ARRÊT DU
17 Février 2023
N° 236/23
N° RG 21/01143 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TWYV
PS/AL
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de lile
en date du
03 Juin 2021
(RG 18/00942 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 17 Février 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [N] [W]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Mickaël ANDRIEUX, avocat au barreau de LILLE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/009214 du 21/09/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉS :
M. [T] [W]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Mme [G] [Z]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentés par Me Ioannis KAPPOPOULOS, avocat au barreau de VALENCIENNES
DÉBATS : à l’audience publique du 03 Janvier 2023
Tenue par Patrick SENDRAL
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Gaetan DELETTREZ
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie LE BRAS
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Alain MOUYSSET
: CONSEILLER
Patrick SENDRAL
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 Décembre 2023
FAITS ET PROCEDURE
M.[W] et Mme [Z], parents des enfants [C] et [D], les ont confiés entre 2015 et 2017 à Mme [W], leur s’ur et belle-soeur exerçant la profession d’assistante maternelle. Par lettre du 15 mai 2017 ils lui ont notifié le retrait des enfants pour faute grave ce qui a immédiatement rompu la relation contractuelle. Par jugement ci-dessus référencé auquel il est renvoyé pour plus ample connaissance du litige le conseil de prud’hommes, saisi par Mme [W] de diverses réclamations salariales et indemnitaires, a statué comme suit :
«JUGE qu’il n’y a pas prescription du délai de saisine du Conseil de Prud’hommes
JUGE que le licenciement est avéré pour faute grave; JUGE que le retrait des enfants n’est pas abusif, il est justifié, DEBOUTE Madame [W] [N] de sa demande d’heures majorées
PREND ACTE de la régularisation de la somme de 500,00 € (cinq-cents euros) à titre de rappel de salaire dans le solde de tout compte;
DEBOUTE Monsieur [W] et Madame [Z] de leur demande reconventionnelle.
DEBOUTE les parties de toutes autres demandes différentes. plus amples ou contraires au présent dispositif ,LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens. »
Vu l’appel formé par Mme [W] contre ce jugement et ses conclusions du 13/1/2022 ainsi closes :
«infirmer le jugement…
Condamner Monsieur [W] et Madame [Z] à lui verser la somme de 341,24 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la majoration des heures supplémentaires outre les congés payés y
afférents de 34,12 euros bruts
A titre subsidiaire, Madame [W] sollicite donc la condamnation de Madame [Z] et Monsieur [W] à lui verser la somme de 1.674,84 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les horaires contractuels outre les congés payés y afférents de 34,12 euros bruts.
Dire et juger le retrait des enfants abusif et le licenciement pour faute grave injustifié
En conséquence, Monsieur [W] et Madame [Z] à lui verser les sommes suivantes:
2.270,76 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents de 227,07 € brut
148,64 € net à titre d’indemnité légale de licenciement,
6.812,28 € nets à titre de dommages-intérêts pour retrait abusif,
Confirmer le Jugement pour le surplus de ses dispositions non contestées
Condamner Monsieur [W] et Madame [Z] à lui verser la somme de 2.000 € sur le fondement de l’ article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamner le défendeur aux entiers frais et dépens d’instance. »
Vu les conclusions du 22/11/2021 par lesquelles M.[W] et Mme [Z] demandent la confirmation du jugement, le rejet des demandes adverses ainsi qu’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
MOTIFS
La demande au titre de la majoration des heures supplémentaires
En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées prétendument accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre en produisant ses propres éléments. Il ressort par ailleurs de la Convention collective nationale des assistants maternels du particulier employeur du 1er juillet 2004, seule applicable en la cause, que les heures complémentaires effectuées au delà de 35 heures par semaine sont rémunérées au salaire horaire brut de base et qu’à partir de la la 46e heure hebdomadaire d’accueil, il est appliqué un taux de majoration laissé à la négociation des parties.
En l’espèce Mme [W] soutient en substance et à titre principal que toutes ses heures de travail mensuelles au-delà de la 193eme devaient être majorées de 25 % en application du texte susvisé mais que tel n’a pas été le cas. M.[W] et Mme [Z] rétorquent à juste titre et en premier lieu que le temps de travail effectif de Mme [W] ne s’entend pas de celui cumulé consacré à la garde de chacun des enfants puisque ceux-ci étaient gardés ensemble et non séparément. Ils établissent par ailleurs avoir payé chacune des heures de garde au taux contractuel prévu pour chaque enfant. En application de la Convention collective ils n’étaient pas tenus de majorer les heures complémentaires effectuées, c’est-à-dire celles entre 35 et 45 heures par semaine. Il ressort du reste des décomptes et des bulletins de paie que Mme [W] n’a jamais travaillé pour leur compte plus de 45 heures par semaine à l’occasion de la garde de [C] puis de celle des deux enfants ensemble. Sa demande sera donc rejetée.
La demande subsidiaire de rappel de salaires contractuels
Au soutien de cette demande Mme [W] prétend que M.[W] et Mme [Z] n’ont pas respecté leur engagement contractuel de la rémunérer à hauteur de :
-151,67 heures par mois pour la garde de [C] entre le 1/3/2015 et le 31/3/2016
-86,6 heures par mois pour la garde de [C] entre le 1er avril et le 31/11/2016 et la même durée pour la garde de [D] à la même période
-121,24 heures par mois pour chacun des enfants après le 1/12/2016 jusqu’à la rupture.
Elle produit un décompte comportant les heures selon elles dues, les heures payées et le solde. Ce décompte cumule indûment les heures de garde simultanée des deux enfants à partir d’avril 2016. Si dans chaque contrat de travail il a été convenu que la garde de chaque enfant donne chacune lieu à rémunération il ne s’en déduit pas, ni de la Convention collective, que le temps de travail de la salariée ait été doublé. Il en résulte qu’à compter de la garde simultanée des enfants en avril 2016 l’employeur a respecté ses engagements.
La situation ne peut être transposée à la période antérieure. En effet, alors qu’ils s’étaient engagés à confier [C] 35 heures par semaine à Mme [W] les intimés ne lui ont réglé l’équivalent de 151,67 heures mensuelles qu’en janvier 2015 avant de réduire à sa rémunération à l’équivalent de 135 puis 130 heures mensuelles jusqu’en avril 2016. Ils n’allèguent aucun motif expliquant la réduction des horaires et de la rémunération convenus au contrat de travail. Ils seront donc condamnés à régler à Mme [W] le solde des salaires dus au titre de la garde de [C], soit la somme de 889,56 euros augmentée de l’indemnité de congés payés cantonnée au montant réclamé.
Les demandes au titre de la rupture du contrat de travail
Il résulte de l’article L 1471-1 du code du travail en sa rédaction issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, publiée le lendemain, que l’action en contestation de la rupture du contrat de travail se prescrit par 12 mois, ce qui s’applique aux prescriptions en cours à la date de publication de l’ordonnance précitée sans que la durée totale de la prescription puisse excéder celle prévue par la loi antérieure.
En l’espèce, Mme [W] disposait d’un délai de 12 mois à compter du 23 septembre 2017 pour engager l’action en contestation de la rupture du contrat de travail. Elle a saisi le conseil de prud’hommes par lettre recommandée du 21 septembre 2018 envoyée le même jour, soit moins d’un an après la date de publication de l’ordonnance. C’est cette date et non celle de réception de la requête par le conseil de prud’hommes qu’il convient de retenir comme date d’interruption du délai de prescription. Sa contestation, intervenue dans le délai annuel, est donc recevable.
Cela étant, la lettre de rupture des relations contractuelles est ainsi rédigée :
« [Localité 2], le 15 mai 2017
Objet: licenciement pour faute grave / droit de retrait des enfants [C] et [D] [W] à partir du 15 mai 2017, Madame [W], Tout d’abord, nous tenons à vous remercier de la qualité de l’accueil que vous avez réservé à nos enfants [C] et [D] [W]. En effet, la qualité d’accueil psycho affectif est d’une très grande qualité. Nous espérons que d’autres enfants pourront profiter de la qualité de cet accueil. Toutefois, nos relations contractuelles (salariée/ employeur) sont devenues impossibles. Nous sommes donc obligés d’en tirer les conséquences et de vous licencier. A plusieurs reprises vous n’avez pas respecté:
-la législation des congés payés, que ce soit celles prévues par la convention collective nationale des assistants maternels du particulier employeur ou par votre contrat de travail. En effet, dernièrement, vous nous avez imposé votre prise de congés payés en nous envoyant par SMS, « je suis en congés du 4 au 11 mai », congé que nous avons accepté par voie orale. Comme nous vous l’avions rappelé à ce moment, les congés payés se font d’un communaccord avec l’employeur. Nous vous avions proposé de les valider et signer sur un des bordereaux dédiés d’une de vos fiches de paie, éditée par PAJEMPLOI, ce que vous avez occulté en indiquant « on le fera plus tard sur la fiche de paie de mai par exemple … ». Alors que vous étiez partie en vacances, vous avez remis en cause notre accord verbal. En effet, notre nièce a gardé nos enfants au sein de votre domicile car nous devions nous rendre à un rendez vous d’intérêt familial (ROV chez l’avocat dans le cadre de l’expropriation de nos parents), donc pour lequel vous avez un intérêt. Au préalable, nous nous étions mis d’accord sur le fait que notre nièce garde nos enfants chez vous dans un cadre strictement familial, et non pas à notre domicile; c’était d’ailleurs un souhait de notre nièce car elle a plus de repères chez vous. Vous êtes revenue sur cet accord, en indiquant que «puisque les enfants ont été gardés de 15 à 20 heures chez vous, aucune journée de congés payés ne devaient vous être décomptée.» Malheureusement, nous déplorons que ce ne soit pas la première incompréhension de ce genre. Le fait que nous soyons de la même famille (frère/ s’ur / belle s’ur) entraîne de votre part une escalade d’agressivité dans nos relations contractuelles. Afin que chacun puisse reprendre sa place dans le schéma familial, nous préférons rompre les relations qui nous unissent, d’où la motivation d’un licenciement. A l’égard de la législation du travail, ce comportement est constitutif d’une faute grave. De manière plus générale, vous faites preuve d’un dénigrement important de votre employeur auprès de membres de la famille, du voisinage, voire d’institutions. Plusieurs personnes (entourage et voisinage) nous ont conseillé de vous licencier car je cite « vous êtes en permanence à cran … », Nous avions déjà envisagé une procédure de licenciement mais dès l’engagement de cette procédure, vous avez pris un arrêt maladie, nous en avions déduit que vous souhaitiez maintenir nos relations contractuelles, et sommes revenus à tort sur notre décision. Par exemple, vous nous reprochez d’avoir effectué des retenues sur salaires du fait de votre absence: -(Une semaine/ un jour) alors que nous avions soit été prévenu à posteriori de votre absence (prolongement de congé sans respect des délais de prévenance, ce qui nous a mis dans une posture difficile de réorganisation de dernière minute) et encore une fois, qu’aucune feuille de congés payés n’est signée. De même, lorsque vous êtes en arrêt maladie, les indemnités journalières de la sécurité sociale prennent le relais, il n’est pas nécessaire «d’indiquer à notre entourage commun que nous avons effectué une retenue sur salaire à tort ».
-Une semaine alors qu’il s’agissait d’une régularisation, d’une semaine supplémentaire de congés accordés lors des vacances de Noël afin de vous permettre d’accompagner l’une de vos amie suite au deuil de son père.
Sur nos retards de paiement de salaire, nous avions renégocié la date de paiement du salaire afin de tenir compte de nos contraintes. Vous l’aviez accepté et êtes encore une fois revenue sur cet accord. Sur le non respect de la mensualisation, vous indiquez que vous ne percevez jamais le même salaire, bien souvent, il s’agissait d’heures complémentaires ou de retenues suite à des absences de justification.
L’ensemble de ces éléments sont constitutifs d’une faute lourde au regard de la législation du travail (intention de nuire/ de faire une mauvaise réputation à son employeur), nous préférons la qualifier de faute grave.
Pour conclure, nous tenons à insister que vous restez la tante de nos enfants, que nous souhaitons reprendre des relations familiales normales et que nous vous souhaitons une bonne continuation dans vos activités d’assistante maternelle. Si cela est nécessaire, nous vous recommanderons auprès d’autres parents car la qualité de votre accueil vis à vis des enfants restent indéniables. En espérant une attitude professionnelle de votre part, nous vous prions d’agréer, Madame, nos plus respectueuses salutations. »
La salariée, qui conteste l’ensemble des griefs, invoque un retrait abusif des enfants. Elle dénie toute objectivité aux témoignages produits par l’employeur et elle indique qu’en l’absence de faute grave elle a droit à indemnité compensatrice de préavis et à l’indemnité de licenciement.
M.[W] et Mme [Z] font à l’inverse valoir que:
-ils ont retiré leurs enfants dans le strict respect des conditions de forme posées par la Convention collective
-un tel retrait peut s’effectuer sans motif
-ils ont visé les fautes graves de la salariée, établies au moyen de témoignages précis et concordants, ce qui la prive des indemnités de rupture.
Sur ce,
Il est de règle que l’employeur d’un assistant maternel n’est pas tenu d’invoquer les motifs du retrait de l’enfant dans la lettre mettant fin à la relation contractuelle mais qu’en cas de retrait abusif l’assistant a droit à des dommages-intérêts à condition de justifier d’un préjudice.
En l’espèce, il ressort d’attestations concordantes et de la lettre de rupture que les appelants ont retiré leurs enfants suite à des difficultés relationnelles importantes avec Mme [W] liées notamment à sa disponibilité jugée insuffisante. Sans qu’il y ait lieu de déterminer si tel était le cas il ressort des débats que ces difficultés ont eu un impact sur le climat familial, les parties étant membres de la même famille. Le retrait des enfants a donc été décidé pour éviter que la mésentente professionnelle rejaillisse sur la sphère familiale. Il n’est justifié d’aucun abus de l’employeur dans l’exercice de son droit de sorte que la demande de dommages-intérêts afférente sera rejetée.
Il est de principe que sauf faute grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail l’assistante maternelle a droit aux indemnités de préavis et de licenciement prévues par la Convention collective.
En premier lieu, si le retrait des enfants ne présente pas de caractère abusif il ne saurait pour autant en être déduit que Mme [W] aurait commis une faute et encore moins une faute grave. Il résulte de leurs attestations que les 3 témoins, membre de la famille, se sont bornés à constater que les intimés ont été parfois amenés à confier les enfants aux grands-parents ce qui ne prouve aucun manquement de l’assistante maternelle. Aucune absence injustifiée n’est du reste mise en évidence. Le dénigrement et les autres faits imprécis rapportés dans la lettre de rupture ne sont pas avérés. Même à les supposer établis les griefs énoncés dans la lettre de rupture ne seraient pas de nature à justifier une rupture immédiate des relations contractuelles alors même que la salariée a été félicitée pour son travail.
Il en ressort que la faute grave n’est pas caractérisée et que Mme [W] a droit aux indemnités de rupture prévues par la Convention collective à savoir, vu son ancienneté et son salaire de référence :
-une indemnité de préavis égale à 1 (et non 2) mois de salaires
-une indemnité de licenciement calculée sur la base de 1/120 eme des salaires perçus soit la somme réclamée exactement chiffrée et non discutée.
Les frais de procédure
Vu le contexte familial et la solution donnée au litige il serait inéquitable de condamner l’une ou l’autre des parties au paiement d’une somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
INFIRME le jugement sauf en ce qu’il a débouté Mme [W] de sa demande de dommages-intérêts pour retrait abusif des enfants
statuant à nouveau et y ajoutant
DECLARE recevable l’action en contestation de la rupture du contrat de travail
CONDAMNE M.[W] et Mme [Z] à payer à Mme [W] les sommes suivantes :
‘salaires pour la garde de [C] entre le 1er février et le 31 décembre 2015 : 889,56 euros bruts
‘indemnité de congés payés: 34,12 euros bruts
‘indemnité de préavis:1135,38 euros bruts
‘congés payés afférents : 113,53 euros bruts
‘indemnité de licenciement : 148,64 euros nets
DEBOUTE Mme [W] du surplus de ses demandes
DIT n’y avoir lieu à condamnation au titre des frais non compris dans les dépens
Laisse à chacun la charge de ses propres dépens d’appel et de première instance.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Nadine BERLY Marie LE BRAS