Retenues sur salaire : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 18/13513

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Retenues sur salaire : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 18/13513

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/13513 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B623Y

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Octobre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/00859

APPELANTE

Madame [D] [H] exerçant la profession de secrétaire

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Isabelle JONQUOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0459

INTIMES

Monsieur [K] [T]-Décédé et représenté par les ayants droits.

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représenté par Me Marie-astrid BERTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007

Madame [C] [W] [T] épouse [B] fille de M.[T] [K] décédé

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Marie-astrid BERTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007

Monsieur [A] [I] [T] fils de M.[T] [K] décédé

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Marie-astrid BERTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007

Madame [P] [E] [T] fille de M.[T] [K] décédé

[Adresse 2]

[Adresse 6]

Représentée par Me Marie-astrid BERTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007

Madame [U] [L] [T] fille de M.[T] [K] décédé

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Marie-astrid BERTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente , chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [H] a été engagée par M. [T], chirurgien-dentiste, suivant contrat à durée déterminée du 4 septembre 2015, à temps partiel, pour la période du 7 septembre 2015 au 30 octobre 2015, en qualité de secrétaire afin d’effectuer une partie des tâches habituellement réalisées par une salariée en congé maternité.

Un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel a été régularisé entre les parties le 1er octobre 2015, à effet du 2 novembre 2015.

Deux avenants au contrat de travail ont ensuite été conclus les 25 mars 2016 et 1erjuin 2016.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective de la branche des cabinets dentaires.

Considérant que ses conditions de travail s’étaient dégradées du fait d’erreurs récurrentes dans l’établissement des bulletins de paie et estimant subir un harcèlement moral, Mme [H] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 8 février 2018 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par jugement rendu en formation paritaire le 1eroctobre 2018, notifié le 16 novembre 2018, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– débouté Mme [H] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté M. [T] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé les dépens à la charge de Mme [D] [H].

Mme [H] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel déposée par voie électronique le 29 novembre 2018.

Par courrier du 21 janvier 2019, M. [T] a convoqué Mme [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique, fixé au 31 janvier 2019. Le 22 février 2019, M. [T] a informé Mme [H] de la rupture de son contrat de travail suite à son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.

M. [T] est décédé le 27 mai 2021.

Par conclusions notifiées par RPVA le 13 octobre 2021, les ayants droit de M. [T] ont demandé au magistrat chargé de la mise en état de constater la reprise volontaire d’instance, et en conséquence de prononcer la reprise de l’instance dans l’état où elle se trouvait le 4 juin 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 2 décembre 2022, Mme [H] demande à la cour de :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en date du 1er octobre 2018 en ce qu’il l’a déboutée de toutes ses demandes,

Y faisant droit :

– dire que la non-régularisation en temps et en heure des fiches de paie, le non-paiement des salaires, le retard et/ou la rétention de paiement des indemnités complémentaires de maladie ainsi que la menace de l’employeur de licencier Mme [H] qui réclamait ses fiches de paie, constituent des comportements fautifs de l’employeur et un harcèlement moral justifiant la résiliation judiciaire du contrat,

– dire que l’employeur, en régularisant tardivement en janvier 2021, en cours de procédure, le salaire de juillet 2017 et ce, après la rupture du contrat de travail, a commis une faute justifiant la résiliation judiciaire du contrat,

– ordonner la remise d’une fiche de paie conforme pour le salaire de juillet 2017

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [H] aux torts de l’employeur

– dire et juger que le licenciement de Mme [H] est nul ou à défaut sans cause réelle ni sérieuse.

En conséquence, condamner solidairement M. [A] [T], Mme [C] [T], Mme [P] [T] et Mme [U] [T], en qualité d’ayants droit de M. [K] [T], à payer à Mme [H] les sommes suivantes :

* préavis : 247,84 euros

* congés payés sur préavis : 324,78 euros

* indemnités de licenciement : 834,92 euros

* dommages intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement abusif : 16 000 euros

*dommages intérêts pour préjudice moral : 5 000 euros

*dommages intérêts pour retenue sur salaire : 000 euros

*rappel de salaire de septembre 2015 à juin 2017 : 2 028,06 euros

*congés sur rappel de salaire : 202,80 euros

*rappel de complément maladie pour la période du 7 septembre 2016 au 25 janvier 2018 : 477,51 euros

*article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros

Y ajoutant (demandes nouvelles en appel) :

-ordonner à M. [A] [T] et à Mmes [C] [T], [P] [T] et [U] [T] de remettre à Mme [H] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à l’arrêt à intervenir.

-dire que les demandes de rappels de salaires et assimilés porteront intérêts au taux légal capitalisés à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

-condamner solidairement M. [A] [T] et Mmes [C] [T], [P] [T] et [U] [T] aux dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 décembre 2022, les ayants droit de M. [T] demandent à la cour de :

A titre principal :

– confirmer jugement rendu le 1er octobre 2018 par le conseil de prud’hommes de Paris

– constater ‘absence de manquement grave commis par M. [T] rendant impossible la poursuite du contrat de travail ;

– constater que Mme [H] n’établit pas l’existence d’une situation de harcèlement moral ;

– constater que Mme [H] a perçu l’ensemble des salaires dus au titre de son contrat de travail ;

En conséquence,

– débouter [H] de sa demande de résiliation judiciaire et des demandes afférentes ;

– débouter [H] de ses demandes de rappel de salaire ;

A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire, la cour estimait que la résiliation judiciaire devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

– constater le quantum des demandes de Mme [H] est erroné et injustifié ;

– constater que l’ancienneté à la date de la rupture du contrat de travail était d’un an et huit mois ;

– constater que Mme [H] ne peut prétendre à une quelconque indemnité compensatrice de préavis,

– constater que Mme [H] a déjà perçu une indemnité de licenciement d’un montant de 626,60 euros;

-limiter montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 750,20 euros;

Si par extraordinaire, la cour estimait que la résiliation judiciaire devait produire les effets d’un licenciement nul :

– constater que le quantum des demandes de Mme [H]est erroné et injustifié ;

– constater que l’ancienneté à la date de la rupture du contrat de travail était d’un an et huit mois ;

– constater [H] peut prétendre à une quelconque indemnité compensatrice de préavis,

– constater [H] déjà perçu une indemnité de licenciement d’un montant de 626,60 euros ;

– limiter montant des dommages et intérêts pour licenciement nul à la somme de 9 002,46 euros,

A titre reconventionnel :

– condamner [H] à verser aux ayants droit de M. [T] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

– condamner Mme [H] aux entiers dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 7 décembre 2022.

L’affaire a été appelée à l’audience du 6 février 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

1/Sur le rappel de salaire pour la période de septembre 2015 à juin 2017

Mme [H] fait valoir que les contrats de travail et bulletins de salaire mentionnent un salaire mensuel et un taux horaire contradictoires. Or, en application de l’article 1190 du code civil, dans le doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé. N’ayant pas eu la possibilité de négocier son contrat de travail, elle estime pouvoir se prévaloir du taux horaire qui lui est plus favorable. Concernant le premier contrat de travail, Mme [H] ajoute que le taux horaire mentionné sur les bulletins de paie est inférieur au taux conventionnel minimal et sollicite par conséquent l’application de ce dernier.

Les ayants-droits de M. [T] objectent que, selon l’article 1188 du code civil, le contrat s’interprète selon la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral des termes. Lors de son embauche initiale le 7 septembre 2015, il a été convenu que Mme [H] percevrait une rémunération de 1 500 euros bruts. A compter du 1eroctobre 2015, la relation de travail s’est transformée en relation de travail à temps partiel, ce qui explique que la rémunération de Mme [H] a diminué proportionnellement à la durée de son temps de travail. A compter du 25 mars 2016, Mme [H] a eu à effectuer des taches complémentaires en raison d’un départ en congé maternité, ce qui explique une évolution de sa rémunération à 1 600 euros pour 32 heures de travail. Lorsque la salariée remplacée est revenue de congé maternité, Mme [H] a retrouvé ses fonctions initiales, ainsi que son salaire initial d’un montant de 1 500 euros bruts. Le taux horaire figurant dans le contrat de travail est erroné et sans lien avec la convention collective applicable. D’ailleurs, M. [T] a eu l’occasion d’en informer les salariés dans une note du 20 mars 2017. Les ayants-droits de M. [T] ajoutent que, concernant les mois de septembre et octobre 2015, les minimas conventionnels ont été respectés puisque la salariée effectuait les missions d’une réceptionniste/Hôtesse d’accueil, et non d’une secrétaire technique.

Aux termes de l’article 1188 du code civil, le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

L’article 1190 du même code stipule que dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé.

La cour constate que :

-le contrat à durée déterminée du 4 septembre 2015 mentionne la rémunération mensuelle brute (1 500 euros) et le nombre d’heures hebdomadaires travaillées (32 heures), ce qui correspond au taux horaire de 10,82 euros qui figure sur le bulletin de salaire, alors que le taux minimal conventionnel prévu pour une secrétaire technique est de 10,85 euros, et que Mme [H] pouvait y prétendre puisqu’elle était en charge non seulement de la prise des rendez-vous et de l’accueil des patients, mais également de la gestion des dossiers, comme mentionné dans son contrat de travail ; elle est donc en droit de prétendre à un rappel de salaire conforme à ce taux minimal conventionnel, soit 4,15 euros, outre 0,41 euros au titre des congés payés, pour le mois de septembre 2015 et le jugement entrepris sera infirmé sur ce point,

-le contrat à durée indéterminée du 1er octobre 2015 mentionne un salaire brut de 750 euros, un nombre d’heures travaillées de 16 heures et un taux horaire de 11,72 euros, alors que les bulletins de salaire mentionnent le même salaire brut et un taux horaire de 10,82 euros,

-l’avenant du 25 mars 2016 mentionne un salaire brut de 1 600 euros, un nombre d’heures travaillées de 32 heures et un taux horaire de 12,50 euros alors que les bulletins de salaire mentionnent le même salaire brut et un taux horaire de 11,5382 euros,

-l’avenant du 1er juin 2016 mentionne un salaire brut de 1 500 euros, un nombre d’heures travaillées de 32 heures et un taux horaire de 11,72 euros, alors que les bulletins de salaire mentionnent un taux horaire de 10,82 euros.

Mme [H] ayant, lors de la conclusion du premier contrat de travail, accepté une rémunération brute mensuelle de 1500 euros pour 32 heures de travail sans référence à un taux horaire, rémunération ensuite reprise proportionnellement au nouveau temps de travail dans le contrat du 1er octobre 2015, puis dans l’avenant du 1er juin 2016, la cour retient que la commune intention des parties était de fixer sa rémunération à cette somme. La salariée sera en conséquence déboutée de sa demande de rappel de salaires fondée sur les taux horaires mentionnés dans les contrats et avenants successifs, et ce pour la période d’octobre 2015 à juin 2017.

2/Sur le rappel de prestation complémentaire versée par AG2R

Mme [H] indique que la convention collective applicable prévoit que, lorsque le salarié est en arrêt de travail, il doit bénéficier d’un complément de salaire versé à l’employeur par l’organisme de prévoyance. Or, M. [T] ne lui a pas reversé l’ensemble des compléments de salaire reçus de l’organisme de prévoyance, ce qu’il a reconnu lors du bureau de conciliation et d’orientation. Postérieurement, il lui a réglé une somme inférieure au montant total dû. Elle sollicite donc le versement de la somme correspondant à la différence entre la somme totale versée par AG2R à M. [T] (5 943,58 euros) et celle que ce dernier lui a versée en deux fois (4 366,07 euros).

Les ayants-droits de M. [T] répondent qu’il avait perçu avec retard les sommes versées par l’AG2R au titre des prestations de prévoyance, raison pour laquelle leur paiement a été effectué bien après la période donnant droit au paiement de ces prestations mais ils affirment avoir versé à la salariée la totalité de la somme due.

Sont versés au débat les décomptes adressés par AG2R à M. [T] pour les deux arrêts de travail de Mme [H] (pièce 20 intimés) desquels il résulte que ce dernier a perçu la somme totale de 4 117,08 euros au titre de la prestation complémentaire à reverser à la salariée, les charges patronales étant destinées à l’employeur, redevable des cotisations calculées sur cette prestation complémentaire.

Mme [H] admettant avoir perçu la somme de 4 366,07 euros, compte tenu du dernier versement de 1 445,50 euros figurant sur le bulletin de salaire de juillet 2018, aucune somme ne lui reste due et elle sera par conséquent déboutée de sa demande.

3/Sur la demande de dommages intérêts pour retenue sur salaire

Mme [H] fait valoir que M. [T] a procédé à une retenue sur salaire d’un montant de 722,56 euros en mai et juin 2017, ce qui contrevient aux dispositions de l’article L.3251-3 du code du travail qui dispose que l’employeur ne peut opérer des retenues sur salaire pour les avances en espèces qu’il a faites que si elles ne dépassent pas le dixième des salaires exigibles. En procédant à une retenue sur salaire d’un tel montant sur une période de deux mois, l’employeur lui a causé un préjudice financier.

Les ayants-droits de M. [T] insistent sur l’absence de préjudice démontré par la salariée.

Les dispositions de l’article L. 3251-3 du code du travail ne sont applicables qu’aux retenues de salaire pour les avances en espèces faites par l’employeur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, l’employeur a procédé à ces retenues sur salaire suite aux vérifications opérées par le cabinet comptable qui a constaté un trop-perçu par la salariée, principalement sur les deux mois précédents de mars et avril 2017. Ainsi donc, ces retenues étaient justifiées dans leur principe et dans leur quantum, tandis que Mme [H] ne justifie pas des difficultés financières qu’elle aurait rencontrées du fait de ces retenues.

4/Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [H] fait valoir que, durant les derniers mois de collaboration, elle a supporté des conditions de travail très difficiles du fait d’un désaccord avec son employeur au sujet des fiches de paie et du non-paiement de son salaire ou du complément maladie.

Elle produit un certificat médical établi le 16 juillet 2019 par son médecin traitant qui indique la suivre depuis trois ans pour un syndrome anxio-dépressif réactionnel important secondaire à un conflit professionnel et avoir été amené à lui prescrire un arrêt de travail pour ce motif.

La cour retient au vu de ces éléments, qui relatent de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l’imputation par la salariée de ce dernier à ses conditions de travail, que cette dernière présente des éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement et qu’il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Les ayants-droits de M. [T] rétorquent que ces seules allégations ne sauraient justifier le versement de dommages-intérêts dont le quantum n’est d’ailleurs pas expliqué. M. [T] a fait le nécessaire pour répondre aux nombreuses sollicitations de Mme [H] en faisant appel aux services d’un cabinet d’expertise comptable. Et aucune pièce crédible ne vient établir l’existence d’agissements répétés permettant de présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral

Il ressort clairement des nombreux courriers ou mails échangés entre l’employeur et la salariée que la question des bulletins de salaire, source initiale du désaccord qui concernait d’ailleurs l’ensemble des salariées, a créé une tension grandissante entre eux et dégradé les relations au travail, Mme [M], autre salariée, évoquant le 6 février 2017 une atmosphère plus que tendue au cabinet depuis le début de l’année, l’intervention d’un tiers puis de l’inspection du travail cristallisant ces tensions. Si M. [T] a finalement eu recours aux services d’un comptable pour corriger l’ensemble des bulletins de salaire, et remis ceux-ci à la salariée début juin, un contrôleur du travail indique avoir reçu celle-ci le 4 juillet qui lui a fait part d’un sentiment de harcèlement et de souffrance au travail. Et le médecin traitant atteste du lien entre ce conflit professionnel et l’arrêt de travail, même si la prise en charge d’un syndrome anxio-dépressif semble antérieure à l’embauche de Mme [H] par M. [T], puisque remontant à 2016.

Ces éléments pris dans leur ensemble objectivent l’existence d’un harcèlement moral ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité et d’altérer sa santé physique ou mentale subi par la salariée à compter de fin 2016, qui a finalement conduit à un arrêt de travail en juillet 2017.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande et il lui sera alloué une somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

5/Sur la résiliation judiciaire

Pour fonder une résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié doit rapporter la preuve de manquements de l’employeur à ses obligations, suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail et justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur. résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Lorsque le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

À l’appui de sa demande de résiliation judiciaire, la salariée fait valoir qu’elle a été victime de pressions et de représailles financières de la part de son employeur à partir du moment où elle a réclamé la régularisation de ses fiches de paye puis demandé l’intervention de l’inspecteur du travail, qui constituent un harcèlement moral. Elle soutient que son employeur a fait preuve de mauvaise volonté pour régulariser ses fiches de paie, qu’il l’a menacée de licenciement lorsqu’elle a contesté la validité des fiches de paie et saisi l’inspection du travail, qu’il a opéré deux retenues sur salaire d’un montant de 361,28 euros en mai et en juin 2017, suite à un trop-perçu, qu’il n’a pas maintenu son salaire en juillet 2017 pendant son arrêt travail contrairement aux dispositions de la convention collective et qu’il ne lui a versé les indemnités complémentaires provenant de l’AG2R qu’avec retard.

Les ayants-droits de M. [T] répondent qu’il appartient à la salariée qui sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail de démontrer un manquement suffisamment grave de la part de son employeur, ce qu’elle ne fait pas. A titre liminaire, ils soulignent que M. [T] a toujours fait preuve de bienveillance à l’égard de Mme [H], et qu’il lui est venu en aide autant qu’il le pouvait.

Jamais au cours de la relation de travail, Mme [H] n’a reproché à M. [T] de l’avoir harcelée et aucune pièce apportée par l’appelante ne permet d’établir un tel harcèlement. Au contraire, M. [T] a toujours fait le nécessaire pour répondre aux sollicitations de Mme [H], malgré des pressions et une hostilité de celle-ci à son égard.

S’agissant de la régularisation des bulletins de paie, les ayants-droits de M. [T] indiquent qu’il a fait appel à un cabinet d’expertise comptable afin de permettre leur mise en conformité. La salariée a été informée de l’état d’avancement des modifications apportées sur les bulletins de paie, et M. [T] se tenait à sa disposition pour échanger sur ce sujet. Les bulletins de paie ont été rectifiés et remis à Mme [H] de sorte qu’elle dispose désormais de bulletins de paie conformes à la réglementation légale, ce que l’inspection du travail elle-même a vérifié.

Concernant le prétendu non-paiement du salaire de Mme [H] en mai et juin 2017 en raison d’un trop perçu, les ayants-droits de M. [T] soulignent qu’il a adressé le 1erjuin 2017 un courrier à Mme [H] lui expliquant qu’elle avait bénéficié d’un trop perçu de salaire qui serait régularisé sur les mois de mai et juin 2017. La salariée a par conséquent été informée des causes de la retenue de salaire et M. [T] a pris soin de ne pas procéder à la régularisation sur un mois, mais sur deux.

Ensuite, les ayants-droits de M. [T] affirment que le courrier adressé par M. [T] le 5 février 2017 à l’ensemble de son équipe ne comporte aucune menace. Celui-ci avait pour seul objet d’informer l’équipe que le comptable avait procédé à la régularisation des bulletins de paie, et de faire part de son étonnement vis-à-vis d’une des salariées du cabinet qui l’avait menacé de saisir l’inspection du travail et avait inquiété le reste de l’équipe. Suite à ce courrier, Mme [H] n’a fait l’objet d’aucune sanction et la procédure de licenciement pour motif économique n’est intervenue que deux ans après.

Par ailleurs, M. [T] pensait que le maintien de salaire pour le premier mois d’arrêt de travail était garanti par l’AG2R, et qu’il n’avait par conséquent pas à procéder au paiement du salaire pour le mois de juillet 2017. S’apercevant de son erreur, il a procédé à la régularisation. Et Mme [H] n’a jamais fait savoir à M. [T] qu’elle n’avait pas perçu de maintien de salaire pour le mois de juillet 2017, avant sa saisine prud’homale. En outre, c’est la seule et unique fois que M. [T] n’a pas payé en temps et en heure le salaire de la salariée.

Enfin, concernant les prétendus retards et/ou rétention de paiement des indemnités complémentaires AG2R, les ayants-droits de M. [T] indiquent qu’il a perçu avec retard les sommes versées par l’AG2R au titre des prestation de prévoyance, ce qui explique que le paiement des prestations de prévoyance a été effectué bien après la période donnant droit au paiement de ces prestations. Ils ajoutent qu’il a versé les sommes reçues de la part de l’AG2R sans jamais procéder à des rétentions. Ils soulignent qu’en cause d’appel, Mme [H] abandonne plusieurs griefs soulevés en première instance, ce qui démontre que sa demande de résiliation judiciaire est infondée.

La cour note que les intimés ne contestent pas l’existence d’erreurs récurrentes dans l’établissement des bulletins de paie, qui concernaient d’ailleurs l’ensemble des salariées. Alors que Mme [H] avait alerté son employeur sur les erreurs que comportaient les bulletins de salaire, celui-ci n’en a pas tenu compte puisqu’elle s’est ensuite tournée vers l’inspection du travail. Dans une lettre datée du 7 février 2017, l’inspecteur du travail lui a rappelé ses obligations légales et l’a invité à rectifier les bulletins de paie pour qu’ils soient conformes. Ce n’est pourtant que le 1er juin 2017 que M. [T] remettra à la salariée l’ensemble des bulletins de paie rectifiés de septembre 2015 à mai 2017, puisque les erreurs affectaient la totalité des bulletins de salaire.

Placée en arrêt travail à compter du 4 juillet 2017, Mme [H] va ensuite être confrontée à un nouveau manque de diligence de son employeur pour le reversement de la prestation complémentaire. En effet, celui-ci ne lui reversera les indemnités versées par AG2R en septembre 2017, après un premier versement en septembre non mentionné sur le bulletin de salaire, qu’en décembre 2017 mais en soustrayant de façon injustifiée la totalité des sommes qu’il lui avait reversées le 19 janvier 2017 au titre d’un premier arrêt de travail.

Ainsi, alors que la cour a retenu au point 3 l’existence d’un harcèlement moral, en ne délivrant pas à la salariée des bulletins de salaire conformes, malgré ses demandes répétées et un rappel de l’inspection du travail, puis en privant la salariée du reversement régulier des prestations complémentaires alors qu’elle était en arrêt de travail et ne percevait plus que les indemnités journalières de la sécurité sociale, M. [T] a commis des manquements d’une gravité telle qu’ils justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur à la date du 22 février 2019, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres manquements reprochés. Cette ésiliation aura les effets d’un licenciement nul.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 55 ans, de son ancienneté, à savoir plus de trois années, du montant de sa rémunération, à savoir 1 625,21 euros après application du taux horaire contractuel, et du fait qu’elle n’a pas retrouvé d’emploi et perçoit le RSA, il lui sera alloué une somme de 10 000 euros en réparation de son entier préjudice.

6/ Sur l’indemnité de licenciement

Mme [H] estime que son ancienneté est de 3 années et 7 mois. En effet, l’employeur, en raison des pressions morales et financières, étant responsable des arrêts maladie, il n’y a pas lieu de retirer de son ancienneté les périodes de maladie.

Les ayants-droits de M. [T] estiment que les arrêts maladies d’origine non professionnelle de Mme [H] doivent être déduits de son ancienneté totale.

La cour ayant considéré au point 3 que l’arrêt de travail de Mme [H] est la conséquence du harcèlement moral subi, il sera retenu pour le calcul de l’indemnité de licenciement, une ancienneté de 3 ans 6 mois et 15 jours, et il lui sera alloué la somme de 834,92 euros à ce titre, conformément à sa demande.

Le jugement sera conséquemment infirmé à cet égard.

7/ Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Mme [H] sollicite le versement d’une indemnité correspondant à un préavis de deux mois, conformément à la convention collective.

Les ayants-droits de M. [T] répondent que, dans la mesure où la salariée a accepté un contrat de sécurisation professionnelle, elle ne peut pas demander une indemnité compensatrice de préavis.

La cour ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement nul, il sera fait droit à la demande d’indemnité de préavis dans les limites de la demande, à savoir la somme de 3 247,84 euros, outre 324,78 euros au titre des congés payés afférents, sauf à déduire les sommes que la salariée a pu percevoir à ce titre dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle.

Le jugement sera conséquemment infirmé à cet égard.

8/Sur les autres demandes

La cour rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l’arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2018, date de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et que la capitalisation est de droit conformément à l’article 1343-2 du code civil.

Il sera ordonné à . [A] [T], Mme [C] [T], Mme [P] [T] et Mme [U] [T], en qualité d’ayants droit de M. [K] [T], de délivrer à Mme [H] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, un bulletin de paie, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.

M. [A] [T], Mme [C] [T], Mme [P] [T] et Mme [U] [T], en qualité d’ayants droit de M. [K] [T], sont condamnés in solidum à verser à Mme [H] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et supporteront les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté Mme [D] [H] de ses demandes au titre du rappel de salaires pour la période d’octobre 2015 à 2017, du rappel de prestations complémentaires et du préjudice subi suite aux retenues sur salaire,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur à la date du 22 février 2019, produisant les effets d’un licenciement nul,

Condamne M. [A] [T], Mme [C] [T], Mme [P] [T] et Mme [U] [T], en qualité d’ayants droit de M. [K] [T], à payer à Mme [D] [H] les sommes suivantes :

-4,15 euros à titre de rappel de salaires pour la période de septembre 2015

-0,41 euro au titre des congés payés afférents

-1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral

– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

-834,92 euros à titre d’indemnité de licenciement

-3 247,84 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, à déduire les sommes que la salariée a pu percevoir à ce titre dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle,

-324,78 euros au titre des congés payés afférents, sauf à déduire les sommes que la salariée a pu percevoir à ce titre dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle,

Condamne in solidum M. [A] [T], Mme [C] [T], Mme [P] [T] et Mme [U] [T], en qualité d’ayants droit de M. [K] [T], à payer à Mme [D] [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Ordonne à M. [A] [T], Mme [C] [T], Mme [P] [T] et Mme [U] [T], en qualité d’ayants droit de M. [K] [T], de délivrer à Mme [H] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, un bulletin de paie, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte,

Rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l’arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2018, date de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et que la capitalisation est de droit conformément à l’article 1343-2 du code civil,

Condamne in solidum M. [A] [T], Mme [C] [T], Mme [P] [T] et Mme [U] [T], en qualité d’ayants droit de M. [K] [T], aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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