Retenues sur salaire : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02211

·

·

Retenues sur salaire : 19 janvier 2023 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02211

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION B

————————–

ARRÊT DU : 19 JANVIER 2023

PRUD’HOMMES

N° RG 20/02211 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LSUK

Société GXO LOGISTICS FRANCE venant aux droits de la

SAS XPO LOGISTICS SUPPLY CHAIN FRANCE

c/

Madame [B] [Y]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 mars 2020 (R.G. n°F18/01510) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d’appel du 29 juin 2020.

APPELANTE :

Société GXO LOGISTICS FRANCE venant aux droits de la

SAS XPO LOGISTICS SUPPLY CHAIN FRANCE agissant en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au siège social sis [Adresse 2]

Représentée par Me Sylvain LEROY de la SELARL LEROY-GRAS, avocat au barreau de BORDEAUX

Assistée par Me Jean-Baptiste TRAN-MINH de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

[B] [Y]

née le 22 Novembre 1968 à [Localité 3]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

Représentée et assistée par Me Magali BISIAU, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 10 novembre 2022 en audience publique, devant Madame Marie-Paule Menu, présidente chargée d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Paule Menu, présidente,

Madame Sophie Masson, conseillère,

Madame Sophie Lésineau, conseillère

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.

FAITS ET PROCEDURE

La société Xpo Logistics Supply Chain France a engagé Mme [Y] en qualité de chef d’équipe le 4 janvier 2016.

La société Xpo Logistics Supply Chain France a convoqué Mme [Y] à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement fixé le 23 juillet 2018, par un courrier du 9 juillet 2018, reporté au 23 juillet 2018 en raison de l’état de santé de la salariée, en arrêt maladie depuis le 29 juin 2018. Mme [Y] s’est présentée à l’entretien préalable du 23 juillet 2018, accompagnée par M. [L], délégué syndical, qui en a rédigé un compte-rendu.

Le 31 juillet 2018, la société Xpo Logistics Supply Chain France a notifié à Mme [Y] une mise à pied disciplinaire d’une durée de 5 jours. Mme [Y] en a contesté le bien fondé par un courrier du 7 août 2018. La société Xpo Logistics Supply Chain France a notifié son maintien à Mme [Y] par un courrier du 6 septembre 2018.

Mme [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Bordeaux le 5 octobre 2018 d’une demande en annulation de la mesure assortie du remboursement de la retenue de salaire correspondante, d’une demande en dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, outre les frais irrépétibles.

Par jugement du 10 mars 2020, le conseil de prud’hommes de Bordeaux a :

– annulé la mise à pied disciplinaire litigieuse

– condamné la société Xpo Logistique Supply Chain France à ‘rembourser la retenue sur salaire suivant denier et 1500 euros à titre de dommages intérêts sur retenue de salaire suivant mise à pied’, 2 000 euros à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, dit que les condamnations porteront intérêts à compter de la saisine

– débouté Mme [Y] de sa demande d’exécution provisoire

– débouté la société Xpo Logistique Supply Chain France de sa demande reconventionnelle

– condamné la société Xpo Logistique Supply Chain France aux entiers dépens et frais éventuels d’exécution.

La société Gxo Logistics Supply Chain France a relevé appel de la décision par une déclaration du 29 juin 2020.

L’ordonnance de clôture est en date du 11 octobre 2022

L’affaire a été fixée à l’audience du 10 novembre 2022, pour être plaidée.

PRETENTIONS ET MOYENS

Suivant ses dernières conclusions, transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 6 octobre 2022, la société GXO Logistics France, venant aux droits de la société Xpo Logistique Supply Chain France, demande à la Cour de :

– réformer le jugement déféré dans ses dispositions qui annulent la sanction et qui la condamnent à rembourser le salaire retenu et à payer 1500 euros à titre de dommages intérêts sur retenue de salaire suivant la mise à pied, 2 000 euros à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; et statuant de nouveau et y ajoutant

– débouter Mme [Y] de l’ensemble de ses demandes en paiement

– la condamner à lui payer 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d’instance et d’appel.

Aux termes de ses dernières conclusions, transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 10 octobre 2022, Mme [Y] demande à la Cour de :

A titre principal

– confirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a limité à 2 000 euros les dommages intérêts accordés en réparation du préjudice subi du fait de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur

– partant l’infimer sur ce point et statuant de nouveau de ce chef, condamner la société Gxo Logistics France à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

A titre subsidiaire

– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

En tout état de cause,

– condamner la société Gxo Logistics France à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens et frais éventuels d’exécution,

– dire que les condamnations porteront intérêts à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se référe aux conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’annulation de la sanction disciplinaire

Le conseil de prud’hommes, juge du contrat de travail, saisi de la contestation sur le bien fondé d’une sanction disciplinaire, peut l’annuler si elle apparaît irrégulière dans la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

L’employeur doit fournir au conseil de prud’hommes les éléments qu’il a retenus pour prendre la sanction, le salarié produisant pour sa part les éléments qui viennent à l’appui de ses allégations ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Suivant le courrier de notification en date du 31 juillet 2018, Mme [Y] a été sanctionnée pour avoir mis un de ses collaborateurs en danger le 27 juin 2018, pour ne pas avoir respecté les consignes en vigueur dans l’entreprise et pour avoir manqué de respect à son N+2 le 26 juin 2018, pour ne pas avoir respecté les consignes et avoir remis en question devant un tiers extérieur l’organisation en vigueur dans l’entreprise le 22 juin 2018.

Sur les faits du 22 juin 2018

Il n’est pas discutable, et l’intéressée ne le discute pas, qu’informée le 21 juin 2018 par le service RH que la mission de l’un des intérimaires placés sous sa responsabilité qui prenait fin le lendemain ne serait pas reconduite à charge pour elle d’en aviser le salarié concerné, Mme [Y] a après s’être acquittée de sa mission contacté l’entreprise d’intérim. Dans le mail qu’il a adressé à la direction le 2 juillet 2018, le directeur du site indique que Mme [Y] a alors expliqué à la personne de l’agence d’intérim, en charge du dossier de la société, que ‘ cela n’était pas normal et que c’était une tâche qui incombait à l’agence’.

Si la lecture du compte-rendu rédigé par M. [L] établit qu’il incombe effectivement aux chefs d’équipe d’informer les salariés intérimaires de la fin de leur mission, il convient de rappeler que, sauf abus non caractérisé en l’espèce la preuve que l’organisation de la société a été expressément remise en cause devant un tiers n’étant pas rapportée par le seul mail de M. [J], le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression et qu’il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, l’information à donner aux salariés en intérim en fin de mission n’en relevant pas.

Mme [Y] ayant informé comme elle y était tenue M. [P] que sa mission ne serait pas reconduite, le grief n’est pas fondé.

Sur les faits du 26 juin 2018

Il n’est pas discutable, et l’intéressée qui se prévaut en réalité de l’absence d’impact sur la productivité des salariés concernés et des propres retards de la direction une fois celle-ci en possession des demandes d’attribution d’annexe ne le discute pas, que Mme [Y] n’a pas, comme elle y était contractuellement tenue, immédiatement fait remonter pour validation auprès du responsable du service et du responsable d’exploitation sa demande d’attribution d’annexe de 30 minutes du 18 juin 2018. Le grief est établi.

Dans son message à la direction du 2 juillet 2018, M. [J] écrit : ‘(…) [B] n’a pas apprécié la remarque et a raccroché au nez de son N+2.Les faits se sont produits dans mon bureau et [W] et moi-même étions présents.(…)’. Mme [Y] conteste les faits. En l’absence d’autre élément, singulièrement des témoignages de M. [O] et de M. [R], il existe un doute qui doit profiter à la salariée. Le grief n’est pas fondé.

Sur les faits du 27 juin 2018

Il n’est pas discutable que M. [K], du service de préparation, est le 27 juin 2018 à l’occasion de sa prise de poste en début d’après-midi allé récupérer le chariot élévateur n° 8606 dans l’atelier de maintenance sans s’être assuré qu’il était en bon état de fonctionnement. Le listing produit par Mme [Y] établit que ce chariot lui était affecté depuis le 17 octobre 2016 au moins, son collègue M. [Z] l’utilisant le matin,

S’il ne résulte d’aucun des éléments du dossier que Mme [X] a été informée avant la prise de poste de M. [K] que le chariot était en cours de réparation, l’extrait de main courante chariots produit par l’employeur n’y suppléant pas faute de mentionner l’heure à laquelle l’anomalie affectant le véhicule, singulièrement sa mise à l’arrêt, a été signalée, au surplus par M. [C], normalement affecté à la conduite du chariot n°127 selon le listing susmentionné, il se déduit de son mail du 27 juin 2018 que le responsable du service après vente en charge de la maintenance a d’abord alerté Mme [Y] de la disparition du chariot dès son retour de sa pause déjeuner, puis estimé que le non retour du véhicule à 13h47 justifiait compte-tenu du risque encouru par son conducteur qu’il en informe le directeur du site. L’absence de diligence de Mme [Y] une fois informée pour veiller à ce que le chariot regagne l’atelier sans délai est avérée. Le grief est établi.

La sanction prononcée consistant en une mise à pied disciplinaire d’une durée de cinq jours est toutefois disproportionnée au regard des manquements de Mme [Y] à ses obligations contractuelles, eu égard à l’insubordination de M. [K], sanctionnée par une mise à pied d’une durée de deux jours, à l’implication de la salariée dans la sécurité dans l’entreprise telle qu’elle s’évince des mails dont elle justifie dans son courrier du 7 août 2018, à l’absence de désorganisation dans le fonctionnement de l’entreprise tenant au fichier productivité. Elle doit donc être annulée et le jugement déféré être confirmé de ce chef.

Outre que Mme [Y] ne conclut pas expressément de ce chef sauf à reprocher à la société Gxo Logistics France de persister à présenter des développements de ce chef alors qu’elle avait renoncé à sa demande en dommages intérêts correspondante dès la première instance, la Cour relève qu’il ne résulte d’aucun des éléments du dossier l’existence d’un préjudice tenant à la rémunération de Mme [Y] durant la suspension de son contrat de travail. Le jugement déféré sera infirmé dans ses dispositions qui condamnent la société Gxo Logistics France au paiement de la somme de 1500 euros.

Sur le manquement à l’obligation de loyauté

Pour débouter Mme [Y] de sa demande, partant infirmer la décision déférée dans ses dispositions qui condamnent la société société Gxo Logistics France au paiement de la somme de 2000 euros à titre de dommages intérêts, il suffira de relever que :

– la seule notification d’une sanction disciplinaire finalement annulée car excessive ne caractérise pas un manquement de l’employeur à ses obligations de nature à engager sa responsabilité

– Mme [Y] ne produit aucun élément tenant au non respect par la société Gxo Logistics France des dispositions du code du travail relatives au repos hebdomadaire et aux heures supplémentaires

– Mme [Y] ne justifie pas de la mise à l’écart qu’elle allègue, la décision prise par l’employeur en 2018 sur le constat d’un management insuffisant de sa part de lui confier la responsabilité d’une équipe plus petite évoluant dans un environnement moins technique n’en relevant pas, pas plus des sollicitations répétées de la direction qui l’auraient résolue à signer une rupture conventionnelle, dont elle ne poursuit d’ailleurs pas l’annulation

– la preuve des manquements allégués n’est en définitive pas rapportée.

Sur les dépens, les frais irrépétibles et les frais d’exécution

Le jugement déféré mérite confirmation dans ses dispositions qui condamnent la société Gxo Logistics France aux dépens et à payer à Mme [Y] 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en même temps qu’elles la déboutent de sa demande au titre de ses frais irrépétibles.

La société Gxo Logistics France, qui succombe devant la Cour, doit supporter les dépens d’appel au paiement desquels elle sera condamnée en même temps qu’elle sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

L’équité commande de ne pas laisser à Mme [Y] la charge des frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à hauteur d’appel. En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la société Gxo Logistics France sera condamnée à lui payer la somme de 1500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour

CONFIRME la décision déférée dans ses dispositions qui prononcent l’annulation de la sanction disciplinaire notifée le 31 juillet 2018, qui condamnent la société Gxo Logistics France aux dépens et à payer à Mme [Y] 800 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, qui déboutent la société Gxo Logistics France de sa demande au titre des frais irrépétibles

INFIRME la décision déférée pour le surplus

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant

DEBOUTE Mme [Y] de ses demandes en dommages intérêts

CONDAMNE la société Gxo Logistics France à payer à Mme [Y] 1500 euros au titre des frais irrépétibles d’appel

CONDAMNE la société Gxo Logistics France aux dépens d’appel ; en conséquence la DEBOUTE de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel

DIT n’y avoir lieu à statuer sur les frais éventuels d’exécution.

Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps MP. Menu

 


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x