Retenues sur salaire : 21 juillet 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 20/00564

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Retenues sur salaire : 21 juillet 2022 Cour d’appel de Dijon RG n° 20/00564

DLP/CH

S.A.S. MICHELIN JOEL Prise en la personne de son représentant légal domicilié ès-qualités audit siège.

C/

[B] [H]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 21 JUILLET 2022

MINUTE N°

N° RG 20/00564 – N° Portalis DBVF-V-B7E-FS2J

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section AGRICULTURE, décision attaquée en date du 25 Novembre 2020, enregistrée sous le n° F 19/00556

APPELANTE :

S.A.S. MICHELIN JOEL Prise en la personne de son représentant légal domicilié ès-qualités audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Romain CLUZEAU de la SELAS LEGI CONSEILS BOURGOGNE, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Pauline AUGE, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉ :

[B] [H]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Pierrick BECHE de la SARL PIERRICK BECHE – CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Mathilde BACHELET, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Juin 2022 en audience publique devant la Cour composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre, Président,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS

M. [H] a été engagé par la SAS Michelin Joël par contrat à durée indéterminée à temps plein, à compter du 20 juillet 2015, en qualité de conducteur d’engins niveau II échelon 2 de la convention collective des exploitations agricoles de la Côte-d’Or, de la Nièvre et de l’Yonne, moyennant une rémunération horaire brute de 13 euros pour 151,67 heures mensuelles suivant le planning de l’entreprise.

Un différend a opposé les parties sur la régularisation du paiement des heures effectuées par le salarié de mai 2016 au 28 mars 2019, date à laquelle chaque parties a signé une lettre dite d’acceptation.

Le 10 mai 2019, la SAS Michelin Joël a notifié à M. [H] un avertissement qu’il a contesté le 15 mai 2019.

Par courrier du 21 mai 2019, le salarié a été convoqué à un entretien, prévu pour le 29 mai 2019, en vue d’une éventuelle rupture conventionnelle.

Par courrier recommandé du 23 mai 2019, M. [H] a contesté, par l’intermédiaire de son conseil, la régularisation des heures réalisées restées impayées (heures supplémentaires et heures d’absence autorisées) et s’est également opposé, dans l’attente d’une éventuelle régularisation, à la possibilité d’une rupture conventionnelle.

Il a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 26 juillet 2019.

Par requête reçue au greffe le 23 août 2019, M. [H] a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de voir :

– condamner la SAS Michelin Joël à lui payer les sommes suivantes :

* 12 430,85 euros bruts à titre de rappel de salaires,

* 1 993,09 euros bruts de congés payés afférents,

– constater la situation de travail dissimulé et condamner, en conséquence, la SAS Michelin Joël à lui verser la somme de 14 413,32 euros nets à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

– condamner la SAS Michelin Joël à lui payer la somme de 1 500 euros nets à titre de dommages et intérêts pour avertissement nul,

– dire et juger que la prise d’acte de la rupture de contrat produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner en conséquence la SAS Michelin Joël à lui verser les sommes suivantes :

* 4 804,84 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis,

* 480,84 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 2 402,22 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 12 011,10 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– ordonner à la SAS Michelin Joël de lui remettre les documents de fin de contrat et bulletins de salaire conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

– condamner la SAS Michelin Joël à lui payer la somme de 2 500 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au entiers dépens.

Par jugement du 25 novembre 2020, le conseil de prud’hommes :

– condamne la SAS Michelin Joël à payer à M. [H] la somme de 5 785,39 euros bruts, outre 578,54 euros bruts de congés payés afférents, à titre de rappel de salaires pour la non-fourniture de travail,

– condamne la SAS Michelin Joël à payer à M. [H] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour avertissement nul,

– dit et juge que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamne de ce fait la SAS Michelin Joël à verser à M. [H] les sommes suivantes :

* 4 804,44 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis,

* 480,44 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 2 402,02 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 7 206,66 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– précise que conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les condamnations prononcées emporteront intérêts au taux légal,

* à compter de la réception de la requête par l’employeur pour les créances de nature salariale, soit le 28 août 2019,

* à compter du prononcé du jugement pour toutes autres sommes,

– ordonne à la SAS Michelin Joël de remettre à M. [H] ses documents de fin de contrat et ses bulletins de salaire, conformes au présent jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 45ème jour suivant la notification ou la signification de la décision,

– se réserve le droit de liquider l’astreinte,

– dit qu’il y a lieu à exécution provisoire dans les limites de l’article R. 1454-28 du code du travail et fixe la moyenne des salaires des trois derniers mois à 2 402,22 euros,

– déboute M. [H] du surplus de ses demandes,

– déboute la SAS Michelin Joël de ses demandes reconventionnelles et la condamne aux entiers dépens.

Par déclaration enregistrée le 21 décembre 2020, la SAS Michelin Joël a relevé appel de cette décision.

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 10 septembre 2021, elle demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse la prise d’acte de M. [H] et l’a condamnée à régler à M. [H] les sommes suivantes :

* 5 785,39 euros de rappel de salaire pour non fourniture de travail,

* 578,53 euros au titre des congés payés afférents,

* 500 euros de dommages et intérêts pour avertissement nul,

* 4 804,44 euros au titre du préavis,

* 480,44 euros au titre des congés afférents,

* 2 402,02 euros à titre d’indemnité de licenciement,

* 7 206,66 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes reconventionnelles,

Statuant à nouveau,

– débouter M. [H] de l’intégralité de ses demandes et de son appel incident,

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté M. [H] de sa demande de rappels de salaires, de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé et de sa demande de dommages et intérêts pour avertissement nul (sic),

En conséquence,

– le condamner à lui régler la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [H] à lui payer la somme de 2 402,22 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– dire que M. [H] supportera les entiers dépens.

Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 27 octobre 2021, M. [H] demande à la cour de :

– déclarer irrecevables les demandes de la SAS Michelin Joël tendant à le voir condamné aux dépens et à lui verser les sommes de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de 2 402,22 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

En conséquence,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il :

* déboute la SAS Michelin Joël de ses demandes reconventionnelles,

* condamne la SAS Michelin Joël à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* ordonne la remise des documents de fin de contrats et bulletins de salaire conformes sous astreinte,

* précise que les condamnations emportent intérêts ainsi que les dates d’effets,

* se réserve le pouvoir de liquider l’astreinte,

– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a limité les condamnations de la SAS Michelin Joël et l’a débouté partiellement de ses demandes,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

– condamner la SAS Michelin Joël à lui payer les sommes suivantes :

* 12 430,85 euros bruts à titre de rappel de salaires,

* 1 993,09 euros bruts de congés payés afférents,

– constater la situation de travail dissimulé et condamner, en conséquence, la SAS Michelin Joël à lui verser la somme de 14 413,32 euros nets à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

– condamner la SAS Michelin Joël à lui payer la somme de 1 500 euros nets à titre de dommages et intérêts pour avertissement nul,

– dire et juger que la prise d’acte de rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner, en conséquence, la SAS Michelin Joël à lui verser les sommes suivantes :

* 4 804,44 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis,

* 480,44 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 2 402,22 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 12 011,10 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la SAS Michelin Joël à lui remettre les documents de fin de contrat et bulletins de salaire conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

– condamner la SAS Michelin Joël à lui payer la somme de 3 000 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la SAS Michelin Joël aux entiers dépens,

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES

M. [H] prétend que les demandes de l’employeur relatives à l’article 700 du code de procédure civile, aux dépens et au titre du préavis sont irrecevables à hauteur de cour. Il expose que la société Michelin Joël a entendu limiter expressément son recours aux chefs du jugement critiqué tels que visés expressément dans ses conclusions d’appelante qui ne comprennent pas le débouté relatif à ses demandes reconventionnelles. Il considère ainsi que l’employeur est réputé avoir accepté les chefs de jugement qu’il n’a pas expressément invoqués dans ses premières conclusions d’appel.

Il ressort de l’article 954 al 2 du code de procédure civile invoqué par l’intimé que les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

Ici, la société Michelin Joël (la société) expose à juste titre que l’objet de son appel, comme mentionné dans sa déclaration d’appel, concerne bien le rejet de ses demandes reconventionnelles par le conseil de prud’hommes, étant ajouté que sa demande relative au préavis est bien la conséquence de sa demande de rejet de la requalification de la prise d’acte en une démission et qu’elle en est également le complément nécessaire.

De plus, les prétentions formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens n’ont pas le caractère de demandes incidentes dès lors qu’elles ne tendent qu’à régler les frais de l’instance et n’impliquent pas pour la juridiction la nécessité d’examiner le fond.

Il ne peut donc en être déduit que la société s’est appropriée les motifs du jugement ayant rejeté ses demandes reconventionnelles qui sont, par suite, recevables.

La fin de non-recevoir soulevée par M. [H] sera écartée comme non fondée.

SUR LE RAPPEL DE SALAIRE AU TITRE DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES

M. [H] prétend à un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires qu’il a effectuées et dénonce l’accord du 28 mars 2019 qu’il soutient avoir rédigé sous la contrainte et qui ne remplirait pas les conditions de l’article 2044 du code civil (absence de document écrit précisant les prétentions des parties, imprécision de l’objet de la lettre d’acceptation, aucune référence à l’article précité du code civil ni au terme de ‘transaction’). Il en conclut que le document litigieux ne peut valoir renonciation intégrale à faire valoir ses droits.

En réponse, la société expose qu’aucune heure supplémentaire n’est due à ce jour et qu’un accord constitutif d’une transaction est bien intervenu entre les parties le 28 mars 2019 qui a mis un terme au différend dont s’agit, en sorte que la demande de M. [H] ne saurait aboutir.

En vertu de l’article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit.

Ici, les parties ont régularisé un accord intitulé ‘lettre d’acceptation de la régularisation du paiement des heures effectuées de mai 2016 à ce jour’ suite à un différend les opposant sur le paiement des heures supplémentaires effectuées par le salarié de mai 2016 jusqu’à la signature dudit document.

Il résulte du libellé de cette ‘lettre d’acceptation’ que l’employeur s’engage à verser ‘une somme de 7 500 euros, soumise à cotisations sociales’ et qu’ ‘en contrepartie’ du versement de ces sommes, le salarié ‘se reconnait rempli de l’ensemble de ses droits et réparé de son entier préjudice’. Le document ajoute qu’ ‘il met fin aux litiges concernant les deux parties sur le paiement des heures effectuées de mai 2016 à ce jour’.

Ce document, rédigé par écrit, est signé par les deux parties après que le salarié, notamment, ait apposé la mention ‘lu et approuvé, bon pour accord’. Il implique bien l’existence de concessions réciproques des parties, l’employeur acceptant de régulariser la situation en versant une somme, non dérisoire, de 7 500 euros (M. [H] réclamant alors 10 604 euros) et l’intimé acceptant de renoncer à toute action en contestation pour l’avenir sur le paiement des heures effectuées, étant rappelé qu’un différend existait bien sur les heures supplémentaires qu’il avait réalisées.

L’objet de l’accord est suffidamment précis en ce qu’il vise le paiement des heures effectuées lesquelles s’entendent nécessairement des heures supplémentaires réalisées dont le salarié contestait le quantum. Si l’objet de la lettre ne mentionne que le paiement ‘des heures effectuées’, elle précise, dès sa première ligne, qu’il s’agit de ‘la réalisation et du paiement d’heures supplémentaires’ de 2016 à la date de signature, ce qui est d’ailleurs confirmé à postériori par le conseil de l’appelante (pièce 16).

Les demandes initiales de M. [H] et l’objet de la négociation sont par ailleurs confirmées dans sa lettre du 30 janvier 2019 par laquelle il revendique le paiement d’un rappel de salaire de 10 604 euros bruts au titre d’heures supplémentaires insuffisamment comptabilisées, l’employeur étant alors en désaccord avec leur nombre.

De plus, la question du repos compensateur dû et des indemnités de congés payés afférents est expressément visée dans la lettre et résulte des heures de travail supplémentaires accomplies, sans qu’il y ait lieu de relever une quelconque incohérence ou contradiction à ce titre.

Il n’est, en outre, pas nécessaire que la lettre d’acceptation fasse référence à l’article 2044 du code civil dès lors qu’elle en remplit les conditions lesquelles sont appréciées par la juridiction saisie.

L’absence de mention du terme ‘transaction’ est également, pour les mêmes raisons, sans emport sur la validité de l’acte et sa qualification.

Enfin, l’intimé ne produit aucun élément permettant de caractériser l’existence d’une contrainte de nature à vicier son consentement, étant au surplus relevé qu’il a contesté son accord le 23 mai 2019, soit près de deux mois après son engagement, qui plus est après un avertissement qui lui avait été délivré quelques jours auparavant, le 10 mai 2019, et à la suite quasi immédiate de l’échec des discussions sur une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

En conséquence, il convient de considérer que le document du 28 mars 2019 est constitutif d’une transaction qui a mis fin au différend opposant les parties sur les heures supplémentaires effectuées par M. [H] de mai 2016 à la date de la signature dudit document.

Cette transaction rend irrecevable, et non pas mal fondée, la demande formée à ce titre par M. [H]. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point uniquement.

SUR LE RAPPEL DE SALAIRE AU TITRE DE RETENUES SUR SALAIRE

M. [H] prétend que le total des retenues sur salaires indûment effectuées au titre d »heures d’absence autorisées’ s’élève, comme l’a retenu le premier juge, à 5 785,39 euros bruts, outre 578,54 euros de congés payés afférents.

La société s’oppose expliquant avoir, au cours de la relation contractuelle et à la demande de son salarié, autorisé ce dernier à s’absenter sur certaines périodes sans être rémunéré pour la période d’absence.

Il est constant qu’il incombe à l’employeur de fournir au salarié le travail convenu, pour la durée d’emploi convenue et de lui payer la rémunération convenue. Il ne peut valablement réduire le montant de la rémunération ou opérer une retenue sur salaire qu’en cas d’absence injustifiée, de congé sans solde demandé et autorisé, de mise à pied conservatoire ou disciplinaire. Il ne peut, en tout état de cause, réduire le nombre d’heures prévu au contrat de travail sans l’accord du salarié.

En l’espèce, c’est par une motivation exacte et sans inverser la charge de la preuve que le premier juge a retenu que l’employeur ne démontrait pas la volonté de s’absenter du salarié, de plus fort sans être rémunéré. Le jugement entrepris sera confirmé en ces dispositions.

SUR LE TRAVAIL DISSIMULÉ

En vertu de l’article L. 8221-5 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Au cas présent, M. [H] prétend, sans cependant l’établir, que l’employeur s’est intentionnellement soustrait au paiement de ses heures supplémentaires et des charges sociales afférentes. Sa demande à ce titre sera donc écartée comme non fondée, le jugement déféré étant, par substitution de motifs, confirmé sur ce point.

SUR LE BIEN-FONDÉ DE L’AVERTISSEMENT

M. [H] considère que l’avertissement qui lui a été délivré le 10 mai 2019 n’est pas justifié et que l’employeur ne démontre pas les griefs invoqués.

La société réplique que cette sanction est justifiée en raison de la non-réalisation par l’intimé du chantier de [Adresse 5] – [Adresse 6] qui l’a contrainte à revenir le samedi matin afin de le réaliser.

La sanction disciplinaire est définie à l’article L. 1331-1 du code du travail comme toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Ici, il est reproché à M. [H], au titre du « 1er avertissement » qui lui a été délivré le 10 mai 2019, de mal avoir décapé une terre végétale sur une parcelle et d’avoir mal effectué des travaux de déroctage sur cette même parcelle, en l’occurrence sur le chantier de [Adresse 5]. La société précise que « pour le passage de la dent de déroctage, les bancs de roche étaient extraits superficiellement » et avoir dû refaire elle-même le travail, samedi matin, en extrayant des blocs de deux tonnes à plusieurs reprises. Elle ajoute : « Je suis prestataire auprès d’une clientèle exigeante et notre travail doit être irréprochable, car si la qualité n’est pas au rendez-vous, les conséquences financières sont importantes à supporter pour mon entreprise et pour le client qui nous a accordé sa confiance. Je ne suis pas satisfait de votre travail et vous demande à l’avenir d’apporter plus de vigilance et de soins dans le travail que je vous confie ».

Le salarié a répondu, par courrier du 15 mai 2019, qu’il ne disposait pas du matériel nécessaire pour extraire des blocs de deux tonnes et qu’il avait averti le conducteur de la nécessité d’utiliser un engin approprié, à savoir un « brise-roche ». Or, outre le fait que l’employeur ne caractérise pas un manquement intentionnel de M. [H] dans l’exécution de ses tâches, il n’établit pas davantage qu’il lui a donné les moyens d’accomplir correctement sa mission. Aucune faute n’est donc caractérisée.

M. [H] réclame 1 500 euros au titre du caractère infondé de cet avertissement. Cependant, il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.

En l’occurrence, le salarié ne justifie d’aucun préjudice à l’appui de sa demande indemnitaire qui sera donc, par réformation du jugement querellé, rejetée.

SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL

M. [H] soutient que sa prise d’acte du 26 juillet 2019 doit être analysée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard des reproches qu’il formule à l’encontre de son employeur tandis que la société considère que les griefs invoqués ne sont pas de nature à justifier la prise d’acte qui doit, selon elle, s’analyser en une démission.

La prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués à l’encontre de l’employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Lorsqu’un doute subsiste sur la réalité des faits allégués, celui-ci profite à l’employeur et la prise d’acte doit alors produire les effets d’une démission.

En l’espèce, la lettre prenant acte de la rupture du contrat de travail est libellée en ces termes :

« Je suis salarié de votre entreprise depuis juillet 2015 et je vous ai toujours fait confiance sur les modalités de gestion de la durée du travail.

A la fin de l’année dernière, ma fille s’est penchée sur la situation et a pu constater de graves irrégularités et des mentions totalement erronées sur mes bulletins de salaire.

Nous avons échangé à cet égard dans le début de l’année 2019 et, reconnaissant vos torts, vous m’avez indiqué procéder à une régularisation.

Vous m’avez alors adressé un rappel à hauteur de 7 500 € bruts.

A nouveau, je vous ai fait confiance.

A tort.

Postérieurement à cette régularisation que vous avez effectuée, j’ai contacté un avocat qui a pu faire le point du dossier et qui a constaté de graves irrégularités impliquant une situation de travail dissimulé.

Alors qu’initialement vous avez procédé au paiement de mes heures supplémentaires, vous avez par la suite arrêté afin de ne pas me payer les majorations et de ne pas payer les charges sociales et vous avez menti sur mes bulletins de salaire en indiquant des mentions « heures d’absence autorisées ».

Je n’ai jamais sollicité de telles absences et il s’agissait en réalité, je le comprends à présent, d’éviter de me payer ce qui m’était dû et de payer les charges sociales.

Sauf que pendant tout ce temps, j’étais à votre disposition et je ne savais pas quand je devais travailler ou pas.

Vous ne m’avez jamais communiqué de planning précisant mes horaires de travail.

Vous connaissiez parfaitement pourtant les travaux que j’effectuais pour votre compte puisque vous m’avez demandé de remplir très précisément un cahier avec les horaires que je réalisais et les tâches que j’effectuais.

C’est lorsque vous avez tenté de me forcer à signer une rupture conventionnelle que j’ai pris attache avec mon avocat qui a regretté, tout comme moi, au surplus que vous m’ayez adressé un avertissement que je conteste totalement.

Finalement, mon avocat vous a écrit pour vous exposer toutes ces problématiques le 23 mai dernier et, alors que vous étiez semble-t-il engagé auprès de votre expert-comptable à régulariser la situation, vous avez finalement eu recours à votre propre avocat qui a indiqué que j’aurais été rempli de l’intégralité de mes droits.

Face à ce refus de régulariser la situation, je ne peux plus continuer de travailler dans ces conditions et je suis contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail.

Je vous remercie de bien vouloir m’adresser ou tenir à ma disposition mes documents de fin de contrat (…) ».

Il en ressort qu’au titre des griefs faits à l’employeur, M. [H] retient les heures supplémentaires impayées depuis 2016, leur dissimulation, les retenues sur salaires indûment effectuées et l’avertissement injustifié dont il a fait l’objet.

Il doit être liminairement précisé que les parties ne s’opposent pas sur la qualification de prise d’acte du courrier précité mais sur ses effets et que l’absence de réclamation du salarié avant sa lettre du 30 janvier 2019 est sans emport. Il en va de même de la transaction intervenue sur les heures supplémentaires dès lors qu’à ce titre, M. [H] a renoncé à toute action en contestation sur le paiement des heures effectuées et non sur la rupture de son contrat de travail. Or, par cette transaction, l’employeur a admis avoir omis de payer des heures supplémentaires à son salarié sur une période de 4 ans. Il l’a, de plus, sanctionné de façon injustifiée le 10 mai 2019 et opéré, à tort, des retenues sur salaires à hauteur de 5 785,39 euros bruts.

Il en résulte que les manquements de la société sont, de ces différents chefs, établis et suffisamment graves pour justifier de la rupture du contrat de travail par le salarié, aux torts de l’employeur.

Le jugement querellé sera donc confirmé en ce qu’il a qualifié la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il le sera également en ce qu’il a octroyé au salarié les sommes non contestées en leur quantum de :

* 4 804,44 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis,

* 480,44 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 2 402,22 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement.

S’agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le premier juge a alloué à M. [H] la somme de 7 206,66 euros tandis que le salarié réclame, à hauteur de cour, celle de 12 011,10 euros.

La barémisation des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, instituée par l’article 2 de l’ordonnance nº 2017-1387 du 22 septembre 2017, est applicable en la présente espèce, le licenciement étant postérieur au 23 septembre 2017. En conséquence et en application de l’article L. 1235-3 du code du travail (entre 3 et 5 mois de salaire), le jugement attaqué sera confirmé en ce qu’il a octroyé au salarié qui avait 4 ans d’ancienneté révolus dans l’entreprise et percevait une rémunération mensuelle moyenne de 2 402,22 euros bruts une indemnité de 7 206,66 euros (= 3 mois de salaire).

SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE L’EMPLOYEUR

La prise d’acte étant requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, la demande en paiement de la société au titre de l’indemnité pour non-respect du préavis sera rejetée et le jugement attaqué sur ce point confirmé.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Le jugement dont appel sera confirmé en ses dispositions relatives aux intérêts légaux attachés aux condamnations prononcées à l’encontre de l’employeur, à la remise sous astreinte des documents de fin de contrat et des bulletins de salaire, conformes au jugement, et à celles relatives à l’exécution provisoire dans les limites de l’article R. 1454-28 du code du travail, outre celles ayant fixé la moyenne des salaires des trois derniers mois à 2 402,22 euros.

La décision sera également confirmée en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L’appelante, qui succombe pour l’essentiel, doit prendre en charge les entiers dépens d’appel et supporter, à hauteur de cour, une indemnité au visa de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Déclare recevables les demandes de la SAS Michelin Joël tendant à voir M. [H] condamné aux dépens et à lui verser les sommes de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre 2 402,22 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de M. [H] de rappel de salaire pour heures supplémentaires et en ce qu’il a fait droit à sa demande indemnitaire pour avertissement nul,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande de rappel de salaire de M. [H] au titre des heures supplémentaires,

Rejette sa demande de dommages et intérêts pour avertissement nul,

Rejette la demande en paiement de la société Michelin Joël à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Michelin Joël et la condamne à payer complémentairement en cause d’appel à M. [H] la somme de 1 500 euros,

Condamne la société Michelin Joël aux dépens d’appel.

Le greffierLe président

Kheira BOURAGBAOlivier MANSION

 


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