17 MAI 2022
Arrêt n°
CV/SB/NS
Dossier N° RG 19/02005 – N° Portalis DBVU-V-B7D-FJVF
[N] [R]
/
SARL TRANS EUROP EXPRESS
Arrêt rendu ce DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Claude VICARD, Conseiller
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
M. [N] [R]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Edwina GUSTIN, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE
APPELANT
ET :
SARL TRANS EUROP EXPRESS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représentée par Me France TETARD de la SCP QUINCY – REQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON et par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMEE
Après avoir entendu Mme VICARD, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 28 Février 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé le 03 MAI 2022 par mise à disposition au greffe, date à laquelle les parties ont été informées que la date de ce prononcé était prorogée au 17 MAI 2022 conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL TRANS EUROPE EXPRESS (SARL TEE), qui compte environ 300 salariés et dont le siège social est basé en Côte d’Or, est spécialisée dans le secteur d’activité des transports routiers de fret interurbains.
M. [N] [R] a été engagé en qualité de chauffeur- livreur courte distance, coefficient 138 M, par la SARL TEE à compter du 31 octobre 2014, sous contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.
Après avoir été convoqué le 04 janvier 2016 à un entretien préalable à licenciement fixé au 13 janvier suivant, M. [R] a été licencié pour faute grave par courrier du 18 janvier 2016, motifs pris du refus d’une mutation consécutive à une perte de marché pour l’entreprise.
Le 9 novembre 2017, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes de [Localité 4] en contestation de son licenciement et indemnisation afférente.
Par jugement du 24 septembre 2019, le conseil de prud’hommes de [Localité 4] a :
– dit et jugé que le licenciement de M. [R] est fondé sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave;
– condamné de ce chef la SARL TRANS EUROP EXPRESS à payer au salarié:
* 2.398,25 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 239,82 euros pour les congés payés afférents;
* 207,90 euros au titre de l’indemnité de licenciement;
– débouté M. [R] de sa demande en paiement de dommages et intérêts;
– débouté M. [R] de sa demande de rappel de salaire pour les mois de novembre et décembre 2015, ainsi que janvier 2016;
– condamné la SARL TRANS EUROP EXPRESS à payer à M. [R] la somme de 180 euros indûment retenue sur la rémunération des mois d’avril et août 2015;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire, sauf exécution provisoire de droit dans les limites de l’article R. 1454-28 du code du travail;
– condamné la SARL TRANS EUROP EXPRESS à payer à M. [R] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens.
Le 15 octobre 2019, M. [R] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 26 septembre 2019.
La procédure d’appel a été clôturée le 31 janvier 2022 et l’affaire appelée à l’audience de la chambre sociale du 28 février 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Aux termes de ses écritures notifiées le 07 janvier 2020, M. [R] conclut à la réformation du jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a condamné la SARL TRANS EUROP EXPRESS à lui payer la somme de 180 euros indûment retenue sur la rémunération des mois d’avril et août 2015, outre aux entiers dépens.
Il demande à la cour, statuant à nouveau sur les autres chefs de jugement, de :
– dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse;
– condamner la SARL TRANS EUROP EXPRESS à lui payer les sommes suivantes :
* 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
* 2.398,25 euros au titre de l’indemnité de préavis, outre 239,82 euros au titre des congés payés afférents;
* 207,90 euros au titre de l’indemnité de licenciement;
* 2.228,70 euros à titre de rappel de salaires des mois de novembre 2015, décembre 2015 et janvier 2016, outre 222,87 euros au titre des congés payés afférents;
* 6.000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;
– condamner la SARL TRANS EUROP EXPRESS aux dépens d’appel.
Le salarié expose avoir été placé sans son accord en congés sans solde, après son refus de mutation géographique, puis licencié sans cause réelle et sérieuse.
Il conteste son licenciement en soutenant qu’il n’a jamais été affecté sur la ligne de livraison de colis supprimée entre [Localité 4] et [Localité 6]; que si le contrat prévoyait effectivement une clause de mobilité géographique, il fixait aussi son poste dans le département du Puy- de- Dôme, de sorte que la modification du lieu de travail exigeait son accord express; qu’enfin, l’employeur ne rapporte aucunement la preuve d’une réduction considérable et durable de l’activité, non plus que des difficultés économiques qui auraient pu contraindre la société à une réorganisation, de nature à justifier la mutation imposée.
Il ajoute, s’agissant des critères d’ordre utilisés par la SARL TEE pour déterminer objectivement le salarié muté, qu’il n’était pas le dernier employé embauché par la société et avait des contraintes familiales que n’avait pas un autre chauffeur ayant moins d’ancienneté que lui; que par ailleurs, les critères n’ont pas été portés à la connaissance des institutions représentatives du personnel ni définis dans un accord collectif ou le règlement intérieur de l’entreprise.
Aux termes de ses écritures notifiées le 07 avril 2020, la SARL TRANS EUROP EXPRESS conclut à l’infirmation du jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté M. [R] de ses demandes en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif et rappel de salaires pour les mois de novembre et décembre 2015, ainsi que janvier 2016.
Elle demande à la cour de débouter M. [R] de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens de l’instance recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code précité.
L’intimée soutient, s’agissant de la clause de mobilité incluse dans le contrat de travail, qu’il incombe au salarié de prouver qu’elle n’a pas été mise en oeuvre de bonne foi ou pour des raisons étrangères à l’intérêt de la société; qu’en outre, la mutation d’un salarié en application d’une clause de mobilité ne constitue pas une modification du contrat de travail, mais un simple changement de ses conditions de travail; que l’accord express du salarié n’est dès lors pas nécessaire; que l’employeur peut imposer une mutation au salarié dont le contrat comporte une telle clause; que le refus de celui- ci de rejoindre sa nouvelle affection revêt un caractère fautif.
Elle explique avoir mis en oeuvre la clause de mobilité en raison de la perte d’un marché, l’ayant contrainte à des mesures de réorganisation; que M. [R], comptant parmi les derniers chauffeurs embauchés dans l’entreprise, a été choisi en vertu de critères objectifs et selon une volonté d’équité et d’impartialité entre les salariés.
Concernant les demandes de rappel de salaires, elle soutient avoir rémunéré l’ensemble des heures accomplies et régularisé la situation de ses heures supplémentaires. Elle souligne que M. [R] ne peut réclamer de rappel de salaires à compter de janvier 2016 dès lors que sa mutation était déjà effective et qu’il ne s’est pas présenté sur son nouveau lieu de travail.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°- Sur la rupture du contrat de travail :
Aux termes des dispositions combinées des articles L. 1232-1 et L. 1235- 1 du code du travail, l’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d’appréciation ou l’insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la pertinence des griefs invoqués au soutien du licenciement prononcé pour faute grave. En application de l’article L.1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.
Lorsque que les faits sont établis mais qu’aucune faute grave n’est caractérisée, le juge du fond doit vérifier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l’employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d’une telle mesure n’est pas obligatoire.
En l’espèce, la lettre de licenciement pour faute grave, notifiée à M. [R] le 18 janvier 2016, est libellée comme suit :
‘Monsieur,
Nous vous avons convoqué le 13 janvier 2016 à 15h00 pour l’entretien préalable au licenciement que nous envisagions de prononcer à votre encontre.
Vous vous êtes présenté à cet entretien, non assisté, et nous vous avons exposé le motif de ce licenciement qui est le suivant :
En raison de la perte du contrat avec notre client La Poste pour la ligne entre [Localité 4] et [Localité 6] le 31 octobre 2015, nous avons procédé à votre mutation au 28 décembre 2015 dans le cadre de votre clause de mobilité géographique qui est stipulée dans votre contrat de travail.
Ce nouveau poste de travail est au départ de [Localité 5] (38).
Nous vous avons informé de cette mutation par courrier recommandé le 30 novembre 2015. Celui-ci précise notamment que nous avons bien entendu, au préalable, procédé à une recherche minutieuse de toute affectation au plus près de votre domicile.
C’est la raison pour laquelle nous vous avons confié les tournées dites ‘supplémentaires’ à partir du 1er novembre, mais que ces prestations allaient uniquement jusqu’au 23 décembre 2015. Dans ce courrier nous vous précisions également que ce nouveau poste était bien en tant que chauffeur poids-lourd.
Que cette nouvelle affectation s’inscrivant dans la mise en ‘uvre de la clause de mobilité prévue dans votre contrat de travail (article ‘Lieu de travail- Clause de mobilité géographique), et que celle- ci n’entraîne aucune modification de votre contrat de travail dans la mesure où elle ne s’accompagne d’aucun changement notable de vos fonctions.
Vous avez décliné cette mutation par courrier recommandé reçu par nos services le 8 décembre 2015.
Nous vous avons répondu par courrier recommandé en date du 11 décembre 2015, que nous avions pris note de votre refus de mutation.
En conséquence, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnités.(…)’.
Il ressort des énonciations de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que M. [R] a été congédié pour faute grave pour avoir refusé la modification de son lieu de travail.
L’employeur peut en principe imposer une mutation au salarié dont le contrat de travail comporte une clause de mobilité.
Pour être valable, une telle clause doit:
– définir de façon précise sa zone géographique d’application et ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée;
– ne pas porter une atteinte au droit du salarié à une vie personnelle et familiale qui ne serait pas justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
La mise en ‘uvre de la clause de mobilité doit être conforme à l’intérêt de l’entreprise. La bonne foi étant présumée, cet intérêt l’est aussi, et il incombe au salarié de démontrer que la décision de l’employeur a, en réalité, été prise pour des raisons étrangères à cet intérêt ou bien qu’elle a été mise en ‘uvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle.
La mise en ‘uvre de la clause ne doit pas non plus être abusive, les conditions de vie du salarié devant être prises en considération pour en apprécier le caractère abusif.
La mise en oeuvre d’une clause de mobilité incluse dans le contrat de travail correspond à un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l’employeur et non à une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié.
Le refus du salarié de s’y plier constitue donc un manquement à ses obligations contractuelles susceptible d’être sanctionné par un licenciement. Pour autant, le salarié ne se rend pas nécessairement coupable de faute grave, qui reste à démontrer. Des refus successifs de mobilité, sans justification légitime et avec abandon de poste peuvent, par exemple, permettre à l’employeur de retenir la faute grave.
En l’espèce, le contrat de travail de M. [R] contient une clause intitulée ‘Lieu de travail- Clause de mobilité géographique’ stipulant : ‘Le poste de M. [N] [R] est basé dans le département 63. Dans le cadre de ses fonctions, l’employeur pourra demander au salarié de prendre son service en un lieu différent compte tenu des contraintes de l’exploitation. Il est donc expressément convenu entre les parties que le salarié n’est pas affecté définitivement à une ligne déterminée et qu’en conséquence, il accepte le principe de toute modification de ligne dans les régions où est implantée la société TRANS EUROPE EXPRESS, c’est- à- dire Bourgogne Franche Comté, Rhône Alpes, Auvergne, Aquitaine et région parisienne, Centre Ouest, Lorraine, Alsace, PACA, Centre, Midi Pyrénées.’
Par courrier du 30 novembre 2015, la SARL TEE, se prévalant de cette clause de mobilité définissant de façon précise sa zone géographique d’application et dont la validité n’est pas discutable ni d’ailleurs véritablement discutée, a informé M. [R] de sa nouvelle affectation à [Localité 5], dans le département de l’Isère, à compter du 28 décembre 2015, motifs pris de la perte d’une ligne de transport reliant [Localité 4] à [Localité 6].
L’employeur a justifié de la perte conséquente de cette ligne, qui comprenait deux liaisons et mobilisait plusieurs chauffeurs, de sorte que la nécessité de réorganiser la répartition des salariés sur les divers sites d’exploitation dans l’intérêt de l’entreprise apparaît légitime et non sérieusement contestable.
Aux termes du contrat de travail, M. [R] n’était pas affecté de manière définitive à une ligne déterminée et avait accepté le principe d’une modification de ligne, tant dans le Puy- de Dôme que dans les zones géographiques expressément mentionnées. Aussi, le fait qu’il n’ait jamais été affecté sur la ligne de transport supprimée importe peu.
Par ailleurs, alors que la charge de la preuve lui incombe, il ne démontre pas que la décision de l’employeur aurait été prise pour des causes étrangères à l’intérêt de l’entreprise.
S’agissant de l’utilisation par l’employeur de critères d’ordre pour choisir le salarié muté, les premiers juges ont pertinemment relevé que ce procédé n’est pas subordonné à l’existence d’un accord d’entreprise ni soumis à une obligation légale, réglementaire ou conventionnelle de consultation préalable des institutions représentatives du personnel, dès lors qu’il est utilisé pour la mise en oeuvre de clauses de mobilité et non dans le cadre d’un licenciement pour motif économique.
L’employeur explique que sa démarche était dictée par une volonté d’équité et d’impartialité envers les salariés et indique avoir analysé la situation de chacun d’eux à l’aune des critères suivants :
– ancienneté
– situation familiale
– passif disciplinaire
– compétences et qualifications.
M. [R] et M. [M] étaient les deux seuls salariés comptant moins de deux ans d’ancienneté et la comparaison de leur situation respective à l’aune des critères retenus était plus favorable au second.
Dans ces conditions, le choix de l’employeur ne paraît pas avoir été opéré dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle.
M. [R] soutient enfin que sa mutation sur un site distant de 190 km portait une atteinte disproportionnée à sa vie personnelle et familiale en ce qu’il venait tout juste d’obtenir la garde alternée de son fils alors âgé de 5 ans.
Pour autant, force est de constater que les pièces qu’il a produites aux débats ne permettent pas de vérifier la réalité de cette assertion.
Rien n’établit que le juge aux affaires familiales a été effectivement saisi de la requête conjointe signée des deux parents le 23 septembre 2015 aux fins d’entérinement de leur accord sur la mise en place d’une résidence alternée.
Dans un jugement du 21 mars 2019, le juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire de [Localité 4], retraçant l’historique de la relation parentale, fait état de l’exercice par le père d’un droit de visite et d’hébergement classique (un week- end sur deux et la moitié des vacances scolaires) accordé par un précédent jugement du 25 février 2014 et du prononcé par le juge des enfants d’une mesure d’AEMO le 26 novembre 2015, soit à une période contemporaine de la mutation.
La résidence alternée de l’enfant ne semble en définitive avoir été accordée, en tous les cas judiciairement entérinée, que par le jugement précité du 21 mars 2019.
Aussi, la matérialité d’une atteinte à la vie personnelle et familiale du salarié apparaît insuffisamment établie, une mutation à 190 km ne facilitant certes pas l’exercice d’un droit d’accueil un week- end sur deux mais n’étant pas non plus de nature à l’empêcher ou à le restreindre de manière significative.
Le caractère abusif de la mise en oeuvre de la clause de mobilité par l’employeur n’étant pas démontré, le refus du salarié de rejoindre sa nouvelle affectation en violation d’une clause expressément stipulée dans son contrat de travail, caractérise une cause réelle et sérieuse de licenciement, mais ne peut en revanche à lui seul constituer une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise.
C’est donc à bon droit et par des motifs pertinents que la cour adopte, que la juridiction prud’homale a écarté l’existence d’une faute grave et considéré que le licenciement de M. [R] reposait sur une cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré mérite donc confirmation.
2°- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail :
* Sur l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents :
L’article L. 1234-1 du code du travail prévoit que ‘lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :
1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;
2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois;
3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l’accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d’ancienneté de services plus favorable pour le salarié.’
L’article L. 1234-5 du même code précise que ‘lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L’inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l’employeur, n’entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. L’indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l’indemnité de licenciement et avec l’indemnité prévue à l’article L.1235-2.’
M. [R], qui comptait un an et trois mois d’ancienneté, est fondé, en application de ces textes légaux, à réclamer la somme de 2.398,25 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 239,82 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Le jugement déféré sera confirmé sur ces chefs de condamnation, non critiqués en leur quantum.
* Sur l’indemnité légale de licenciement :
En application de l’article L. 1234-9 du code du travail, dans sa version applicable au litige, ‘le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.’
En application de ces dispositions légales, M. [R] est fondé à réclamer la somme non critiquée dans son quantum de 207,90 euros bruts.
La cour confirme en conséquence le jugement déféré de ce chef.
* Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse:
M. [R], dont le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, sera débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts.
Le jugement déféré mérite encore confirmation sur ce point.
3°- Sur les demandes en paiement relatives à l’exécution du contrat de travail :
* Sur les rappels de salaires bruts:
M. [R] réclame le paiement d’heures indûment décomptées et non réglées pour ‘congés sans solde’, ‘heures d’absence’, ‘absence injustifiée’ au cours des mois de novembre et décembre 2015 ainsi que janvier 2016.
Il ressort des bulletins de paie produits aux débats:
– qu’au mois de novembre 2015, une retenue de 614,66 euros pour congés sans solde a été opérée sur son salaire brut;
– qu’au mois de décembre 2015, une retenue de 1.224,42 euros pour congés sans solde et absences injustifiées a été opérée sur son salaire brut;
– qu’au mois de janvier 2016, une retenue de 885,43 euros pour absence non indemnisée a été opérée sur son salaire brut.
L’employeur a procédé à une rectification partielle des bulletins de paie des mois de novembre et décembre 2015, en réglant un brut supplémentaire de 538,63 euros pour le mois de novembre et un brut supplémentaire de 112,62 euros pour le mois de décembre.
M. [R] soutient que, nonobstant cette régularisation, il manque les sommes brutes suivantes :
– novembre 2015 : 221,23 euros
– décembre 2015 : 1.112,04 euros
– janvier 2016 : 885,43 euros
S’agissant du mois de novembre 2015, l’employeur indique n’avoir réglé que 538,63 euros, pour avoir retranché le paiement indu d’heures supplémentaires.
De son côté, M. [R] réclame la somme de 221, 23 euros en soutenant avoir effectué 17,33 heures supplémentaires majorées à 25 % et une heure majorée à 50 %. Il ne produit cependant aucun élément ni aucune précision sur la date de réalisation de ces heures supplémentaires.
L’employeur produit en revanche un relevé détaillé d’activité de M. [R] pour le mois de novembre 2015, qu’aucune autre pièce du dossier ne vient contredire, établissant le caractère erroné du nombre d’heures supplémentaires figurant sur le bulletin de paie et le caractère indu de leur règlement.
La cour, considérant que la régularisation opérée par l’employeur au mois de novembre 2015 à hauteur de la seule somme de 538,63 euros est justifiée, déboute en conséquence M. [R] de sa demande en rappel de salaire pour novembre 2015.
S’agissant du mois de décembre 2015, l’employeur indique avoir de nouveau retranché le paiement indu d’heures supplémentaires. Il ne produit toutefois aucun élément démontrant le caractère erroné des heures supplémentaires figurant sur le bulletin de paie et le caractère indu de leur paiement.
Il sera donc tenu de payer à M. [R] le reliquat des sommes restant dues, après la régularisation effectuée à hauteur de la seule somme de 112,62 euros, soit la somme de 1.111,80 euros bruts (1224,42 euros- 112,62 euros).
S’agissant du mois de janvier 2016, M. [R] ne s’est pas présenté sur son nouveau lieu de travail, la nouvelle affectation ayant pris effet le 28 décembre 2015. Il ne démontre ni même n’allègue avoir accompli des heures de travail au mois de janvier 2016.
Il sera dès lors débouté de sa demande en paiement de rappel de salaire à hauteur de 885,43 euros pour le mois de janvier 2016.
En définitive, la SARL TEE sera condamnée à payer à M. [R] la somme de 1.111,80 euros bruts à titre de rappel de salaire pour le mois de décembre 2015, outre 111,18 euros bruts au titre des congés payés afférents. Le jugement déféré sera infirmé sur ce seul point.
* Sur les retenues sur rémunération des mois d’avril et août 2015 :
M. [R] réclame deux sommes de 90 euros nets retenues sur ses salaires des mois d’avril et août 2015, correspondant à des amendes pour excès de vitesse.
Ainsi que l’ont à bon droit rappelé les premiers juges, l’article L. 3251- 1 du code du travail interdit à l’employeur d’opérer une retenue de salaire pour compenser des sommes qui lui seraient dues par un salarié pour fournitures diverses, quelle qu’en soit la nature.
Il résulte de ces dispositions légales que la retenue sur salaire pour le remboursement de contraventions afférentes à un véhicule professionnel mis au service d’un salarié est illégale (Soc., 11 janvier 2006, n° 03-43.587).
Aussi, la cour confirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné l’employeur à payer à M. [R] la somme de 180 nets illégalement retenue sur ses salaires.
4°- Sur les frais irrépétibles et dépens :
Les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et dépens seront confirmées.
La SARL TEE, succombant partiellement quant aux prétentions afférentes aux rappels de salaires, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamnée à payer à M. [R] la somme de 1.200 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code précité.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté M. [R] de sa demande de rappel de salaire pour le mois de décembre 2015;
Statuant à nouveau,
Condamne la SARL TRANS EUROP EXPRESS à payer à M. [N] [R] la somme de 1.111,80 euros bruts à titre de rappel de salaire pour le mois de décembre 2015, outre celle de 111,18 euros bruts au titre des congés payés afférents;
Y ajoutant,
Déboute la SARL TRANS EUROP EXPRESS de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles;
Condamne la SARL TRANS EUROP EXPRESS à payer à M. [N] [R] la somme de 1.200 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne la SARL TRANS EUROP EXPRESS aux entiers dépens d’appel;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le Greffier, Le Président,
S. BOUDRY C. RUIN