C1
N° RG 21/00898
N° Portalis DBVM-V-B7F-KYHH
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
Me Claire CHABREDIER
Me Claudie CABROL
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section A
ARRÊT DU MARDI 17 JANVIER 2023
Appel d’une décision (N° RG F 19/00428)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VALENCE
en date du 21 janvier 2021
suivant déclaration d’appel du 17 février 2021
APPELANTE :
S.A.S. SOCIETE DES TRANSPORTS [B] [H], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Claire CHABREDIER, avocat postulant inscrit au barreau de GRENOBLE,
et par Me Audrey DAVIER, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON,
INTIMEE :
Madame [Z] [M]
née le 19 Novembre 1987 à [Localité 2]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Claudie CABROL, avocat au barreau de VALENCE,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Valéry CHARBONNIER, Conseillère faisant fonction de Présidente,
Madame Gaëlle BARDOSSE, Conseillère,
Madame Isabelle DEFARGE, Conseillère,
DÉBATS :
A l’audience publique du 07 novembre 2022,
Mme Valéry CHARBONNIER Conseillère faisant fonction de Présidente chargée du rapport, assistée de Mme Mériem CASTE-BELKADI, Greffière, et Mme Capucine QUIBLIER, greffière stagiaire, a entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 17 janvier 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 17 janvier 2023.
Exposé du litige :
Après une mission d’intérim de 3 mois, du 17 juillet au 15 octobre 2017, Mme [M] a été embauchée en qualité d’employée administrative dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en date du 16 octobre 2017 par la SAS TRANSPORTS [B] [H].
Mme [M] a fait l’objet d’un arrêt de travail du 22 juillet 2019 au 09 août 2019.
La société TRANSPORTS [B] [H] l’a convoquée à un entretien préalable fixé le 21 août 2019 par lettre remise en main propre le 12 août 2019 et lui a notifié sa mise à pied conservatoire.
Le 28 août 2019, Mme [M] a été licenciée pour faute grave. Elle a contesté les modalités de la rupture du contrat de travail par courrier avec accusé de réception du 6 septembre 2019.
Mme [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Valence, en date du 28 octobre 2019, aux fins d’obtenir la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que le paiement de la mise à pied conservatoire et les indemnités afférentes.
Par jugement du 21 janvier 2021, le conseil de prud’hommes de Valence, a :
Requalifié le licenciement de Mme [M] pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Condamné la société TRANSPORTS [H] (SAS) à payer à Mme [M] les sommes suivantes:
1 004,53 euros bruts, à titre de paiement de la mise à pied,
100,45 euros bruts à titre d’indemnités de congés payés afférents,
3 185,06 euros bruts, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
318,50 euros bruts, à titre d’indemnité de congés payés afférents,
796,30 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamné la société TRANSPORTS [H] (SAS) à remettre à Mme [M] un certificat de travail et une attestation pôle emploi conformes.
Dit qu’il n’y a pas lieu à astreinte.
Dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire hors des cas où elle est de droit.
Débouté Mme [M] du surplus de ses demandes.
Débouté la société TRANSPORTS [H] (SAS) de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamné la société TRANSPORTS [H] (SAS) aux dépens de l’instance.
La décision a été notifiée aux parties et la SOCIETE DES TRANSPORTS [B] [H] en a interjeté appel.
Par conclusions du 12 septembre 2022, la SOCIETE DES TRANSPORTS [B] [H] demande à la cour d’appel de :
A titre principal
Juger recevable, justifié et bien fondé l’appel interjeté par la société TRANSPORTS [H] à l’encontre du jugement rendu le 21 janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes de VALENCE.
Rejeter l’appel incident formé par Mme [M] à l’encontre du jugement rendu le 21 janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes de VALENCE.
Réformer le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes de VALENCE en ce qu’il a requalifié le licenciement de Mme [M] pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
Dire et juger que le licenciement de Mme [M] est fondé sur une faute grave,
Rejeter comme mal fondées les demandes formées par Mme [M] et la débouter de toutes ses prétentions.
A titre subsidiaire
Confirmer le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes de VALENCE en ce qu’il a considéré que les griefs formulés à l’encontre de Mme [M] étaient fondés et que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Confirmer le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes de VALENCE en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de Mme [M] ;
En tout état de cause
Confirmer le jugement rendu le 21 janvier 2021 par le Conseil de Prud’hommes de VALENCE en ce qu’il a rejeté le surplus des demandes de Mme [M] ;
Condamner Mme [M] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, en cause d’appel.
Condamner enfin Mme [M] aux entiers dépens.
Par conclusions du 29 juillet 2021, Mme [M] demande à la cour d’appel de :
Débouter la société TRANSPORTS [H] de son appel et le dire mal fondé.
Dire et juger que l’employeur ne démontre pas la réalité d’une faute grave à l’encontre de Mme [M] et le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Recevoir Mme [M] en son appel incident
Ordonner la requalification du licenciement de Mme [M] en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamner en conséquence la société SAS [H] à lui payer les sommes suivantes :
Retenue sur salaire au titre de la mise à pied conservatoire, soit 1 004,53 euros brut et indemnité compensatrice de congés payés sur salaire retenu, soit 100,45 euros (10% CP)
Paiement de la retenue entrée sortie sur le bulletin de paie d’août 2019 pour 73,50 euros brut et indemnité compensatrice de congés payés sur salaire retenu, soit 7,50 euros brut.
Indemnité compensatrice de préavis, soit 2 mois de salaires : 1 592,53 euros brut x 2 = 3 185,06 euros brut
Indemnité légale de licenciement, soit 1 592,53 / 4 x 2 = 796,30 euros brut
Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit 3 mois de salaire : 1 592,53 euros brut x 3 = 4777,59 euros brut.
Remise du certificat de travail conforme L. 3243-2 du CT sous astreinte de 50 euros par jour de retard
Remise de l’attestation Pôle emploi conforme sans la mention de faute grave sous astreinte de 50 euros par jour de retard
Dire et juger que les sommes allouées à Mme [M] porteront intérêts au taux légal, à compter de la date de saisine du Conseil
Condamner la société SAS [H] à payer à Mme [M] la somme de 1 000 euros pour les frais irrépétibles qu’elle a dû légitimement exposer pour faire valoir ses droits en justice en première instance par application de l’article 700 du code de procédure civile en y ajoutant la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 en cause d’appel.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 04 octobre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.
SUR QUOI :
Sur le bien fondé du licenciement pour faute grave :
Moyens des parties :
La société des TRANSPORTS [B] [H] fait valoir que Mme [M] a valablement été licenciée pour faute grave et soutient que :
Mme [M] a commis des manquements considérables dans son travail qui rendaient impossible son maintien dans l’entreprise : absence d’organisation de son poste de travail, abandon pur et simple de ses missions, un ensemble de négligences répétées préjudiciant gravement aux intérêts de l’entreprise ;
La salariée n’a pas alerté son employeur d’une surcharge de travail et le simple fait de prévenir son employeur n’est pas susceptible d’exonérer la salariée de ses carences et de ses abstentions fautives.
La société des TRANSPORTS [B] [H] expose en outre que le licenciement de Mme [M] n’est pas fondé sur une insuffisance professionnelle, son comportement étant volontaire. C’est un manque de rigueur, d’organisation et d’application des process qui lui est reproché et non un manque de compétence ou de capacité ou encore il lui est reproché une négligence volontaire et fautive résultant d’un défaut d’organisation et de rigueur dans le suivi de ses dossiers.
Mme [M] conteste le bien fondé du licenciement pour faute grave et expose que :
Avant la mesure de licenciement pour faute grave, elle n’a jamais fait l’objet du moindre avertissement pour erreur administrative ou la moindre remarque pour insuffisance professionnelle,
Son poste et ses attributions ont été modifiés en janvier 2019 et en mai 2019, une nouvelle tâche a été confiée au service et elle a dû faire face à une surcharge de travail en raison de la désorganisation du service (congé maternité ; départ en vacances). Elle a alerté son employeur sur la situation du service en juillet 2019,
Elle a été mise en arrêt de travail le 22 juillet 2019 pour surmenage et épuisement professionnel,
Le constat d’huissier daté du 12 août 2019 ne respecte pas le principe du contradictoire et a été réalisé trois semaines après le départ de Mme [M] de l’entreprise,
4 salariés se sont succédés en 3 ans sur le poste avant sa propre prise de poste.
Mme [M] expose qu’elle a supporté un préjudice moral à la suite de cette mesure de mise à pied brutale suivi d’une mesure de licenciement abusive et que son médecin traitant a diagnostiqué une dépression sévère après son arrêt de travail pour épuisement. Elle a fait preuve de conscience professionnelle en alertant l’employeur sur les dysfonctionnements du service, en revenant travailler après un arrêt de travail de 15 jours juste avant ses congés alors que son médecin traitant voulait la prolonger, en réalisant des heures supplémentaires pour pallier le manque d’effectif.
Réponse de la cour,
Il est de principe que la faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé au sein de l’entreprise même pendant la durée du préavis. La mise en ‘uvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits fautifs mais le maintien du salarié dans l’entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
La gravité de la faute s’apprécie en tenant compte du contexte des faits, de l’ancienneté du salarié et des conséquences que peuvent avoir les agissements du salarié et de l’existence ou de l’absence de précédents disciplinaires
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
Si l’insuffisance professionnelle et la faute disciplinaire se caractérisent toutes les deux par une mauvaise exécution du contrat de travail, il convient de déterminer si cette exécution défectueuse du contrat de travail est constatée alors que le salarié a fait preuve de bonne volonté ou au contraire qu’elle relève de la mauvaise volonté délibérée du salarié pour caractériser la nature du licenciement.
L’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts.
Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, conformément aux dispositions de l’article L. 1232-1 du code du travail.
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables. Les faits reprochés au salarié doivent lui être personnellement imputables.
Si la lettre du licenciement fixe les limites du litige, cela n’interdit pas à l’employeur d’invoquer toutes circonstances de fait permettant de justifier les motifs énoncés du licenciement.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 28 août 2019 qui fixe les limites du litige relève à l’encontre de la salariée « de réelles et durables difficultés concernant le traitement des missions et dossiers » dont elle a la charge. Elle évoque « une absence totale d’organisation de son poste de travail, l’abandon pur et simple de ses missions et un ensemble de négligences répétées qui préjudicient gravement au bon fonctionnement du service », « de nombreux problèmes et dysfonctionnements et retards dans le traitement des dossiers » et le fait que l’agence « court le risque de mécontenter d’importants clients ». Sur les conséquences des manquements, il est encore énoncé que la trésorerie est affectée de « manière conséquente », que « l’incurie » dont a fait preuve la salariée sur une brève période « a de graves et importantes répercussions sur le service ». La lettre se poursuit par une présentation de faits fautifs « sans que cette liste soit exhaustive ».
Par lettre du 04 septembre 2019, la salariée a contesté les motifs du licenciement et indiqué notamment qu’au cours de l’entretien préalable la totalité des griefs énoncés dans la lettre n’avaient pas été évoqués. L’employeur allègue le contraire et soutient que la salariée n’en aurait pas contesté la matérialité pour la majorité d’entre eux.
Mme [J], dont il n’est pas démenti qu’elle était présente lors de cet entretien, atteste que certains griefs n’ont pas été évoqués. Mme [H] (Responsable transport et fille du Dirigeant) atteste du contraire. Aucun compte-rendu d’entretien préalable n’est versé aux débats.
Il convient de constater que les éléments produits ne permettent pas de déterminer ce qui a été effectivement évoqué lors de l’entretien en question. Cependant, la cour rappelle que le manquement à l’obligation d’évoquer l’ensemble des faits fautifs lors de l’entretien préalable ne remet pas en cause la cause réelle et sérieuse du licenciement mais rend la procédure irrégulière et est sanctionné par une indemnité au profit du salarié. En l’espèce, Mme [M] ne tire aucune conséquence de ce moyen en ne sollicitant aucune condamnation de l’employeur de ce chef.
Bien que Mme [M] soutienne que le licenciement serait en réalité fondé sur une insuffisance professionnelle, la cour constate que la lettre de licenciement évoque expressément un licenciement pour faute grave et se poursuit en indiquant que le licenciement prend effet immédiatement sans indemnité de préavis ni de licenciement, carctérisant un licenciement disciplinaire privatif d’indemnités.
Sur les griefs invoqués à l’appui du licenciement,:
Il est établi que la salariée occupait depuis octobre 2017 un poste d’employée administrative au sein du service facturation qui comportait une autre salariée, Mme [K], sous la responsabilité de Mme [I].
Aux termes des écritures de l’employeur, durant l’arrêt maladie de la salariée (du 22 juillet au 09 août 2019), Mme [I] s’est assurée de l’état des dossiers suivis par la salariée et aurait constaté « une absence totale d’organisation et un important retard accumulé ».
Pour caractériser la faute grave reprochée à Mme [M], l’employeur dresse une liste de dossiers clients et s’appuie tout d’abord sur un constat d’huissier effectué par Me [N], le 12 août 2019 afin d’illustrer la désorganisation alléguée de la salariée à son poste de travail.
Sur l’opposabilité de cette pièce à la salariée, il convient de rappeler qu’en matière prud’homale, la preuve est libre, c’est à dire qu’elle peut être apportée par tous moyens et qu’il appartient au juge d’en apprécier la force probante, notamment par l’examen de l’ensemble des pièces versées.
Il est constant en l’espèce que l’huissier dresse un constat hors présence de la salariée. Mme [H] (directrice générale) lui expose le contexte de l’acte portant sur les tâches de Mme [M] et lui indique que « lors de la mise en intérim de son poste par ses collègues du service facturation », il est apparu que son poste n’était pas géré. Mme [H] évoque que ce poste présente un « retard anormalement élevé et une absence totale d’organisation » rendant difficile une reprise de celui-ci par un tiers ». Mme [H] décrit à l’huissier le bureau occupé par Mme [M] en ces termes « l’ensemble des pièces qui s’y trouvent sont anarchiquement entassées dans des bannettes sans indications quant à leur état de traitement ». Il est encore précisé dans ce constat, qui reprend les propos de Mme [H], que « outre les deux remplaçantes de Mmes [K] (Mme [Y]) et de Mme [M], l’entreprise a dû embaucher deux intérimaires supplémentaires portant les effectifs à 4 personnes ».
Sur l’emploi d’intérimaires, la société produit des relevés de missions intérim comportant une seule référence de contrat, la première mission débutant le 12 août, jour de la suspension de la salariée. Cette pièce ne permet pas de constater qu’il a été effectivement recouru à deux intérimaires pour pallier aux retards de traitement de ses missions imputés par l’employeur à la salariée.
Il est relevé par Me [N] qu’une bannette contient « divers documents de facturation » et précisé par Mme [I] qu’ils sont « en vrac sans aucune information pour les traiter ». Mme [I] lui présente une pochette « Mc Cormik juin 2019 » qu’elle a dû traiter, d’autres pochettes clients de juin 2019 tandis que dans une autre pochette figurent selon l’huissier d’autres documents (sans précision dans le constat) remontant à avril 2019.
Sont ainsi photographiés divers extraits des bannettes ou pochettes en question et notamment des mails. Concernant les courriels, il n’est matériellement pas possible de vérifier à qui ils ont été adressé afin de s’assurer qu’il incombait à Mme [M] de les traiter.
S’agissant du rangement de l’armoire figurant dans le service facturation, il n’est pas contredit qu’elle était utilisée par l’ensemble des salariés du service, Mme [I] indique à l’huissier qu’elle ne devrait pas contenir de pochettes antérieures à juillet 2019. Cet élément est insuffisant pour imputer la responsabilité de ce manquement à la seule salariée.
Par ailleurs, il ressort des écritures de l’employeur qu’outre la salariée, le service était occupé à cette date par Mme [Y] (remplaçante de Mme [K], depuis le 17 juin 2018) et que la salariée en arrêt maladie du 22 juillet 2019 au 09 août 2019 avait repris son poste le 12 aout, jour auquel lui a été notifié sa mise à pied. L’employeur ne contredit pas Mme [M] lorsqu’elle argue que la remplaçante de Mme [K], est demeurée seule au sein du service pendant une semaine, du 22 au 29 juillet.
Dès lors sur les constats physiques opérés par l’huissier, l’absence de la salariée qui a été suspendue le même jour et dont il n’est pas démontré qu’elle a pu retravailler ne permet pas d’être assuré que les documents qui y sont posés relevaient de sa responsabilité ou ont été laissés ou mis par elle à cet endroit ou encore que l’ensemble des documents et dossiers sur le bureau y sont demeurés durant son arrêt maladie alors même que l’autre membre du service (Mme [Y]) était présent. Le grief de désorganisation du poste de travail n’est donc pas établi.
Sur les manquements relevés dans le traitement de dossiers clients évoqués dans la lettre de licenciement, Mme [M] admet la matérialité des faits suivants :
Retard du traitement des facturations des dossiers CORMICK ou ESKER 69 émises en juin 2019, du client HEINEKEN, du dossier [O], LEROY MERLIN,
Retard de refacturation des frais de Gasoil et de lavage des camions du mois de juin 2019,
Retard de traitement des documents navettes depuis avril 2019,
Erreurs sur l’application de la taxe GAZOIL,
Majorations omises depuis janvier 2019 et enfin de l’oubli du traitement de la facture du dossier McENERGY,
Non mise en place des procédures de facturation pour les nouveaux clients,
Facturation erronée de caisses au lieu de palettes [G],
Oubli du traitement Dossier MC ENERGY.
Mme [M] conteste cependant l’imputabilité des manquements en question arguant tout d’abord du fait que l’employeur l’aurait soumis à une surcharge de travail ou qu’il avait connaissance de certains retards ou dysfonctionnements. Cependant, elle ne démontre pas avoir signalé ses difficultés à accomplir ses missions et elle ne verse aucune pièce permettant de démontrer la réalisation d’heures supplémentaires dont elle ne sollicite par ailleurs pas le paiement.
En outre, elle ne verse aucune pièce permettant de constater que l’employeur était avisé de retards ou dysfonctionnements dans le traitement de certains dossiers, notamment le dossier LEROY MERLIN.
Concernant les explications données par Mme [M] sur l’absence de facturation des frais annexes du client HEINEKEN, elle ne démontre pas que la difficulté venait de l’attente d’un numéro de dossier ni pourquoi elle n’a pas procédé à une relance de ce client. Il en est de même pour le dossier [O]
S’agissant des retards de refacturation des frais de GASOIL et de lavage des camions du mois de juin 2019, elle ne démontre pas non plus les avoir signalés à l’employeur ni ne justifie par des éléments objectifs que les documents utiles n’étaient jamais rendus à temps par le service de stockage ainsi qu’elle l’affirme.
Enfin, Mme [M] procède par affirmation s’agissant d’une mésentente avec sa hiérarchie et sur l’existence d’un état de stress permanent. Le certificat médical du médecin généraliste qui atteste que son arrêt maladie du 22 juillet 2019 était justifié pour des troubles anxio dépressifs est insuffisant pour démontrer le lien entre cet état médicalement constaté et son activité professionnelle, faute d’autre élement le corroborant.
Mme [M] allègue enfin que l’employeur n’aurait pas déterminé de façon contradictoire les responsabilités de chacun des salariés du service. L’employeur est taisant à ce sujet et aucune fiche de poste n’est produite ni document permettant de connaître en détail les tâches de chacun des employés ainsi que les procédures.
S’agissant des antécédents de la salariée qui occupait ce poste depuis 2 ans, aucune des pièces produites ne permet de relever, qu’avant le 12 août, l’employeur a pu constater l’existence de « l’absence totale d’organisation » reprochée à la salariée », son « incurie », ou son refus d’appliquer les process. L’employeur n’apporte à ce sujet aucun élément permettant à la cour d’être éclairée sur les « process » en question, les consignes délivrées aux salariés et les vérifications et contrôles accomplis pour s’assurer de la qualité de leurs tâches. Enfin, aucune attestation des autres salariées ayant travaillé avec Mme [M] ne sont versées aux débats, Mme [K] attestant uniquement des bonnes relations entre la salariée et sa responsable.
Par ailleurs alors que la lettre de licenciement expose, en référence au constat d’huissier, que « les papiers navettes d’avril, mai, juin et début juillet » sont entassés dans la bannette, il n’est justifié d’aucune alerte faite à la salariée avant son départ par la supérieure hiérarchique de la salariée ou encore par sa collègue de travail. S’il est admis que la responsable du service n’avait pas à s’assurer en permanence du travail accompli par les salariées sous sa responsabilité, il lui appartenait cependant effectivement d’opérer un contrôle régulier de l’avancement des tâches.
Enfin, sur les conséquences financières alléguées par l’employeur, aucune pièce justificative n’est produite. Il en est de même sur le mécontentement des clients, étant constaté que la lettre de licenciement évoque uniquement « un risque » de mécontentement.
Au vu de ce qui précède, la réalité du grief de retard dans le traitement de ces tâches pendant plusieurs mois par la salariée est établie, Mme [M] échouant à en reporter la responsabilité sur un tiers ou à établir l’existence d’une surcharge de travail.
En revanche, l’employeur n’établit pas le grief de la désorganisation matérielle du poste de travail de la salariée, l’employeur ne démontrant pas que l’état de son bureau pouvait lui être directement reproché. Il a par ailleurs été constaté que la salariée n’avait jamais été rappelée à l’ordre ou sanctionnée pour ce fait.
Par conséquent, les manquements jugés établis, à savoir le retard de traitement de certains dossiers clients entre janvier et juin 2019 sans qu’il ne soit justifié de rappels à l’ordre par la hiérarchie, s’ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement ne présentent toutefois pas un degré de gravité tel qu’ils rendaient impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise.
Mme [M] est donc fondée à obtenir paiement de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de licenciement mais sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être rejetée, par voie de confirmation de la décision déférée.
La société des TRANSPORTS [B] [H] doit en conséquence êtrecondamnée à lui payer les sommes suivantes :
1 004,53 euros à titre de paiement de la mise à pied outre la somme de 100,45 euros à titre d’indemnités de congés payés afférents,
3 185,06 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 318,50 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents,
796,30 euros à titre d’indemnité légale de licenciement.
Sur la remise d’une attestation POLE EMPLOI et d’un bulletin de salaire rectifiés :
Il convient d’ordonner à la société des TRANSPORTS [B] [H] de remettre à Mme [M] une attestation POLE EMPLOI et les documents de fins de contrat conformes au présent arrêt dans le mois de la notification ou de l’éventuel acquiescement à la présente décision.
La demande d’astreinte sera rejetée car elle n’est pas utile à l’exécution dans la présente décision.
Sur les demandes accessoires :
Il convient de confirmer la décision de première instance s’agissant des dépens et des frais irrépétibles.
La société des TRANSPORTS [B] [H] est condamnée à payer à Mme [M] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
DECLARE la société des TRANSPORTS [B] [H] recevable en son appel et Mme [M] recevable en son appel incident,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a :
Requalifié le licenciement de Mme [M] pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Condamné la société TRANSPORTS [H] (SAS) à payer à Mme [M] les sommes suivantes:
1 004,53 euros bruts, à titre de paiement de la mise à pied,
100,45 euros bruts à titre d’indemnités de congés payés afférents,
3 185,06 euros bruts, à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
318,50 euros bruts, à titre d’indemnité de congés payés afférents,
796,30 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamné la société TRANSPORTS [H] (SAS) à remettre à Mme [M] un certificat de travail et une attestation pôle emploi conformes.
Dit qu’il n’y a pas lieu à astreinte.
Dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire hors des cas où elle est de droit.
Débouté Mme [M] du surplus de ses demandes.
Débouté la société TRANSPORTS [H] (SAS) de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamné la société TRANSPORTS [H] (SAS) aux dépens de l’instance.
Y ajoutant,
CONDAMNE la société des TRANSPORTS [B] [H] à payer à Mme [M] la somme de 2 000 € à sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
ORDONNE à la société des TRANSPORTS [B] [H] de remettre à Mme [M] une attestation Pôle Emploi et les documents de rupture conformes au présent arrêt dans le mois de la signification ou de l’éventuel acquiescement à la présente décision,
REJETTE la demande d’astreinte,
CONDAMNE la société TRANSPORTS [B] [H] aux dépens en cause d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Valéry Charbonnier, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Mériem Caste-Belkadi, Greffière, à qui la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La Greffière, La Conseillère faisant fonction de Présidente,