SD/AB
N° RG 21/01035
N° Portalis DBVD-V-B7F-DMNZ
Décision attaquée :
du 06 septembre 2021
Origine :
conseil de prud’hommes – formation paritaire de CHÂTEAUROUX
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M. [A] [P]
C/
S.A.R.L. ‘À LA BELLE FENÊTRE’
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Expéd. – Grosse
Me GRAVAT 20.05.22
Me CHAUMETTE 20.05.22
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 20 MAI 2022
N° 109 – 11 Pages
APPELANT :
Monsieur [A] [P]
24 ‘Cosnay’ – 36400 Lacs
Ayant pour avocat Me Florent GRAVAT de la SCP GRAVAT-BAYARD, du barreau de CHÂTEAUROUX
INTIMÉE :
S.A.R.L. ‘À LA BELLE FENÊTRE’
20 avenue d’Occitanie – 36000 CHÂTEAUROUX
Ayant pour avocat Me Florence CHAUMETTE de la SELARL CABINET D’AVOCATS FLORENCE CHAUMETTE ET BRICE TAYON, du barreau de CHÂTEAUROUX
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Mme BOISSINOT, conseiller rapporteur
en l’absence d’opposition des parties et conformément aux dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme JARSAILLON
Lors du délibéré : Mme VIOCHE, présidente de chambre
Mme BOISSINOT, conseillère
Mme BRASSAT-LAPEYRIERE, conseillère
DÉBATS : A l’audience publique du 08 avril 2022, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’arrêt à l’audience du 20 mai 2022 par mise à disposition au greffe.
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ARRÊT : Contradictoire – Prononcé publiquement le 20 mai 2022 par mise à disposition au greffe.
* * * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [A] [P], né le 3 mai 1966, a été embauché à compter du 20 mars 2017 par la SARL «À la belle fenêtre’» en qualité de technico-commercial, catégorie employé, niveau C, suivant contrat de travail à durée déterminée à temps plein conclu pour une durée de six mois, du 20 mars au 20 septembre 2017, au motif d’un «’accroissement temporaire d’activité’».
Cette relation salariale s’est ensuite poursuivie à durée indéterminée suivant avenant du 4 septembre 2017.
La convention collective nationale du bâtiment, catégorie ETAM, s’est appliquée à la relation de travail.
Par courrier du 10 septembre 2018, la SARL «’A la belle fenêtre’» a notifié au salarié un avertissement.
À compter du mois de juin 2019, M. [P] a été placé en arrêt de travail. Lors d’une visite en date du 29 juillet 2019, le médecin du travail a indiqué : « incompatibilité temporaire au poste de travail. Doit revoir son médecin traitant. Sans changement réel dans le relationnel et l’organisation du travail, une reprise au poste est à risque de dégrader plus encore l’état de santé et une inaptitude est envisagée ».
Par courrier du 4 mars 2020, la SARL « À la belle fenêtre» a convoqué M. [P] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 16 mars 2020. L’employeur a notifié au salarié son licenciement pour faute grave par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 avril 2020.
Par requête du 9 juin 2020 M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Châteauroux afin de contester son licenciement et obtenir la condamnation de son employeur à lui verser les indemnités afférentes ainsi que diverses sommes à titre de rappels de primes, commissions, salaire indûment retenu, notamment pour absences non justifiées.
Par jugement du 6 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Châteauroux a :
‘requalifié le licenciement pour faute grave de M. [A] [P] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
‘condamné la SAS « À la belle fenêtre » à payer à M. [A] [P] les sommes suivantes :
* 3 494 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis de 2 mois,
* 349,40 € au titre des congés payés sur préavis,
* 2 382,45 au titre de l’indemnité légale de licenciement,
* 146,91 € au titre du salaire indûment retenu du 31 janvier 2018,
* 150 € au titre de la prime de septembre 2019,
* 2 494 € au titre des commissions,
* 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
‘débouté les parties du surplus de leurs demandes,
‘condamné la SAS « À la belle fenêtre » aux entiers dépens.
Le 23 septembre 2021, par la voie électronique, M. [P] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 18 septembre 2021, le contestant en ce qu’il l’a débouté de ses demandes
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suivantes : requalification du licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, rappel de salaire sur absences non justifiées, rappel de salaire sur retenue sur trop-perçu de commissions, rappel de prime du mois de décembre 2018, rappel de commissions du mois de juillet 2019, rappel de salaire sur le mois de septembre 2019, rappel de salaire sur commissions.
Vu les dernières conclusions remises au greffe par M. [P] le 9 mars 2022, par lesquelles il demande à la cour de :
‘infirmer le jugement rendu le 6 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Châteauroux, en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave dont il a fait l’objet en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau,
‘requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
‘ condamner la SARL « À la belle fenêtre » à lui verser les sommes suivantes :
* 3 494 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, d’une durée de 2 mois, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour du dépôt de la requête au greffe du conseil de prud’hommes,
* 349,40 € au titre des congés payés sur préavis, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour du dépôt de la requête au greffe du conseil de prud’hommes,
* 2 382,45 € au titre de l’indemnité légale de licenciement, augmentée des intérêts au taux légal, à compter du jour du dépôt de la requête au greffe du conseil de prud’hommes,
* 9 000 € nets de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (2266,66 € X par 4 mois),
‘confirmer le jugement rendu le 6 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Châteauroux, en ce qu’il a condamné la SARL « À la belle fenêtre » à lui verser les sommes suivantes :
* 150 € au titre de la prime du mois de septembre 2019,
* 2 494 € au titre des commissions sur jours ouvrés non travaillés,
‘réformer le jugement rendu le 6 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Châteauroux, en ce qu’il l’a débouté de ses autres demandes,
Statuant à nouveau,
‘condamner la SARL « À la belle fenêtre » à lui verser les sommes de’:
* 602,25 € à titre de rappel de salaire sur absences non justifiées,
* 798 € à titre de rappel de salaire sur retenues de trop-perçu de commissions,
* 250 € au titre de la prime du mois de décembre 2018,
* 448 € au titre de la commission du mois de juillet 2019,
* 649 € à titre de rappel de salaire sur le mois de septembre 2019,
‘débouter la SARL « À la belle fenêtre » de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,
‘condamner la SARL « À la belle fenêtre » à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘condamner la SARL « À la belle fenêtre » aux entiers dépens,
Vu les dernières conclusions remises au greffe par la SARL « À la belle fenêtre » le 15 février 2022, par lesquelles elle demande à la cour de :
– Réformer le jugement du conseil de prud’hommes de Châteauroux en ce qu’il a’requalifié le licenciement pour faute grave de M. [A] [P] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et l’a condamnée à lui payer diverses sommes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, au titre de l’indemnité légale de licenciement, d’un rappel de salaire pour le 31 janvier 2018, d’un rappel de prime pour le mois de septembre 2019, d’un rappel de commissions ainsi qu’au titre d’une indemnité de procédure,
Statuant à nouveau,
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– Dire et juger bien fondé le licenciement pour faute grave notifié à M. [P] par courrier du 3 avril 2020,
– Débouter M. [P] de ses demandes formulées de ce chef au titre du préavis, des congés payés sur préavis et de l’indemnité de licenciement,
– Débouter M. [P] de ses demandes de rappel de salaire au titre de la journée du 31 janvier 2018, de rappel de prime au titre du mois de septembre 2019, de rappel de commissions durant les périodes de prise de congés,
A titre subsidiaire, sur le bien-fondé du licenciement,
– Ordonner une expertise graphologique des documents contractuels, par comparaison avec la signature de M. [P],
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Châteauroux en ce qu’il a débouté M. [P] de ses demandes au titre des absences des 10, 11, 12, 22 et 25 juillet 2019, de la retenue dont il a fait l’objet au titre des commissions trop perçues, d’un rappel de commissions sur les mois de décembre 2018 et juillet 2019, d’un remboursement d’une retenue opérée sur son salaire du mois de septembre 2019 au titre de deux téléphones qu’il avait conservés,
– Condamner M. [P] à lui payer la somme de 3’000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,
Vu l’ordonnance de clôture en date du 23 mars 2022,
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
– Sur la contestation du licenciement et les demandes indemnitaires subséquentes
Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. L’employeur doit rapporter la preuve de l’existence d’une telle faute, et le doute profite au salarié.
La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 3 avril 2020 mentionne’:
«’Nous avons découvert, courant février, que vous vous êtes rendu coupable d’agissements d’une
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particulière gravité, constitutifs d’une infraction pénale.
En effet, la société avait souhaité mettre un terme à son contrat la liant à ORANGE, au titre des abonnements de la flotte de téléphones mobiles, à effet du 30 septembre 2019.
Courant février dernier, notre expert-comptable a attiré notre attention sur des prélèvements ORANGE qui ont continué d’intervenir, pour un montant de 63,59 euros HT, au-delà du mois de septembre 2019.
Interrogée par nos soins sur la poursuite de ces prélèvements, ORANGE répondait que lesdits prélèvements correspondaient à un «’réabonnement’» de la ligne 06 40 87 64 66, et adressait à l’appui le document contractuel y afférent.
C’est alors que nous découvrions que ce «’réabonnement’» contractuel avait été souscrit par vous-même le 27 juin 2018, lorsque vous avez changé de téléphone portable.
Non seulement vous avez pris la liberté d’engager contractuellement la société sans nous en informer, mais surtout, à cet effet, vous n’avez pas hésité à imiter la signature de Monsieur [M], gérant, à deux reprises sur les documents contractuels.
Le jour de l’entretien préalable, en présence de votre conseiller, vous avez nié les faits.
Or, à réception du document contractuel adressé par ORANGE, nous avons souhaité être davantage éclairés sur l’auteur des signatures apposées ce jour-là pour le compte de la société.
Nous avons alors été contactés par le commercial de la société CERYCOM, agissant pour le compte d’ORANGE, qui nous a confirmé que c’est bien vous qui l’aviez contacté pour remplacer votre téléphone, raison d’ailleurs pour laquelle ce réabonnement concerne votre ligne téléphonique.
Et surtout, vous avez imité à deux reprises la signature du gérant.
De tels faits constituent des manquements graves à vos obligations contractuelles’» ‘
Afin d’établir la matérialité des faits prétendument commis par M. [P], la SARL « À la belle fenêtre » verse aux débats un échange de messages électroniques entre, d’une part, M. [A] [M], gérant de la société et une assistante de gestion de la société Orange et, d’autre part, M. [M] et M. [N] [W], le commercial de la société CERYCOM. Elle produit également un bon de commande du 27 juin 2018, signé du représentant de la SARL et du vendeur, pour un «’avenant au contrat d’abonnement initial souscrit avec Orange Business Services’» portant sur un téléphone de marque Huawei.
Il en ressort que M. [W] a été sollicité à plusieurs reprises par M. [P] dont le téléphone ne fonctionnait plus et n’était plus sous garantie et qu’il lui a «’demandé un autre téléphone à prix bon marché et d’essayer de réparer l’ancien’». M. [W] précise que, lors de son passage à l’entreprise, M. [M] était absent. Dans les mails adressés à la société Orange et à M. [W], M. [M] a indiqué ne pas être le signataire du bon de commande litigieux.
S’il reconnaît avoir pris l’attache de M. [W] à la suite de la panne rencontrée par le téléphone de marque Samsung Galaxy mis à sa disposition par son employeur, M. [P] conteste pour sa part avoir lui-même signé le bon de commande litigieux, comme il l’avait déjà fait dans le cadre de l’enquête préliminaire diligentée à la suite de la plainte déposée par M. [M] auprès des services de police le 22 juin 2020 et lors de l’entretien préalable, ainsi qu’en atteste M. [A] [J] qui l’a assisté.
Lors de cette enquête préliminaire, M. [W] explique avoir remis un nouveau téléphone à M. [P] dans l’attente d’une éventuelle réparation du sien. Il lui avait préalablement remis le bon de commande afférent que le salarié lui a «’ramené’» signé, lui-même lui envoyant par la poste son nouveau téléphone, de marque Huawey Y6. L’ancienne assistante commerciale de la société, Mme [U] [E], confirme quant à elle que M. [W] lui a déposé «’ce nouveau téléphone pour [son] collègue’» et qu’elle le lui a remis, précisant en outre qu’il avait laissé le téléphone défectueux de marque Samsung Galaxy sur son bureau, dans l’open space réservé aux commerciaux. Dans son audition, M. [W] a précisé encore qu’il était fréquent qu’il remette les bons de commandes aux employés, ajoutant’: «’dans 60% des cas, c’est un employé qui signe les
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documents’». La plainte de M. [M] a toutefois été classée sans suite pour infractions insuffisamment caractérisées.
Les seules déclarations de M. [W] ne peuvent en effet suffire à établir que M. [P] a effectivement signé le bon de commande du téléphone de marque Huawey qui lui a été remis et, partant, usurpé l’identité de M. [M] comme ce dernier le prétend. Une expertise graphologique des mentions manuscrites et de la signature apposée sur le bon de commande n’apportera pas d’éléments complémentaires suffisants en ce que les circonstances de l’établissement de ce bon de commande demeurent imprécises. Il y a donc lieu de rejeter la demande reconventionnelle formée à titre subsidiaire par la SARL « À la belle fenêtre » sur ce point.
Les conseillers prud’homaux ont pertinemment retenu que l’imitation par M. [P] de la signature du gérant de la SARL « À la belle fenêtre » n’était pas avérée. En revanche, ils ne pouvaient sans se contredire estimer dans le même temps que la seule circonstance conduisant le salarié à être le bénéficiaire exclusif du «’réabonnement Orange’» sans être «’habilité à engager financièrement la société’» et sans avoir «’tenu sa direction informée de son initiative’» était constitutive d’un manquement réel et sérieux à ses obligations professionnelles.
En effet, dès lors qu’il n’est pas démontré que M. [P] est le signataire du bon de commande afférent au téléphone de marque Huawey, il ne peut lui être reproché d’avoir engagé financièrement la société. En outre, les différentes pièces versées aux débats ne permettent pas davantage d’établir que M. [M] n’était pas informé de la démarche de M. [P], alors que le téléphone litigieux a bien été déposé à l’entreprise pour être ensuite remis au salarié, comme en témoigne Mme [E].
Par conséquent, alors que la charge de la preuve lui incombe, la SARL « À la belle fenêtre » échoue à démontrer en l’espèce la faute commise par M. [P].
Il s’en déduit que, contrairement à ce qu’ont estimé les conseillers prud’homaux, le licenciement de M. [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La décision prud’homale sera par conséquent confirmée en ce qu’elle a alloué au salarié une indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés afférents, outre une indemnité légale de licenciement.
À la date de son licenciement, M. [P] était âgé de 53 ans et cumulait trois années d’ancienneté au sein d’une entreprise employant moins de 11 salariés. En application des dispositions de l’article L 1235-3 alinéa 3 du code du travail, il peut par conséquent prétendre à une indemnité minimale équivalente à un mois de salaire. Il ne justifie pas davantage de sa situation au regard de l’emploi. La SARL « À la belle fenêtre » sera par conséquent condamnée à lui payer la somme de 2 500 euros de dommages et intérêts, laquelle réparera intégralement le préjudice qu’il a subi du fait du licenciement abusif dont il a fait l’objet.
Les sommes allouées à titre indemnitaire sont exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables; les condamnations concernant des créances salariales sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, soit le 7 juillet 2020, et les condamnations à titre de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal à compter de leur prononcé.
– Sur les demandes en paiement de rappels de salaire
Le contrat de travail de M. [P] prévoyait le versement d’une rémunération brute mensuelle de 1’700 euros, outre «’des commissions calculées comme suit’:
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5% sur le chiffre d’affaire mensuel facturé supérieur ou égal à 18’000 euros hors taxe,
une prime de 150 € supplémentaires sur le chiffre d’affaire mensuel facturé supérieur ou égal à 45’000 € hors-taxes,
OU
une prime de 250 € supplémentaires sur le chiffre d’affaire mensuel facturé supérieur ou égal à 60’000 € hors-taxes.’»
* Sur les rappels de salaire au titre des absences non rémunérées
M. [P] forme une demande de rappel de salaire au titre de plusieurs journées pour lesquelles son employeur l’a considéré comme étant en absence injustifiée et a opéré des retenues sur ses bulletins de paye.
Il prétend d’abord que le 31 janvier 2018, son employeur lui a retenu abusivement la somme de 146,91 euros, alors qu’il était en formation à Rennes, mais il convient finalement avec son employeur que celle-ci s’est déroulée seulement les 1er et 2 février 2018.
Quand bien même cette formation ne débutait qu’à 10h30 comme en justifie l’employeur, l’éloignement du lieu où elle se déroulait imposait environ 4 heures de route ainsi que l’ont justement relevé les conseillers prud’homaux. S’il était par conséquent légitime que M. [P] parte la veille ainsi qu’il l’a fait, le temps de route ne justifiait pas qu’il s’abstienne de se présenter à son poste de travail toute la journée du 31 janvier 2018, sauf à démontrer qu’il avait reçu l’autorisation de son employeur sur ce point ce qu’il ne fait pas.
L’examen du bulletin de salaire de janvier 2018 établit que l’employeur lui a retenu 146,91 euros pour deux journées d’absence les 30 et 31 janvier 2018, sans que les parties n’invoquent le 30 janvier 2018 dans leurs conclusions. La décision querellée doit dès lors être infirmée en ce qu’elle a dit que la retenue ainsi opérée était abusive et a alloué cette somme au salarié.
S’agissant des 10, 11 et 12 juillet 2019 ainsi que les 25 et 26 juillet 2019, M. [P] explique avoir réalisé à son domicile, en télétravail, du travail administratif, suivi de prospect et gestion de commandes. Cependant, la SARL « À la belle fenêtre » fait pertinemment observer que son contrat de travail mentionnait un lieu d’exercice de ses fonctions «’à l’établissement situé au 20 avenue d’Occitanie ‘Cap Sud ‘ 36’250 Saint Maur’». Par conséquent, à défaut de justifier d’une autorisation donnée par son employeur pour qu’il réalise sa prestation de travail à son domicile, le salarié ne peut, en dehors de ses rendez-vous chez des clients, prétendre être rémunéré des heures de travail effectuées à son domicile, étant au surplus précisé que son agenda mentionne qu’il était absent pour cause de maladie les 25 et 26 juillet 2019.
En revanche, l’agenda produit montre que, le 12 juillet, M. [P] a assumé à 15h30 un rendez-vous chez un client, M. [G], pour lequel il a établi un devis en date du même jour. Même si un second devis a été établi le 24 juillet suivant, venant ajouter au premier le chiffrage du «’portail’» du client, cette circonstance ne peut remettre en cause le travail réalisé ce jour-là par le salarié pour le compte de son employeur qui doit le lui rémunérer. La décision sera par conséquent partiellement infirmée de ce chef et la SARL « À la belle fenêtre » condamnée à payer à M. [P] la somme de 37,98 euros correspondant à une demi-journée de travail, durée à laquelle est susceptible d’être évaluée le rendez-vous auprès de M. [G] et le suivi de son dossier, étant encore précisé que le client atteste par ailleurs de ce que la société a en définitive réalisé les travaux commandés au début de l’année 2020.
Pour débouter M. [P] de sa demande en paiement d’un rappel de salaire au titre du 22 juillet 2019, les conseillers prud’homaux ont considéré qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation préalable de son employeur pour bénéficier d’une journée de repos hebdomadaire. Cependant, le mécanisme mis en place par l’entreprise s’oppose à ce qu’il puisse être exigé du salarié la production d’une
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telle autorisation puisque la SARL « À la belle fenêtre » ne conteste pas que le salarié se trouvait systématiquement en repos hebdomadaire le lundi lorsqu’il devait travailler le samedi suivant. Elle explique en l’espèce qu’il a été placé en arrêt-maladie à compter du 25 juillet, de sorte qu’il n’a pu travailler le samedi 27 juillet et en déduit qu’elle ne lui est pas redevable de la journée du 22 juillet 2019 puisqu’il n’a pas travaillé le samedi suivant. Pour autant, cet événement n’était pas prévisible le 22 juillet et il ne peut être fait grief à M. [P] d’avoir pris une journée de congé à cette date dès lors qu’il aurait dû travailler le 25 juillet, ce que l’employeur ne conteste pas. La décision querellée sera par conséquent infirmée de ce chef et la SARL « À la belle fenêtre » sera condamnée à payer au salarié la somme de 75,96 euros.
En définitive, la décision querellée sera partiellement infirmée en ce qui concerne le quantum du rappel de salaire pour retenues injustifiées et la SARL « À la belle fenêtre» sera condamnée à payer à M. [P] la somme de 113,94 euros à ce titre.
* Sur les rappels de salaire au titre des retenues opérées sur commissions
La SARL « À la belle fenêtre » a opéré deux retenues sur les bulletins de paie des mois de septembre et novembre 2019 au titre de commissions indûment perçues, le tout pour un montant global de 2’453,70 euros.
Elle verse aux débats un tableau récapitulatif supposé justifier des montants qu’elle a prélevés, M. [P] ne contestant pas, pour sa part, le principe d’un trop perçu mais le quantum en définitive retenu.
L’observation du tableau versé à la procédure et des annotations portées par le salarié montrent notamment un désaccord portant sur un dossier «'[K]’» que l’employeur n’a pas pris en compte au titre du mois de mai 2019 bien qu’ayant été facturé.
La consultation du courrier qu’il a adressé à M. [P] le 11 octobre 2019 montre uniquement que le salarié ne lui aurait pas fait de retour sur l’accord qu’il aurait passé avec la cliente dans le cadre de son sinistre. Ce seul élément ne permet cependant pas d’opérer une retenue pour ce motif alors que la SARL « À la belle fenêtre », tenue au paiement des commissions conformément au contrat de travail du salarié, ne s’explique nullement sur ce point dans le cadre de la présente procédure. Pour le surplus, M. [P] opère un calcul erroné à partir du pourcentage de 5% qu’il applique à l’ensemble des sommes facturées au titre des deux années 2018 et 2019 alors qu’il s’applique sur le chiffre d’affaire mensuel.
Il en résulte que le salarié a perçu un indu de commissions d’un montant total de 2 419,94 euros. La SARL « À la belle fenêtre » a par conséquent procédé à une retenue injustifiée de 33,76 euros qu’elle sera condamnée à verser à M. [P] à titre de rappel de salaire sur commissions, le jugement querellé étant infirmé de ce chef.
* Sur le rappel de salaire au titre de la prime du mois de septembre 2019
Le tableau établi par la SARL « À la belle fenêtre » montre que M. [P] a réalisé un chiffre d’affaires de 49’668,43 euros au titre du mois de septembre 2019. En application des dispositions de son contrat de travail, il aurait donc dû percevoir une prime de 150 euros puisque son chiffre d’affaires dépassait 45’000 euros. Or, son bulletin de paye montre que cette somme ne lui a pas été payée.
La décision querellée sera dès lors confirmée en ce qu’elle a condamné son employeur à la lui verser.
* Sur le rappel de salaire au titre de la prime de 250 euros
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M. [P] forme une demande de rappel de prime au titre des mois de décembre 2018 et juillet 2019, invoquant une ventilation erronée de son chiffre d’affaires mensuel, conduisant à le minorer et, partant, à le priver de la prime de 250 euros prévue par son contrat de travail, dès lors que le chiffre d’affaires mensuel dépasserait 60’000 euros.
La SARL « À la belle fenêtre » justifie cependant de ce que les bons de commande établis au cours du dernier trimestre de l’année 2018 pour les clients Bureau, [V], [X] et [O] ont donné lieu à des travaux qui se sont échelonnés jusqu’au début de l’année 2019, de sorte qu’ils n’ont en définitive pu être facturés qu’en 2019. Le chiffre d’affaires réalisé pour chacun de ces chantiers ne pouvait par conséquent être pris en compte au titre du mois de décembre 2018, de sorte que le chiffre d’affaires global au titre de ce dernier mois ne dépassait pas 60’000 euros, M. [P] ne pouvant alors prétendre à la prime de 250 euros réclamée.
S’agissant du chiffre d’affaires retenu au titre du mois de juillet 2019, la SARL « À la belle fenêtre » se prévaut de petits litiges ayant repoussé la facturation des chantiers «'[B]’» et «'[T]’». S’agissant du chantier [T], elle produit un récapitulatif mentionnant que la facture, datée du 31 juillet 2019, n’a été intégralement réglée que le 31 août 2019. S’agissant du chantier «'[B]’», elle justifie de ce qu’il a fait l’objet de réserves, seulement levées le 21 octobre 2019 mais n’explique pas la raison pour laquelle il figure néanmoins au titre du chiffre d’affaires du mois d’août 2019 et non du mois de juillet bien que la facture soit datée du 31 juillet 2019. Néanmoins, même ajoutée au chiffre d’affaires initialement retenue au titre du mois de juillet 2019 (47’732,92 euros), la somme correspondante de 6’254,36 euros ne permet pas à elle seule de dépasser le chiffre de 60’000 euros requis pour le paiement de la prime litigieuse.
Le jugement du conseil de prud’hommes sera par conséquent confirmé en ce qu’il a débouté M. [P] de ces chefs de demande.
* Sur le rappel de salaire au titre de la retenue sur salaire opérée au cours du mois de septembre 2019
La SARL « À la belle fenêtre » a opéré une retenue de 649 euros sur le salaire du mois de septembre 2019 en compensation de la valeur du téléphone Samsung Galaxy prétendument non restitué. Or, elle ne pouvait procéder ainsi sans appliquer à son salarié une sanction financière prohibée par les dispositions de l’article L 1331-2 du code du travail. Du reste, les développements ci-dessus ont démontré que le détournement prétendu de ce téléphone par le salarié n’était pas établi.
Il s’en déduit que, contrairement à ce qu’ont estimé les conseillers prud’homaux, l’employeur ne pouvait opérer la retenue litigieuse. Il y a lieu, par conséquent, de condamner la SARL « À la belle fenêtre » à payer à M. [P] la somme de 649 euros indûment retenue pour ce motif sur son bulletin de paye du mois de septembre 2019.
* Sur le rappel de salaire au titre des commissions sur jours ouvrés non travaillés
M. [P] reproche à son employeur de ne pas avoir tenu compte de ses absences et congés pour calculer son droit à commission, minorant ainsi le chiffre d’affaires mensuel réalisé et le privant des commissions auxquelles il pouvait prétendre.
La SARL « À la belle fenêtre » lui oppose que, durant ses congés, il percevait des indemnités de la caisse de congés payés du bâtiment et produit un tableau portant mention des sommes globales perçues respectivement au titre des années 2018 et 2019.
Pour autant, alors que cette preuve lui incombait, l’employeur ne justifie pas du mode de calcul de l’indemnité de congés payés, en particulier de ce que les commissions versées au salarié se
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trouvaient bien incluses dans l’assiette des congés payés et de ce que la rémunération versée à ce titre incluait bien les commissions.
C’est par conséquent à juste titre que le conseil de prud’hommes a fait droit à la demande de M. [P] sur ce point, à l’exception des sommes réclamées au titre des absences demeurées injustifiées.
Infirmant la décision querellée quant au quantum retenu, la SARL « À la belle fenêtre » sera par conséquent condamnée à payer au salarié la somme de 2062,09 euros à ce titre.
– Sur les autres demandes
La décision du conseil de prud’hommes sera confirmée en ce qu’elle a condamné la SARL « À la belle fenêtre » aux entiers dépens ainsi qu’à payer à M. [P] la somme de 1’000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La SARL « À la belle fenêtre » est condamnée aux dépens et déboutée de sa demande d’indemnité de procédure.
En équité, elle devra payer à M. [P] la somme de 2’000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe :
DIT n’y avoir lieu à ordonner d’expertise graphologique des documents contractuels, par comparaison avec la signature de M. [A] [P],
INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu’il a condamné la SARL « À la belle fenêtre » à payer à M. [A] [P] une indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés y afférents, une indemnité légale de licenciement, ainsi qu’une indemnité de procédure, et en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de rappel de salaire sur prime de 250 euros,
STATUANT DES CHEFS INFIRMÉS ET Y AJOUTANT,
DIT que le licenciement de M. [A] [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SARL « À la belle fenêtre » à payer à M. [A] [P] les sommes de’:
– 2’500 euros de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– 113,94 euros à titre de rappel de salaire pour retenues injustifiées sur salaire,
– 33,76 euros à titre de rappel de salaire pour retenues injustifiées sur commissions,
– 649 euros de rappel de salaire au titre de la somme indûment retenue sur le salaire du mois de septembre 2019,
– 2 062,09 euros de rappel de salaire au titre des commissions sur jours ouvrés non travaillés,
– 2’000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DIT que les sommes allouées à titre indemnitaire sont exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables, que les condamnations concernant des créances salariales sont assorties des intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2020 et que les condamnations à titre de dommages et intérêts portent intérêts au taux légal à compter de leur prononcé,
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DÉBOUTE la SARL « À la belle fenêtre » de sa demande d’indemnité de procédure.
CONDAMNE la SARL « À la belle fenêtre » aux entiers dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE