des fiches d’exposition des salariés qui resterait à établir pour l’année 2015 et serait lacunaire pour l’année 2016, l’employeur produit en pièce 12 , un registre journalier d’exposition du 6 avril 2016 sur lequel les mentions relatives à la mesure de l’exposition de trois salariés font défaut ainsi que des fiches d’exposition à l’amiante de plusieurs salariés du 11 novembre 2015 au 30 novembre 2015 puis du 1er février 2016 au 29 février 2016 ne portant pas la mention du niveau d’exposition mesurée

Il convient de rappeler ici qu’en vertu de l’article R 4412-120 du code du travail, l’employeur établit, pour chaque travailleur exposé, une fiche d’exposition à l’amiante indiquant : 1° La nature du travail réalisé, les caractéristiques des matériaux et appareils en cause, les périodes de travail au cours desquelles il a été exposé et les autres risques ou nuisances d’origine chimique, physique ou biologique du poste de travail ; 2° Les dates et les résultats des contrôles de l’exposition au poste de travail ainsi que la durée et l’importance des expositions accidentelles ; 3° Les procédés de travail utilisés ; 4° Les moyens de protection collective et les équipements de protection individuelle utilisés.

Cette fiche est tenue à disposition du salarié et doit lui être remise quand il quitte l’entreprise. Une copie doit être transmise au médecin du travail et conservée dans le dossier médical du salarié.

La cour observe que dans son compte rendu Genier Méditerranée ( sa pièce19), l’employeur se limite à mentionner s’agissant des fiches 2015 que celles-ci étaient à imprimer et à envoyer à la médecine du travail pour assurer le suivi médical des salariés sans autres observations. Il n’est pas par ailleurs énoncé par la société Premys les dates auxquelles les fiches d’exposition à l’amiante étaient adressées à la médecine du travail ni justifié de ce que les documents qu’elle produit en pièces 14 et 15 constituent les fiches en définitive adressées ce alors même que le salarié énonce pour sa défense que les fiches définitives devaient être transmises en septembre 2016.

Ces éléments ne permettent pas de retenir le grief.

-S’agissant de la traçabilité et de l’archivage des documents, l’employeur fait état de ce que les quatre dossiers de travaux terminés consultés sont incomplets et ne peuvent être archivés soit la crèche [5], le bâtiment Corvesy, les Tours Germinal et le dossier Arcelorce, tandis que les dossiers doivent être conservés 50 ans, les dossiers archivés présentant par ailleurs des documents non contrôlés ou l’absence de documents obligatoires et faisant l’objet d’un stockage sans classeur, qu’il est dès lors urgent de reprendre de nombreux dossiers l’année 2016.

Cependant la cour observe que l’auteur des tableaux produits en pièce 17 de l’employeur n’est pas identifié non plus que le moment où ces tableaux ont été établis tandis qu’aucune pièce ne vient justifier de la reprise par l’employeur des dossiers 2016 dont il est fait état.

Le grief ne saurait non plus être retenu.

Etant observé que la cour n’a pas estimé fondés les griefs énoncés dans la lettre de rupture, que par ailleurs M. [W] justifie de l’attestation de certification 1552 Qualibat pour la période s’étendant de septembre 2016 à août 2021 garantissant le respect par son établissement des normes requises pour les travaux de retrait et d’encapsulage de matériaux et déchets contenant de l’amiante, le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement a lieu d être retenu, le jugement étant infirmé de ce chef.

– sur les demandes en paiement

– sur le rappel de prime de 13e mois pour l’année 2016.

Il résulte ici du contrat de travail de M. [W] que son salaire brut mensuel était établi sur 13 mois

Son licenciement à la date du 24 octobre 2016 ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, son défaut de présence effective dans l’entreprise au 15 décembre de l’année en cours ne saurait lui être opposé dans les termes déclinés par l’employeur pour ne pas lui verser cette prime. En conséquence, la société Premys sera ici condamnée à payer à M. [W] la somme de 5750 € outre congés payés afférents dans les termes sollicités.

– sur le rappel de prime pour l’année 2016,

M. [W] fait ici valoir qu’il percevait une prime intitulée ‘primeexc Bénévole’ ou ‘Pr diverses except’ dont il a été injustement privé pour l’année 2016 alors que son implication, son sérieux et son management efficace ont permis en 2016 que la marge attendue en fin d’année soit doublée tandis que les prévisions 2017 annonçaient une évolution tout aussi favorable. Il ajoute que le travail réalisé depuis plusieurs années sur le démantèlement des navires a porté ses fruits puisque le 17 novembre 2016, la direction du service de la flotte de [Localité 6] a retenu l’offre du groupement dont la société Premys est mandataire ce qui correspond à un carnet de commandes consolidées à hauteur de près de 7 millions d’euros pour l’année 2017.

La société Premys rétorque que si M. [W] a perçu à plusieurs reprises cette prime au cours de sa carrière du fait de bons résultats économiques, un tel paiement ne peut être considéré comme un usage au regard des dispositions des accords collectifs du groupe et que M. [W] ne saurait y avoir droit.

Le contrat de travail de M. [W] mentionne que celui-ci pourra recevoir une gratification exceptionnelle bénévole fixée par la direction générale laquelle a un caractère aléatoire sans droits acquis ni usage.

L’accord d’harmonisation et de substitution portant sur le statut social des salariés de la société Colas Ile de France Normandie du 3 décembre 2013 énonce que cette prime a un caractère variable et exceptionnel et que son attribution et son mode de détermination sont conditionnés chaque année à la situation du groupe et/ou de l’entreprise et/ou de l’établissement d’affectation des salariés ainsi qu’aux performances individuelles des salariés appréciés au regard des divers critères qualitatifs relevant du savoir-faire et du savoir être.

L’accord d’harmonisation portant sur le statut social des salariés de la société Genier Deforge du 16 décembre 2014 retient également que cette prime versée, en principe, une fois par an et conditionnée chaque année à la situation économique de la société et/ou du groupe Colas sera annulée en cas de prévision de résultat négatif au niveau de la société et/ou au niveau du groupe pour l’année en cours.

Les bulletins de salaire de M. [W] produits aux débats justifient de sa perception de cette prime chaque année aux mois de mars ou décembre pour un montant variant entre 8000 euros et 13’750 € les trois dernières années.

Sachant qu’il n’est pas justifié par la société d’une dégradation de sa situation économique dans des termes susceptibles de remettre en cause le principe du versement de cette prime à M. [W] tandis que les évaluations de ce dernier jusqu’au mois de mars 2016 visent un savoir faire et un savoir être de qualité, une somme de 10’875 € lui sera versée de ce chef.

-Sur les rappels de salaires des 28 et 29 septembre 2016

M. [W] fait ici valoir que la retenue sur salaire de trois jours pour les mois de septembre 2016 soit du 28 au 30 septembre 2016 inclus ne se justifie pas ce alors même qu’il s’est rendu sur son lieu de travail pour exercer ses fonctions de chef de centre de l’agence Méditerranée.

M. [W] justifie ici de sa présence à une réunion Copernic du 29 septembre 2016 dans le même temps où il lui été notifié sa lettre de mise à pied à effet immédiat à la même date.

La cour ayant en tout état de cause retenu le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement, il y a lieu de condamner la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge à payer à M. [W] la somme de 522,73 euros au titre du salaire dû pour les 28 et 29 septembre 2016 outre congés payés afférents ce, dans les termes ici sollicités.

-Sur l’indemnité pour travail dissimulé

Le caractère intentionnel du travail dissimulé ne saurait être ici retenu au titre de ces deux journées qui s’inscrivaient, pour l’employeur, dans le cadre de la procédure de licenciement menée à l’encontre de M. [W].

La demande de ce chef sera donc écartée par confirmation du jugement entrepris

– Sur le salaire de référence et les demandes en paiement au titre de la rupture

Après réintégration des sommes dues au titre des douze derniers mois précédant le licenciement, le salaire de référence de M. [W] s’établit au montant mensuel brut de 7380,16 euros.

Sur le fondement de l’article 7.1 de la convention collective nationale des cadres du bâtiment, il est dû à M. [W] une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 22’140,48 euros outre congés payés afférents.

Dans les termes sollicités, l’indemnité conventionnelle de licenciement sera retenue au montant de 49649,98 euros.

Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [W], de son âge, de son ancienneté, de sa perception des allocations Pôle emploi en janvier et février 2017, d’un retour à l’emploi dans des conditions financières moins favorables à compter de mars 2017, la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge sera condamnée à lui régler la somme de 100 000 euros à titre indemnitaire.

Par ailleurs, étant observé que le licenciement de M. [W] a donné lieu à l’intervention d’un huissier de justice sur son lieu de travail devant ses collègues le 29 septembre 2016 et a été particulièrement brutal, la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge sera condamnée à lui régler la somme de 2000 € au titre du préjudice moral s’en déduisant.

Il convient en outre d’ordonner le remboursement par la société aux organismes concernés des indemnités de chômage effectivement versées à M. [W] dans la limite de deux mois conformément aux dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail.

Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.

PAR CES MOTIFS,

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

INFIRME le jugement entrepris excepté en ce qu’il a condamné la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge à payer à M. [O] [W] les sommes suivantes :

-49649,98 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

-1200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

et en ce qu’il a rejeté les demandes du chef du travail dissimulé ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT le licenciement de M. [O] [W] sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge à payer à M. [O] [W] les sommes suivantes :

‘ 5 750 euros à titre de prime de treizième mois pour l’année 2016,

‘ 575 euros au titre des congés payés afférents,

‘ 10’875 € à titre de prime pour l’année 2016,

‘ 1087 euros au titre des congés payés afférents,

‘ 522,73 euros à titre de rappel de salaire pour le travail fourni le 28 et le 29 septembre 2016,

‘ 52,27 euros à titre de congés payés y afférents,

‘ 100 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

‘ 2000 euros à titre d’indemnité pour licenciement brutal et vexatoire,

‘ 22140,48 euros à titre d’indemnité de préavis

‘ 2 214 euros à titre de congés payés y afférents,

ORDONNE le remboursement par la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement de M. [O] [W] dans la limite de deux mois et dit qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail;

DIT que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du le conseil de Prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la présente décision,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge à payer à M. [O] [W] la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

DÉBOUTE la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge de sa demande de ce chef,

CONDAMNE la société Premys venant aux droits de la société Genier Deforge aux dépens.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Isabelle Vendryes, présidente, et par Mme Dorothée Marcinek, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

 


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