Retenues sur salaire : 22 septembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02210

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Retenues sur salaire : 22 septembre 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02210

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 SEPTEMBRE 2022

N° RG 21/02210

N° Portalis DBV3-V-B7F-UUAD

AFFAIRE :

S.A. TRANSDEV ILE DE FRANCE

C/

[X] [T]

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 18 juin 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY

N° Section : RE

N° RG : 21/00018

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Oriane DONTOT

M. [N] [E] (Délégué syndical ouvrier)

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A. TRANSDEV ILE DE FRANCE

N° SIRET : 383 607 090

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par : Me Arnaud BLANC DE LA NAULTE de l’AARPI NMCG AARPI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0007 et Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617

APPELANTE

****************

Monsieur [X] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par : M. [N] [E] (Délégué syndical ouvrier)

Syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par : M. [N] [E] (Délégué syndical ouvrier)

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 juin 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Présidente,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Greffière lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,

Greffière placée lors de la mise à disposition : Mme Virginie BARCZUK

RAPPEL DES FAITS CONSTANTS

La SA Transdev Île-de-France, dont le siège social est situé à [Localité 6] dans les Hauts-de-Seine en région Île-de-France, est spécialisée dans le transport public de voyageurs. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

M. [X] [T], né le 27 mars 1965, a été engagé par cette société le 21 septembre 1995, selon contrat de travail à durée déterminée, en qualité de conducteur-receveur.

Par la suite, sept contrats à durée déterminée ont été conclus entre les parties puis la relation de travail s’est poursuivie à durée indéterminée à compter du 26 octobre 1996, avec une reprise d’ancienneté au 02 septembre 1996.  

M. [T] est représentant de la section syndicale de la CGT de l’établissement de Conflans-Sainte-Honorine dans lequel il travaille depuis le 17 juin 2019 et il est conseiller du salarié depuis le 19 février 2020.

À compter du 02 novembre 2020, la société Transdev Île-de-France a modifié les horaires de travail du salarié.

Invoquant la violation de son statut de salarié protégé, M. [T] a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de Poissy aux fins d’ordonner à la société Transdev Île-de-France de le réintégrer sur ses horaires de travail antérieurs, par requête reçue au greffe le 28 avril 2021.

Les parties ont précisé lors des débats n’avoir engagé aucune procédure au fond.

La décision contestée

Par ordonnance contradictoire rendue le 18 juin 2021, la formation de référé du conseil de prud’hommes de Poissy a :

– rappelé que l’ordonnance de référé est exécutoire à titre provisoire,

– ordonné à la société Transdev Île-de-France de réintégrer M. [T] sur les services horaires effectués avant le 02 novembre 2020 sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter du 10ème jour suivant le prononcé de la décision,

– dit que le conseil se réservait le pouvoir de liquider l’astreinte,

– fixé la moyenne des salaires à 2 804,29 euros,

– donné acte à la société Transdev Île-de-France qu’elle s’engageait à payer à M. [T] la somme de 30,62 euros au titre de la retenue opérée sur le bulletin de paie de février 2021, avant le 04 juillet 2021,

– ordonné à la société Transdev Île-de-France de payer à M. [T] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit recevable l’intervention volontaire de l’union locale des syndicats CGT,

– ordonné à la société Transdev Île-de-France de payer à l’union locale des syndicats CGT les sommes de :

. 1 000 euros au titre des dommages-intérêts pour la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’il représente,

. 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [T] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Transdev Île-de-France de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– mis les entiers dépens de l’instance, y compris les éventuels frais d’exécution, à la charge de la société Transdev Île-de-France.

M. [T] avait demandé au conseil de prud’hommes :

– constater l’existence d’un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser vu l’urgence, ce au visa des dispositions de l’article R. 1455-6 du code du travail,

– ordonner à la société Transdev Île-de-France de réaffecter M. [T] sur les services horaires effectués avant la modification de ses conditions de travail survenue le 02 novembre 2020,

– fixer une astreinte d’un montant de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,

– dire que la formation des référés se réservera le droit de liquider l’astreinte en application des dispositions de l’article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution,

– condamner à titre provisionnel, la société Transdev Île-de-France à payer à M. [T] les sommes suivantes :

– complément de primes mensuelles (A23 – ICA – Services Journées) pour les mois de janvier et février 2021 : 600 euros brut,

– rappel de salaire du mois de février 2021 : 30,62 euros brut,

– rappel de salaire du mois de janvier 2021 : 86,87 euros brut,

– article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,

– juger recevable l’intervention volontaire du syndicat en application de l’article L. 2132-3 du code du travail au titre de la défense de l’intérêt collectif de la profession,

– condamner la société Transdev Île-de-France à payer, à titre provisionnel, à l’union locale des syndicats CGT les sommes suivantes :

– dommages-intérêts au titre de la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’il représente : 5 000 euros,

– article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros,

– juger qu’en application des dispositions de l’article 514 du code de procédure civile et de l’article R. 1455-10 du code du travail, les condamnations prononcées en référé sont exécutoires de plein droit, ce nonobstant un éventuel appel,

– que la moyenne de la rémunération est fixée à 2 804,29 euros,

– en application des dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile condamner la société Transdev Île-de-France aux entiers dépens de première instance comprenant la signification éventuelle de l’ordonnance à intervenir par voie d’huissier de justice ainsi qu’à ses suites,

– dire qu’au cas de la mise en ‘uvre d’une telle nécessité, il sera fait application des dispositions de l’article R. 1423-53 du code du travail par l’huissier de justice,

– déclarer mal fondée en ses éventuelles prétentions la société Transdev Île-de-France et en conséquence la débouter de toutes ses demandes fins et conclusions.

La société Transdev Île-de-France avait, quant à elle, conclut au débouté du salarié et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les parties ont par ailleurs confirmé lors des débats que la décision de première instance avait été exécutée.

La procédure d’appel

La société Transdev Île-de-France a interjeté appel du jugement par déclaration du 07 juillet 2021 enregistrée sous le numéro de procédure 21/02210.

Prétentions de la société Transdev Île-de-France, appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 4 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Transdev Île-de-France demande à la cour d’appel de :

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

. lui a ordonné de réintégrer M. [T] sur les services horaires effectués avant le 02 novembre 2020 sous astreinte de 250 euros par jour à compter du 10ème jour suivant le prononcé de la présente décision,

. a dit que le conseil se réservait le pouvoir de liquider l’astreinte,

. a fixé la moyenne des salaires à 2 804,29 euros,

. lui a ordonné de payer à M. [T] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. lui a ordonné de payer à l’union locale des syndicats CGT les sommes de :

. 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’il représente,

. 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

. l’a déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles,

. a mis les entiers dépens de l’instance, y compris les éventuels frais d’exécution à sa charge,

statuant à nouveau,

à titre principal,

– constater que les demandes de M. [T] excèdent la compétence de la formation des référés,

– dire n’y avoir lieu à référé,

– renvoyer M. [T] à mieux se pourvoir au fond,

à titre subsidiaire,

– constater que les demandes présentées par M. [T] sont manifestement infondées,

en tout état de cause,

– débouter M. [T] de l’intégralité de ses demandes,

– lui donner acte qu’elle s’engage à régler à M. [T], par virement bancaire sous un délai d’un mois à compter de la communication des présentes écritures, la somme de 30,62 euros bruts à titre de rappel de salaire suite à une retenue erronée,

– condamner l’union locale des syndicats CGT à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour intervention abusive.

La société appelante sollicite en outre une somme de 2 000 euros à l’encontre de M. [T] et une même somme de 2 000 euros à l’encontre de l’union locale des syndicats CGT en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Prétentions de M. [T] et de l’union locale des syndicats CGT, intimés

Par dernières conclusions reçues au greffe le 05 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de leurs moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [T] et l’ union locale des syndicats CGT demandent à la cour d’appel de :

– déclarer mal fondée la société Transdev Île-de-France en son appel principal et l’ensemble de ses prétentions, en conséquence, la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions formées à leur encontre,

– les déclarer bien fondés en leurs prétentions respectives et notamment leurs appels incidents,

– confirmer l’ordonnance déférée sur les chefs de la demande pour lesquels elle est entrée en voie de condamnation soit :

. a constaté le trouble manifestement illicite,

. a ordonné à la société Transdev Île-de-France de réintégrer M. [T] sur les services horaires effectués avant le 02 novembre 2020 sous astreinte de 250 euros par jour à compter du 10ème jour suivant le prononcé de la présente décision,

– porter, toutefois le montant de l’astreinte à la somme de 500 euros,

. a ordonné à la société Transdev Île-de-France de payer à M. [T] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

et, y ajoutant, en cause d’appel, au titre de l’appel incident,

– condamner la société Transdev Île-de-France à payer à M. [T] :

. complément de primes mensuelles (A23 – ICA ‘ services journées) pour les mois de janvier à juin 2021 : 1 435,13 euros bruts,

. salaire retenu sur le bulletin de paye de février 2021 : 30,62 euros bruts,

. article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros nets,

. dit recevable l’intervention volontaire de l’union locale CGT de Clichy,

. ordonné à la société Transdev Île-de-France de payer à l’union locale des syndicats CGT une somme au titre des dommages-intérêts pour la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’elle représente et une autre au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

et y ajoutant en cause d’appel, au titre de l’appel incident,

– porter les sommes accordées au montant de :

. 5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour la défense de l’intérêt collectif de la profession qu’elle représente,

. 2 000 euros nets en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire que la cour se réservera le pouvoir de liquider l’astreinte en application de l’article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution,

– en application des dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile mettre les entiers dépens de première instance et d’appel à la charge de la société Transdev Île-de-France comprenant la signification éventuelle de l’arrêt à intervenir par voie d’huissier de justice ainsi qu’à ses suites,

– dire qu’au cas de la mise en ‘uvre d’une telle nécessité, il sera fait application des dispositions de l’article R. 1423-53 du code du travail par l’huissier de justice.

Par ordonnance rendue le 12 janvier 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 03 février 2022.

L’affaire a été renvoyée à l’audience du 09 juin 2022.

À l’issue des débats, il a été proposé aux parties de recourir à la médiation, ce qu’elles ont décliné.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur la réintégration

M. [T] demande sa réintégration dans ses conditions de travail antérieures. Il expose que ses conditions de travail ont été changées, passant d’un horaire discontinu à un horaire continu avec des heures de nuit et que son employeur n’a pas recueilli son accord alors qu’il est salarié protégé.

La société Transdev Île-de-France s’oppose à cette demande, faisant valoir qu’elle pouvait imposer une modification des horaires du salarié, dès lors que la durée du travail et la rémunération du salarié restaient identiques, qu’elle était quoi qu’il en soit contrainte de faire ces modifications et que les changements portent sur des éléments qui n’ont pas été contractualisés.

Sur ce, en application des dispositions de l’article R. 1455-6 du code du travail, « la formation de référé peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

Il est rappelé que toute modification du contrat ou changement des conditions de travail des salariés protégés nécessite leur accord préalable, à défaut duquel l’employeur ne peut imposer aucun changement de son statut au salarié. Il doit impérativement recueillir l’accord de l’intéressé. En cas de refus par celui-ci de cette modification ou de ce changement, l’employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l’autorité administrative d’une demande d’autorisation de licenciement.

Il est établi et non discuté que M. [T] est salarié protégé. Il indique en effet, sans être démenti par la société Transdev Île-de-France, qu’il a été désigné Représentant de Section Syndicale le 17 juin 2019 et qu’il est conseiller du salarié depuis le 19 février 2020, comme en atteste sa carte de fonction (sa pièce 16). Il bénéficie dès lors d’une protection attachée à ces mandats, conformément aux dispositions de l’alinéa 1er de l’article L. 2141-5 du code du travail, lequel dispose : « Il est interdit à l’employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail. ».

Il est également établi que M. [T] a fait l’objet d’une modification de son contrat de travail, ou à tout le moins de ses conditions de travail, laquelle suppose, comme la modification du contrat de travail, l’accord du salarié protégé.

En effet, avant la modification, en qualité de conducteur/receveur, il était affecté sur la ligne 27 et assurait les services suivants, une semaine sur deux :

– du lundi au vendredi :

soit le service 27042 de 06h07 à 09h41 puis de 15h32 à 19h57,

soit le service 27032 de 05h57 à 09h20 puis de 15h22 à 19h45,

– un samedi sur deux, le service 27010 de 05h27 à 13h53 (pièce 7 de l’employeur).

Après la modification effective à compter du 02 novembre 2020, il était toujours affecté sur la ligne 27 mais assurait les services suivants :

– du lundi au vendredi :

soit les services 27010 & 27020 de 04h52 à 13h52 ou de 04h57 à 13h44,

soit les services 27011 & 27021 de 13h22 à 21h22 ou de 13h17 à 22h15,

– le samedi :

soit les services 27011 & 27021 de 13h07 à 21h50 ou de 13h20 à 21h40,

soit les services 27010 & 27020 de 05h27 à 13h53 ou de 5h20 à 13h40 (pièce 7 de l’employeur).

Il se déduit de ces horaires que M. [T] est passé d’un horaire discontinu, avec une longue pause, à un horaire continu, outre le fait qu’il effectue quelques heures de nuit, entre 21h00 et 06h00, ce qui confirme la modification de ses conditions de travail.

L’employeur reconnaît qu’il n’a pas sollicité l’accord préalable de M. [T] avant de mettre en ‘uvre ce changement, ne l’estimant pas nécessaire, et l’acceptation ne peut résulter de la poursuite de son travail par l’intéressé.

Ainsi, l’employeur ne pouvait imposer la modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail à M. [T], sans son accord.

Il y a donc trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser.

La société Transdev Île-de-France invoque toutefois l’impossibilité de rétablir le salarié dans ses horaires antérieurs. Elle soutient qu’elle a été contrainte de procéder à de profonds changements au sein des lignes sur lesquelles M. [T] était affecté afin de résoudre des insuffisances horaires rencontrées par certains conducteurs, dont le salarié, la contraignant à modifier les roulements afin d’optimiser le fonctionnement des services. Cette considération, à la supposer démontrée, ne dispensait cependant pas l’employeur de solliciter l’accord du salarié puis, en cas de refus, d’envisager son licenciement. Par ailleurs, les parties admettent qu’à la suite de la décision de première instance, M. [T] a été rétabli dans ses horaires antérieurs, ce qui exclut l’impossibilité alléguée.

Dans ces conditions, il sera fait droit à la demande de M. [T] de réintégration aux conditions antérieures, par confirmation de l’ordonnance entreprise, sans toutefois qu’il n’y ait lieu à astreinte puisque les parties conviennent que la réintégration a d’ores-et-déjà été mise en ‘uvre.

Sur les primes

M. [T] expose que, comme tout salarié dans la même configuration d’emploi que lui, il perçoit trois primes liées à l’exercice du métier de conducteur/receveur, que la modification de ses conditions de travail a impacté sa rémunération et il sollicite à ce titre un rappel de salaire de 1 435,13 euros brut correspondant au rappel des trois primes sur la période allant de janvier à juin 2021 inclus, étant précisé qu’il y a un mois de décalage entre la situation donnant lieu à primes et le paiement.

La société Transdev Île-de-France s’oppose à la demande, faisant valoir que le salarié n’a pas perdu d’argent puisqu’il a été mieux rémunéré en 2021 qu’en 2020.

En application des dispositions de l’article R. 1455-7 du code du travail, « dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

M. [T] justifie qu’il bénéficie de trois primes, dans l’exercice de ses fonctions :

– une première, « ICA » ou indemnité compensatrice d’amplitude qui a pour vocation d’indemniser la coupure (pause) entre les services du matin et du soir ;

– une deuxième « A.23 » qui est née d’un accord d’entreprise de 2004 rendue obligatoire par la suite qui a redéfini la prime ICA en la minorant passant de 100% à 35%, de sorte que pour que les anciens salariés ne soient pas lésés par cette diminution, une nouvelle prime propre à l’entreprise a été créée sur la base de 65% du salaire ;

– une troisième prime appelée « services journée », qui vient couvrir la sujétion consistant pour le conducteur à travailler en deux périodes journalières.

Il est constant que du fait de la modification injustifiée de ses conditions de travail, M. [T] a perdu le bénéfice d’une partie de ces primes, qu’il convient donc de rétablir.

Au vu du tableau établi par le salarié que la cour adopte (pièce 25 du salarié), non utilement contredit par l’employeur, il y a lieu de faire droit à la demande.

La société Transdev Île-de-France sera en conséquence condamnée à payer, à titre provisionnel à M. [T] la somme brute de 1 435,13 euros, par infirmation de l’ordonnance entreprise.

Sur la retenue sur salaire

M. [T] fait valoir qu’une retenue a été opérée sans raison sur son salaire du mois de février 2021, à hauteur de 30,62 euros, ce que l’employeur reconnaît.

L’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle a donné acte à la société Transdev Île-de-France qu’elle s’engageait à payer à M. [T] la somme de 30,62 euros au titre de la retenue opérée sur le bulletin de paie de février 2021, avant le 04 juillet 2021, et, y ajoutant, s’il ne s’exécute pas volontairement comme il s’y est engagé, l’employeur sera condamné au paiement à titre provisionnel.

Sur l’action du syndicat

L’union locale des syndicats CGT sollicite l’allocation d’une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte portée à l’intérêt collectif de la profession.

Il est rappelé qu’en application de l’article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice, qu’ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.

En l’espèce, la violation par la société Transdev Île-de-France des dispositions de l’article L. 2141-5 du code du travail, qui assurent une protection aux titulaires de mandats syndicaux, est de nature à porter un préjudice à l’intérêt collectif de la profession que le syndicat représente, et justifie l’octroi de dommages-intérêts.

Le conseil de prud’hommes a fait une juste appréciation du préjudice subi en l’espèce et sera en conséquence confirmé en ce qu’il a alloué 1 000 euros de dommages-intérêts à l’union locale des syndicats CGT sur ce fondement.

Il s’ensuit par voie de conséquence le rejet de la demande de l’employeur tendant à la condamnation de l’union locale des syndicats CGT à lui verser la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour intervention abusive, par confirmation de l’ordonnance entreprise.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Transdev Île-de-France supportera les dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

La société Transdev Île-de-France sera en outre condamnée à payer à M. [T], en cause d’appel, une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 000 euros.

Elle sera en outre condamnée à payer une somme de 500 euros à l’union locale des syndicats CGT sur ce même fondement.

La société Transdev Île-de-France sera déboutée de sa demande présentée à ce titre.

L’ordonnance de première instance sera confirmée en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;

CONFIRME l’ordonnance rendue par le conseil des prud’hommes de Versailles le 18 juin 2021, excepté en ce qu’elle a assorti l’obligation de réintégration d’une astreinte et en ce qu’elle a débouté le salarié de sa demande de rappel de primes ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

DÉBOUTE M. [X] [T] de sa demande d’astreinte ;

CONDAMNE la SA Transdev Île-de-France à payer à titre provisionnel à M. [X] [T] une somme 1 435,13 euros brut correspondant au rappel des trois primes sur la période allant de janvier à juin 2021 inclus ;

CONDAMNE, à défaut de paiement volontaire, la SA Transdev Île-de-France à payer à titre provisionnel à M. [X] [T] une somme de 30,62 euros en remboursement de la retenue sur salaire injustifiée du mois de février 2021 ;

CONDAMNE la SA Transdev Île-de-France à payer à M. [X] [T] une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SA Transdev Île-de-France à payer à l’union locale des syndicats CGT une somme de 500 euros sur le même fondement ;

DÉBOUTE la SA Transdev Île-de-France de sa demande présentée sur le même fondement ;

CONDAMNE la SA Transdev Île-de-France au paiement des entiers dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code procédure civile et signé par Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère, en remplacement de Madame Isabelle VENDRYES, Présidente, légitimement empêchée, et par Madame Virginie BARCZUK, Greffière placée, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE placée, P/ LA PRESIDENTE empêchée,

 


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