Retenues sur salaire : 19 mai 2022 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 20/01013

·

·

Retenues sur salaire : 19 mai 2022 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 20/01013

AFFAIRE : N° RG 20/01013 – N° Portalis DBWB-V-B7E-FMHF

 Code Aff. :A.L

ARRÊT N°

ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de SAINT PIERRE en date du 11 Juin 2020, rg n° F18/00131

COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS

DE LA RÉUNION

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 19 MAI 2022

APPELANT :

Monsieur [T] [Z]

[Adresse 1] c/o Mme [R]

[Adresse 1]

Représentant : Me Françoise BOYER-ROZE, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

INTIMÉE :

ASSOCIATION CAPRICORNE SUD NATATION agissant par son Président

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Nathalie CINTRAT, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

Clôture : 6 décembre 2021

DÉBATS : En application des dispositions de l’article 804 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 mars 2022 devant la cour composée de :

Président :M. Alain LACOUR, président

Conseiller :M. Laurent CALBO, Conseiller

Conseiller :Madame Aurélie POLICE,

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l’issue des débats, le président a indiqué que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 19 mai 2022.

ARRÊT : mis à disposition des parties le 19 MAI 2022

Greffier lors des débats : Mme Nadia HANAFI,

greffier lors de la mise à disposition de l’arrêt : Mme Monique LEBRUN

* *

*

LA COUR :

Exposé du litige’:

M. [Z] a été embauché à compter du 1er septembre 2015 en qualité d’entraîneur par l’association Capricorne Sud natation (l’association), selon contrat à durée indéterminée, modifié par avenant du 16 septembre 2016, avec reprise d’ancienneté au 1er avril 2011. Il a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 22 novembre 2017.

Saisi par M. [Z], qui demandait que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail fût requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnisation des différents chefs de préjudice dont il se plaignait, outre un rappel de salaire, le conseil de prud’hommes de Saint-Pierre de la Réunion, par jugement rendu le 11 juin 2020, a notamment constaté que la prise d’acte de M. [Z] était requalifiée en démission, a condamné M. [Z] à payer à l’association 3’931 euros au titre du préavis et a condamné l’association à payer à M. [Z] 550,44 euros au titre des heures supplémentaires et majorées. Les parties ont été déboutées du surplus de leurs demandes.

Appel de cette décision a été interjeté par M. [Z] le 10 juillet 2020.

Vu les conclusions notifiées par M. [Z] le 3 septembre 2021′;

Vu les conclusions notifiées par l’association le 29 avril 2021′;

Pour plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées et aux développements infra.

Sur ce’:

Sur le harcèlement moral’:

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail’;

Attendu qu’au soutien de sa demande tendant à voir juger qu’il a été victime d’un harcèlement moral, M. [Z] expose que des retenues injustifiées ont été opérées sur ses salaires au mois de juin 2017, que son employeur a refusé de payer la totalité des heures travaillées entre novembre 2016 et novembre 2017, qu’il a subi des faits de harcèlement et d’agression provoqués par un de ses collègues et par son supérieur hiérarchique sans que l’employeur, pourtant averti, n’intervienne, qu’il a subi des sanctions sans motif de la part de son employeur ainsi que des modifications de son contrat de travail et qu’enfin, l’association a manqué à son obligation de sécurité’;

Attendu que pris dans leur ensemble, ces éléments laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral’; qu’il incombe par conséquent à l’association de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement’;

Attendu, en ce qui concerne l’agression verbale dont M. [Z] indique avoir été victime le 21 novembre 2017 sans que son employeur, qui était informé, ne réagisse, dont il justifie par sa pièce n° 16, constituée d’une attestation de Mme [W], que l’association répond que cette altercation résulte de l’attitude de M. [Z], qui s’était affranchi de l’obligation de se présenter au bord du bassin de natation en maillot de bain, et non en tenue de ville, d’une part, et du retard mis par lui à libérer ce bassin, ce qui a conduit M. [H] à le rappeler à ses obligations, d’autre part’;

Mais attendu que ni le fait que M. [Z] ait porté une tenue inappropriée, ni le retard mis à quitter le bassin de natation, ne justifiaient qu’il fût verbalement agressé par M. [H], ces manquements, au demeurant non contestés, eussent-ils dû faire l’objet d’une sanction disciplinaire’;

Attendu, s’agissant des convocations à des entretiens, dont M. [Z] indique qu’elles n’étaient pas justifiées et qu’elles n’ont été suivies d’aucun effet, dont il justifie par ses pièces n° 35 à 37 (trois convocations pour les 8 et 22 juin 2016 et pour le 23 février 2017), dont il soutient qu’il s’agit d’un procédé d’intimidation, que l’association ne répond pas’;

Attendu, en ce qui concerne les reproches dont M. [Z] soutient qu’ils étaient injustifiés et qu’il établit par ses pièces n° 29/1 à 29/5, 30 à 34, que l’association ne répond pas davantage’;

Attendu, s’agissant du non-paiement du salaire entre le 26 juin et le 17 juillet 2017, que l’association objecte que les retenues sur salaire alors opérées résultaient de ce que M. [Z] avait pris un congé sans solde au cours de cette période, en sorte que la retenue était légitime’;

Attendu que M. [Z] conteste avoir sollicité un congé sans solde’;

Attendu que M. [Z], par courriel du 21 février 2017, a demandé le bénéfice de ses congés annuels à compter du 26 juin 2017 pour pouvoir rester en métropole, où il devait accompagner un compétiteur à un championnat’; qu’il écrivait notamment ceci’: «'[‘] Dans ce sens, et avec votre accord, comme évoqué lors de ma dernière réunion avec M. le Président, j’aimerai prendre mon billet d’avion retour à 2-3 jours de la reprise du club, au mois d’août, pour des raisons familiales. Ce qui occasionnera probablement, quelques jours de congé sans soldes [‘]’»’;

Attendu que par courriel des 24 mars, 30 mai et 8 juin, le planning annuel de M. [Z] lui a été transmis par l’association, qui mentionnait des congés sans solde du 26 juin au 16 juillet 2017′; que le 11 juin 2017, le président de l’association a demandé par courriel à M. [Z] de formaliser sa demande de congé sans solde, demande renouvelée par le supérieur hiérarchique de M. [Z], M. [K], directeur technique, les 26 juin, 28 juin et 3 juillet 2017, et demeurée sans effet’;

Attendu qu’il apparaît dans ces conditions que M. [Z], qui souhaitait rester en métropole presque jusqu’à la reprise des activités de l’association au mois d’août 2017, à la suite de son déplacement professionnel, a sollicité la prise de congés annuels à cette période, ce qui lui a été accordé puisqu’il a bénéficié de congés payés du 24 juillet au 13 août 2017 (pièce n° 42 de l’association), outre une semaine de récupération du 17 au 23 juillet 2017 (eod. loc.)’; qu’il envisageait lui-même, dans sa demande formulée par courriel le 21 février 2017, la nécessité de prendre «’quelques jours de congé sans soldes’», sous réserve de l’accord de l’employeur, et qu’il n’a cependant jamais régularisé par la suite de demandes de congé, en dépit des multiples rappels de sa hiérarchie’;

Attendu en conséquence que l’association était fondée à procéder à la retenue sur salaire litigieuse’;

Attendu, s’agissant du non-paiement d’une partie des heures de travail, que M. [Z] rappelle qu’il devait effectuer 1’575 heures de travail par an, lissés sur 12 mois, et que le décompte auquel a procédé l’association est erroné pour faire apparaître un crédit de 50 heures à son profit alors que celui qu’il a établi mentionne 161 heures non payées entre le 7 novembre 2016 et le 7 novembre 2017′;

Attendu qu’à l’appui de sa demande, M. [Z] invoque sa pièce n° 5, qui mentionne, pour chaque semaine écoulée entre le 3 octobre 2016 et le 5 novembre 2017, le nombre d’heures pendant lesquelles il indique avoir travaillé’;

Attendu que ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur de les contredire en produisant aux débats des éléments permettant de déterminer le nombre d’heures effectivement travaillées par M. [Z], ce que l’association ne fait pas pour se borner à répondre, d’une part, qu’en suite des vérifications auxquelles elle a procédé, il est apparu que 51 heures 15 de travail avaient été accomplies par M. [Z] pendant ses jours de repos et n’avaient pas été payées et, d’autre part, que des décomptes d’heures ont été envoyés par courriel à M. [Z] et que celui-ci n’a pas fait d’observations, ce qui est inexact puisque M. [K], son supérieur hiérarchique, lui a écrit ce qui suit le 13 novembre 2017 (pièce ‘:

«'[‘] Pour rappel et suite à notre entretien du jeudi 02/11/2017, je vous ai déclaré que j’attendais des arguments plus clairs et que jusqu’à preuve du contraire je réfute vos dernières contestations quant à la comptabilité horaire que j’ai effectué.

D’autant qu’elles sont formulées pour des comptages datant de plusieurs mois voire de 11 mois !

Aussi vous remettez en cause, aujourd’hui, des comptabilités hebdomadaires datant de novembre 2016 en imposant les vôtres !

Aussi vous obstiner à nier votre période de congé sans solde du 26 juin au 16 juillet 2017. Plus encore, vous incluez le nombre d’heures dans la comptabilité horaire général alors que c’est une période non travaillée [‘]’», ce dont il résulte que M. [Z] contestait le décompte de ses heures de travail fait par l’association’;

Attendu que faute par l’association de produire aux débats les relevés des heures effectivement travaillées par M. [Z] pour la période contestée, alors que celui-ci invoque des éléments précis, il sera fait droit à la demande du salarié, sauf à retrancher les 72 heures (24 x 3) que M. [Z] a comptabilisées entre le 26 juin et le 16 juillet 2017, alors qu’il n’a pas travaillé à cette période pour avoir pris un congé sans solde’; qu’en définitive, il peut prétendre à la somme de 1’247,78 euros [14,02 x (161-72)];

Attendu, sur le grief tenant à une tentative de l’association de modifier le contrat de travail qui liait les parties, que M. [Z] expose que la «’non comptabilisation des heures mises en place les mardis et jeudis de 16h30 à 18 heures pour l’entraînement des nageurs dans le cadre d’un projet de compétition’», la suppression de deux heures hebdomadaires de renforcement musculaire et le caractère facultatif des stages pendant les vacances avaient pour but de l’empêcher de préparer efficacement les nageurs à la compétition’;

Attendu que l’employeur objecte qu’il a agi dans le cadre de son pouvoir de direction et que s’il a modifié les conditions de travail de M. [Z], il n’a pas modifié son contrat de travail, ni sa rémunération’;

Attendu que l’association justifie par ses pièces n° 32 et 33 avoir été sommée par la commune de [Localité 3] de la Réunion d’avoir à mettre en place des actions en direction des femmes très éloignées de la pratique physique, en contrepartie des subventions versées, ce qui l’a conduite à réduire le temps consacré au groupe «’compétition’»’; que l’association a ainsi agi dans le cadre de son pouvoir de direction, en redéfinissant les tâches confiées à M. [Z]’;

Attendu qu’il résulte de ce qui précède que si l’association établit, en ce qui concerne les salaires indus entre le 26 juin et le 16 juillet 2017 et la réorganisation des tâches dévolues à M. [Z], que ses décisions étaient justifiées par des éléments étrangers à tout harcèlement, en revanche, s’agissant de l’agression verbale dont M. [Z] a été victime, des convocations en entretiens non suivies d’effet, du non-paiement d’une partie des heures travaillées et des reproches injustifiés, elle échoue à rapporter cette preuve’;

Attendu que M. [Z] justifie d’une altération de son état de santé, résultant de ses conditions de travail, par sa pièce n° 7, constituée d’un certificat médical du docteur [I]’;

Attendu qu’il doit par conséquent être retenu que M. [Z] a été victime d’un harcèlement moral’; qu’il sera fait une juste réparation du préjudice ainsi subi par lui par la condamnation de l’association à lui payer la somme de 3’000 euros à titre de dommages-intérêts’;

Sur la prise d’acte’:

Attendu, ainsi qu’il a été vu précédemment, que l’association n’a pas payé intégralement ses salaires à M. [Z], l’a convoqué à trois reprises pour des entretiens disciplinaires qui n’apparaissent pas justifiés et n’a pris aucune mesure pour faire face au harcèlement dont il était victime’; que la gravité de ces faits, qui se sont poursuivis jusqu’à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, la justifiait en sorte qu’elle doit produire les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse’;

Sur l’indemnité légale de licenciement’:

Vu l’article 954 du code de procédure civile’;

Attendu que s’affranchissant de l’obligation pesant sur lui en vertu de ce texte, M. [Z] n’invoque aucun fondement juridique au soutien de cette demande’;

Vu les articles 12 du code de procédure civile, L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail’;

Attendu que M. [Z] percevait un salaire brut mensuel de 1’932,93 euros et qu’il avait une ancienneté de six ans et sept mois lors de la rupture de la relation de travail’; qu’il peut donc prétendre à une indemnité légale de licenciement de 3’181,28 euros [(1’932,93/4 x 6) + (1’932,93/4 x 7/12)]’;

Sur les dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse’:

Vu l’article 954 du code de procédure civile’;

Attendu que s’affranchissant de l’obligation pesant sur lui en vertu de ce texte, M. [Z] n’invoque aucun fondement juridique au soutien de cette demande’;

Vu les articles 12 du code de procédure civile et L. 1235-3 du code du travail’;

Attendu que M. [Z] avait une ancienneté de six ans et sept mois lors de la rupture de la relation de travail et qu’il percevait un salaire brut mensuel de 1’932,93 euros’; qu’il sera fait une juste réparation du préjudice ainsi subi par lui par la condamnation de l’association à lui payer la somme de 13’000 euros’;

Sur l’indemnité compensatrice de préavis’:

Vu l’article 954 du code de procédure civile’;

Attendu que s’affranchissant de l’obligation pesant sur lui en vertu de ce texte, M. [Z] n’invoque aucun fondement juridique au soutien de cette demande’;

Vu les articles 12 du code de procédure civile et L. 1234-1 du code du travail’;

Attendu que M. [Z] avait six ans et sept mois d’ancienneté lors de la rupture de la relation de travail et qu’il percevait un salaire brut mensuel de 1’932,93 euros’; qu’il peut par conséquent prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de 3’865,86 euros (1’932,93 x 2), outre 386,59 euros au titre des congés payés afférents’; que l’association sera déboutée de sa demande à ce titre’;

Sur les dommages-intérêts pour travail dissimulé’:

Vu l’article L. 8221-3 du code du travail’;

Attendu, étant rappelé qu’il ne peut rien réclamer au titre de la période pendant laquelle il a bénéficié d’un congé sans solde, que M. [Z] ne démontre pas, ni même n’allègue, qu’en ne lui payant pas certaines heures de travail, l’association a volontairement agi afin de se soustraire à ses obligations’; qu’il sera par conséquent débouté de cette demande’;

PAR CES MOTIFS’:

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 juin 2020 par le conseil de prud’hommes de Saint-Pierre de la Réunion’;

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d’acte par M. [Z] de la rupture du contrat de travail qui le liait à l’association Capricorne Sud natation produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse’;

Condamne l’association Capricorne Sud natation à payer à M. [Z] les sommes de’:

– 3’000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral’;

– 3’181,28 euros à titre d’indemnité légale de licenciement’;

– 13’000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse’;

– 3’865,86 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis’;

– 386,59 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis’;

– 1’247,78 euros à titre de rappel de salaire’;

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne l’association Capricorne Sud natation à payer à M. [Z] la somme de 2’000 euros à titre d’indemnité pour frais non répétibles d’instance’;

Déboute M. [Z] du surplus de ses demandes’;

Déboute l’association Capricorne Sud natation de ses demandes’;

Condamne l’association Capricorne Sud natation aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par M. Alain Lacour, président, et par Mme Monique Lebrun, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière,le président,

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x