Retenues sur salaire : 21 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11493

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Retenues sur salaire : 21 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11493

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 21 AVRIL 2022

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11493 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA7RG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Octobre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRÉTEIL – RG n° 18/01488

APPELANT

Monsieur [P] [I]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Nicolas BORDACAHAR, avocat au barreau de PARIS, toque : D1833

INTIMEE

SAS STANLEY SECURITY FRANCE Représentée par ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Benoît DUBESSAY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre,

Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller.

Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

– CONTRADICTOIRE,

– mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROC »DURE ET PR »TENTIONS DES PARTIES

M. [P] [I] a été initialement engagé par la société ADT France, par contrat de travail écrit à durée indéterminée à compter du 10 décembre 2007, en qualité de technicien niveau I, puis repris par la société Stanley Sécurity France. En dernier lieu, M. [I] occupait le poste de technicien niveau 2, au sein de l’agence de Roissy. La moyenne de ses rémunérations mensuelles était de 2.210,32 euros.

La convention collective applicable est celle des entreprises de prévention et de sécurité.

Par courrier recommandé du 24 mai 2018, M. [I] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 5 juin 2018, puis reporté au 14 juin 2018.

Par courrier recommandé du 26 juin 2018, M. [I] a été licencié pour cause réelle et sérieuse. Il a été dispensé de l’exécution de son préavis.

Le 12 octobre 2018, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil aux fins d’obtenir la condamnation de la société Stanley Sécurity France au paiement de diverses sommes.

Par jugement en date du 17 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Créteil a jugé le licenciement de M. [I] dénué de cause réelle et sérieuse et a condamné la société à lui payer la somme de 6.631 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 1.300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, M. [I] étant débouté du reste de ses demandes.

M. [I] a interjeté appel du jugement.

Par conclusions du 3 février 2020, M. [I] demande à la cour d’appel de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit et jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– confirmer le jugement dans son principe en ce qu’il a condamné la société à verser une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais l’infirmer quant au quantum,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de sécurité,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour inexécution de bonne foi du contrat de travail,

Et statuant à nouveau,

– condamner la société intimée à lui verser les sommes suivantes :

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 22.103,20 euros,

dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité : 5.000 euros,

dommages et intérêts pour inexécution de bonne foi du contrat de travail : 5.000 euros,

article 700 du code de procédure civile : 2.500 euros.

– ordonner la remise d’un bulletin de salaire récapitulatif, conforme à l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision à intervenir,

– ordonner la prise en charge des éventuels dépens par la société intimée.

Par conclusions du 4 mai 2020, la société Stanley Sécurity France demande à la cour d’appel de Paris de constater le bien fondé du licenciement de M. [I] et :

– d’infirmer le jugement rendu en ce qu’il a jugé le licenciement de M. [I] dénué de cause réelle et sérieuse ;

– de confirmer le jugement rendu en ce qu’il a débouté M. [I] de ses autres demandes;

– de débouter en conséquence M. [I] de ses demandes, fins et conclusions;

– de condamner M. [I] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L’instruction a été déclarée close le 26 janvier 2022.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat

Aux termes de la lettre de licenciement, la société intimée reproche au salarié trois griefs, à savoir le non-respect des procédures et manquements dans les déclarations de son activité qui porte atteinte à la fiabilité des données transmises, à l’efficacité, à la productivité du centre technique et la qualité et réactivité de la relation clients, un manque de rigueur et de suivi des process dans la bonne tenue du stock et enfin un temps de présence sur site inférieur à celui de ses collègues de travail.

La société soutient qu’eu égard à la nature, à son ancienneté et au niveau de ses fonctions, il était légitimement attendu de M. [I] une certaine autonomie, une rigueur et surtout une implication dans l’exécution de ses fonctions, que ses résultats depuis plusieurs années n’étaient pas satisfaisants et qu’au cours de l’année 2018, il avait adopté un comportement non professionnel, ces faits portant atteinte au bon fonctionnement de l’entreprise et affectant la relation clients.

Le salarié conteste les faits reprochés et fait valoir qu’en dix années d’ancienneté, il n’a jamais fait l’objet de la moindre alerte, rappel à l’ordre ou encore sanction disciplinaire ayant toujours donné entière satisfaction à son employeur et rendu compte de son activité.

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

A titre liminaire il ressort des termes de la lettre de licenciement que la société a licencié le salarié pour un motif disciplinaire, et non pour une insuffisance professionnelle.

Le contrat de travail du salarié indique qu’il était notamment en charge d’effectuer l’installation et la mise en service effective des produits de l’entreprise dans le respect des procédures et méthodes définies ainsi que des plannings d’intervention communiqués, de diagnostiquer la nature des pannes éventuelles du matériel et d’appliquer la solution adéquate et de répondre aux éventuelles questions de la clientèle sur le fonctionnement des systèmes installés et développer avec elle une relation de confiance. Le contrat précise par ailleurs que le salarié rendra régulièrement compte de son activité auprès de sa hiérarchie sous forme de rapport daté, circonstancié et précis.

Sur le non-respect des procédures et manquements dans les déclarations de son activité, il est plus précisément reproché au salarié de ne pas déclarer son activité ou ses éventuelles difficultés en temps réel à son manager ou à l’assistante technique et de déclarer dans l’outil EDA (sigle non précisé) une activité ne correspondant pas toujours à la réalité, notamment:

– le 22 mai 2018, d’avoir ‘débriefé’ son intervention du 21 mai après-midi uniquement le lendemain à 7h47, en précisant ‘client absent’, alors que son manager avait tenté de le joindre à plusieurs reprises durant cet après-midi ;

– le 22 mai 2018, alors qu’il était planifié pour réaliser deux démontes de matériel chez un même client et sur un même site (à [Localité 3]), d’avoir débriefé un temps de 8h30 à 10h30 en spécifiant ‘démonte non faite’, puis la même mention de 10h30 à 12h, ne réalisant ainsi aucun travail de la matinée, sans en aviser son manager ou l’assistante technique ; pour l’après-midi, d’avoir clôturé une intervention chez le client Pariscom, en indiquant avoir travaillé 1h15 sur le site alors que son report mentionne ‘site non trouvé, numéro de téléphone injoignable’, sans avoir à nouveau contacté son manager ou l’assistante technique pour être aiguillé ou intervenir sur un autre site client ;

– le 23 mai 2018, d’avoir déclaré dans son EDA une intervention clôturée chez Mme [O] pour une durée de prestation de 1h alors qu’il s’avère que le client était absent comme spécifié dans le compte rendu d’intervention ;

– le 6 juin 2018, d’avoir indiqué à 18h53 être intervenu pour une durée d’une heure sur le site du client M. [W] de 15h à 16h, tout en précisant que le client était absent, déclarant ainsi faussement avoir réalisé une prestation pour une durée d’une heure.

La société produit :

– le rapport d’activité établi le 22 mai 2018 à 7h47 mentionnant pour la veille une intervention de 15h30 à 16h30 et une absence du client,

– les fiches d’interventions techniques pour la journée du 22 mai 2018 mentionnant une intervention de 8h30 à 10h30, puis de 10h30 à 12 h et enfin de 14h à 15h15, sans réalisation des travaux et pour le dernier créneau ‘un site non trouvé, numéro de téléphone injoignable’,

– un historique de l’intervention chez M. [W] mentionnant le 6 juin 2018 à 18h53 une intervention de 15h à 16h et une absence du client.

Si aucun document n’est produit concernant les procédures applicables, il ressort des propres écritures du salarié que ‘la consigne était claire : en cas d’absence du client, les salariés devaient attendre les instructions du service planification’ et que si le salarié ne parvenait pas à joindre le service planification qui devait l’orienter notamment sur une autre intervention, il devait rester sur place le temps prévu, même si les travaux n’étaient pas réalisés.

Or, force est de constater que M. [I] ne justifie pas avoir contacté son supérieur ou le service planification les journées des 21 et 22 mai 2018, puis du 6 juin 2018, alors que les clients étaient absents, en application de la consigne précédemment décrite. Il se borne en effet à affirmer avoir tenté de joindre le service planification sans succès sur tous les jours mentionnés ci-dessus sans plus de précision, ni production de pièce en ce sens, et alors qu’il affirme que ses collègues rencontraient la même difficulté évoquée lors de plusieurs réunions d’équipe. De même, il invoque pour la journée du 21 mai 2018 un dysfonctionnement de l’outil EDA dédié pour expliquer sa déclaration seulement le lendemain matin, sans plus de précision et alors que manifestement cet outil fonctionnait le matin du 22 mai dès 7h47.

Par ailleurs, la société justifie les difficultés rencontrées par son supérieur pour le joindre en produisant deux mails adressés les 18 et 21 mai 2018 à M. [I] dans lesquels M. [B] déplorait l’absence de réponse du salarié à ses appels téléphoniques et à ceux du service, l’interrogeait sur d’éventuels problèmes avec son portable ou l’EDA et enfin lui demandait de le contacter afin de faire un point sur cette situation.

La cour constate que M. [I] ne justifie pas avoir apporté une quelconque réponse aux messages de son supérieur.

Si le salarié fait valoir également qu’aucune retenue sur salaire n’a été opérée par la société intimée, il est relevé que le grief reproché ne porte pas sur l’absence de prestation de travail mais sur l’absence d’information de sa hiérarchie en temps utile alors que les clients étaient absents.

Ce grief est donc établi.

Sur le manque de rigueur et de suivi des process dans la bonne tenue du stock, la lettre de licenciement fait état d’un inventaire tenu le 5 avril 2018 faisant apparaître un écart de 9,68%.

Toutefois, le document produit mentionnant cet écart n’est pas daté et ne permet donc pas de connaître la date de son établissement.

Ce grief n’est donc pas établi.

Sur le temps de présence sur site inférieur à ceux de ses collègues de travail, la lettre de licenciement mentionne que M. [I] passe en moyenne 16% de temps en moins que ses collègues du centre technique chez les clients, notamment au mois de mai 2018, avec un temps sur site de 54,1% pour une moyenne de l’équipe de 70,4%. Il est ajouté que cette problématique n’est pas nouvelle puisqu’en avril 2018 son temps passé sur site était de 59% et qu’il avait été alerté à ce sujet à l’issue du second semestre 2017.

Si la société ne verse pas aux débats d’éléments concernant les collègues de travail de M. [I], elle produit en revanche les objectifs fixés semestriellement au salarié en 2016, 2017 et pour le premier semestre 2018 et ses évaluations sur la même période dont il ressort notamment en 2017 pour la productivité technique un résultat de 2,49 en dessous de l’objectif de 3 et pour le temps de présence sur le site un résultat de 59% en dessous de la cible de 75%, l’employeur constatant en outre ‘une forte démotivation’ et lui demandant de réagir sur la nouvelle année.

Il découle de ces éléments, d’une part, un non respect par le salarié des consignes données par son employeur quant à la déclaration de son activité en temps réel et, d’autre part, un temps de présence insuffisant sur le site malgré l’alerte donnée sur ce point par son supérieur en fin d’année 2017.

Ces manquements fautifs caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement sera infirmé en conséquence et M. [I] débouté de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la violation de l’obligation de sécurité

Selon les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail l’employeur est tenu, vis-à-vis de son personnel, d’une obligation de sécurité, en vertu de laquelle il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de chaque salarié.

M. [I] produit un avis du médecin du travail du 30 mars 2018 préconisant ‘un poste avec moins de conduite, ou sans conduite’ et la diminution du port de charges, ajoutant sous la forme interrogative ‘envisager autre véhicule  ».

La société ne conteste pas l’absence de suites données à cet avis et fait valoir de façon inopérante que le salarié n’a jamais émis la moindre alerte, ni formulée la moindre demande auprès d’elle, puisqu’il lui appartient de prendre en compte les indications données par le médecin du travail même en dehors de tout avis d’inaptitude, au besoin en prenant son attache pour plus de précision.

Il en ressort un préjudice subi par le salarié qui n’a pu bénéficier d’un éventuel aménagement de son poste de travail.

Par conséquent, la Cour condamne la société intimée à verser au salarié la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité.

Sur les dommages et intérêts pour inexécution de bonne foi du contrat de travail

Pour solliciter la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts à ce titre, le salarié se borne à affirmer qu’il a été démontré l’exécution de mauvaise foi évidente du contrat de travail par l’employeur, qui constitue un comportement fautif de ce dernier, sans alléguer ni justifier d’un préjudice distinct de celui d’ores et déjà réparé par les dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur les demandes accessoires

Eu égard au sens de la décision, il n’y a pas lieu à délivrance d’un bulletin de paie.

La société supportera les dépens d’appel et chaque partie gardera à sa charge les frais irrépétibles engagés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement, sauf en ce qu’il a :

– rejeté la demande pour exécution déloyale du contrat,

– condamné la société Stanley Security France à payer à M. [I] la somme de 1.300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que le licenciement de M. [I] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

REJETTE la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Stanley Security France à verser à M. [I] la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile et à délivrance d’un bulletin de salaire récapitulatif,

CONDAMNE la société Stanley Security France aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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