N° RG 20/03806 – N° Portalis DBV2-V-B7E-ITPO
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 02 FEVRIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 04 Novembre 2020
APPELANTE :
Société ETABLISSEMENTS DESORMEAUX
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Christelle PREVOST, avocat au barreau de ROUEN
INTIME :
Monsieur [K] [G]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 08 Décembre 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame ALVARADE, Présidente
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 08 Décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 02 Février 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 02 Février 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
A compter du 3 septembre 2001, M. [K] [G] (le salarié) a été engagé en qualité d’électricien par la société AMGE par contrat à durée indéterminée.
Son contrat a été repris par la société Desormeaux (la société) à compter du 9 juin 2016.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 14 août 2017, «une mise en garde » lui a été adressée.
A compter du 21 juin 2018, le salarié a été en arrêt de travail, régulièrement renouvelé jusqu’au 12 décembre 2018.
Le 8 juin 2018, il a été convoqué à un entretien préalable et une mise à pied disciplinaire de 3 jours lui a été notifiée le 10 juillet suivant, laquelle devait s’exécuter les 23, 28 et 30 août 2018.
Par courrier du 14 août 2018, il l’a contestée et la société l’a informé qu’elle maintenait sa décision.
M. [G] a poursuivi sa contestation en saisissant, le 27 août 2018, le conseil de prud’hommes de Rouen, lequel par jugement en date du 4 novembre 2020, a :
– dit et jugé que la sanction disciplinaire notifiée le 10 juillet 2018 était régulière et fondée en droit,
– constaté que la société n’avait pas effectué la retenue sur salaire résultant de la mise en application de la sanction disciplinaire,
– débouté M. [G] de ses demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts,
– débouté la société de sa demande de 2 500 euros formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société à payer à M. [G] un montant de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rappelé les dispositions exécutoires à titre provisoire en application de l’article R.1454-28 du code du travail,
– laissé les dépens et éventuels frais d’exécution de l’instance à la charge de la société.
La société a relevé appel de ce jugement le 23 novembre 2020 et le 25 novembre suivant, M. [G] a fait de même.
Le 25 mai 2021, les procédures ont été jointes par mention au dossier.
Par conclusions remises le 29 novembre 2021, la société demande à la cour de :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes rendu le 4 novembre 2020 en ce qu’il a :
dit et jugé que la sanction disciplinaire notifiée était justifiée,
débouté M. [G] de ses demandes de 304,50 euros au titre de rappel de salaire et de celle de 7 000 euros au titre de dommages et intérêts,
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ses dispositions qui :
l’ont déboutée de sa demande de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
l’ont condamnée à payer à M. [G] un montant de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
ont laissé les dépens et éventuels frais d’exécution de la présente instance à sa charge,
Statuant à nouveau,
– débouter M. [G] de l’ensemble de ses demandes,
– le condamner à lui verser la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 30 septembre 2021, M. [G] demande à la cour de :
– le juger recevable et bien-fondé en son appel incident,
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 4 novembre 2020, s’agissant de l’indemnité allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
– réformer le jugement pour le surplus,
statuant à nouveau,
– juger que la sanction disciplinaire qui lui a été notifiée est irrégulière et infondée en droit et l’annuler,
– condamner la société à lui payer la perte de salaire y afférent, soit la somme de 304,50 euros, ainsi que la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
– débouter la société de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société à lui verser, en cause d’appel, le somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été fixée au 17 novembre 2022.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé détaillé de leurs moyens et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la mise à pied disciplinaire
Selon les dispositions de l’article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En premier lieu, le salarié conteste la régularité de la mise à pied disciplinaire en relevant le caractère tardif de sa notification, le fait qu’il était en arrêt de travail à raison d’un accident du travail et que le règlement intérieur lui était inopposable.
Il n’est pas discuté que l’entretien préalable s’est tenu le 18 juin 2018 et que la sanction contestée a été notifiée au salarié le 10 juillet 2018, soit dans un délai inférieur à un mois et, partant, dans le respect du délai prévu par l’article L. 1332-2 du même code.
Ce moyen sera donc écarté.
Il en sera de même du deuxième moyen relatif à la suspension du contrat de travail résultant de l’arrêt de travail du 21 juin 2018, puisque la sanction prononcée concerne des faits étrangers à l’arrêt de travail et commis antérieurement audit arrêt pour accident du travail dont, au surplus, l’employeur n’a eu connaissance que le 29 juin suivant.
Enfin, l’article L. 1321-4 du code du travail dans sa version applicable au litige, dispose que le règlement intérieur ne peut être introduit qu’après avoir été soumis à l’avis du comité social et économique (…) il indique la date de son entrée en vigueur et (…) fait l’objet des mesures de publicité, le règlement intérieur, accompagné de l’avis du comité social et économique est communiqué, est communiqué à l’inspecteur du travail.
Il résulte du contrat de travail qu’il se réfère expressément au règlement intérieur de l’entreprise.
En outre, il convient de constater que par les justificatifs fournis, la société démontre qu’elle a respecté toutes les obligations légales ci-dessus visées pour qu’il soit opposable au salarié à compter de l’accomplissement des formalités considérées (avril 2016), aucune disposition ne prévoyant que celui-ci porte sa signature ou son visa sur ledit document.
Ainsi, il ne peut être discuté qu’à la date de la sanction discutée, le règlement intérieur était opposable au salarié.
Dès lors, ce dernier moyen ne saurait prospérer.
En second lieu, le salarié discute le bien-fondé et le caractère disproportionné de la sanction dont il conteste tous les faits.
Il résulte de la lettre du 10 juillet 2018 que la mise à pied disciplinaire est motivée par les faits suivants :
– une arrivée à 8H30 au lieu de 8H sur un chantier, le 6 juin 2018,
– l’utilisation d’un véhicule distinct de celui de son collègue pour se rendre sur ce même chantier,
– une rallonge électrique qui traînait dans l’eau,
– le défaut d’utilisation du système de verrouillage du véhicule afin d’assurer la sécurité de celui-ci et du matériel qu’il contenait.
Concernant les deux premiers griefs, la société se prévaut de l’attestation de M. [U] [N], lequel est son directeur d’exploitation mais également, comme en justifie le salarié, le directeur général de celle-ci, ce qui altère le caractère probant de cet écrit.
Au surplus, ses propos sont contestés par le salarié qui produit le témoignage circonstancié de M. [I], ancien salarié de l’entreprise. Or, ce denier indique que le jour considéré, il était présent à l’entreprise à 7 heures avec M. [G], ce dernier devant se rendre à [Localité 4], alors que lui-même et un autre collègue qu’il attendait, étaient prévus sur un chantier à [Localité 3]. Il ajoute qu’ils attendaient les instructions du chef de chantier, M. [C] qui, au dernier moment, a changé le planning en demandant à l’appelant de se rendre à [Localité 3] pour lequel il est parti « avant lui », car il attendait toujours un autre collègue (Raphi) ».
Ainsi, il ressort dudit témoignage qu’il ne peut valablement être reproché au salarié son retard sur ledit chantier, pas plus que l’utilisation d’un véhicule distinct de celui de son collègue, alors que les circonstances ci-dessus exposées par le témoin en expliquent les raisons, étant observé que l’employeur ne les conteste pas utilement et ne justifie, au surplus, pas de consignes précises concernant l’usage des véhicules de l’entreprise.
Concernant la présence d’une rallonge dans l’eau, l’employeur produit des photographies commentées par M. [N]. Comme le relève justement le salarié, lesdites pièces ne démontrent pas qu’il s’agissait du chantier sur lequel il travaillait. Surtout, elles ne permettent pas de lui imputer le fait allégué dont il conteste être le responsable et alors qu’il est établi par les écritures des parties qu’il y avait, à tout le moins, deux chefs d’équipe sur les lieux ce jour-là.
Dès lors, la matérialité de ce grief n’est pas plus établie.
Quant au dernier grief, au-delà du fait qu’il n’est rapporté que par M. [N] dont le témoignage ne peut être pris en compte pour les raisons précédemment évoquées, il ne saurait, fusse-t-il matériellement établi, être suffisant pour justifier la sanction prononcée, laquelle serait, dans ce cas, disproportionnée.
Par conséquent et compte tenu des précédents développements, il convient d’annuler la mise à pied disciplinaire notifiée le 10 juillet 2018 et d’infirmer la décision déférée sur ce chef.
Si le salarié sollicite « une perte de salaire », l’employeur indique, sans être contredit, que la sanction n’a pas été exécutée et justifie de ce que le salarié a été en arrêt de travail aux dates prévues, sans que ce dernier ne produise le moindre bulletin de salaire démontrant une retenue à ce titre au mois d’août ou un autre mois.
Par conséquent, c’est à juste titre que cette prétention a été rejetée par les premiers juges.
Dès lors, en l’absence de privation injustifiée d’une partie de son salaire et de preuve de l’existence d’un préjudice, la décision déférée doit être confirmée en ce qu’elle a débouté l’appelant de sa demande de dommages-intérêts.
La décision déférée est confirmée sur ces deux derniers chefs.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, la société est condamnée aux dépens d’appel et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
Pour le même motif, elle est condamnée à payer au salarié la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du 4 novembre 2020 du conseil de prud’hommes de Rouen, sauf en ses dispositions relatives au rappel de salaire, aux dommages et intérêts et aux dépens,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Annule la mise à pied disciplinaire notifiée le 10 juillet 2018 à M. [G] ;
Condamne la société Etablissements Desormeaux à payer à M. [K] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Etablissements Desormeaux aux dépens d’appel.
La greffière La présidente