Retenues sur salaire : 23 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18756

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Retenues sur salaire : 23 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18756

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 23 JUIN 2022

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/18756 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CC3AJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Décembre 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BOBIGNY – RG n° 18/06472

APPELANTE

S.A. AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

INTIMÉES

SYNDICAT UNION SYNDICALE D’AIR FRANCE (UNSA – SMAF)

[Adresse 3]

[Localité 4]

SYNDICAT NATIONAL DU PERSONNEL NAVIGUANT COMMERCIAL (SNPNC)

[Adresse 2]

[Localité 4]

Tous deux représentés par Me Isabelle GRELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0178

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Didier MALINOSKY, magistrat honoraire, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

FOURMY Olivier, Premier président de chambre

ALZEARI Marie-Paule, présidente

MALINOSKY Didier, Magistrat honoraire

Greffière lors des débats : Mme Alicia CAILLIAU

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

– signé par Madame Marie-Paule ALZEARI, Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre étant empêché et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Le personnel navigant commercial (ci-après PNC) est composé d’hôtesses et de stewards dont les fonctions consistent à assurer la sécurité des passagers et la sûreté à bord de l’appareil. Ils sont également chargés d’accueillir les passagers et d’assurer leur confort durant le vol.

L’exercice de cette profession est conditionné par l’obtention d’une licence dite « Cabin Crew Attestation » (CCA), qui autorise les PNC à voler sous réserve de leur aptitude médicale. La validité de cette licence est également soumise à un entretien régulier des connaissances. Aussi, chaque PNC suit annuellement un stage de formation réglementaire et obligatoire dit « Généralités » ainsi qu’un ou plusieurs stages de qualification « Avions », spécifique au type d’appareil auquel le PNC est affecté. Ce stage est organisé par la société Air France (ci-après la société).

Dans ce cadre, certains PNC se sont vus interdire l’accès à la formation en cas de retard supérieur à 10 minutes ou en l’absence d’une documentation complète et à jour.

Contestant ces pratiques, par acte d’huissier en date du 5 juin 2018, le syndicat UNSA-SMAF et le syndicat SNPNC ont assigné la société devant le tribunal judiciaire de Bobigny, qui par jugement contradictoire rendu le 10 décembre 2020, a :

– déclaré recevables en toutes leurs prétentions les demandeurs ;

– condamné la société Air France à rembourser à tous les salariés qui en ont été victimes la retenue sur salaire de 1/30ème de la rémunération mensuelle opérée en cas de retard supérieur à 10 minutes à une journée de stage, dans un délai de 1 mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard pendant un délai de trois mois ;

– condamné la société Air France à payer à chacun des demandeurs la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts;

– condamné la société Air France à payer aux deux demandeurs pris ensemble la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles;

– condamné la société Air France aux dépens.

La société Air France a interjeté appel de ce jugement le 21 décembre 2020.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions transmises au greffe par le réseau privé et virtuel des avocats le 26 août 2021, la société Air France, appelante, demande à la cour de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny ;

– dire et juger l’UNSA et le SNPNC irrecevables en leurs demandes ;

– débouter l’UNSA et le SNPNC de l’ensemble de leurs demandes ;

– condamner l’UNSA et le SNPNC à payer chacun à la société Air France la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner solidairement l’UNSA et le SNPNC aux entiers dépens qui pourront être recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions transmises par le réseau privé et virtuel le 17 juin 2021, l’union syndicale d’Air France (UNSA-SMAF) et le syndicat national du personnel naviguant commercial (SNPNC), intimés, demandent à la cour de :

– déclarer la société Air France mal fondée en son appel ;

En conséquence,

– l’en débouter ;

– déclarer recevables et bien fondés les syndicats UNSA-SMAF et SNPNC en leur appel incident ;

– confirmer le jugement rendu le 10 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu’il a :

déclaré recevables en toutes leurs prétentions les syndicats UNSA-SMAF et SNPNC ;

condamné la société air france à rembourser à tous les salariés qui en ont été victimes la retenue sur salaire de 1/30ème de la rémunération mensuelle opérée en cas de retard supérieur à 10 minutes à une journée de stage ;

condamné la société Air France à réparer le préjudice subi par les syndicats UNSA-SMAF et SNPNC en raison de l’atteinte à l’intérêt collectif des salariés qu’ils représentent ;

condamné la société Air France à payer aux syndicats UNSA-SMAF et SNPNC pris ensemble la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

condamné la société Air France aux dépens ;

– l’infirmer pour le surplus en ce qu’il a :

limité le quantum de l’astreinte liée au remboursement par Air France à tous les salariés victimes d’une retenue de salaire à la somme de 500 euros par jour de retard à compter d’un mois suivant la signification du jugement, pendant un délai de trois mois ;

limité le quantum des dommages et intérêts à verser par Air France à chacun des syndicats à la somme de 5 000 euros ;

Statuant à nouveau,

– assortir la condamnation de la société Air France à rembourser aux salariés concernés les sommes injustement retenues, d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de 15 jours suivant la décision à intervenir ;

– condamner la société Air France à payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au syndicat UNSA-SMAF ;

– condamner la société Air France à payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au syndicat SNPNC ;

Y ajoutant,

– préciser que la condamnation à rembourser à tous les salariés qui en ont été victimes la retenue sur salaire de 1/30ème de la rémunération mensuelle opérée s’applique également en cas d’absence de possession de la documentation à jour ;

– condamner la société Air France à payer la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Air France aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non recevoir

Au visa de l’article 122 du code procédure civile, la société Air France fait valoir que les syndicats sont irrecevables pour défaut de qualité à agir lorsqu’il sollicite que soit ordonner le remboursement des sommes retenues sous un délai de quinze jours et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et cela à compter du 15ème jour de la décision à venir.

La société soutient que cette demande constitue en réalité des demandes individuelles visant à obtenir un rappel de salaire et ne représente pas une défense des intérêts collectifs de la profession.

Les syndicats appelants soutiennent qu’ils ont toute qualité à agir pour l’intérêt collectif des PNC dès lors qu’aucune sanction pécuniaire n’est licite et que ces manquements de la société Air France portent une atteinte à une disposition d’ordre publique.

Sur ce,

L’article L. 2132-3 du code du travail dispose que ‘les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.

Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent’.

Ainsi, sont recevables, en l’absence de tout litige, l’action d’un syndicat tendant, d’une part, à voir reconnaître à certaines catégories de salariés des droits qui leur étaient refusés et, d’autre part, celle demandant la condamnation de la société à procéder aux augmentations de salaires de certaines catégories ou l’octroi de dommages et intérêts, celles-ci n’ayant pas pour objet un paiement de sommes déterminées mais l’application d’une règle collective.

En l’espèce, il n’est pas contesté que les organisations syndicales intimées sont, dans la société Air France, celles qui représentent majoritairement les PNC et qu’elles sollicitent l’annulation du retrait d’un trentième de la rémunération mensuelle pour un retard de plus de 10 minutes à une formation ou la non possession d’une documentation à jour.

Ainsi, à ce titre les syndicats intimés sont parfaitement recevables à demander l’annulation d’une pratique privant d’une partie substantielle des revenus tous les PNC en retard de dix minutes à la formation ou n’ayant pas en sa possession une documentation à jour.

La seule exception à ce principe est que les syndicats intimés solliciteraient des sommes déterminées pour des salariés nommément désignés.

En l’espèce, les demandes des intimes sont ainsi libellées :

‘- confirmer le jugement du 10 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu’il a :

déclaré recevables en toutes leurs prétentions les syndicats UNSA-SMAF et SNPNC ;

condamné la société air france à rembourser à tous les salariés qui en ont été victimes la retenue sur salaire de 1/30ème de la rémunération mensuelle opérée en cas de retard supérieur à 10 minutes à une journée de stage ;

condamné la société Air France à réparer le préjudice subi par les syndicats UNSA-SMAF et SNPNC en raison de l’atteinte à l’intérêt collectif des salariés qu’ils représentent ;

condamné la société air france à payer aux syndicats UNSA-SMAF et SNPNC pris ensemble la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

condamné la société air france aux dépens ;

– l’infirmer pour le surplus en ce qu’il a :

limité le quantum de l’astreinte liée au remboursement par Air France à tous les salariés victimes d’une retenue de salaire à la somme de 500 euros par jour de retard à compter d’1 mois suivant la signification du jugement, pendant un délai de trois mois ;

limité le quantum des dommages et intérêts à verser par Air France à chacun des syndicats à la somme de 5 000 euros’.

Ainsi, les demandes des syndicats intimés, ne présentant pas un caractère de sommes déterminées pour des salariés empressement désignés, étant rappelé que les PNC représentent un collectif de travailleurs, ont, donc, qualité et intérêt à agir dans la présente procédure comme représentant les intérêts collectifs des PNC dont ils sont les orginasions syndicales majoritaires.

Elles sont recevables en leur action et la cour confirme, à ce titre, le jugement du 10 décembre 2020.

Sur la légalité du retrait d’un trentième

Au soutien de sa demande, la société Air France estime notamment que l’absence de paiement d’une tâche non effectuée n’est pas une sanction pécuniaire en ce qu’elle est la conséquence de ce que les PNC, qui ne remplissent pas les conditions exigées pour la réalisation du stage de formation réglementaire, ne pouvaient pas l’effectuer. Elle ajoute qu’il existe une incompatibilité objective du suivi de la formation avec un retard de plus de dix minutes ou l’absence de possession de la documentation à jour.

En réponse, l’UNSA Air France et le SNPNC soutiennent que la société Air France ne peut procéder à une retenue d’un trentième de rémunération dès lors que l’absence du PNC au stage n’est pas de son fait. Aussi, une telle retenue constitue une sanction pécuniaire interdite par les dispositions de l’article L.1331-12 du code du travail.

En outre, les manquements caractérisés à l’encontre de la société sont de nature à porter atteinte à l’intérêt collectif des salariés PNC, justifiant l’allocation de dommages et intérêts.

Sur ce,

L’article L. 1331-2 du code du travail dispose que ‘constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération’.

L’article L. 1331-2 du code du travail dispose que ‘ les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non-écrite’.

Si le salaire est la contre-partie du temps pendant lequel le salarié se trouve sous le lien de subordination de l’employeur, il n’a pas la qualité de sanction du travail effectué, dès lors ce dernier n’est pas tenu de verser au salarié la partie du salaire afférente à un temps d’absence, même si l’absence est minime, la retenue effectuée devant être strictement proportionnelle au temps de l’absence.

Cependant, l’employeur ne peut valablement infliger au salarié une sanction pécuniaire en raison d’un défectuosité du travail effectué par le salarié.

En l’espèce, il est constant que la société Air France interdit, unilatéralement, aux salariés en retard ou non munis d’une documentation à jour, d’une part, de participer à la formation programmée et, d’autre part, leur retire une rémunération correspondante à un trentième d’un mois de salaire, alors que le ou la PNC se tient à la disposition de la société.

La société ayant la charge de la preuve que le comportement du PNC, d’une part, rend impossible l’accomplissement du stage de formation soit pour un retard de 10 minutes soit par l’absence d’une documentation à jour et, d’autre part, est assimilable, comme la société l’indique, à une absence comparable à celui du PNC arrivant après un départ de l’avion sur lequel il était affecté, justifiant le retrait d’une journée de salaire.

En l’espèce, la société Air France ne produit aucun élément de nature à établir que les formations, soit du fait de directives administratives soit du fait de leur déroulement, excluent objectivement la participation des retardataires ou l’obligation de possession, au début d’une formation de recyclage, d’une documentation à jour, et constituent des conditions objectives et obligatoires à leur déroulement, peu important la réponse de la société aux questions réitérées de la délégation du personnel sur ce sujet, et non une simple exigence de l’employeur alors qu’il est tenu légalement à la formation ses salariés pour maintenir leur employabilité.

Ainsi, la société Air France échouant à rapporter le preuve d’une incompatibilité objective du suivi de la formation avec un retard supérieur à 10 minutes ou l’absence de possession de la documentation à jour, le retrait d’un trentième de la rémunération mensuelle constitue une sanction pécuniaire prohibée.

En confirmation du jugement, il sera fait droit à la demande tendant au remboursement aux salariés concernés des sommes retenues.

Par ailleurs, la société Air France, qui ne justifie pas d’un remboursement de la retenue d’un trentième à tous les PNC victimes de cette sanction pécuniaire prohibée, conformément aux dispositions sur l’astreinte ordonnée du jugement du 10 décembre 2020, sera condamné à rembourser cette retenue à tous les salariés concernés sous astreinte de 1 000 euros par manquement et par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du présent arrêt.

Sur les dommages et intérêts

La pratique de retrait de salaire, sanction pécuniaire prohibée, porte atteinte à l’intérêt collectif des salariés représentés par les deux syndicats intimés et leur cause un préjudice qui, en confirmation du jugement déféré, est évalué à la somme de 5 000 euros pour chacun d’entre eux.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La société Air France, qui succombe à l’instance, sera condamnée aux dépens d’appel et sera condamnée à payer aux syndicats intimés la somme, chacun, de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en sus de la somme ordonnée en première instance.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 10 décembre 2020 ;

Y ajoutant,

Condamne la société Air France au remboursement de la retenue d’un trentième à tous les PNC concernés sous astreinte de 1 000 euros par manquement et par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification du présent arrêt ;

Condamne la société aux entiers dépens ;

Condamne la société Air France à payer au syndicat UNSA-SMAF et au syndicat SNPNC la somme, chacun, de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en sus de la somme ordonnée en première instance.

Déboute les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire.

La Greffière, P/ Le Président empêché,

 


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