RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 22 MARS 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/05496 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B734V
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mars 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – Section Commerce chambre 6 – RG n° F18/04947
APPELANTE
SAS ACENI SERVICES ASSOCIES
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Déborah PUSZET, avocat au barreau de PARIS, toque : C2522
INTIMÉE
Madame [B] [W]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Nawal BELLATRECHE TITOUCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0748
(bénéficie d’une aide juridictionnelle partielle numéro 2022/006967 du 23/03/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 4 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Philippe MICHEL, Président de chambre
M. Fabrice MORILLO, Conseiller
Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Philippe MICHEL, Président de chambre dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Pauline BOULIN
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [W] a été salariée de la société Aceni Services Associés en qualité d’agent de service du 1er janvier 2006 au 21 octobre 2017.
La convention collective applicable est la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.
La société emploie habituellement plus de 11 salariés.
Estimant que l’employeur lui a appliqué illégalement une déduction forfaitaire spécifique pour frais professionnels, Mme [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, le 2 juillet 2018, afin d’obtenir la condamnation de la société Aceni Services Associés à lui payer les sommes de 8 787,93 euros à titre de compensation des abattements illégaux, de 8 787,93 euros en réparation du préjudice moral et financier et de 5 000 euros en réparation du préjudice subi en raison de la résistance abusive, en tout état de cause, 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sollicitait également la remise de bulletins de paie et autres documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir et la condamnation de la société aux entiers dépens.
La société Aceni Services Associés a conclu au débouté de Mme [W] et à la condamnation de cette dernière au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 12 mars 2019, le Conseil de Prud’hommes de Paris a condamné la société Aceni Services Associés à verser à Mme [W] les sommes de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l’abattement et de 900 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et a débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire.
Le 23 avril 2019, la société Aceni Services Associés a interjeté appel de ce jugement notifié le 28 mars 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 19 juillet 2019, elle demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé des condamnations à son encontre,
– Condamner Mme [W] à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 22 octobre 2019, Mme [W] demande à la cour de :
– Dire et juger que les abattements opérés sur ses salaires sont illégaux,
– Condamner la société Aceni Services Associés à lui payer les sommes de 8 787,93 euros à titre de compensation des abattements illégaux, de 8 787,93 euros au titre du préjudice moral et financier et de 5 000 euros en réparation du préjudice subi en raison de la résistance abusive,
A titre subsidiaire,
– Confirmer le jugement du 12 mars 2019,
En tout état de cause,
– Condamner la société à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
L’instruction a été clôturée le 6 décembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 4 janvier 2023.
MOTIFS
Selon l’article L. 242-1, alinéa 3, du code de la sécurité sociale, il ne peutêtre opéré sur la rémunération ou le gain des intéressés servant au calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travailet des allocationsfamiliales, de déduction au titre de frais professionnels que dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel. Il ne pourra également être procédé à des déductions au titre de frais d’atelier que dans les conditions et limites fixées par arrêté ministériel.
L’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif à la déduction forfaitaire spécifique des frais professionnels , dans sa rédaction issue de l’article 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005, est ainsi rédigé:
‘Les professions, prévues à l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui comportent des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui résultant du dispositif prévu aux articles précédents peuvent bénéficier d’une déduction forfaitaire spécifique. Cette déduction est, dans la limite de 7 600 € par année civile, calculée selon les taux prévus à l’article 5 de l’annexe IV du code précité.
L’employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique lorsqu’une convention ou un accord collectif du travail l’a explicitement prévu ou lorsque le comité d’entreprise ou les délégués du personnel ont donné leur accord.
À défaut, il appartiendra à chaque salarié d’accepter ou non cette option. Celle-ci peut alors figurer soit dans le contrat de travail ou un avenant au contrat de travail, soit faire l’objet d’une procédure mise en oeuvre par l’employeur consistant à informer chaque salarié individuellement par lettre recommandée avec accusé de réception de ce dispositif et de ses conséquences sur la validation de ses droits, accompagné d’un coupon-réponse d’accord ou de refus à retourner par le salarié. Lorsque le travailleur salarié ou assimilé ne répond pas à cette consultation, son silence vaut accord définitif.’
Les ouvriers de la propreté ne sont pas visés par le Code général des impôts, mais la doctrine fiscale les a assimilés aux ouvriers du bâtiment à la condition que, comme ces derniers, ils travaillent sur plusieurs chantiers.
À l’appui de son appel, la société Aceni Services Associés rappelle que, dans une lettre circulaire ministérielle du 8 novembre 2012 (DSS/SD5B/NH ; D-2012-9774), il a été demandé aux contrôleurs des Urssaf et des Caisses générales de sécurité sociale de ne pas tenir compte de cette condition d’un travail sur plusieurs sites posée par la Cour de cassation, et qu’en contre-partie, cette lettre circulaire a abaissé la déduction forfaitaire dans le secteur de la propreté dont le taux était de 10 % par analogie avec le bâtiment au taux de 9 % pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2013, puis au taux de 8 % pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2014. Elle ajoute que la jurisprudence a ainsi encore récemment écarté la condition de missions effectuées sur plusieurs sites.
Elle fait alors valoir qu’elle est une entreprise exerçant dans le secteur de la propreté, que, conformément à la jurisprudence et la doctrine fiscale, elle est autorisée à appliquer les abattements forfaitaires spécifiques, qu’elle a obtenu l’accord du Comité d’entreprise concernant cette déduction spécifique et que le contrat de travail de Mme [W] prévoit explicitement la possibilité d’une affectation de la salariée sur plusieurs sites.
Mme [W] réplique qu’elle était affectée au nettoyage du cinéma Gaumont Pathé de [Localité 5] Beaugrenelle, qu’elle ne peut être assimilée à un ouvrier du bâtiment se déplaçant de chantier en chantier et que, par conséquent, les abattements réalisés sur ses salaires sont injustifiés et surtout illégaux.
Cela étant, la lettre circulaire du 8 novembre 2012 n’est qu’une note de service qui n’a aucune valeur normative et qui ne s’impose donc pas aux juridictions.
En outre, les frais professionnels doivent avoir un objet, lequel n’existe que si l’employeur affecte les salariés sur des sites multiples les exposant à des dépenses de déplacements ou des contraintes de repas pris à l’extérieur, voire d’hébergement.
La possibilité de déduction forfaitaire pour frais professionnels s’apprécie, non pas au vu de la seule activité générale de l’entreprise, mais au regard des conditions d’emploi des salariés concernés.
Ainsi, Mme [W] ayant été affectée sur un seul site, la société Aceni Services Associés ne pouvait pas lui appliquer la déduction forfaitaire pour frais professionnels, même avec l’accord du comité d’entreprise donné à l’issue de sa réunion du 22 mars 2011.
Mme [W] sollicite la condamnation de la société Aceni Services Associés à lui verser la somme de 8 787,93 euros à titre de compensation des abattements illégaux, en additionnant toutes les sommes apparaissant en déduction forfaitaire sur ses bulletins de salaire sur la période du 1er janvier 2006 au 21 octobre 2017.
Mais, le raisonnement de Mme [W] conduit à confondre retenue sur salaire et déduction forfaitaire pour frais professionnels. La première est une ponction faite par l’employeur sur la rémunération de son salarié qui s’en trouve diminuée d’autant. La seconde réduit le montant de la rémunération brute du salarié soumise à cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, c’est-à-dire, la seule assiette de calcul de ces cotisations. Elle n’a aucune incidence sur le montant même de la rémunération mensuelle brute du salarié, seule la rémunération nette s’en trouvant augmentée par l’exonération partielle des cotisations sociales.
Ainsi, les sommes apparaissant en déduction forfaitaire sur les bulletins de salaire de Mme [W] correspondent à la part de la rémunération de la salariée exclue de l’assiette des cotisations sociales, non à une réduction de salaire.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] de sa demande en paiement de la somme de 8 787,93 euros en compensation des abattements illégaux.
Sur ses demandes en dommages et intérêts pour résistance abusive ainsi que pour préjudice moral et financier, Mme [W] soutient, d’une part, que, par sa mauvaise foi et son mutisme face à ses demandes, la société Aceni Services Associés lui a causé un préjudice qu’il convient d’indemniser et que, d’autre part, en raison de l’abattement illégal effectué par son employeur, elle a subi un préjudice financier et moral.
Mais, comme justement rappelé par la société Aceni Services Associés, il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts de rapporter la preuve du préjudice dont il entend obtenir réparation.
Or, Mme [W] ne procède que par voie d’affirmation sans la moindre caractérisation ni démonstration de l’existence, de la nature et de l’étendue du préjudice qu’elle invoque.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive mais infirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à verser à la salariée la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en raison de l’abattement.
Compte-tenu des éléments ci-dessus, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’ila condamné la société Aceni Services Associés sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance.
Les situations respectives des parties commandent de ne pas condamner Mme [W], bien que partie perdante en appel, à verser à la société Aceni Services Associés une somme au titre des frais non compris dans les dépens exposés par l’appelante, comme autorisé par l’aticle 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [W] de sa demande de remboursement des abattements illégaux et de dommages et intérêts pour résistance abusive,
INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
DÉBOUTE Mme [W] de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral et financier,
Y ajoutant,
DIT n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [W] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT