Retenues sur salaire : 18 mai 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/04602

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Retenues sur salaire : 18 mai 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/04602

AFFAIRE PRUD’HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/04602 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MOSE

Société L’OPTICIEN AFFLELOU

C/

[B]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 06 Juin 2019

RG : F 17/00730

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 18 MAI 2022

APPELANTE :

Société L’OPTICIEN AFFLELOU venant aux droits de la société SEVIGNE OPTIC

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Stéphane LAUBEUF de la SELEURL LAUBEUF & Associés, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

[XD] [B]

née le 05 Octobre 1987 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Mickaël PHILIPONA, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Mars 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Joëlle DOAT, présidente

– Nathalie ROCCI, conseiller

– Antoine MOLINAR-MIN, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 18 Mai 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat à durée indéterminée, la société Sevigne Optic a engagé Mme [N] à compter du 9 mai 2012, en qualité de responsable de magasin à [Localité 8].

Suivant un accord tripartite du 31 octobre 2012, les parties ont mis fin au contrat de travail de Mme [N] et la relation de travail s’est poursuivie avec la société [H] Afflelou Rhône-Alpes à compter du 8 décembre 2012.

Suivant un avenant du 26 septembre 2014, la rémunération brute mensuelle de Mme [B] a été fixée à 3 263 euros pour 40 heures de travail hebdomadaires incluant 21, 66 heures de travail supplémentaires mensuelles.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale lunetterie de détail.

Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [B] dirigeait le magasin [H] Afflelou situé dans le centre commercial de La Part Dieu à [Localité 6] et appartenant au réseau succursaliste du groupe [H] Afflelou.

Par lettre remise en main propre contre décharge du 4 mai 2016, la société Afflelou a convoqué Mme [B] à un entretien préalable fixé le 16 mai 2016 en vue d’une éventuelle mesure disciplinaire.

Par lettre remise en main propre contre décharge du 19 mai 2016, la société Afflelou a notifié à Mme [B] une mise à pied disciplinaire avec retenue sur salaire, les 16 et 17 juin 2016 en raison d’une gestion très irrégulière de la facturation et de l’encaissement de certains dossiers ( encaissement par chèque de caution qui n’est pas un moyen de paiement et par avoirs non existants) ayant eu pour conséquence de masquer un montant de 47 413 euros de chiffre d’affaires non justifié qui aurait dû être annulé par un avoir.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 septembre 2016, la société Afflelou a convoqué Mme [B] le 12 septembre 2016 à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

Par lettre remise en main propre contre décharge du 14 septembre 2016, Mme [B] a été dispensée d’activité à compter de ce jour.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 octobre 2016, la société Afflelou a notifié à Mme [B] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

‘Nous vous avons convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 septembre 2016.

Cet entretien s’est déroulé le 12 septembre 2016, au cours duquel vous étiez assistée de Monsieur [D] [L].

Nous vous avons exposé les raisons pour lesquelles nous envisagions votre licenciement et avons recueilli vos observations les concernant.

Celles-ci ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation de la situation, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement.

Vous occupez le poste de Directeur de magasin pour le compte de notre société depuis le 9 mai 2012.

C’est dans ce contexte que nous déplorons une gestion gravement déficiente du magasin dont vous avez la responsabilité.

En effet, nous nous sommes aperçus que vous vous affranchissiez totalement des règles de facturation et d’encaissement mises en place au sein de la société, usant de manoeuvres et de subterfuges pour gonfler artificiellement le chiffre d’affaires de votre magasin.

Le constat est édifiant.

En effet, nous relevons que :

– vous ne facturez pas les dossiers conformément aux procédures, réalisant notamment des avances de facturation en violation des règles qui nous sont imposées par les mutuelles, afin d’atteindre votre objectif de chiffre d’affaires de façon artificielle et anticipée, et de présenter de façon trompeuse des résultats sous un jour extrêmement favorable vis-à–vis de votre hiérarchie et de vos collègues de travail ;

– vous ne respectez pas la politique tarifaire mise en place par notre société, émettant des remises commerciales significatives sur des produits ou offres non susceptibles de réductions, sans l’accord de votre hiérarchie.

Afin de camoufler vos agissements, vous réalisez des  » avoirs partiels sur facture  » en lieu et place de remises commerciales clairement indiquées comme telles dans les dossiers, que vous omettez sciemment de retrancher du chiffre d’affaires de votre magasin, afin de ne pas impacter vos résultats et fausser le suivi de nos indicateurs commerciaux ;

-vous acceptez le tiers payant sur des offres commerciales qui en sont exclues, ou facturez des dossiers sans appeler d’acompte ni enregistrer de tiers payant, ce qui est à l’origine d’un nombre anormalement élevé de factures débitrices ;

-vous ne maîtrisez aucunement la gestion des stocks, n’assurant aucun suivi régulier de la marchandise notamment via la procédure de mini-inventaires, alors même que vos avoirs incessants et annulations répétées de factures entraînent des écarts de marchandises considérables, ce qui ne semble pas vous préoccuper, comme en atteste votre attitude nonchalante et désinvestie lors de l’inventaire du mois d’août 2016, au cours duquel vous avez laissé à votre adjoint le soin d’identifier les nombreux écarts de stocks qui découlaient directement de votre gestion défaillante.

D’une façon générale, nous constatons que vous ne respectez pas les procédures, détournez les règles de facturation pour dissimuler vos manoeuvres frauduleuses et entretenez une gestion opaque du magasin, afin d’empêcher le contrôle de votre hiérarchie, exerçant ainsi vos fonctions de façon déloyale et indélicate.

Un tel comportement est inacceptable au regard de vos fonctions qui impliquent un devoir évident d’exemplarité, et alors que vous avez été récemment sanctionnée pour des manquements de même nature, bénéficiant d’un accompagnement suivi au cours des dernières semaines pour vous permettre de corriger la situation, en vain.

Compte tenu de ce qui précède, la nature et la persistance de vos agissements fautifs rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail.

Dans ces conditions, nous sommes aujourd’hui contraints de procéder à votre licenciement pour faute grave(…).’

Le 22 mars 2017, Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon en lui demandant de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner en conséquence la société [H] Afflelou à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (40 000 euros), une indemnité compensatrice de préavis (11 782 euros) et les congés payés afférents (1 178, 20 euros), une indemnité légale de licenciement

(3 652, 42 euros), des dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire

(4 000 euros), des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

(8 000 euros), outre une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte.

Par jugement rendu le 6 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Lyon a :

– Annulé la mise en à pied en date du 19 mai 2016,

Par conséquent,

– Condamné la SAS Opticien Afflelou à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

* 269,26 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied ;

* 26,93 euros au titre des congés payés afférents.

– Débouté Mme [XD] [B] de sa demande de dommages-intérêts à ce titre

– Dit et jugé que le licenciement de Mme [B] [XD] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Par conséquent,

– Condamné la SAS Opticien Afflelou à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

* 11 782 euros au titre de son indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 178,20 euros au titre des congés payés afférents ;

* 3 652,42 euros net à titre d’indemnité légale de licenciement ;

* 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

-Dit et jugé que le licenciement de Mme [B] [XD] est intervenu dans des conditions particulièrement brutales et vexatoires,

Par conséquent,

-Condamné la SAS Opticien Afflelou à payer à Mme [B] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre

– Dit et jugé que la SAS Opticien Afflelou n’a pas exécuté de façon déloyale le contrat de travail de Mme [XD] [B],

Par conséquent,

-Débouté Mme [XD] [B] de sa demande de Dommages et intérêts à ce titre

– Ordonné la remise des documents de fin de contrat rectifiés sans astreinte sous un mois à compter de la notification du présent jugement

-Condamné la SAS Opticien Afflelou à payer à Mme [B] la somme de 1 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Débouté la SAS Opticien Afflelou de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Fixé le salaire moyen mensuel brut de Mme [XD] [B] à 3 927,33 euros

– Dit et jugé qu’en application de l’article L.1235-4 du code du Travail, il y a lieu d’ordonner d’office le remboursement par la SAS Opticien Afflelou aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues par Mme [B] [XD] dans la limite de 3 mensualités

– Condamné la SAS Opticien Afflelou aux entiers dépens de l’instance y compris les éventuels frais d’exécution forcée du présent jugement

– Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

La cour est saisie de l’appel interjeté le 1er juillet 2019 par la société [H] Afflelou.

Suivant une ordonnance du 13 février 2020, le conseiller de la mise en état a rejeté l’incident tendant à voir prononcer la caducité de l’appel et a condamné Mme [B] aux dépens de l’incident.

Par conclusions notifiées le 26 janvier 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société [H] Afflelou demande à la cour de :

A titre principal :

– Juger irrecevable la demande de Mme [B] tendant à l’infirmation du jugement du Conseil de Prud’hommes de Lyon du 6 juin 2019 en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail à hauteur de 8 000 euros nets dès lors que cette demande d’infirmation ne figurait pas dans le dispositif des premières conclusions de l’intimée ;

– Infirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Lyon du 6 juin 2019 en ce qu’il a :

‘ annulé la sanction du 19 mai 2016 et condamné la société L’Opticien Afflelou à payer à Mme [B] les sommes de 269,26 euros à titre de salaire et de 26,93 euros à titre de congés payés afférents ;

‘ jugé le licenciement intervenu dans des conditions brutales et octroyé 4 000 euros à titre de dommages intérêts ;

‘ jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamnant la société

l’Opticien Afflelou à payer à Mme [B] les indemnités de préavis, de congés payés

sur préavis, de licenciement et des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Le confirmer pour le surplus et statuant à nouveau,

– Débouter Mme [B] de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire et en cas de confirmation du jugement en ce qu’il a considéré le licenciement sans cause réelle et sérieuse d’une part et vexatoire d’autre part,

– Le réformer quant aux indemnités allouées par les premiers juges de ces chefs et les réduire à de plus justes proportions ;

En tout état de cause,

– Condamner Mme [B] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner Mme [B] aux dépens.

Par conclusions notifiées le 7 janvier 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, Mme [B] demande à la cour de:

– Confirmer le jugement du 06 juin 2019 du Conseil de Prud’hommes de Lyon en ce qu’il a :

– Annulé la mise à pied en date du 19 mai 2016 ;

– En conséquence, Condamné la société Opticien Afflelou à payer à Mme [B] les sommes de

* 269,26 euros bruts à titre de rappel de salaires sur mise à pied ;

* 26,93 euros bruts au titre des congés payés afférents.

– Dit et jugé que le licenciement de Mme [B] est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ;

– En conséquence, Condamné la société Opticien Afflelou à payer à Mme [B] les sommes de :

* 11 782 euros bruts au titre de son indemnité compensatrice de préavis ;

* 1 178,20 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

* 3 652,42 euros nets à titre d’indemnité légale de licenciement ;

– Dit et jugé que le licenciement de Mme [B] est intervenu dans des

conditions particulièrement brutales et vexatoires ;

– En conséquence Condamné la société Opticien Afflelou à payer à Mme [B] la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

– Fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 3 927,33 euros bruts ;

– Condamné la société Opticien Afflelou à payer à Mme [B] la somme de 1 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant :

– Condamner la société Opticien Afflelou à lui payer les sommes de :

* 4 000 euros nets à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de sa

sanction nulle et injustifiée

* 40 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– Ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard

– Condamner la société Opticien Afflelou à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Infirmer le jugement du 06 juin 2019 du Conseil de Prud’hommes de Lyon en ce qu’il l’a

déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale de son contrat de travail ;

Statuant à nouveau :

– Dire et juger que la société Opticien Afflelou n’a pas exécuté loyalement son contrat de travail

– Condamner en conséquence la société Opticien Afflelou à lui payer la somme de 8 000 euros nets à titre de dommages et intérêts.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 janvier 2022.

MOTIFS

– Sur la demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire des 16 et 17 juin 2016 :

Mme [B] soutient en premier lieu que la procédure disciplinaire n’a pas été respectée, que la convocation à l’entretien préalable du 16 mai 2016 lui a été remise le jour même de l’entretien, et qu’elle a anti-daté sa remise au 4 mai 2016 à la demande de sa supérieure hiérarchique Mme [PG], de sorte qu’elle n’a pas été en mesure de préparer cet entretien ni de se faire assister. Elle ajoute qu’elle ne pouvait matériellement signer la convocation à la date du 4 mai 2016 où elle se trouvait en déplacement à [Localité 7].

La société L’Opticien Afflelou réfute cette chronologie ainsi que toute contrainte exercée sur la salariée pour l’obliger à antidater la convocation. Elle souligne :

– les explications opportunistes de la salariée au gré des preuves apportées par l’employeur,

– qu’elle n’avait aucune raison de faire antidater la convocation dés lors qu’en cas de refus de la salariée, elle lui aurait adressé une lettre recommandée avec accusé de réception,

– que la justification de la présence de Mme [B] à [Localité 7] porte sur les nuits d’hôtel du 2 au 3 mai 2016, de sorte que la salariée était bien de retour à [Localité 6] le 4 mai 2016.

****

Compte tenu des pièces versées aux débats, notamment de la convocation à l’entretien préalable fixé le 16 mai 2016 à 14H00, datée du 4 mai 2016 et portant la mention manuscrite ‘Lettre remise en main propre contre décharge le 04/05/2016″ ainsi que la signature de Mme [B], la salariée qui ne justifie ni de la contrainte qu’elle invoque, ni de son indisponibilité à la date du 4 mai 2016, ne démontre pas l’irrégularité de la procédure disciplinaire mise en oeuvre par l’employeur.

Sur le fond, Mme [B] soutient que la société Opticien Afflelou ne rapporte pas la preuve des manquements aux règles de comptabilité de droit commun qui lui sont imputés, faute de toute pièce relative au fait qui lui est reproché de ne pas avoir annulé par un avoir, des factures non réglées pour un montant de 47 713 euros.

La salariée ajoute que l’affirmation de la société Opticien Afflelou est contredite par le tableau que la société produit, dont il ressort que des avoirs ont été passés par la salariée à hauteur de 20 974,14 euros.

Mme [B] indique qu’en toute hypothèse, les opérations enregistrées sur le logiciel Cosium, qui concernent une période du 7 août 2015 au 5 mars 2016, sont, pour l’essentiel, couvertes par la prescription de deux mois.

Mme [B] fait encore valoir que le montant de 20 974,14 euros doit être rapporté au chiffre d’affaires réalisé par le magasin sur cette même période, soit 738 029 euros, de sorte que les prétendues irrégularités qui lui sont reprochées représentent 2, 8% du chiffre d’affaires du magasin sur la période concernée.

****

La société l’Opticien Afflelou reproche à Mme [B] d’avoir, sur la période du 8 juillet 2013 au 5 mars 2016, camouflé 23 241 euros d’impayés en traitant ces impayés par l’établissement d’avoirs. L’employeur verse aux débats :

– une liste des avoirs qualifiés de frauduleux réalisés par Mme [B] ( pièce n°26)

– une liste des avoirs justifiant la mise à pied disciplinaire de Mme [B] ( pièce n°27)

– un courriel de Mme [PG] à Mme [B] daté du 20 avril 2016 comportant un tableau, dont l’objet est ‘Très Important: Régularisation des cautions- APLP’ libellé comme suit:

‘ Bonjour [XD],

pour faire suite à ma conversation de ce matin

on en parle en fin de journée

[M].'( pièce n°28)

Il résulte de ces pièces que le montant de 23 241 euros correspond à la liste des ‘avoirs mal passés’ au titre des exercices 2012/2013, 2013/2014 et 2015/2016 et que le dernier acte est daté du 5 mars 2016. Dans ces conditions, les actes incriminés ayant été renouvelés jusqu’au 5 mars 2016 et la société l’Opticien Afflelou ayant engagé la procédure disciplinaire le 4 mai 2016, Mme [B] n’est pas fondée à opposer la prescription de l’essentiel des opérations.

Si Mme [B] soutient que la société l’Opticien Afflelou ne justifie par aucune pièce le montant qu’il avance, la salariée s’appuie cependant sur la pièce n°4 adverse laquelle constitue la liste des règlements effectués par elle à la date du 25 mars 2016, laquelle fait état, à la date du 5 mars 2016 d’un montant total d’avoirs ( ‘AV) de 20 974,14 euros.

Ainsi Mme [B] expose qu’il ressort de cette pièce, qu’elle a bien passé des avoirs à hauteur de 20 974,14 euros, qu’elle souhaitait solder l’intégralité des dossiers non réglés par les clients avant la fermeture du magasin au 9 mars 2016 afin de clôturer sa comptabilité, et que ces avoirs saisis dans le logiciel Cosium, sont venus en déduction du chiffre d’affaires du magasin, de sorte que le chiffre d’affaires est parfaitement justifié.

Par cette argumentation, Mme [B] valide la pertinence des pièces produites par la société L’Opticien Afflelou, tant sur le montant des avoirs que sur le procédé. Mais, il résulte aussi des pièces ainsi produites que la pratique du traitement d’impayés par l’établissement d’avoirs n’est pas nouvelle puisqu’elle apparaît au titre des exercices 2012/2013, 2013/2014 et 2014/2015 sans que la société L’Opticien Afflelou ne justifie ni des règles en vigueur dans la société sur cette pratique, ni d’aucune observation adressée à Mme [B] à ce sujet.

Dans ces conditions, le manquement qu’invoque l’employeur à l’appui de la sanction disciplinaire des 16 et 17 juin 2016 n’est pas caractérisé.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a annulé la mise à pied notifiée le 19 mai 2016 et en ce qu’il a condamné la société l’Opticien Afflelou à payer à Mme [B] un rappel de salaire de 269,26 euros au titre des deux jours de mise à pied outre les congés payés afférents.

Mme [B] qui ne justifie pas d’un préjudice distinct non réparé par le rappel de salaire, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre de l’annulation de cette sanction disciplinaire et le jugement déféré sera par conséquent également confirmé sur ce point.

– Sur le licenciement :

Il résulte des dispositions de l’article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié; aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis.

En l’espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société l’Opticien Afflelou a licencié Mme [B] pour faute grave en invoquant :

‘ le non-respect des procédures de facturation ayant pour conséquence une augmentation

artificielle et anticipée du chiffre d’affaires du magasin ;

‘ le non-respect de la politique tarifaire mise en place par la société ;

‘ l’acceptation du tiers-payant sur des offres qui en sont exclues, à l’origine d’un nombre élevé de factures débitrices ;

‘ l’absence de suivi de la marchandise et de la gestion des stocks, couplé à une attitude nonchalante et désinvestie lors d’un inventaire réalisé au mois d’août.

1°) sur l’augmentation artificielle du chiffre d’affaires du magasin par la réalisation d’avances de facturation :

La société l’Opticien Afflelou reproche à Mme [B] de ne pas avoir respecté les procédures internes de la société en matière de facturation, soit :

– l’obligation de facturer à la livraison et non à la commande,

– l’interdiction de facturer avant d’avoir la validation de la mutuelle le cas échéant et l’obligation en résultant d’attendre la réception des accords et matériels pour facturer,

– l’obligation de verser un acompte dans les dossiers sans tiers payant,

– la prohibition des acomptes supérieurs à 30%.

La société l’Opticien Afflelou illustre ce grief par plusieurs exemples issus des dossiers suivants: – [I] [G]- [V] [X]- [O] [Y]- [NR] [S].

L’employeur cite par ailleurs l’exemple d’une vente sans acompte passée en avoir pour 454 euros pour un membre de la famille de la salariée, M. [P] [N].

L’employeur soutient que les pratiques de Mme [B] avaient pour effet de gonfler artificiellement son chiffre d’affaires mensuel, ce qui avait un impact sur sa rémunération variable, mais aussi sur sa comptabilité qui s’en trouvait déséquilibrée.

La société l’Opticien Afflelou s’appuie essentiellement sur les rapports d’audit qu’elle a réalisés pour les mois de juillet et août 2016.

Mme [B] conteste ce grief en indiquant au préalable qu’il porte sur le non respect de procédures internes spécifiques à la société Afflelou dont cette dernière ne démontre pas qu’elles ont été portées à la connaissance de la salariée qui précise qu’aucune observation ne lui a été faite pendant les quatre premières années de la relation contractuelle sur une mauvaise utilisation du logiciel Cosium.

Mme [B] souligne qu’en sa qualité de directeur de magasin, elle était principalement occupée par ses fonctions managériales et commerciales, mais qu’elle s’appuyait très largement sur ses deux directeurs adjoints, M. [U] et M. [C] pour la gestion comptable et financière.

Concernant les rapports d’audit, la salariée s’étonne qu’ils ne soient produits que plus de trois ans après son licenciement et souligne en tout état de cause qu’ils ont été réalisés en interne, sur la base d’extractions informatiques partielles.

Sur le fond du grief, Mme [B] soutient au contraire que la facturation à la commande était le principe et en veut pour preuve l’information donnée aux directeurs de magasin par courriel du 30 août 2016 de la responsable opérationnel et financier de la société Afflelou, libellé comme suit :

‘Vous trouverez en pièce jointe le schéma du process de facturation mis à jour, je vous remercie de l’imprimer et de l’afficher en magasin.

Nous avons fait deux modifications Majeures :

Carte blanche qui est passé en facturation à la livraison client, au même titre que [R], [A] et [E]. Et nous avons rajouté [J], dont les dossiers devront être facturés à la livraison des verres (…)’

Pour conclure, Mme [B] indique que la société Opticien Afflelou ne s’appuie que sur sept dossiers de clients sur les 469 dossiers validés au cours du mois de juillet, et qu’elle n’est même pas identifiée comme le vendeur en charge de cinq dossiers sur les sept en question.

****

La cour observe que la société l’Opticien Afflelou invoque le non respect des règles de facturation dont elle justifie par la production d’un document intitulé ‘Formation Manager référent 2016″ qui comporte un tableau des étapes de facturation de dossiers optiques selon qu’il existe ou un une demande de tiers payant. Elle s’appuie en outre sur un document signé par Mme [B], intitulé ‘Charte magasin Succursales-2013″ destiné à tout collaborateur en contact avec la clientèle, ainsi qu’une note de service du 9 mai 2012 rappelant les engagements du collaborateur sur différents points dont la prise en charge du client, mais qui ne portent pas sur les règles de facturation.

Il résulte des éléments du débat que ces règles de facturation sont évolutives, ainsi qu’en atteste notamment le courriel sus-visé du 30 août 2016 relatifs à des modifications qualifiées de ‘majeures’ dans les procédures de facturation. Si la société Afflelou soutient que l’exemple du produit ‘[J]’ évoqué dans ce courriel concerne une exception au principe de la facturation à la réception des verres et qu’il est sans rapport avec les faits reprochés s’agissant d’une formule proposée par le magasin qui ne figure pas dans la lettre de licenciement , il n’en demeure pas moins que cet exemple illustre l’existence, d’une part, de procédures de facturation distinctes en fonction des produits, d’autre part, de réajustements périodiques des règles de facturation.

Dés lors, pour caractériser des manquements aux règles de facturation, la société Afflelou doit au préalable justifier de l’état des procédures applicables à la date des faits incriminés, ce qui ne résulte pas des documents qu’elle verse aux débats, la société s’appuyant par exemple sur le témoignage de M. [Z], référent région, produit par Mme [B], lequel évoque la remise, tous les trimestres, d’un guide des procédures internes ( sans formation orale au préalable), définissant les zones de comptage du stock, montures optiques, solaires, produits lentilles….) de façon à procéder au final à la recherche d’écarts.

La société Opticien Afflelou invoque une augmentation artificielle du chiffre d’affaires mais il résulte des explications de Mme [B] et de la liste des avoirs frauduleux établie par l’employeur que lorsque la commande n’était pas finalisée par le client, Mme [B] enregistrait systématiquement un avoir, ce qui avait pour effet d’annuler la facture établie à la commande, le mois suivant. Le conseil de prud’homme a jugé que ce procédé n’était pas contraire aux règles de droit commun en matière de facturation dés lors que la balance facturation/Avoir permettait de rétablir l’équilibre comptable d’un mois sur l’autre, ce que la société Opticien Afflelou ne remet en pas en cause au terme de son argumentation.

La cour observe par ailleurs que la société Opticien Afflelou disposait de tableaux de suivi de performance commerciale mensuels lesquels intègrent dans le chiffre d’affaires généré, les devis validés, les factures seules et les avoirs, ce qui implique la possibilité de facturation avant validation du devis.

En ce qui concerne les ventes sans versement d’un acompte, le rapport d’audit interne pour le mois de juillet 2016 fait état de deux cas, et celui relatif au mois d’août 2016, de cinq cas, ce qui est par conséquent marginal au regard des 469 dossiers validés pour le mois de juillet 2016.

Il en résulte que le grief tiré du non respect des procédures de facturation n’est pas caractérisé. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a écarté ledit grief comme cause réelle et sérieuse de licenciement.

2°) sur le non respect de la politique tarifaire :

Il est reproché à Mme [B], des remises commerciales significatives sur des produits ou offres non susceptibles de réductions sans l’accord de la hiérarchie, ainsi que sur des produits de licence pour lesquels toute remise est interdite au risque de mettre en péril les relations commerciales avec les marques sous licence d’exploitation.

Il lui est également reproché de camoufler ses agissements en réalisant des avoirs partiels sur facture, en lieu et place de remises commerciales.

La société l’Opticien Afflelou site les dossiers [F] (remise sur une offre WinWin déjà promotionnelle), [K] (remise de 15% sur des montures de marque Dior) et [T] (50 euros de remise sur une monture de la marque Paul et Joe), à l’appui de sa démonstration.

La société Opticien Afflelou ajoute que Mme [B] a également détourné les règles de la politique tarifaire au profit de ses proches, et donne l’exemple de deux remises commerciales de 30% chacune accordées le 22 juillet 2016 par la salariée à un membre de sa famille, M. [P] [N], pour deux paires de lunettes de soleil de licence, sans acompte et avec une avance de facturation.

Mme [B] expose d’une part que le taux de remise du magasin de [Localité 6] Part Dieu était de 11,5% et donc conforme à l’objectif fixé au niveau du secteur sud-est à 11% et que dix magasins sur les 17 du secteur sud-est pratiquaient des taux de remise supérieurs à ceux du magasin de [Localité 6] Part Dieu (jusqu’à 22,2%).

Elle invoque par ailleurs avoir agi en totale transparence dés lors que l’ensemble de ces remises étaient saisies dans le logiciel Cosium.

Mme [B] fait valoir d’autre part :

– pour le client [K], qu’il était affilié à la mutuelle Santéclair, réseau partenaire de la société Opticien Afflelou, qui avait négocié une remise systématique de 15% sur toutes les montures, quelle qu’en soit la marque,

– pour les clients [F] et [T], qu’elle a pris la responsabilité d’une remise commerciale pour ne pas perdre la vente, ces clients prétendant pouvoir acheter les mêmes lunettes moins chères chez un concurrent, en invoquant une incitation de la société Afflelou en faveur de remises libres.

Mme [B] ne fait aucune observation sur le dossier [N] [P], mais la cour observe qu’il s’agit de l’achat de deux montures en février 2014, enregistré en avoir le 28 juin 2014, et que la lettre de licenciement ne fait pas état d’un quelconque détournement de la politique tarifaire au profit de proches, ce qui constitue un grief distinct.

****

Sur la question des avoirs, le rapport d’audit interne du mois d’août 2016 conclut comme suit :

‘ Le montant des avoirs est conséquent sur le magasin. Les raisons sont multiples: doublon de factures, avoir commercial pour solder un dossier, dépassement mutuelle trop important, erreur magasin…..

Sur le mois de juillet 11177 euros de dossiers ont été passés en avoir et sur la première semaine du mois d’août, 13 avoirs ont été réalisés pour un total de 1300 euros.

Pour rappel du 01.06.2016 au 30.06.2016, 32 000 euros ont été passés’. Six exemples suivent.

La société L’opticien Afflelou soutient que ce rapport d’audit révèle un taux de remise anormalement élevé, mais l’appréciation de ce taux ne peut être effectuée de façon pertinente que par comparaison au taux de remise pratiqué au cours des mois précédant l’audit, ou encore au taux pratiqué dans d’autres magasins du groupe. Or, la société l’Opticien Afflelou ne fournit aucun critère de comparaison et la cour ne peut se déterminer sur la base d’un seul rapport d’audit interne, non contradictoire et ne présentant, par conséquent, aucune garantie d’objectivité.

Il en résulte que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a jugé que le grief tiré du non respect de la politique tarifaire n’est pas caractérisé.

3°) sur l’acceptation du tiers payant sur des offres qui en sont exclues et l’absence d’enregistrement d’acomptes et de tiers payant :

Mme [B] soutient d’une part que ce grief ne concerne que le seul dossier de Mme [F] pour lequel le tiers payant a été accepté sur une offre Win Win, d’autre part que l’offre Win Win permettait bien de bénéficier du tiers payant. La salariée s’appuie sur les supports de communication de la société.

La société L’Opticien Afflelou réfute ce document qui ne constitue selon elle qu’un questionnaire interne, extrait d’un powerpoint non daté et produit pour sa part les modalités d’application de l’offre Win Win qui indiquent notamment que cette offre n’est pas cumulable avec le tiers payant , ce qui est confirmé par Mme [W] [IX], opticienne employée sous la direction de Mme [B], laquelle expose les circonstances dans lesquelles Mme [B] a donné son autorisation pour permettre à Mme [F] de cumuler l’offre Win Win et le tiers payant.

****

Les modalités d’application de l’offre Win Win versées aux débats par la société L’Opticien Afflelou sont effectivement datées de juillet 2017 et concernent une offre valable du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018, soit une période postérieure au licenciement, de sorte que l’employeur ne justifie pas des conditions d’application de cette offre au cours des mois de juillet et août 2016. Il apparaît cependant qu’un seul dossier de cumul d’une telle offre avec le tiers payant est reproché à Mme [B], ce qui révèle son caractère exceptionnel, voire dérogatoire aux pratiques en vigueur.

En l’état des pièces versées aux débats, les éléments sont plutôt en faveur de la non application de l’offre Win Win au tiers payant, mais faute pour la société l’Opticien Afflelou de justifier des modalités applicables à la date où le cumul a été pratiqué par Mme [B] en faveur de Mme [F], le doute doit profiter à la salariée.

En tout état de cause, à supposer que le grief soit établi, son caractère précisément exceptionnel ne permet pas d’asseoir la faute grave qui est reprochée à Mme [B].

4°) sur l’absence de suivi et de maîtrise des stocks :

La lettre de licenciement évoque l’absence de suivi régulier de la marchandise notamment via la procédure de mini-inventaires, et une attitude nonchalante et désinvestie lors de l’inventaire du mois d’août 2016.

L’employeur s’appuie sur l’analyse réalisée par Mme [PG] à partir de l’audit interne.

Mme [B] soutient que l’audit ne procède en aucun cas à la démonstration d’écarts de marchandises considérables et qu’en réalité, si des écarts ont pu être révélés par l’audit du 1er août 2016, ceux-ci s’expliquent surtout par les nombreux vols commis dans le magasin et qui ont nécessité le recours à une entreprise de sécurité au mois d’août 2016, à son initiative.

La salariée ajoute qu’elle a toujours respecté la procédure d’inventaires trimestriels et que sa pratique en ce domaine a été identifiée comme un point fort lors de son dernier entretien annuel d’évaluation.

****

La société l’Opticien Afflelou indique que la facturation à la demande, sans réalisation d’acomptes et de devis ne pouvait qu’entrainer un décalage entre le suivi théorique des stocks et la réalité de ce stock dés lors que les avances de factures ne concernaient pas nécessairement des produits disponibles en magasin et que les annulations de factures créaient informatiquement un restockage de produits non existants en magasins.

Or, il s’agit là d’un raisonnement in abstracto et force est de constater que les écarts considérables invoqués ne ressortent pas du rapport d’audit d’août 2016, lequel sur la question des stocks, se contente d’indiquer : ‘La gestion du stock n’est pas rigoureuse sur le magasin, les BL ci-dessous n’avaient jamais été archivés.’ Suit une liste de huit BL non archivés.

La cour observe que cette mention qui fait seulement référence au défaut d’archivage de BL, (vraisemblablement pour Bons de Livraison), est sans aucun rapport avec la pratique facturation/avoir reprochée à Mme [B] et sur laquelle l’employeur fait reposer le grief tiré d’une absence de maîtrise des stocks.

Enfin il est constant que la gestion du point de vente qui comprend notamment les inventaires et audit, a été noté, dans la dernière évaluation de la salariée, comme un point fort, nonobstant quelques points à développer tels que les minis inventaires.

Enfin l’attitude nonchalante et désinvestie lors de l’inventaire du mois d’août 2016 n’est illustrée par aucun élément objectif de sorte qu’il s’agit, ainsi que l’a jugé le conseil de prud’hommes d’une appréciation subjective. Ce quatrième grief a été justement écarté.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les faits reprochés à Mme [B] dans la lettre de licenciement ne sont pas établis. Ils ne sauraient dès lors caractériser la faute grave justifiant le licenciement qui se trouve donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a jugé que le licenciement de Mme [B] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

– Sur les indemnités de rupture :

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi qu’à une indemnité légale de licenciement. Aucune des parties ne remet en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud’hommes a liquidé les droits de Mme [B]; le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné la société Opticien Afflelou à payer à Mme [B] les sommes suivantes :

* 11 782 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

* 1 178,20 euros au titre des congés payés afférents

* 3 652,42 euros à titre d’indemnité légale de licenciement

– Sur les dommages- intérêts :

En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 du code du travail, Mme [B] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l’absence de réintégration dans l’entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l’effectif de l’entreprise, dont il n’est pas contesté qu’il est habituellement de plus de onze salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [B] âgée de 29 ans lors de la rupture, de son ancienneté de quatre années et cinq mois, la cour estime que le préjudice résultant pour cette dernière de la rupture doit être indemnisé par la somme de 25 000 euros, sur la base d’un salaire moyen mensuel de 3 927,33 euros ; en conséquence, le jugement qui lui a alloué la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être infirmé en ce sens et Mme [B] sera déboutée de sa demande pour le surplus.

Mme [B] invoque en outre un préjudice moral résultant du caractère brutal et vexatoire du licenciement. Elle indique à ce titre, qu’elle a été dispensée d’activité le lendemain de son entretien préalable, alors qu’elle était en arrêt maladie et que son éviction dans ces conditions, sans pouvoir saluer ses collègues ni mettre de l’ordre dans ses affaires, ont été particulièrement humiliantes. Elle ajoute que les accusations visées dans la lettre de licenciement, mettant en cause son honneur et sa probité, l’ont profondément choquée.

La société l’Opticien Afflelou s’oppose à cette demande en faisant valoir d’une part que la salariée ne justifie pas d’un préjudice, d’autre part que la dispense d’activité est par nature une mesure brutale.

Il résulte des débats qu’à la date de la dispense d’activité, Mme [B] était en arrêt maladie en raison d’un état de stress, d’anxiété et de troubles du sommeil et que la société l’Opticien Afflelou ne justifie pas le recours à la dispense d’activité pour la période comprise entre l’entretien préalable et le licenciement, de sorte qu’il ne saurait être contesté que les circonstances du licenciement ont occasionné à Mme [B] un préjudice moral distinct de celui qui se trouve réparé par les dommages et intérêts consécutifs au licenciement injustifié.

Le montant des dommages et intérêts alloués de ce chef par le conseil de prud’hommes a cependant été inexactement apprécié et il convient de le réduire à la somme de 1 000 euros.

– Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d’indemnisation; le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

– Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail :

Mme [B] expose qu’à compter de la réouverture du magasin de [Localité 6] Part Dieu, elle a subi une dégradation sensible de ses conditions de travail, sur laquelle elle a alerté sa direction, quant à :

– la mise en place d’un libre-service favorisant des vols et tentatives de vols à l’origine d’altercations quasi-quotidiennes, nécessitant le recours aux services d’un prestataire de sécurité ;

– une température très élevée dans le magasin, atteignant régulièrement 39° ;

– l’absence de formation et d’équipements de protection pour la manipulation des produits toxiques pour l’entretien des lunettes ;

Mme [B] fait également état à ce titre de la pression insupportable à laquelle elle a été soumise au cours des mois précédant son licenciement caractérisée par :

– une mise à pied injustifiée

– une augmentation exponentielle de ses objectifs

– un contrôle inopiné de sa directrice opérationnelle et financière le 1er août 2016, ce qui n’avait jamais eu lieu auparavant

– le reproche relatif à de prétendues erreurs de facturation sans lui donner les informations ni les instructions permettant de les corriger.

La société L’Opticien Afflelou conclut à l’irrecevabilité de cette demande au motif que le conseil de prud’hommes a jugé que « les faits invoqués ne découlent pas d’une volonté délibérée de l’employeur de placer ses salariés en situation de danger et d’insécurité mais relèvent plus de l’absence de mesures en matière de prévention », qu’il a débouté la salariée de sa demande et que cette dernière n’a pas sollicité, dans ses premières conclusions, l’infirmation du jugement sur ce point précis et de ce chef.

L’employeur souligne que ce n’est que dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 7 janvier 2022 que l’intimée sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et la condamnation de la société en appel à lui verser la somme de 8 000 euros nets de ce chef.

Sur le fond, la société L’Opticien Afflelou s’oppose à la demande.

Elle soutient que l’ensemble des éléments que Mme [B] invoque à l’appui de sa demande de dommages et intérêts sont en fait reliés à l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur et aux éléments probatoires se rattachant à la cause de licenciement dont elle demande par ailleurs la réparation au titre de l’annulation de la sanction d’une part, et de la contestation de son licenciement d’autre part.

L’employeur conclut qu’en l’absence de préjudice distinct, cette demande n’a pas de fondement.

****

Il apparaît que Mme [B] a, dès ses premières conclusions notifiées le 30 décembre 2019, expressément demandé qu’il soit dit et jugé que la société l’Opticien Afflelou n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail et sollicité sa condamnation au paiement de la somme de 8 000 euros de dommages-intérêts à ce titre.

L’appel étant postérieur à l’arrêt publié de la Cour de cassation rendu le 17 septembre 2020, la règle de procédure selon laquelle, lorsque l’appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement ne s’applique pas au présent appel incident et la demande est en tout état de cause recevable.

Si le conseil de prud’hommes a justement considéré que l’ouverture d’un libre service et le défaut de prise en compte de températures élevées dans le magasin ne relevaient pas d’une exécution déloyale du contrat de travail, il ne s’est en revanche pas prononcé sur la pression invoquée par la salariée, de sorte que la demande de la salariée est recevable.

La pression à laquelle a été soumise la salariée dans le cadre de l’exécution du contrat de travail résulte des éléments qui ont été débattus dans le cadre de l’examen des griefs invoqués à l’appui du licenciement.

La réparation du préjudice en lien avec ce manquement subi par Mme [B] doit être évaluée à la somme de 2 000 euros, au paiement de laquelle il convient de condamner l’employeur.

– Sur les demandes accessoires :

Il n’y a pas lieu d’assortir la remise des documents de fin de contrat d’une astreinte.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge de la société L’Opticien Afflelou les dépens de première instance et en ce qu’il a alloué à Mme [B] une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société l’Opticien Afflelou qui succombe en ses demandes sera condamnée aux dépens d’appel.

L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

CONFIRME le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, le montant des dommages et intérêts alloués au titre du caractère brutal et vexatoire de la procédure de licenciement et en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Statuant à nouveau sur ces chefs et y ajoutant,

CONDAMNE la société l’Opticien Afflelou à payer à Mme [B] la somme de 25 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice causé par le caractère brutal et vexatoire de la procédure de licenciement

CONDAMNE la société l’Opticien Afflelou à payer à Mme [B] la somme de 2000 euros en réparation du préjudice résultant de l’exécution déloyale du contrat de travail

CONDAMNE la société L’Opticien Afflelou à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,

CONDAMNE la société L’Opticien Afflelou aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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