AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/00844 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M2Z4
[D]
C/
S.A.S. ESSI QUARTZ
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LYON
du 28 Janvier 2020
RG : 17/01959
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 16 JUIN 2023
APPELANTE :
[F] [D] épouse [V]
née le 05 Mai 1975 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Régis DURAND, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
S.A.S. ESSI QUARTZ
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Christopher REINHARD de la SARL ROUMEAS AVOCATS, avocat au barreau de LYON, Me Jack BEAUJARD de la SELAS DLDA AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE substituée par Me Marine OLLAGNON, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 26 Avril 2023
Présidée par Catherine CHANEZ, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Béatrice REGNIER, présidente
– Catherine CHANEZ, conseillère
– Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 16 Juin 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente et par Mihaela BOGHIU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DU LITIGE
La société Essi Quartz (ci-après, la société) exerce dans le domaine de la propreté industrielle.
Elle applique la convention collective nationale des entreprises de propreté et employait au moins 11 salariés au moment du licenciement.
Ensuite de sa fusion avec la société Brumanet, elle a repris à compter du 1er décembre 2015 le contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel conclu le 30 mars 2012 entre cette dernière et Mme [F] [V], en qualité d’agent de service, étant précisé que le contrat prévoyait une reprise d’ancienneté au 1er septembre 2010.
Après une première affectation sur le site HMF à [Localité 5] 8 et la perte de ce marché, le lieu de travail de Mme [V] a été fixé aux Allées Part Dieu à compter d’août 2016, sans que l’avenant correspondant ne soit signé par la salariée.
Puis, par courriers recommandés avec avis de réception des 6 et 10 octobre 2016, la société a avisé sa salariée qu’elle devrait travailler à [Localité 6] à partir du 17 octobre.
Mme [V] a refusé ce changement par courrier du 10 octobre et ne s’est pas présentée sur son nouveau poste.
La société lui a adressé un courrier recommandé avec avis de réception de mise en demeure le 8 novembre et l’a convoquée à un entretien préalable fixé au 21 novembre puis reporté au 26 novembre/
Puis, par courrier recommandé avec avis de réception du 22 décembre 2016, Mme [V] a été licenciée pour faute grave, dans les termes suivants :
« Suite à l’entretien préalable du 29 novembre 2016 auquel nous vous avons convoquée en vue d’un éventuel licenciement et après reconsidération de votre dossier, nous vous informons de notre décision de vous notifier votre licenciement pour faute grave, le motif étant le suivant : abandon de poste.
Nous vous avons notifié par lettre recommandée avec AR le 06 octobre 2016 votre nouvelle affectation sur le site LE DAUPHINE à compter du 17 octobre suivant.
Le 13 octobre 2016, nous avons accusé réception d’un courrier par lequel vous refusiez cette nouvelle affectation. Le 25 octobre 2016, nous vous avons confirmé votre nouvelle affectation par un courrier recommandé avec AR. Or, vous ne vous êtes jamais présentée sur ce nouveau site.
Mais, c’est depuis le 03 octobre 2016, date à laquelle vous deviez reprendre votre travail suite à vos congés que vous êtes en absence sans justification ni autorisation. Votre abandon de poste a donc débuté avant même votre mutation puisque, début octobre, vous étiez encore affectée chez notre client LES ALLES PART DIEU.
Vous êtes absente de votre poste de travail sans justification ni autorisation depuis le 03 octobre 2016 et ce, malgré notre mise en demeure du 08 novembre 2016.
Nous considérons que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’entreprise. (‘) »
Le 13 janvier 2017, la société a mis Mme [V] en demeure de lui rembourser un trop-perçu de 1 038,40 euros.
Par requête du 3 juillet 2017, Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon en contestation de son licenciement.
Par jugement de départage du 28 janvier 2020, le conseil de prud’hommes l’a déboutée de ses demandes, y compris de sa demande de rappel de salaire formée à l’audience de départage, condamnée à verser à la société la somme de 1 038,40 euros, condamnée aux dépens, et a dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 31 janvier 2016, Mme [V] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 17 janvier 2022, elle demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes et condamnée à verser 1 038,40 euros ;
– condamner la société à lui verser la somme de 279,16 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de juillet 2016, outre 27,91 euros de congés payés afférents ;
– condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
– 2 066,78 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– 2 355,50 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre 235,55 euros de congés payés afférents ;
– 10 840 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
– condamner la société à lui verser la somme de 1 653,43 euros à titre de rappel de salaire pour les mois d’octobre à novembre 2016, outre 165,34 euros de congés payés afférents ;
– débouter la société de sa demande reconventionnelle ;
– condamner la société à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
– condamner la société aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 17 février 2023, la société demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– débouter Mme [V] de ses demandes ;
– condamner Mme [V] à lui payer la somme de 1 038,40 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2017 ;
– condamner Mme [V] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Mme [V] aux dépens.
La clôture est intervenue le 28 février 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.
1-Sur le rappel de salaire pour le mois de juillet 2016
Il incombe à l’employeur de fournir au salarié le travail convenu, pour la durée d’emploi convenue et de lui payer la rémunération convenue.
L’employeur ne peut valablement réduire le montant de la rémunération ou opérer une retenue sur salaire qu’en cas d’absence injustifiée, de congé sans solde demandé et autorisé, ou de mise à pied conservatoire ou disciplinaire.
En l’espèce, la société a procédé à une retenue sur le salaire de Mme [V] pour le mois de juillet 2016. Elle soutient que la salariée avait été affectée sur le chantier des Allées Part Dieu dès le 18 juillet et qu’elle ne s’y est pas présentée.
Mme [V] conteste avoir été avisée de cette affectation avant le 8 août et la société n’en rapporte pas la preuve. L’avenant qu’elle verse aux débats, daté du 18 juillet, n’a d’ailleurs pas été signé par la salariée.
La cour relève aussi que dans son courrier de mutation du 6 octobre 2016, la société a indiqué que Mme [V] était affectée sur le site « HMF Laennec » et non sur celui des Allées Part Dieu.
L’employeur n’avaiti donc pas motif de procéder à une retenue sur le salaire de Mme [V] pour son absence sur le chantier des Allées Part Dieu.
Le jugement sera donc réformé de ce chef et il sera fait droit à la demande de rappel de salaire de Mme [V].
2-Sur le licenciement
Aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge doit apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur.
L’article L. 1332-2 du code du travail, dans sa version applicable à l’espèce, dispose notamment que la sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien.
Or la société a convoqué Mme [V] à un premier entretien préalable fixé au 21 novembre, puis a reporté cet entretien au 26 novembre, sans que ce report n’ait été motivé par une quelconque demande ou indisponibilité de la salariée.
Le licenciement a été notifié le 22 décembre suivant, donc plus d’un mois après le jour fixé pour le premier entretien, si bien que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
3-Sur la demande de rappel de salaire sur les mois d’octobre à novembre 2016
Mme [V] soutient que son refus de changement d’affectation était légitime dans la mesure où la modification de ses horaires de travail nécessitait son accord et que son employeur n’aurait donc pas dû procéder à des retenues sur son salaire en raison de ses absences sur le chantier de [Localité 6].
Les horaires de travail sont fixés par l’article 7 du contrat sur le début de la matinée. Leur modification est possible dans des cas limitativement énoncés : absence d’un membre du personnel nécessitant un remplacement, réorganisation de l’entreprise pour répondre aux besoins du service, perte de chantier compensée, sanction, promotion, nouvelles règles ou nouveaux horaires imposés par le client.
Il est constant que le changement d’affectation de Mme [V], et donc le changement d’horaires, a fait suite à la perte du chantier HMF, si bien que l’employeur était en droit de le lui imposer.
Mme [V], qui reconnait ne plus s’être présentée sur son lieu de travail à compter du 3 octobre 2016, ne peut donc revendiquer le paiement de son salaire sur les mois d’octobre à décembre.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a déboutée de cette demande.
4-Sur les conséquences financières du caractère abusif du licenciement
4-1-Sur l’indemnité compensatrice de préavis
Dans la mesure où Mme [V] ne s’est pas présentée sur son lieu de travail au cours des 3 mois précédant son licenciement alors que son changement d’affectation était légitime, elle ne peut se prévaloir des dispositions conventionnelles ou légales relatives à l’indemnité compensatrice de préavis.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
4-2-Sur l’indemnité de licenciement
En application des articles L.1234-9, R.1234-2 et R.1234-4 du code du travail, l’indemnité de licenciement doit être fixée, selon la formule la plus avantageuse pour la salariée, à 6/5 de la moyenne des 12 derniers mois de travail, soit à 979,99 euros.
4-3-Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Mme [V] comptant plus de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise au jour de son licenciement et celle-ci employant habituellement au moins onze salariés, trouvent à s’appliquer les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, selon lesquelles, en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
En considération de son âge au moment de la rupture (41 ans), de son ancienneté (6 ans) et des circonstances du licenciement, la cour fixe à 6 000 euros le montant des dommages et intérêts que devra lui verser la société.
5-Sur la demande en paiement présentée par la société
La société ne justifie en rien de ce que Mme [V] lui serait redevable de la somme de 1 038,40 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a fait droit à sa demande.
6-Sur le remboursement des allocations chômage
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du même code qui l’imposent et sont donc dans le débat, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de six mois d’indemnités.
7-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d’appel seront laissés à la charge de la société.
L’équité commande de la condamner à payer au conseil de Mme [V] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 pour la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement prononcé le 28 janvier 2020 par le conseil de prud’hommes de Lyon, sauf en ce qu’il a débouté Mme [F] [V] de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis et de sa demande de rappel de salaire pour les mois d’octobre à décembre 2016 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Essi Quartz à verser à Mme [F] [V] la somme de 279,16 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de juillet 2016, outre 27,91 euros de congés payés afférents ;
Condamne la société Essi Quartz à verser à Mme [F] [V] la somme de 979,99 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
Condamne la société Essi Quartz à verser à Mme [F] [V] la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne à la société Essi Quartz de rembourser le cas échéant au Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [F] [V], dans la limite de six mois d’indemnités ;
Déboute la société Essi Quartz de sa demande de condamnation de Mme [F] [V] à lui verser la somme de 1 038,40 euros ;
Laisse les dépens de première instance et d’appel à la charge de la société Essi Quartz ;
Condamne la société Essi Quartz à payer au conseil de Mme [F] [V] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 pour la procédure d’appel, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l’aide juridictionnelle .
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,