COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 JUIN 2022
N° RG 21/00353 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GUBO
[I] [G]
C/ S.A. SOCIETE DES TROIS VALLÉES
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALBERTVILLE en date du 04 Février 2021, RG F 19/00098
APPELANT :
Monsieur [I] [G]
Marina del Sol n° 3, 82, Avenue de la Mont Joye
30220 AIGUES MORTES
Représenté par Me Yohann OLIVIER de la SCP ARMAND-CHAT et Associés, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et Me Laurence PINCHOU de l’AARPI NEXO A.A.R.P.I., avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMEE :
S.A. SOCIETE DES TROIS VALLÉES
dont le siège social est sis 110 Rue de la La Croisette
73120 COURCHEVEL
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par la SELARL THEYMA, avocat postulant au barreau de CHAMBERY et la SELARL CLEMENT-CUZIN LEYRAUD DESCHEEMAKER, avocat plaidant au barreau de GRENOBLE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 12 Mai 2022 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Frédéric PARIS, Président,
Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller
Madame Elsa LAVERGNE, Conseiller,
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Marina VIDAL,
********
Faits et procédure
M. [I] [G] a été embauché par la Société des Trois Vallées (S3V) le 20 octobre 2008 sous contrat à durée indéterminée en qualité de directeur opérationnel du site de Courchevel pour une rémunération annuelle brute de 60 000 € devant évoluer, outre une prime d’objectifs, une prime d’équipement et une prime de 13ème mois.
M. [G] était soumis à un forfait annuel de 218 jours.
Il percevait au dernier état de la relation contractuelle un salaire mensuel brut de 10 030 €.
La S3V exploite des téléphériques et remontées mécaniques des domaines skiables de stations de Courchevel, Méribel-Mottaret et La Tania.
La convention collective des téléphériques et remontées mécaniques est applicable.
En juin 2014, le président du directoire, M. [Z] est parti à la retraite et a été remplacé par M. [F].
Des désaccords et des problèmes de communication sont apparus entre le salarié et son supérieur hiérarchique.
Le 15 avril 2016, M. [G] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un licenciement fixé le 25 avril 2016. Une mise à pied de six jours lui a été notifiée par une lettre du 24 mai 2016.
Par courrier du 12 mars 2019, la société a convoqué M. [G] a un entretien préalable fixé le 26 mars 2019 et il a été mis à pied à titre conservatoire.
M. [G] a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 30 mars 2019 et a été dispensé de l’exécution de son préavis de trois mois.
Par requête du 25 juin 2019 M. [G] a saisi le conseil de prud’hommes d’Albertville afin de contester son licenciement et de demander réparation de son préjudice matériel et moral.
Par jugement en date du 4 février 2021, le conseil de prud’hommes d’Albertville a :
– dit et jugé que M. [G] n’a pas fait l’objet de harcèlement moral,
– dit et jugé que les causes du licenciement de M. [G] sont réelles et sérieuses,
– dit et jugé que le convention de forfait jour de M. [G] est valable,
– débouté M. [G] de l’ensemble de ses demandes,
reconventionnellement,
– condamné M. [G] à payer à la Société des Trois Vallées la somme de 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [G] aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 18 février 2021 par le réseau privé virtuel des avocats, M. [G] a interjeté appel de la décision dans son intégralité.
Dans ses conclusions notifiées le 2 décembre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, M. [G] demande à la cour de :
– infirmer le jugement rendu et statuant à nouveau,
A titre principal :
– juger que M. [G] a été victime d’un harcèlement moral,
en conséquence,
– prononcer la nullité de son licenciement,
– condamner la S3V à lui payer les sommes de :
* 180 594 € à titre d’indemnité pour licenciement nul,
* 60 198 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
à titre subsidiaire :
– dire que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse
en conséquence,
– condamner la S3V à lui payer les sommes de :
* 103 330 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 60 198 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
en tout état de cause :
– prononcer la nullité de la convention de forfait en jours de Monsieur [G],
en conséquence,
– condamner la S3V à lui payer les sommes de :
* 167 406,84 € au titre des heures supplémentaires réalisées, outre la somme de 16 740 € au titre des congés payés afférents,
* 84 884 € au titre du repos compensateur,
* 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner la remise d’un bulletin de salaire, certificat de travail et attestation Pole Emploi.
Il soutient qu’il n’est pas établi qu’il a fait l’objet de rappels ou de mis en garde pour des directives qu’il n’aurait pas respecté.
Il n’a pas bénéficié de la procédure d’entretien professionnel annuel.
Il conteste les griefs mentionnés dans sa lettre de mise à pied du 24 mai 2016.
Il était habilité à effectuer des commandes de 10 000 € et a respecté ce seuil.
Il a informé la direction de l’organisation du salon de l’hélicoptère en amont.
Dans le dossier de harcèlement, il a recueilli les déclarations des protagonistes et de leurs collègues. Il a transmis le dossier au DRH le 24 mars 2016 et a mis M. [F] en copie.
Concernant la disparition d’un salarié le 6 avril 2016, il n’en avait pas connaissance car il n’était pas de garde et se trouvait au cinéma avec son fils.
En août 2018, M. [F] lui a répondu agressivement après qu’il ait sollicité son avis sur une prestation.
M. [F] a accepté les rendez-vous hebdomadaires au bout de deux mois.
Il a été accusé à tort de n’avoir pas anticipé la coupure d’électricité ordonnée par Enedis.
Le 23 décembre 2018, M. [F] lui a adressé un mail de critiques.
Le 15 janvier 2019, M. [F] n’a pas évoqué les points qu’il souhaitait voir ajoutés à l’ordre du jour du Codir du 17 janvier 2019.
Le 17 janvier 2019, M. [F] l’a incendié car il pensait qu’il avait sollicité le maire afin de participer au Comité de direction de Courchevel Tourisme alors qu’il avait simplement reçu une invitation et pour avoir accepté l’invitation d’un fournisseur aux championnats du monde de ski en Suède alors qu’il en avait connaissance depuis plusieurs semaines sans avoir émis la moindre réserve et qu’il était libre de ses choix.
Pour la saison 2016/2017, il n’a pas perçu la totalité de la prime d’objectifs sans raisons valables.
Il a dû solliciter la DRH pour percevoir la prime sur l’objectif collectif budgétaire 2018, trois mois après la date de versement.
Il était responsable du budget de l’ensemble des chefs de service du service opération mais M. [F] engageait des dépenses sans l’en aviser. La procédure de double signature était prévue sur les commandes afin qu’il puisse gérer le budget.
Le 12 mars 2019, il a été mis à pied immédiatement et il a dû vider son bureau sur le champ, la société était accompagnée par un huissier de justice et ce devant le personnel.
M. [F] a prévenu les élus de la commune, les fournisseurs, les professionnels de la station et les N-1 de M. [G] de sa mise à pied pour faute grave ou lourde.
Cette mise à pied était concomitante à la publication du rapport de la Cour des comptes sur la S3V comportant plusieurs griefs ce qui a semé le trouble sur sa probité. M. [F] n’a pas levé le doute lorsqu’il a été interrogé par la radio et la presse.
Tous ces agissements sont constitutifs d’un harcèlement moral.
À titre subsidiaire, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Plusieurs salariés de la S3V attestent de ses qualités professionnelles.
Aucun salarié n’a émis de plainte à son encontre pour manque de respect.
L’utilisation, dans le cadre d’une conversation privée, des termes : ‘lèche-cul’, ou un ‘boulet’, ou une ‘saucisse’ ou encore une ‘molaire’ ne constitue pas une cause réelle et sérieuse.
Dans le cadre de ses fonctions, il disposait d’une grande autonomie et prenait un grand nombre de décisions d’organisation.
Il n’a pas remis en cause le gérant de Courchevel Aventure, ni n’a engagé un processus de recrutement pour le remplacer. Il a demandé un devis à un cabinet de recrutement pour remplacer M. [C], démissionnaire, ce dont était informé M. [F].
Seul un membre de l’Ecole de ski français a fait une offre de rachat de Courchevel Aventure.
M. [F] avait connaissance du projet de rénovation ‘Jardin Alpin’, le premier tracé reçu le 14 mars 2019 lui a d’ailleurs été transmis.
L’intervention d’une agence de communication a été prise dans le cadre d’un travail d’équipe mené sous la direction du directeur commercial.
Il a délivré un forfait gratuit à un ancien dirigeant car il était inscrit sur la liste des bénéficiaires.
Il est normal que la S3V supporte le coût de la soirée Team building qui est organisée depuis 2012 dans le but de remercier les équipes de leurs efforts durant la saison.
Le paiement de ces soirées par compensation n’a jamais posé de difficulté aux services comptables, il s’agit d’une pratique courante de la société.
Il avait établi une redevance HT de 750 € avec la Cave des creux en contrepartie du raccordement à la fibre optique du réseau S3V.
La distribution des forfaits gratuits n’était pas délimitée, le président récupérait les carnets avec les souches complétées avec le nom des personnes ayant reçu un forfait.
Il a donné des forfaits gratuits aux directeurs de l’hôtel Mercure contre des nuitées gratuites pour les chefs de service lors des soirées team building. Le directeur commercial a donné des forfaits gratuits aux clients de l’hôtel Mercure sans que cela ne pose de difficultés.
Il s’est retiré du Codir suite au harcèlement et à l’acharnement de M. [F].
Il a subi des préjudices matériel et moral suite à son licenciement nul et au harcèlement dont il a été victime conformément aux articles L.1235-3-1 du code du travail et 1240 du code civil.
À titre subsidiaire, la licenciement est sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité due est prévue à l’article L.1235-3 du code du travail.
À cause de la publicité désastreuse autour de son licenciement, il a été contraint d’accepter un emploi en Ouzbekistan ne donnant droit à aucune protection sociale comparable, ni avantage.
L’accord de réduction du temps de travail en date du 29 novembre 1999, mettant en place le forfait annuel de 218 jours, ne répond pas aux exigences de validité de la Cour de cassation, ni de l’article L.3121-65 du code du travail. La convention de forfait est donc nulle.
Il assumait une forte charge de travail, il travaillait au-delà des 8 heures quotidiennes, et étant en charge d’une activité fonctionnant 7 jours du 7 et 24 heures sur 24, il travaillait parfois la nuit et les week-ends. Il a reconstitué son emploi du temps avec des agendas sauvegardés et des correspondances. Il a réalisé 2 219,8 heures supplémentaires du 4 décembre 2017 au 12 mars 2019.
Dans ses conclusions notifiées le 20 décembre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, la SA Société des Trois Vallées – S3V demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, et de lui allouer la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et condamner M. [G] aux dépens.
Elle fait valoir que M. [G] n’a jamais contesté sa mise à pied intervenue en mai 2016.
Le salarié a rédigé des mails remplis d’ironie et de mépris concernant M. [F].
Des propos diffamatoires, calomnieux, injurieux ou excessifs peuvent fonder un licenciement pour faute grave.
Il dépassait sa délégation d’engagement de 10 000 €.
Il a donné des informations incomplètes sur l’organisation du salon de l’hélicoptère, il ne l’a pas inscrit à l’ordre du jour du Codir et n’a pas inclus le service commercial. Cette situation représentait un risque important pour l’entreprise car l’assurance ne couvrait pas les démonstrations aériennes.
Le salarié a géré seul un problème de harcèlement sexuel avant d’en informer la direction.
M. [G] a été informé de la disparition d’un de ses collègues mais n’en a pas informé sa direction, ni la présidence. Il n’a pas non plus informé que ce salarié s’était déjà rendu sur son lieu de travail en état d’ébriété.
Le salarié ne respectait pas les procédures de la société, il n’a pas sollicité les trois devis requis dans le cadre d’un engagement de travaux de réfection sur le toit d’un bâtiment.
Il n’y avait aucune agressivité dans les échanges entre l’appelant et M. [F].
M. [F] s’est excusé des propos qu’il a tenu en octobre 2018.
Les reproches mentionnés dans le mail de M. [F] adressé à M. [G] le 23 décembre 2018 sont fondés.
Jusqu’à mi-décembre 2018, le président ne savait pas que deux tracés avaient été envisagés pour le téléski.
M. [G] a indiqué au maire de Courchevel vouloir participer au comité de direction de Courchevel Tourisme sans en avoir parlé avec M. [F] au préalable.
Le salarié avait effectué des démarches afin d’emmener avec lui le responsable des remontées mécaniques au championnat du monde de ski en Suède avant d’en parler au président, alors que ce dernier souhaitait que cela soit évoqué au Codir.
M. [F] n’a fait qu’exercer son pouvoir de direction.
La prime d’objectifs était échelonnée dans le temps et dépendait de plusieurs paramètres.
Le salarié n’a pas reçu de prime en juillet 2018 car il n’avait pas atteint les objectifs concernant l’esprit collectif. Il n’apport pas la preuve des objectifs atteints.
La prime sur l’objectif collectif budgétaire 2018 n’a pas été versée immédiatement à M. [G] par simple oubli.
Pour les commandes d’un montant supérieur à 10 000 €, M. [G] devait recueillir la signature de M. [F]. Ce dernier pouvait engager des dépenses sans l’aval du directeur opérationnel. Le président a renseigné les dépenses dans l’outil GMAO, donc le salarié en était informé.
Les plaintes de M. [G] font seulement état d’un ressenti, de simples reproches justifiés lui ont été adressés.
Suite aux échanges entre les deux protagonistes, le Codir du 9 octobre2018 a évoqué la façon de mieux communiquer au sein du Codir et des services, une évaluation des tensions a été faite en décembre 2018 et les membres du Codir ont été interrogés par le président.
Le 12 mars 2019, M. [F] et Mme [L] se sont rendus dans le bureau de M. [G] après que le personnel soit parti, l’huissier de justice est intervenu peu après.
Les reproches formulés contre l’appelant concernaient son appréhension de son positionnement hiérarchique et non ses qualités techniques.
Il faisait bénéficier l’ancien président de la S3V, M. [Z], de forfaits gratuits, or dans son rapport du 2 janvier 2019 la chambre régionale des comptes indiquait que l’octroi de forfait aux anciens dirigeants n’était pas justifié.
M. [G] a tenu des propos sarcastiques à M. [F] ou à son sujet auprès de ses collègues.
Il a eu des propos outrageants concernant le personnel dans le cadre ‘privé’ mais aussi avec des personnes extérieures à l’entreprise. Des salariés attestent de la souffrance vécue par les collaborateurs de M. [G].
Dans le cadre de la rénovation Jardin Alpin, M. [G] a eu des réunions avec la mairie sans que l’employeur ne soit informé. Il a développé un projet plus conséquent que celui envisagé initialement sans en informer M. [F], alors qu’il n’avait pas de pouvoir en matière d’investissement.
Il a engagé une agence de communication sans l’accord de M. [F].
Il a facturé des prestations à la S3V alors qu’elles devaient l’être à Courchevel Aventure.
Il a indiqué dans un mail ne pas pouvoir écrire la vérité sur deux accidents graves.
M. [G] ne fourni pas la convention relative à la redevance HT de 750 € due par La Cave des creux. Il n’y a aucune preuve de l’encaissement de cette somme, ni de facture.
Le salarié accordait des forfaits gratuits à des personnes extérieures à l’entreprise et bénéficiait en contreparties de nuitées gratuites à l’hôtel Mercure de Courchevel.
M. [G] ne démontre pas avoir subi un préjudice matériel justifiant réparation. Il a été embauché par la société PGI Management en septembre 2019 pour un salaire équivalent.
Il n’a jamais évoqué la moindre difficulté lors de ses entretiens annuels concernant sa charge de travail, ni de dépassement de son forfait jour annuel.
La validité des documents répertoriant les heures supplémentaires prétendument effectuées par le salarié ne peut être contrôlée.
Or, chaque mois, l’appelant remplissait une feuille de présence.
La chambre régionale des comptes a constaté que sur une année chaque salarié non cadre de la S3V effectuait 34 heures supplémentaires.
L’instruction de l’affaire a été clôturée le 4 février 2022.
Motifs de la décision
Avant d’apprécier le bien fondé du licenciement, il convient d’examiner le harcèlement moral que le salarié reproche à son employeur.
L’article L 1152-1 du code du travail dispose : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’.
L’employeur doit veiller à ce que ses salariés n’adoptent pas des agissements de harcèlement moral et prendre toutes dispositions pour prévenir ou faire cesser ce type de comportement.
En application de l’article L 1154-1 du code du travail cas de litige, il appartient d’abord au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ; que l’employeur doit ensuite prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étranger à tout harcèlement.
Le juge doit considérer les faits pris dans leur ensemble pour apprécier s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
L’article L 1152-2 du même code prévoit notamment qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte ‘pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.’.
L’article L 1152-3 dispose que ‘toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.’.
La mise à pied disciplinaire invoquée par le salarié a été prononcée en mai 2016. Elle n’a pas été contestée.
L’employeur avait motivé cette sanction dans une lettre en retenant plusieurs griefs dont il apparaît au regard des pièces produites notamment sur la critique de son supérieur hiérarchique dans des termes de discrédit, ‘ il est en train de nous mettre un sacré bordel dans la maison’ (mail du 2 janvier 2016 écrit par le salarié), sur le dépassement du plafond de 10 000 € pour engager une dépense, que ces griefs étaient fondés.
Cette mise à pied ne sera pas retenue comme agissement d’harcèlement moral, l’employeur n’ayant fait qu’exercer son pouvoir disciplinaire.
En revanche, dans un mail du 3 octobre 2018, M. [U] [F] s’est montré très surpris à propos de la fixation de la date d’une coupure des serveurs prévue par un salarié prénommé [P] sans tenir compte des impératifs d’autres services compte tenu des capacités d’anticipation de [P]. Il exprime que ‘les services support sont au service de l’exploitation…mais ne sont pas des serpillières.
Le salarié dénonce ce mail qu’il estime injurieux et qui remet en cause des équipes d’exploitation.
M. [U] [F] a reconnu avoir été excessif.
Le compte rendu de la réunion du Codir du 9 octobre 2018 mentionne qu’il y a eu un ‘échange un peu musclé’ entre le président et le salarié et évoque la nécessité de mieux communiquer au sein du Codir et entre services supports/exploitation ; il est aussi indiqué le peu de communication entre le président et le salarié. Le Codir recommande de mieux communiquer et de dialoguer, il sera fait appel à deux consultants pour établir un diagnostic de la situation et tenter de trouver des pistes de réflexion afin de rétablir une cohésion et améliorer les échanges.
Dans les échanges de mail du 24 décembre 2018 à propos du tracé d’un téléski, le président du directoire fait valoir des arguments et demande à être informé en amont, ce qui est légitime.
Il expose toutefois que ce problème de tracé est un exemple parmi d’autres, ‘ j’ai des nombreux exemples qui me reviennent régulièrement de la maison S3V comme de l’extérieur qui raconte ta colère contre moi ou contre des initiatives que j’ai pu prendre. Je ne connais pas tes motivations mais dans cette situation il est difficile de parler de cohésion ou bienveillance…le mot qui commence à prendre forme dans ma tête ne me plaît guère. Je suis un solide donc j’encaisse, je ne dis rien, j’apaise mais il est certain que je n’y prend pas du plaisir. Avec tout le respect que je te dois, je te le dis comme je le pense parce que j’ai toujours été franc et droit. A ta disposition pour en parler, notamment lors de notre prochain rendez-vous hebdo qui aura lieu pour une fois jeudi prochain’.
Le salarié a adressé un mail le 24 décembre 2018 à la directrice des relations humaines en dénonçant les remontrances que lui fait le président, et y exprime sa lassitude.
Dans un mail de la même date envoyé au président du directoire, le salarié déplore être devenu ‘l’homme à abattre’ et regrette devoir lui faire un reporting systématique alors que l’entreprise dispose d’un service sur les développements des projets qui peut lui donner les informations qu’il souhaite. Il précise qu’il a le sentiment d’être persécuté, et ajoute que ‘pour ta part tu estimes qu’il y a deux ans tu m’a préservé car j’ai uniquement eu 6 jours de mise à pied et que je n’ai pas été licencié…pour ma part, j’interprète pas les choses tout à fait de la même manière. Tout comme mon entretien de juin 2018 qui a été très virulent avec des accusations et des mots très durs de ta part, accompagné d’exemples dont je ne trouve aucune trace dans mon entretien…Tu décides de me supprimer la totalité de ma prime avec comme justificatif le texte ci dessous. Tu me dis que comme [U] [K] te l’avais conseillé, ‘il me faut me taper dessus tous les 2 ans afin que je rentre dans les rangs’. En novembre tu retiens à nouveau une somme sur ma prime en prétextant un manque d’implication. Je suis aussi navré que toi mais je ne sais pas comment ne pas se sentir persécuté.’.
Au terme d’un mail daté du 24 décembre 2018 encore adressé au président du directoire, le salarié expose pour expliquer son retrait du Codir qu’il reçoit des mails ou passe des entretiens à charge sans pouvoir se défendre, que les décisions sont prises en amont du Codir et qu’il est difficile de se sentir impliqué et solidaire, que chacun doit être responsable de son service et de son budget ‘et finalement on n’a aucune visibilité sur les dépenses car l’ensemble des engagements supérieurs à 10 000 € sont traités ‘à l’étage’. Il concluait qu’il demandait d’être respecté comme salarié, qu’il souhaitait avoir sa confiance, et qu’en cas de défaillance, il souhaitait qu’il lui explique par des exemples concrets où il a failli, qu’il souhaitait que l’ensemble des engagements budgétaires supérieurs à 10 000 € fasse l’objet de leurs deux signatures, et que les grandes décisions du Codir soient partagés depuis le début en toute transparence.
Le président du directoire a reproché par mail du 17 janvier 2019 au salarié d’avoir souhaité participer au comité de direction de Courchevel Tourisme ; il écrit qu’il a ‘l’impression qu’on lui force la main, et cela lui est très désagréable’. Il ajoute qu’il ne voit pas d’objection à ce qu’il y participe mais ne souhaite pas qu’il y ait trois participants.
Dans ce mail, le président précise toutefois avoir été informé par M. [M] [S].
Le salarié produit un mail du 18 janvier 2019 où il explique qu’il avait reçu une invitation du comité et avoir prévenu tout de suite M. [S], en lui demandant si le président était au courant.
Le salarié n’a pas perçu de prime d’objectif en juillet 2018. Sa fiche de rémunération variable montre que l’employeur n’a pas évalué les performances individuelles du salarié et a noté sur les objectifs concernant l’esprit collectif une perte de confiance et un manque de solidarité avec la direction.
Le salarié n’a perçu la prime sur l’objectif collectif budgétaire qu’après avoir formulé plusieurs réclamations, lors de son solde de tout compte.
Il ressort des mails échangés entre le salarié et le président du 3 février 2019 qu’il n’existait pas de discussion entre eux sur les engagements budgétaires alors que le salarié avait pour mission de préparer et suivre en collaboration avec la direction financière et avec les responsables de service, les budgets de fonctionnement et investissement nécessaire à l’exploitation du site.
Il ressort d’un échange de mail daté des 25 janvier et 3 février 2019 que lors d’une réunion du Codir du 17 janvier 2019 le président du directoire a reproché au salarié un défaut d’information sur l’organisation d’un voyage au championnat du monde de ski en Suède. Le salarié devant cette remise en cause a refusé ensuite de participer aux futurs Codirs.
Ce nouvel incident établit que depuis le constat d’octobre 2018 les relations entre le salarié et son supérieur hiérarchique ne se sont pas améliorées.
Il ressort du certificat de la Selarl Spinelli-Saint Martin-Revel du 12 mars 2019 que le salarié a été invité par l’huissier de justice mandaté pour lui notifier la convocation à l’entretien préalable à un éventuel licenciement et la mise à pied conservatoire, de quitter les lieux immédiatement en emmenant ses affaires personnelles.
Des sms reçus par le salarié dès le 12 mars à partir de 19 heures 45 établissent que des salariés ont appris très rapidement la procédure de licenciement intentée contre le salarié.
La procédure de licenciement a été engagée dans un temps proche de la révélation de détournements de fond au sein de la société au point qu’un média a directement interrogé le président du directoire sur le lien éventuel de ces faits avec le licenciement en pleine saison d’hiver du directeur opérationnel.
Il résulte de tous ces éléments pris dans leur ensemble que le salarié établit des agissements de son employeur laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral.
L’employeur justifie qu’il a organisé des rendez-vous hebdomadaires à compter de septembre 2018 afin d’améliorer la communication en produisant des agendas où sont notés les rendez-vous.
Le salarié ne respectait pas les procédures d’achats comme l’établit le mail du 6 septembre 2018 de la chargée de mission service opérationnel.
Sur le défaut d’information et les décisions budgétaires, le salarié avait accès au logiciel lui permettant d’être informé des engagements financiers. L’employeur avait le pouvoir de prendre des décisions sans se concerter avec le directeur opérationnel. le président du directoire avait répondu au salarié qu’il pouvait accéder aux informations sur le site informatique dédié.
L’employeur à propos du mail d’octobre 2018 évoquant que le salarié prenait les services supports pour des serpillières, s’est excusé, ce qui constitue un élément objectif étranger à tout harcèlement moral.
En revanche, sur la réaction du supérieur hiérarchique du salarié à l’égard de l’information sur la participation du salarié à la réunion de l’office du tourisme, ce dernier a exprimé par mail qu’on cherche à lui forcer la main ce qui lui était très désagréable, alors qu’il ne verse aucune pièce établissant qu’il avait avant d’envoyer ce mail vérifier la façon dont cela s’était organisé au besoin en prenant contact directement avec son subordonné pour en discuter avec lui. Si le contenu du mail n’est pas en soit incorrect ou agressif, recevoir des reproches par mail sans avoir pu s’expliquer alors que les relations sont déjà tendues ne peut être que déstabilisant pour le salarié.
L’employeur n’établit par aucune pièce que sa réaction était justifiée par des éléments objectifs, alors même que les relations entre le supérieur hiérarchique et le salarié était dégradées depuis plusieurs mois, ce qui engendrait un contexte relationnel délétère même si certaines demandes du président notamment sur le respect des procédures d’achats, ou sur les demandes d’information sur des projets (tracé piste de ski) ressortaient de ses pouvoirs de direction.
Concernant le non paiement d’une partie de la prime d’objectif en juillet 2018, l’employeur la justifie par le fait que le salarié n’a pas atteint les objectifs qualitatifs portant sur l’esprit collectif.
Pour réduire la prime l’employeur se fonde sur la fiche de rémunération variable 2017/2018 où figure le commentaire suivant : ‘Perte de confiance et manque de solidarité avec la direction. Tu dois absolument rester solidaire du CODIR en toute circonstance et éviter tout dénigrement. S’il y a un problème, on doit le régler en toute confidentialité dans le CODIR.’.
Il en résulte que l’employeur en privant le salarié de sa prime a sanctionné une attitude qu’il n’approuve pas et lui reproche un dénigrement.
Or il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence ancienne et constante et de la chambre sociale de la cour de cassation que les conditions d’octroi d’une prime ne doivent pas être constitutives d’une sanction pécuniaire prohibée, et que toute retenue sur salaire effectuée en raison d’une faute d’un salarié est illicite et constitue une sanction prohibée (Soc 7 mai 1991 n° 87-43.350, Soc 2 décembre 1992 n° 89-43.162, Soc 16 décembre 1994 n° 90-45.915, Soc 20 décembre 2005 n° 05-45.365).
En opérant un lien entre la réduction de la prime et le comportement du salarié que l’employeur estimait fautif, l’employeur a sanctionné financièrement le salarié, ce qui constitue un agissement d’harcèlement moral ne reposant sur aucun élément objectif étranger à tout harcèlement moral.
Enfin, si l’employeur était légitime à engager une procédure de licenciement, et à demander à un huissier de justice de remettre au salarié une lettre de convocation à l’entretien préalable à un éventuel licenciement, les faits reprochés qui persistaient depuis quelques mois ne nécessitaient pas que l’employeur demande au salarié de quitter immédiatement l’entreprise et emmène sur le champs ses affaires personnelles sans même pouvoir saluer ses collaborateurs.
Ces conditions de départ du salarié ne sont justifiées par aucun élément objectif étranger à tout harcèlement moral.
Le salarié au regard de tous ces éléments établit dès lors avoir subi un harcèlement moral.
Pour entraîner la nullité du licenciement, il est nécessaire que le salarié établisse que le harcèlement moral est directement lié au licenciement. La chambre sociale de la cour de cassation a ainsi jugé qu’un licenciement pour inaptitude était nul, car l’inaptitude était consécutive à des actes de harcèlement Cass soc 10 novembre 2009 n° 07-45.321, n° 08-41.497).
Elle a aussi jugé qu’il résulte des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail que le licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral est nul ; Et attendu, qu’ayant constaté que le harcèlement moral, résultant notamment du retrait de certaines de ses attributions, d’injures et humiliations de la part du nouveau gérant ou de salariés sans réaction de ce dernier, était caractérisé à l’égard de la salariée, et retenu, sans dénaturation de la lettre de licenciement, que « l’attitude de moins en moins collaborative » ainsi que le fait de créer des dissensions au sein de l’équipe et de dénigrer le gérant, griefs reprochés à la salariée, étaient une réaction au harcèlement moral dont la salariée avait été victime, la cour d’appel, qui n’avait pas à examiner les autres faits énoncés dans la lettre de licenciement, en a exactement déduit la nullité du licenciement. (Cass soc 10 juillet 2019 pourvoi n° 18-14.317).
Dès lors si l’un au moins des motifs du licenciement est directement lié au harcèlement moral le licenciement est nul.
La lettre de licenciement limitant l’objet du litige expose notamment que ‘votre comportement n’est pas en adéquation avec votre fonction et vos responsabilités de directeur opérationnel…Ces fonctions outre un devoir d’exemplarité, de loyauté, d’intégrité, de bonne foi, de porter la politique d’entreprise et les décisions du CODIR auprès de vos équipes, supposent de respecter loyalement les règles, suivre les procédures et faire preuve de neutralité dans votre management.
Le 24 mai 2016 nous avons déjà dû attirer très solennellement votre attention… sur la remise en cause de l’autorité du président sur des prises d’initiatives sans en informer le Codir et sans respecter les procédures…
Nous pensions après cet avertissement que cette sérieuse mise au point écarterait définitivement de votre mode de management ces pratiques contestables.
Au cours de la saison suivante, nous avons avec satisfaction constaté une amélioration et notamment un axe sérieux de progrès sur l’objectif qui vous avait été assigné de travailler avec les services supports avec plus de bienveillance et sérenité tout comme nous avions relevé une bonne implication en Codir.
Malheureusement,il s’est avéré que certains défauts de management et de comportement entachant ainsi les principes inclus à votre fonction…sont réapparus.’.
L’employeur liste ensuite une série de griefs précis dont celui d’arrêter des décisions impactantes pour l’entreprise sans associer le Codir. Il reproche ainsi au salarié de mettre le Codir devant le fait accompli.
Il est ensuite reproché un désengagement du Codir, l’employeur indiquant qu’en date du 18 janvier 2019, vous avez arrêté le choix sans concertation de vous retirer du Codir alors que nous vous avions mis en garde sur cette décision, vous invitant à reprendre vos fonctions. D’autre part, nous avons attiré votre attention sur la désolidarisation de l’équipe de direction et d’autre part sur les graves conséquences en matière de management des équipes qu’une telle décision engendrerait. Vous avez donc fait votre retour au Codir…Lors du Codir du 7 mars 2019 en votre présence, vous exposez des conditions de retour et vous ne confirmez pas votre retour définitif. C’est la raison pour laquelle il vous a été demandé de faire connaître formellement votre retour, ce que vous n’avez pas fait, marquant ainsi la persistance de votre désengagement et le manque de sincérité de votre démarche de retour…
Vous mettez en difficulté les membres du Codir qui se retrouvent devant le fait accompli et parfois même sans information du tout sur certains sujets…La confiance est aujourd’hui rompue du fait de vos choix managériaux.
Pourtant lors de la remise en main propre de votre prime de juin 2018, celle-ci a été ramenée à zéro en raison de la perte de confiance et manque de solidarité avec la direction…Manifestement ces mises en garde n’ont pas été prises en compte….Enfin vous annoncez de façon menaçante lors de la conclusion de l’entretien préalable, avoir monté un dossier contre votre responsable depuis 18 mois. S’il y avait quelque difficulté que ce soit, il y a eu suffisamment de points d’échanges avec votre supérieur hiérarchique pour évoquer en toute franchise les difficultés potentielles…’.
Ces griefs sont directement et partiellement liés aux faits retenus comme des agissements de harcèlement moral, à savoir au fonctionnement perturbé ayant existé entre le salarié et son supérieur hiérarchique, amenant au reproche formulé par le mail du 17 janvier 2019 et à la suppression de la prime.
Les conditions de départ du salarié lors de la remise de la lettre de convocation à l’entretien préalable sont également liées à la dégradation des relations entre le supérieur hiérarchique et le salarié.
Le licenciement est dès lors partiellement lié au harcèlement moral, et sera annulé sans avoir besoin d’examiner les autres motifs du licenciement tenant notamment à des propos incorrects ou insultants tenus à l’égard de salariés, et le non respect de procédures internes concernant l’engagement de dépenses ou d’acceptation de devis.
Le salarié a droit à des dommages et intérêts.
Il bénéficiait d’une ancienneté de sept années et percevait une rémunération brute d’un peu plus de 10 030 € ainsi qu’il ressort du bulletin de salaire de décembre 2018 mentionnant le salaire brut annuel.
En cas de nullité le salarié peut prétendre au minimum à une indemnité correspondant à six mois de salaires.
Il justifie avoir retrouvé en septembre 2019 pour un salaire annuel brut de 72 000 €.
Au regard de ces éléments, il lui sera alloué des dommages et intérêts d’un montant de 60 180 € correspondant à six mois de salaires.
La demande de dommages et intérêts pour préjudice moral sera rejetée, le préjudice invoqué étant le même que celui pris en compte dans le cadre du licenciement.
Sur le forfait jour et les heures supplémentaires, le contrat de travail stipule que ‘conformément à l’accord de réduction du temps de travail des cadres et à la loi 2004-626 du 30-06-2004, le nombre annuel de jour de travail des cadres est fixé à 218″.
L’accord de réduction du temps de travail des cadres produit aux débats prévoit un décompte des jours de repos devant être enregistrés dans un planning ; il précise que les dispositions relatives au repos quotidien et au repos hebdomadaires sont applicables aux cadres. L’accord au titre des modalités de contrôle et de suivi indique que ‘le contrôle pourra être fait à tout moment sur le planning relatant les jours de travail, de repos et de congés des cadres. Une commission de suivi composée de deux membres de la direction, du délégué cadre et du délégué suppléant cadre sera chargé de suivre l’application de l’accord. Elle se réunira au moins une fois l’an.’.
Il n’est prévu aucune autre disposition.
Cet accord collectif ne prévoit aucun dispositif de contrôle de la charge de travail, d’entretien spécifique avec le salarié pour s’assurer du respect effectif des durées maximales de travail et s’assurer que le salarié bénéficie de jours de repos suffisants.
Si la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a prévu de sécuriser les accords collectifs antérieurs à la loi, par un avenant de sécurisation, l’article 12 de cet avenant dispose que ‘lorsqu’une convention ou accord de branche ou un accord d’entreprise ou d’établissement conclu avant la publication de la présente loi et autorisant la conclusion de forfaits annuels en heures ou en jours est révisé pour être mis en conformité avec l’article L 3121-64 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, l’exécution de la convention individuelle de forfait annuel en heures ou en jours se poursuit sans qu’il y ait lieu de requérir l’accord du salarié.’.
L’article L 3121-64 prévoit que l’accord doit déterminer notamment les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié, les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération, ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise, les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l’article L 2242-17″.
Il résulte de ces dispositions que l’employeur pouvait sécuriser la convention de forfait jours en se mettant en conformité avec les prescriptions de l’article L 3121-64.
Or la société des Trois Vallées ne produit aucune pièce justifiant du contrôle effectif de la charge de travail de ses cadres en se conformant à ces prescriptions.
La convention de forfait jours est dès lors nulle et le salarié est recevable à demander le paiement d’heures supplémentaires.
Il résulte de l’article L 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties ; l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande.
Au dernier état de la jurisprudence de la cour de cassation ‘le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur qui assure le contrôle des heures effectuées d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments’ ; après analyse des pièces produites par l’une et l’autre partie, ‘dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant’.
Le salarié produit des feuilles de présence cadres des mois travaillés mentionnant le nombre d’heures effectuées par jour et par semaine de décembre 2017 à mars 2019.
Il a établi un décompte récapitulant les heures travaillées par semaine, la durée effective du temps de travail, le nombre d’heures supplémentaires entre 35 et 43 heures et au-delà, en appliquant les majorations correspondantes.
Le salarié verse en outre de nombreux messages professionnels reçus ou adressés tôt le matin ou en soirée après 19 heures.
L’employeur avec ces éléments était en mesure de répondre utilement au salarié.
Il verse des feuilles de présence sur la période litigieuse mentionnant le même nombre de jours de travail. Aucune heure n’est indiquée sur ces feuilles de présence, qui ne sont pas signées.
Il ne conteste la demande du salarié qu’en ne citant une journée où le salarié aurait travaillé 17 heures de 4 heures le matin à 21 heures. Il se fonde sur le fait que les messages suscités ne citent que des heures entre 6 heures 49 et 19 heures 09 et que l’agenda du salarié indique des heures normales. Toutefois le travail du salarié ne se limitait pas à correspondre par mail ou sms, et l’agenda ne cite que des heures où le salarié avait des rendez-vous ; là encore les rendez-vous ne correspondaient pas au temps de travail du salarié, celui-ci ayant d’évidence d’autres tâches.
Enfin l’employeur ne peut se fonder sérieusement sur un extrait du rapport de la chambre régionale des comptes qui indique juste que le mode de gestion des heures supplémentaires est apparu conforme et que leur volume était maîtrisée alors que cette appréciation ne concerne que les personnels non cadres.
Il sera fait droit à la demande en paiement des heures supplémentaires de 167 406,84 € et des congés payés afférents de 16 740 €.
Sur le repos compensateur, il ressort du décompte d’heures en 2018 que 1570 heures ont été effectuées.
Le contingent annuel prévu par l’accord collectif est 150 heures.
Le contingent a donc été dépassé pour 1420 heures.
En application de l’article L 3121-38 du code du travail, le salarié a droit au paiement de 100 % de ces heures au taux non discuté de 51,98 € ce qui établit une créance au titre du repos compensateur de 73 811,60 €.
L’employeur devra remettre au salarié un bulletin de salaire et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt.
Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Infirme le jugement en date du 4 février 2021 rendu par le conseil de prud’hommes d’Albertville,
Statuant à nouveau,
Dit que M. [G] a subi un harcèlement moral,
Dit que le licenciement est partiellement lié au harcèlement moral subi,
Prononce la nullité du licenciement de M. [G] ;
Condamne la société des Trois Vallées S3V à payer à M. [I] [G] la somme de 60 180 € au titre du licenciement nul ;
Déboute M. [G] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant du harcèlement moral,
Prononce la nullité de la convention de forfait jour,
Condamne la société des Trois Vallées S3V à payer à M. [I] [G] la somme de 167 406,84 € au titre des heures supplémentaires réalisées, celle de 16 740 € au titre de congés payés afférents, et celle de 73 811,60 € au titre du repos compensateur ;
Ordonne à la société des Trois Vallées S3V de remettre à M. [I] [G] un bulletin de salaire et des documents de rupture conformes au présent arrêt ;
Condamne la société des Trois Vallées aux dépens de première instance et d’appel,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société des Trois Vallées S3V à payer à M. [I] [G] la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Ainsi prononcé publiquement le 23 Juin 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier pour le prononcé auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.