ARRÊT N°
N° RG 20/01526 – N° Portalis DBVH-V-B7E-HXPI
EM/DO
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON
13 mai 2020
RG :F18/00567
[E]
C/
S.A. POMONA-TERRE
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 17 JANVIER 2023
APPELANT :
Monsieur [T] [E]
né le 31 Décembre 1963 à [Localité 5] (MAROC)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Skander DARRAGI de la SELAS FIDAL, avocat au barreau D’AVIGNON
INTIMÉE :
S.A. POMONA-TERRE venant aux droits de la société AVON
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Hélène DI MARINO de l’ASSOCIATION DI MARINO GAETAN HELENE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 25 Octobre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
GREFFIER :
Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l’audience publique du 08 Novembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 17 Janvier 2023.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 17 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [T] [E] a été engagé par la Sa Avon à compter du 1er novembre 1990, à temps plein, en qualité de préparateur de commandes. La convention collective applicable est celle du commerce de gros.
M. [T] [E] a fait l’objet d’une mise à pied conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 21 août 2015.
M. [T] [E] a été licencié par lettre du 26 août 2015, pour faute grave, au motif qu’il aurait dérobé deux colis de bouteilles de jus de fruit, dans la nuit du 07 au 08 août 2015.
Par requête du 19 janvier 2016, M. [T] [E] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon en contestation de son licenciement ainsi qu’en condamnation de la Sa Avon au paiement de diverses sommes indemnitaires.
L’affaire a été radiée à l’audience du 30 novembre 2016, puis réinscrite le 19 novembre 2018.
Par jugement du 13 mai 2020, le conseil de prud’hommes d’Avignon a :
– dit que le licenciement de M. [T] [E] est fondé et que la faute grave est avérée au vu du flagrant délit de vol au sein de l’établissement de la SA Avon constaté par les services de police le 07 août 2015,
En conséquence,
– débouté M. [T] [E] de l’ensemble de ses demandes au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [T] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect d’obligation de formation,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– dit qu’il n’y a pas lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chaque partie supportera ses propres frais et dépens.
Par acte du 30 juin 2020, M. [T] [E] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance en date du 11 août 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 25 octobre 2022 à 16 heures et fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 8 novembre 2022 à laquelle elle a été retenue.
Aux termes de ses dernières conclusions, M. [T] [E] demande à la cour de :
– déclarant l’appel recevable et bien fondé,
Y faisant droit,
-infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :
– dit que son licenciement est fondé et que la faute grave est avérée au vu du flagrant délit de vol au sein de l’établissement SA Avon constaté par les services de police le 07 août 2015,
– l’a débouté de l’ensemble de ses demandes au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect d’obligation de formation,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– dit qu’il n’y a pas lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que chaque partie supportera ses propres frais et dépens,
Par voie de conséquence et statuant à nouveau :
– dire et juger son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence :
– condamner la Sa Avon à lui verser les sommes suivantes :
– dommages et intérêts pour licenciement abusif : 44 813 euros,
– indemnité de licenciement : 15 684,54 euros,
– indemnité compensatrice de préavis : 4 481,30 euros,
– indemnité de congés payés y afférents : 448,13 euros,
– rappel de salaire (mise à pied à titre conservatoire) : 976,41 euros,
– indemnité de congés payés y afférents : 97,64 euros,
– non-respect de l’obligation de formation : 5 000 euros,
– article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros,
– ordonner la délivrance sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir, de l’attestation Pôle Emploi dûment rectifiée,
– débouter la SA Avon, de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de tout appel incident,
– condamner la SA Avon au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de 1ère instance et d’appel.
M. [T] [E] soutient que :
– les griefs visés dans la lettre de licenciement ne sont pas établis, que l’employeur ne démontre en aucun cas qu’il aurait quitté son poste de travail durant ses heures de travail pour changer son véhicule de son lieu de stationnement, qu’il avait pour habitude d’acheter des denrées alimentaires et des jus de fruits à la société, de solliciter l’accord préalable de son supérieur hiérarchique et de procéder au règlement, soit immédiatement, soit postérieurement, par le biais d’une retenue sur salaire, que dans la nuit du 07/08 août 2015, il avait sollicité l’aval de son supérieur hiérarchique, M. [V] [M], pour l’achat de deux colis de bouteilles de jus de fruits en demandant à ce que le règlement lui soit prélevé sur son bulletin de paie comme d’habitude, que l’employeur n’a pas respecté le règlement intérieur puisqu’il ne l’a pas averti de son droit de s’opposer au contrôle qui a eu lieu cette nuit et d’être assisté par un témoin, que la société ne démontre pas le vol de marchandises cette nuit,
– quand bien même il aurait commis une faute, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, il n’en demeure pas moins que la sanction est disproportionnée, que la marchandise que la société a récupérée avait une faible valeur, que la société n’a subi aucun préjudice, que les faits sont isolés,
– que le respect du principe de l’autorité de la chose jugée n’interdit pas au juge prud’homal d’apprécier la gravité de la faute au regard de l’exécution du contrat de travail, que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif, qu’une décision de rappel à la loi du procureur de la République ne répond pas aux critères d’une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée et ne peut donc s’imposer au juge civil, que le rappel à la loi dont il a fait l’objet ne peut donc pas lier le conseil de prud’hommes concernant la matérialité des faits du 07/08 août 2015,
– son licenciement présente un caractère vexatoire dans la mesure où les policiers se sont déplacés jusqu’à son domicile pour effectuer un contrôle, que cette scène a particulièrement effrayé et choqué son épouse malade et ses quatre enfants qui ont vu leur père traité à tort comme un vulgaire délinquant, qu’il a donc été humilié devant sa famille, que par ailleurs, il a dû faire face du jour au lendemain à une situation économique catastrophique, qu’il n’a pu effectuer, depuis son licenciement, que quelques missions d’interim,
– il convient de fixer le montant de l’indemnité de licenciement et l’indemnité compensatrice de préavis conformément aux dispositions de la convention collective applicable, qu’il est en droit de solliciter également la rémunération pour la période de mise à pied conservatoire injustement prononcée,
– l’employeur n’a pas respecté son obligation de formation qui est une obligation de résultat, que depuis son embauche, la société ne lui a proposé qu’une seule formation au Caces qui n’a pas été renouvelée, que l’employeur s’est donc abstenu de lui assurer une formation constante pour maintenir sa capacité à occuper un emploi, que contrairement à ce que soutient le conseil de prud’hommes, la société n’apporte aucun élément de nature à établir le contraire.
En l’état de ses dernières écritures contenant appel incident la Sas Pomona terre azur Avignon dont il n’est pas contesté qu’elle vient aux droits de la Sa Avon demande à la cour de :
– dire et juger que M. [T] [E] a été pris en flagrant délit de vol au sein de la SA Avon par les services de police le 07 août 2015,
– dire et juger que M. [T] [E] n’a pas contesté le vol devant l’autorité policière,
– dire et juger que M. [T] [E] a fait l’objet pour ces faits d’un rappel à la loi,
– dire et juger que M. [T] [E] a accepté le rappel à la loi,
– dire et juger que les griefs du vol reprochés sont établis,
– dire et juger que le licenciement de M. [T] [E] a une cause réelle et sérieuse,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse,
– dire et juger que M. [T] [E] a évolué de poste au sein de l’entreprise,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a constaté que la SA Avon avait respecté l’obligation de formation et avait débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts,
– voir débouter M. [T] [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– dire et juger recevable l’appel qu’elle a formé du chef de l’article 700 du code de procédure civile, demande rejetée par le jugement,
– condamner M. [T] [E] à verser à la somme de 4 000 euros à la SAS Pomona terre azur Avignon, venant aux droits de la SA Avon, du chef de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [T] [E] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La SAS Pomona terre azur Avignon venant aux droits de la SA Avon fait valoir que :
– le licenciement pour faute est justifié, que le 07 août 2015, le responsable de la plateforme de la société Avon avait été avisé téléphoniquement que M. [T] [E] avait dérobé des cartons dans l’entreprise pour les dissimuler dans le coffre de son véhicule, que les services de police se sont rendus immédiatement sur les lieux et ont constaté la présence de deux colis contenant un total de 12 litres de jus de fruit, qu’il s’agit donc d’un flagrant délit, qu’un stratagème mis en place par le salarié avec son véhicule, depuis quelque temps dans le but de dérober de la marchandise de la plateforme, que contrairement à ce que prétend le salarié, il n’a pas contrevenu au règlement intérieur dans la mesure où ce n’est pas elle-même qui a procédé à la vérification mais les services de police, qu’il a fait l’objet d’un rappel à la loi pour ces faits,
– M. [T] [E] a manqué de loyauté à son égard, qu’elle ne saurait maintenir au sein de son personnel une personne qui organise de façon répétée un stratagème pour dérober petit à petit par des prélèvements ponctuels et répétés les marchandises stockées au sein de la plateforme, que M. [T] [E] n’a pas l’honnêteté d’assumer sa responsabilité, qu’il n’hésite pas à impliquer son responsable qui lui aurait donné son aval, que cette position est réfutée par M. [M] comme le démontre son attestation, que les témoins qui ont rédigé une attestation pour le compte du salarié n’ont pas été témoins du vol de sorte qu’ils n’apportent aucun éclairage sur les faits objets de son licenciement,
– ce n’est pas la valeur du détournement qui caractériser le vol, que l’ensemble de ses manoeuvres et le vol de marchandises démontrent que son comportement porte gravement atteinte à la relation de travail,
– M. [T] [E] a fait l’objet dans le passé d’un avertissement le 21 octobre 2002 qu’il n’a jamais contesté et que pour les mêmes raisons, il lui a adressé une note de service sur le respect des consignes de l’équipe d’encadrement,
– elle n’a pas été informée des diverses phases d’investigations réalisées par les services de police, et qu’elle n’a aucun pouvoir sur les méthodes d’enquête, que la demande de dommages et intérêts de M. [T] [E] n’est pas justifiée,
– M. [T] [E] induit en erreur la cour pour diluer sa seule et unique responsabilité eu égard aux faits graves qui sont établis à son encontre, qu’il a reconnu devant les services de police le vol, que le licenciement est donc fondé et a une cause réelle et sérieuse,
– M. [T] [E] a été embauché comme simple manutentionnaire et qu’il est devenu par la suite préparateur de commandes, qu’elle l’a donc fait évoluer, qu’elle lui a octroyé des formations adaptées au poste qu’il occupait en son sein, que le salarié n’a jamais présenté la moindre demande de formation, ni dans le cadre du plan de formation annuel de l’entreprise approuvé par le comité d’entreprise, ni dans le cadre de ses heures acquises, qu’elle n’a donc pas failli à son obligation de formation.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
MOTIFS :
Sur le licenciement :
S’agissant d’un licenciement prononcé à titre disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs formulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.
La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l’employeur qui l’invoque d’en rapporter la preuve.
La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.
Si l’article L1332-4 du code du travail prévoit en principe qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance, en revanche ce texte ne s’oppose à pas à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s’est poursuivi dans ce délai.
La faute grave libère l’employeur des obligations attachées au préavis. Elle ne fait pas perdre au salarié le droit aux éléments de rémunération acquis antérieurement à la rupture du contrat, même s’ils ne sont exigibles que postérieurement.
La gravité du manquement retenu est appréciée au regard du contexte, de la nature et du caractère éventuellement répété des agissements, des fonctions exercées par le salarié dans l’entreprise, un niveau de responsabilité important étant le plus souvent un facteur aggravant, de son ancienneté, d’éventuels manquements antérieurs et des conséquences de ces agissements en résultant pour l’employeur.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 26 août 2015 qui fixe les limites du litige, énonce les griefs suivants :
«Nous vous avons convoqué pour un entretien le 21 août 2015 en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Durant cet entretien, nous vous avons fait part des faits que nous vous reprochions.
Nous vous rappelons les faits :
– Depuis quelques temps déjà, nous avions constaté que votre véhicule était garé à un endroit lors de votre prise de poste et à un autre, proche de la sortie de secours, au moment de votre départ du site, alors que vous n’étiez pas censé quitter l’entrepôt durant votre temps de travail.
– A plusieurs reprises et notamment le 6 août 2015, vous avez été vu prenant des colis du stock ; M. [I], responsable de la plateforme, n’en a été informé que le lendemain matin.
– Le 7 août 2015 vers 23h00 vous avez de nouveau été vu prenant des colis et les amenant manifestement à votre véhicule. Monsieur [I] a alors été informé. Il a fait appel aux services de police en leur expliquant les faits et il s’est immédiatement rendu sur le site, ainsi que les policiers. Ces derniers vous ont interrogé, et vous avez reconnu avoir mis deux colis dans votre coffre. Ils vous ont alors demandé d’ouvrir le coffre de votre voiture personnelle : deux colis de jus de fruit étaient effectivement présents dans ce dernier.
Lors de l’entretien du 21 août 2015, vous avez de nouveau reconnu les faits, et nous avons écouté vos tentatives d’explications.
Nous vous rappelons que, dans le cadre de votre contrat de travail, vous êtes soumis à une obligation de loyauté et devez accomplir de bonne foi votre prestation de travail. Or, en soustrayant de la marchandise appartenant à notre entreprise, vous avez manqué à cette obligation, et ce au préjudice des intérêts de notre entreprise.
Votre attitude est inacceptable. Celle-ci est contraire à vos obligations et aux engagements que vous avez pris envers notre société au moment de votre embauche.
Les explications que vous nous avez données lors de notre entretien ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet, nous avons en conséquence décidé de vous licencier pour faute grave».
Pour justifier du bien fondé du licenciement de M. [T] [E], la Sas Pomona terre azur Avignon produit aux débats :
– une attestation établie par M. [V] [M], employé de logistique qui certifie qu’à aucun moment, dans la soirée du 07/08 août 2015, M. [T] [E] l’a averti qu’il prenait un colis dans l’entrepôt pour le mettre dans son véhicule et lui demander de faire une facturation ultérieurement, qu’il n’a donc pas autorisé cette prise de marchandise,
– un procès-verbal de dépôt de plainte du 08 août 2015 de M. [Z] [I], responsable de la plateforme de la société Avon : ‘le 07 août 2015 vers 23h00 j’ai été joint téléphoniquement par un de mes responsables du site qui me signalait avoir repéré un des salariés en train de dérober des cartons au sein de l’entrepôt, ce dernier ayant dissimulé des colis dans le coffre de son véhicule…j’ai également fait appel aux services de police en leur expliquant les faits. Arrivé sur le site, j’ai constaté la présence de policiers…ainsi que le salarié en cause, la présence effectivement de deux colis de la plateforme dans le coffre…Il n’a pas nié avoir dérobé ces colis contenant une totalité de 12 litres de jus de fruits…depuis quelque temps, M. [T] [E] avait été repéré à effectuer un ‘manège’ entre son véhicule et l’entrepôt…’,
– un procès-verbal d’audition de M. [Z] [I] du 10 août 2015 ‘je prends acte que M. [T] [E] a fait l’objet d’un rappel à la loi par OPJ suite au vol qu’il a commis sur notre site’.
Force est de constater, d’une part, que l’employeur n’apporte aucune précision sur les dates se rapportant aux éventuels faits qui auraient été commis avant ceux du 06 août 2015, indiquant seulement dans la lettre de licenciement ‘à plusieurs reprises et notamment’, sans autre indication, d’autre part, que la société n’apporte aucun élément de preuve concernant des faits qui se seraient produits le 06 août 2015.
S’agissant des déplacements du véhicule de M. [T] [E] et les ‘stratagèmes mis en place par’ le salarié, il y a lieu de constater que la Sas Pomona terre azur Avignon soutient qu’il n’était pas ‘censé quitter l’entrepôt’ sans pour autant apporter d’élément de nature à conforter ces affirmations.
Enfin, concernant les faits du 07 août 2015 invoqués par la Sas Pomona terre azur Avignon, il convient de constater que selon le compte-rendu de l’entretien préalable que M. [C] a rédigé, dont il n’est pas contesté qu’il avait assisté M. [T] [E], celui-ci n’a pas contesté sérieusement avoir pris de l’entrepôt deux colis contenant des bouteilles de jus de fruits et les avoir posés dans le coffre de son véhicule, mais a indiqué que c’était seulement après avoir demandé l’autorisation à M. [V] [M], et a expliqué, s’agissant des déplacements de son véhicule, qu’il le stationnait à l’endroit où ‘tout le monde met sa voiture’ ; M. [C] mentionne l’interrogation de M. [I] sur les raisons pour lesquelles M. [T] [E] avait dit à la police qu’il a reconnu avoir volé ces colis, le salarié aurait répondu : ‘la police ne l’a pas laissé le temps de parler de tout’.
Par ailleurs, aucun élément objectif, émanant notamment des services de police, ne permet de vérifier les conditions du contrôle ainsi réalisé le 07 août 2015 au soir, les constatations qui ont été faites et les déclarations du salarié à ce moment là.
Si M. [V] [M] atteste ne pas avoir donné l’autorisation à M. [T] [E], il ressort cependant de l’examen de bulletins de salaire de 2014 et 2015, qu’il était habituel que M. [T] [E] effectue quasiment chaque mois des petits achats provenant de la société réglés par des retenues sur salaire au titre de ‘factures personnel’, pour de faibles montants, ce qui donne du crédit aux déclarations du salarié selon lesquelles il avait pris la marchandise incriminée le 07 août 2015 après avoir obtenu l’autorisation de M. [M].
Il résulte de ces éléments qu’il subsiste un doute sur la commission par M. [T] [E] du vol des 12 bouteilles de jus de fruits.
De surcroît, M. [T] [E] justifie que la valeur de la marchandise de 6 bouteilles de jus de fruit s’élève à 15,74 euros lorsqu’elle est facturée à un salarié, de sorte que le lot de 12 bouteilles litigieux, avait une valeur totale de 31,48 euros.
S’il n’est pas contesté que M. [T] [E] a fait l’objet d’un avertissement par courrier du 21 octobre 2002 au motif qu’il n’avait pas respecté le 1er octobre 2002 des consignes et avait commis des erreurs lors de la livraison d’une commande portant sur 100 coulis de tomates et qu’une note de service lui avait été adressée le 15 novembre 2011 pour un même motif, cependant,il y a lieu de relever l’absence d’antécédents pour vol.
En outre, M. [T] [E] produit aux débats deux attestations d’anciens salariés, M. [O] [L] et Mme [U] [R] qui louent ses qualités professionnelles et personnelles, notamment son honnêteté.
Enfin, il convient de rappeler que le rappel à la loi auquel procède le procureur de la République en application de l’article 41-1 du code de procédure pénale est dépourvu de l’autorité de la chose jugée et n’emporte pas, par lui-même, preuve du fait imputé à un auteur et de sa culpabilité, de sorte que cette mesure dont M. [T] [E] ne conteste pas avoir fait l’objet, ne lie pas la présente juridiction dans son appréciation des faits fautifs invoqués par l’employeur.
Compte tenu de l’ancienneté de M. [T] [E] au moment de son licenciement, 24 ans, de l’existence d’un doute quant à la commission des faits de vol dans la nuit du 07/08 août 2015, de l’absence de tout élément probant concernant les faits du 06 août 2015 et de faits antérieurs dans la limite de la prescription, de la valeur minime de la marchandise prise par le salarié, de l’absence d’antécédents de vol au sein de la société, il s’en déduit que la faute grave invoquée par la Sas Pomona terre azur Avignon venant aux droits de la Sa Avon dans la lettre de licenciement n’est pas établie.
Le licenciement prononcé par la Sa Avon à l’encontre de M. [T] [E] est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Par contre, M. [T] [E] ne justifie pas que son licenciement a présenté un caractère vexatoire, de sorte qu’il sera débouté de ce chef de demande.
Sur les conséquences financières :
L’article 35 de la convention collective applicable du commerce de gros, stipule qu’en cas de rupture du contrat de travail, sauf faute grave ou force majeure, un préavis est dû par la partie qui prend l’initiative de la rupture. Le non-respect de ce préavis réciproque impliquera le paiement de l’indemnité compensatrice.
La durée de ce préavis normal est calculée sur la base de l’horaire de l’établissement ou du service. Elle est (…) de 1 mois pour les employés ou ouvriers. En cas de rupture du contrat de travail du fait de l’employeur, sauf en cas de faute grave ou lourde, cette durée est portée à 2 mois après 2 ans d’ancienneté (…).
L’article 37 de la dite convention collective prévoit que tout salarié congédié, sauf faute grave ou lourde, reçoit à partir de 1 an de présence une indemnité calculée comme suit : (…)
à partir de 10 ans d’ancienneté : 1/5 de mois par année d’ancienneté plus 2/15 pour les années au-delà de 10 ans.
Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité est le douzième de la rémunération des 12 derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour l’intéressé, le tiers des 3 derniers mois, étant entendu que, dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, qui aurait été versée au salarié pendant cette période, ne serait prise en compte que pro rata temporis.
Cette indemnité ne se cumule pas avec toute autre indemnité de même nature.
Au vu de ces dispositions conventionnelles, M. [T] [E] est en droit d’obtenir à titre d’indemnité de licenciement la somme de 15 684,54 euros, deux mois de préavis, soit 4 481,30 euros et 448,13 euros à titre d’indemnité de congés payés y afférente, celle de 976,41 euros à titre de mise à pied conservatoire qui figure en débit sur le bulletin de paie du mois d’août 2015 outre 97,64 euros à titre d’indemnité de congés payés y afférente, montants non sérieusement contestés par la Sas Pomona terre azur Avignon venant aux droits de la Sa Avon.
Il convient en conséquence d’infirmer le jugement en ce sens.
Sur la demande relative au manquement de l’employeur à son obligation de formation :
L’article L6321-1 du code du travail dans sa version applicable dispose que l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme. Les actions de formation mises en oeuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de formation mentionné au 1° de l’article L6312-1.
Saisi d’une demande de dommages et intérêts à ce titre, le juge doit rechercher si l’employeur a effectivement satisfait à son obligation de formation et d’adaptation. L’obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi relève de l’initiative de l’employeur.
Le manquement de l’employeur est établi dès lors que le salarié n’a bénéficié d’aucune formation permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. Le manquement de l’employeur entraîne un préjudice distinct de celui résultant de sa rupture et qu’il appartient au juge d’évaluer.
En l’espèce, M. [T] [E] soutient que l’employeur n’a pas respecté son obligation de formation qui est une obligation de résultat, qu’en 25 ans d’ancienneté il n’a jamais reçu de formation lui permettant d’évoluer, qu’il a seulement bénéficié que d’une formation unique relative au Caces qui n’a pas été renouvelée.
Force est de constater que depuis son embauche en 1990 et en presque 25 ans d’ancienneté, la Sas Pomona terre azur Avignon venant aux droits de la Sa Avon ne justifie pas avoir proposé à M. [T] [E] une formation autre que celle dont il reconnaît avoir bénéficié, qu’elle a manifestement manqué à son obligation de formation.
Il y a lieu dès lors de faire droit à la demande de M. [T] [E] sur ce point à hauteur de 2000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud’homale et en dernier ressort ;
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Avignon le 13 mai 2020,
Statuant de nouveau sur le tout,
Dit que le licenciement prononcé par la Sas Pomona terre azur Avignon venant aux droits de la Sa Avon à l’encontre de M. [T] [E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la Sas Pomona terre azur Avignon venant aux droits de la Sa Avon à payer à M. [T] [E] les sommes suivantes :
– 15 684,54 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 4 481,30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 448,13 euros à titre d’indemnité de congés payés y afférente,
– 976,41 euros à titre de mise à pied conservatoire outre 97,64 euros à titre d’indemnité de congés payés y afférente,
– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation de formation,
Condamne la Sas Pomona terre azur Avignon venant aux droits de la Sa Avon à payer à M. [T] [E] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne la Sas Pomona terre azur Avignon venant aux droits de la Sa Avon aux dépens de première instance et d’appel.
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,