Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRET DU 16 FEVRIER 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/04988 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5ONV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Février 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 15/04271
APPELANT
Monsieur [Z] [R]
[Adresse 2]
[Localité 10]
Représenté par Me Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250
INTIMEES
Me [U] [T] (SCP B.T.S.G.) – Mandataire liquidateur de SAS POLYMONT IT SERVICES
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représenté par Me Carole VILLATA DUPRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0063
Me [O] [I] (SELAFA MJA) – Mandataire liquidateur de SAS POLYMONT IT SERVICES
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Carole VILLATA DUPRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0063
SAS POLYMONT IT SERVICES
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Carole VILLATA DUPRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0063
Association AGS CGEA IDF OUEST UNEDIC, Délégation AGS CGEA IDF OUEST, représentée par ses dirigeants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représentée par Me Christian GUILLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0474
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Carine SONNOIS Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Vice-Présidente faisant fonction de conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
– contradictoire
– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [Z] [R] a été embauché par la société T-SYSTEMS France, par contrat à durée indéterminée du 14 novembre 2005, en qualité de directeur de projet.
Le 6 juin 2013, la société T-SYSTEMS France a cédé sa branche d’activité système intégration à la société NOVA SYSTEM, devenue, en 2015, la S.A.S. POLYMONT IT SERVICES. Le contrat de travail de M. [Z] [R] a été transféré.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale SYNTEC, M. [Z] [R] occupait à compter de 2015, les fonctions de directeur de la division SAP et était membre du comité de direction.
Par courrier remis en mains propres contre décharge du 28 mai 2015, M. [Z] [R] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 9 juin 2015.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 22 juin 2015, la société POLYMONT IT SERVICES a notifié à M. [Z] [R] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
« (‘) Vous avez débuté vos fonctions au sein de l’entreprise T-SYSTEMS France le 14 novembre 2005 en qualité de « Directeur de Projet ».
Du fait du rachat des activités SI de la Société T-SYSTEMS France par la société NOVIA SYSTEMS le 6 juin 2013, votre contrat de travail a été automatiquement transféré à cette dernière. Depuis cette date, vous êtes donc salarié de notre Société.
Depuis novembre 2013, une Citroën C4 Picasso Diesel a été mise à votre disposition par l’entreprise, comme voiture de fonction.
Le 4 mai 2015, le Directeur Général a consacré du temps pour la validation de certaines notes de frais dont les vôtres.
Il a immédiatement remarqué un fait étrange qui avait eu lieu le 2 mars 2015. En l’occurrence, une vidange de réservoir essence que vous cherchiez à vous faire rembourser à travers une note de frais, alors que le véhicule mis à votre disposition est un véhicule diesel.
Ce point ayant attiré son attention, il a cherché à comprendre puis a constaté un nombre de pleins de carburant surprenants.
Il m’a demandé de faire un audit global de votre consommation essence depuis Janvier 2014.
Le véhicule mis à votre disposition pour vos déplacements professionnels est un véhicule diesel or, il apparaît, dans vos notes de frais, des pleins de carburant non seulement en Diesel mais également en Sans Plomb 98.
Vous avez justifié l’utilisation de ces deux carburants en expliquant que vous utilisiez un scooter personnel qui roule avec du Sans Plomb 98 pour effectuer certains déplacements professionnels.
Nous n’avons de notre côté aucune trace d’un quelconque accord de notre part pour l’utilisation de votre véhicule personnel alors même que nous vous mettons à disposition un véhicule de fonction et que c’est ce véhicule que vous devez utiliser à l’exclusion de tout autre et ce pour des problèmes évidents d’assurance.
En tout état de cause, il apparaît une consommation totale de carburant incompatible avec la distance domicile travail (Aller/Retour) y compris quelques déplacements professionnels, étant souligné que vos fonctions nécessitent peu de déplacements professionnels.
En effet, vous avez demandé le remboursement, en moyenne, de quatre pleins de Sans Plomb 98 par mois auxquels s’ajoutent entre un et deux pleins de Gas-oil également par mois.
Si nous rapprochons ces données des informations sur la consommation fournies par les constructeurs, cela représenterait au total entre 1 600 et 2 000 km par mois.
Or, votre déplacement domicile-Travail (Aller/Retour) est de 48 km par jour et donc de 865 km (sur une base de 18 jours ouvrés en moyenne avec les congés).
Vous auriez donc effectué chaque mois selon vos affirmations environ entre 735 et 1 135 km de déplacements professionnels complémentaires, ce qui est totalement impossible eu égard à votre rôle de Directeur de Division, en 2015, comme celui de Directeur de Projet en 2014, lesquels n’appellent pas de nombreux déplacements professionnels. Vos actions sur les avant-ventes non plus.
Lorsque je vous ai demandé lors de l’entretien de me justifier quels déplacements clientèle vous aviez faits chaque mois, vous êtes resté très évasif et vous avez avancé uniquement quelques déplacements pour Groupama ou SERENA dans les Hauts de Seine (11,5 km), ainsi que deux déplacements à [Localité 11], alors même que vous saviez pertinemment que vous aviez réalisé certains de ces déplacements à [Localité 11] en transport en commun RER, pour lesquels vous avez établi des notes de frais que nous vous avons remboursées.
Vous ne nous avez donc pas justifié, que cela soit lors de l’entretien, ni postérieurement, vos déplacements au regard du nombre conséquent de pleins effectués, alors que nous vous avons laissé le temps nécessaire entre l’entretien du 9 juin 2015 et l’envoi de la présente.
Nous considérons donc que vous vous faites rembourser des frais personnels par l’entreprise ce qui est contraire au mode de fonctionnement de toute entreprise, les règles de remboursement de frais étant identiques pour tous les collaborateurs c’est-à-dire:
– Tous les frais professionnels, dont les remboursements sont demandés, doivent avoir été engagés dans l’intérêt de l’entreprise et dans le cadre de l’exécution du contrat de travail.
– Les dépenses personnelles ne peuvent pas faire l’objet d’une demande de remboursement de frais.
L’article 8 de votre contrat de travail est très clair sur ce point et vous ne pouvez nier le
connaître.
De surcroît, dans le cadre de l’audit global sur vos déclarations de frais, il a été découvert des anomalies concernant les demandes de remboursement de frais d’essence :
– Pleins réalisés pendant les week-ends, non cohérents par rapport aux déplacements professionnels :
– 4 janvier 2014
– 1 février 2014
– 22 février 2014
– 15 mars 2014
– 6 avril 2014
– 15 juin 2014
– 10 janvier 2015
– 31 janvier 2015
– 28 février 2015
– Pleins effectués pendant les congés ou RTT, non cohérents par rapport aux déplacements professionnels :
– 20 février 2014
– 4 avril 2014
– 18 avril 2014
– 22 décembre 2014 – Pleins veille ou retour de vacances :
– 28 mai 2014
– 9 octobre 2014
– 22 décembre 2014
– Deux pleins faits le même jour pour deux types de carburants : le 7 novembre 2014
– Vous avez même déclaré la fameuse vidange de votre réservoir essence de votre véhicule personnel suite à votre erreur, comme frais professionnel pour un remboursement, et les deux pleins associés.
Ces faits constituent un manquement aux obligations de bonne foi, de probité et de loyauté.
Ce sont des malversations au préjudice de l’entreprise. Vous avez donc volontairement spolié celle-ci et qui plus est de manière récurrente depuis janvier 2014, soit sur dix-huit mois.
Un tel comportement est tout à fait inadmissible compte tenu tant de votre ancienneté, de votre expérience que de vos responsabilités en tant que manager.
Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés nous ne pouvons maintenir votre contrat de travail.
En conséquence, nous vous notifions votre licenciement pour faute grave interdisant votre maintien même temporaire, au sein de notre société (‘). »
Contestant son licenciement pour faute grave, M. [Z] [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 28 septembre 2015.
Par jugement du 1er février 2018, notifié à M. [Z] [R] par courrier daté du 13 mars 2018, le conseil de prud’hommes de Bobigny a :
-mis hors de cause l’AGS CGEA IDF OUEST ;
-confirmé le licenciement pour faute grave de M. [Z] [R] :
-débouté M. [Z] [R] de l’ensemble de ses demandes ;
-débouté la S.A.S POLYMONT IT SERVICES de la demande reconventionnelle de frais irrépétibles ;
-condamné M. [Z] [R] aux entiers dépens.
M. [Z] [R] a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée par voie électronique le 6 avril 2018.
Par jugement du 9 janvier 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résolution du plan de redressement, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la SAS POLYMONT IT SERVICES et désigné la SCP BTSG en la personne de Maître [T] [U], et la SELAFA MJA, en la personne de Maître [I] [O], en qualité de mandataires judiciaires liquidateurs.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 17 décembre 2020, M. [Z] [R] demande à la cour de :
– le recevoir en ses écritures, le dire bien fondé et faire droit à ses demandes ;
– dire la SCP BTSG et la SELAFA MJA, en qualité de liquidateurs judiciaires de la société POLYMONT IT SERVICES mal fondées dans l’intégralité de leurs conclusions et les débouter de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
En conséquence,
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 01 février 2018 ;
– dire que le licenciement de M. [Z] [R] est sans cause réelle et sérieuse ;
– fixer les créances suivantes au passif de la société POLYMONT IT SERVICES :
* 21 713,16 euros au titre de l’indemnité de licenciement ;
* 21 126,32 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
* 2 112,63 euros au titre des congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis ;
* 5 385,93 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 25 mai au 24 juin 2015 (période de mise à pied conservatoire) ;
* 525,11 au titre des congés payés afférents la période du 25 mai au 24 juin 2015 (période de mise à pied conservatoire) ;
* 169 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 1 621,49 euros au titre du remboursement de ses dernières notes de frais ;
dire que les AGS garantiront dans les limites du plafond les créances de M. [Z] [R] au titre de l’intégralité des sommes visées ci-dessus ;
En tout état de cause,
– assortir les condamnations précitées des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes pour les demandes qui ont un caractère salarial, et à compter du – prononcé de la décision à intervenir pour les demandes qui ont un caractère indemnitaire ;
ordonner la remise des bulletins de paie, solde de tout compte, certificat de travail et attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir.
L’appelant fait valoir que :
– le licenciement est sans cause réelle et sérieuse :
– les pratiques contestées par l’employeur pour les besoins de la cause ont toujours été admises au sein de la société ;
– l’accumulation de griefs ne peut pallier leur inconsistance ;
– pendant près de 10 ans, aucun reproche n’a été adressé à M. [R] ;
– le salarié utilisait de manière alternative et depuis de nombreuses années son véhicule mis à disposition par son employeur (diesel) et également un scooter (SP 98), d’où les notes de frais « SP 98 », cette situation ayant été entérinée par l’ancien supérieur hiérarchique ;
– la société a toujours procédé au remboursement des notes de frais « SP 98 », de sorte qu’elle avait connaissance avant mai 2015 des faits qu’elle reproche au salarié afin de justifier la faute grave ;
– M. [R] avait souscrit une assurance à titre professionnel pour son scooter ;
– la note de frais relative à une vidange de réservoir essence s’explique par le fait que M. [R] a, par inadvertance, rempli le réservoir de son véhicule mis à disposition par son employeur avec de l’essence et non du diesel ; la société a spontanément pris à sa charge cette note de frais ;
– le salarié pouvait utiliser le véhicule mis à disposition par son employeur à des fins personnelles et il n’était pas expressément interdit de se faire rembourser des frais de carburant durant ses jours de congés ;
– le salarié a reconstitué son activité à partir d’une sauvegarde faite de son ordinateur professionnel et il ressort que seulement 4 916 km (environ 465 euros) n’ont pu être justifiés du fait notamment des embouteillages entraînant une consommation excessive de carburant et du fait qu’il n’était pas soumis à un rapport d’activité ;
– M. [R] a été licencié pour des raisons économiques et en vue d’une réorganisation, la société étant en difficulté financière depuis 2014 ;
– il sollicite la fixation au passif de la société POLYMONT IT SERVICES de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de l’indemnité de licenciement avec demande de rappel de salaires au titre de la mise à pied à titre conservatoire et dommages et intérêts au titre de la rupture brutale et vexatoire.
Par ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 18 février 2021, l’AGS CGEA IDF OUEST demande à la cour de :
– déclarer irrecevable et mal fondé M. [Z] [R] en son appel ainsi qu’en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Dès lors,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;
– dire que la garantie de l’AGS, si elle devait être mobilisée, sera limitée à ses plafonds et aux dispositions conjointes des articles L.3253-6 à L.3253-17 inclus du code du travail ;
– statuer ce que de droit quant aux dépens.
L’intimé fait valoir que :
-l’appel formé à l’encontre de l’AGS est irrecevable dans la mesure où les
demandes formées en cause d’appel sont nouvelles (article 564 du code de
procédure civile) :
*aucune demande n’a été formulée à l’encontre de l’AGS en première
instance ;
-la demande de mise en cause de l’AGS pour la première fois en appel est irrecevable.
la garantie de l’AGS doit être limitée à ses plafonds.
La SCP BTSG et la SELAFA MJA, en qualité de liquidateurs judiciaires de la société POLYMONT IT SERVICES, n’ont pas conclu à l’instance d’appel.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 novembre 2022.
L’affaire était fixée à l’audience du 29 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
1 ‘ sur l’irrecevabilité de l’appel formé à l’encontre de l’AGS
L’AGS soutient qu’en vertu des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile, M. [R] ne saurait former une demande d’opposabilité de l’arrêt à intervenir à l’encontre de l’AGS, dans la mesure où cette demande est constitutive d’une demande nouvelle prohibée par l’article 564 du code de procédure civile, et que dès lors, elle doit être mise hors de cause.
Aux termes de l’article L.625-3 du code de commerce qui est d’ordre public, les instances en cours devant la juridiction prud’homale à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective ne sont ni interrompues, ni suspendues, mais sont poursuivies en présence du mandataire judiciaire ou du liquidateur e t de l’AGS. De plus, l’obligation de l’AGS de garantir les créances résultant du contrat de travail résulte de la loi et s’exerce selon les modalités et dan s les conditions prévues par les articles L.3253-1 et suivants du code du travail dans sa version applicable à la cause.
En l’espèce, la saisine du conseil de prud’hommes a été faite alors que la société POLYMONT IT SERVICES était in bonis, et l’assignation en intervention forcée de l’AGS a été effective en cours de procédure consécutivement à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société employeur.
Il convient donc de rejeter le moyen soulevé.
2 ‘ sur le licenciement
Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’établir la réalité des griefs qu’il formule.
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Aux termes de la lettre de licenciement, l’employeur fait grief à M. [R] de s’être fait rembourser des frais personnels en violation des dispositions de l’article 8 de son contrat de travail.
Il lui est plus précisément reproché d’avoir demandé le remboursement, en moyenne, de quatre pleins de sans plomb 98 par mois, en plus d’un ou deux pleins de gas-oil par mois, alors qu’un véhicule diesel était mis à sa disposition par l’entreprise, comme voiture de fonction. Celui-ci ayant expliqué qu’il utilisait son scooter personnel qui roule avec du sans plomb 98 pour effectuer certains déplacements professionnels, l’employeur souligne n’avoir aucune trace d’un quelconque accord pour l’utilisation de ce véhicule et observe que la consommation totale de carburant est incompatible avec la distance domicile travail, même en incluant quelques déplacements professionnels. Enfin, l’audit global des déclarations de frais a permis de mettre en évidence des demandes de remboursement de pleins d’essence réalisés, soit pendant le week-end, soit pendant des congés ou RTT, soit la veille ou au retour de vacances, voire le même jour pour deux types de carburant. L’employeur relève que M. [R] a même déclaré la vidange du réservoir de son véhicule personnel comme frais professionnels, suite à une erreur, pour en obtenir le remboursement, outre deux pleins d’essence associés.
Le salarié objecte que depuis de nombreuses années, il utilise de manière alternative un véhicule personnel deux-roues pour lequel il est assuré à titre professionnel et qui roule avec du sans plomb 98, et son véhicule de fonction, et que cette situation avait été entérinée par son ancien supérieur hiérarchique. Il soutient qu’il n’a jamais outrepassé les droits qu’il avait toujours eus et que la moyenne de ses frais divers véhicule incluant les frais de carburant et de nettoyage était inférieure au plafond de la carte carburant. Il ajoute, s’agissant de l’utilisation du véhicule de fonction pendant ses congés, week-end ou jour de RTT, qu’il bénéficie d’un avantage en nature lui permettant de l’utiliser à des fins personnelles, et qu’il ne lui a jamais été interdit de se faire rembourser ses frais de carburant au titre de ses déplacements extra hebdomadaires. D’ailleurs, aucune mention dans son contrat de travail ne mentionne une telle interdiction.
A l’appui de ses affirmations selon lesquelles la société avait connaissance de l’utilisation de son scooter pour ses déplacements et admettait qu’il puisse obtenir remboursement des pleins d’essence pour ce véhicule, M. [R] produit trois attestations :
– M. [K], qui était son supérieur hiérarchique jusqu’en janvier 2011, indique que celui-ci a bénéficié d’un véhicule de fonction au titre d’avantage en nature à compter de juillet 2009, avec une carte de carburant, et qu’il était d’usage et toléré à son époque que cette carte soit utilisée en dehors des heures de travail y compris pendant les congés, sous réserve que le plafond mensuel de 440 euros ne soit pas dépassé, sauf accord hiérarchique, que la carte carburant ne soit pas utilisée pendant la période des congés d’été, et que cette tolérance ne s’appliquait qu’aux salariés bénéficiant d’un avantage en nature véhicule mentionné sur le bulletin de paie. Il ajoute qu’il était connu de tous que M. [R] utilisait son scooter en alternance avec le véhicule de fonction et remettait des notes de frais pour le remboursement du carburant essence, en plus de l’utilisation de la carte carburant diesel.
– Mme [W], directrice des ressources humaines jusqu’en octobre 2010, confirme qu’en accord avec son manager et en continuité d’accord antérieur à son arrivée, M. [R], utilisant un véhicule deux-roues pour ses déplacements professionnels, était autorisé à se faire rembourser en note de frais, l’essence pour celui-ci.
– M. [P], directeur administratif et financier depuis novembre 2012, atteste qu’il était toléré que M. [R] obtienne remboursement des frais d’essence pour son scooter sur présentation des justificatifs et validation de son responsable hiérarchique, alors qu’il disposait en plus d’une carte gas oil, pour son véhicule de fonction.
Selon l’article 8 du contrat de travail relatif aux frais professionnels, » la société remboursera sur présentation de justificatifs, dans les conditions et selon le barème en vigueur dans la société, l’ensemble des frais professionnels que le salarié aura engagés dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions, sous réserve qu’ils aient reçu l’accord préalable de la hiérarchie » et l’article 9 précise que » si le salarié utilise sa voiture personnelle pour ses déplacements professionnels réguliers, il est tenu de contracter tant pour son compte personnel que pour celui de la société, une assurance’ pour ses déplacements professionnels, le salarié s’interdit d’utiliser tout autre véhicule qui ne serait pas assuré dans les conditions ci-dessus « .
S’il ressort des attestations que les conditions d’utilisation des véhicules de fonction étaient très larges avant la reprise par la société Novia, la charte du conducteur élaborée par la société T-systems était pourtant plus restrictive (pièce appelant 5-2) puisqu’elle prévoyait que les frais liés aux déplacements personnels (gasoil, péage’) étaient à la charge du collaborateur (week-ends, jours fériés et congés).
La société Novia a mis en place, dès son arrivée, des conditions différentes, comme cela ressort du mail daté du 11 juin 2013 informant que la carte essence n’était plus utilisable et que leurs titulaires devaient garder l’ensemble des justificatifs de frais réels d’essence pour les joindre à une note de frais mensuels.
Cette question du remboursement des frais de carburant a été évoquée lors de la réunion avec les délégués du personnel d’octobre 2013 puis lors du comité d’entreprise du 18 octobre 2013, la direction faisant alors savoir que, si les frais de carburant continuaient à être remboursés dans le respect de l’esprit de la charte d’utilisation des véhicules de fonction, des contrôles seraient opérés afin de déceler et mettre fin à des demandes de remboursement déviantes et donc non conformes à cet esprit, et indiquant même : « une chose a disparu, c’est clair, c’est qu’on ne rembourse plus les pleins d’essence pendant les vacances et les frais d’utilisation personnelle des voitures, parking, péages, etc…, pendant le week-end ».
Pourtant, lors du comité d’entreprise du 29 septembre 2015, la direction indiquait : « les collaborateurs peuvent utiliser le véhicule de fonction pendant la semaine, le week-end, les vacances. Tout cela représente un avantage en nature puisqu’ils peuvent s’en servir à titre personnel» (page 21). À la question de savoir si une personne bénéficiaire d’un véhicule de fonction pouvait utiliser sa carte de carburant pour un autre véhicule, la direction répondait par la négative (page 21) et ajoutait ensuite que « quand un collaborateur part en vacances, il paie le carburant avec cette carte». Enfin, la direction rappelait qu’ « il est indiqué dans le formulaire de remise que l’utilisation du véhicule de fonction à titre personnel est autorisée, mais que le collaborateur doit supporter les charges de parking et de péages lors de l’utilisation à titre personnel ».
La cour note que l’employeur ne produit ni charte d’utilisation ni formulaire de remise, et se réfère dans ses pièces à un ancien document élaboré par la société T-systems intitulé « Politique utilisation des véhicules » (pièce 6 intimée), qui mentionne que le collaborateur est autorisé à utiliser le véhicule qui lui est confié pour tous ses déplacements, qu’ils soient de nature professionnelle ou de nature personnelle, et qu’il est interdit d’utiliser la carte essence pour un autre véhicule que ce véhicule de fonction, document dont il n’est pas justifié qu’il aurait été remis à M. [R].
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la question de l’utilisation des véhicules de fonction a donné lieu à débat jusqu’en septembre 2015, les pratiques ayant tendance à s’écarter des principes parfois contradictoires édictés au fil du temps, et que l’employeur ne produit aucun document notifié à M. [R] précisant clairement les conditions dans lesquelles il pouvait utiliser son véhicule de fonction et demander le remboursement de ses frais d’essence, tandis que M. [R] justifie avoir présenté des notes de frais, qui pour certaines d’entre elles ont été validées par son supérieur (pièce 27 et 28-1 appelant) sans que leur remboursement ne soit remis en cause.
Pour autant, M. [R] se devait de ne solliciter la prise en charge que des frais professionnels « engagés dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions », comme mentionné dans son contrat de travail.
L’employeur a synthétisé dans un tableau récapitulant pour les mois de janvier à décembre 2014, les quantités de gas-oil et d’essence dont le remboursement était sollicité et le kilométrage pouvant être réalisé avec de telles quantités, et il apparaît que M. [R] pouvait ainsi parcourir mensuellement entre 1 200 et 2 300 kilomètres, soit un kilométrage supérieur au trajet entre son domicile et son travail et incompatible avec une utilisation alternative du véhicule de fonction et du scooter. Il estime que M. [R] a fait prendre en charge entre 730 et 1135 kilomètres de déplacements complémentaires.
Ces chiffres ne sont pas contestés par M. [R] qui a reconstitué son activité et admet qu’il ne peut apporter de justificatifs pour un peu moins de 5000 kilomètres, tout en précisant qu’il a pu omettre dans son calcul certains déplacements professionnels et que les embouteillages en région parisienne peuvent entraîner une surconsommation.
Prenant en compte cette réponse faite par M. [R] aux calculs réalisés par son employeur, la cour retient qu’il a sollicité la prise en charge de pleins d’essence pour des trajets qui ne pouvaient être seulement ceux réalisés entre son domicile et son travail ou en lien avec des rendez-vous professionnels. La société Polymont n’a jamais chiffré le préjudice financier qui en serait découlé.
La cour ayant précédemment considéré que M. [R] n’avait pas été clairement avisé des conditions de prise en charge des frais de carburant, notamment pour les trajets personnels effectués avec le véhicule de fonction, alors qu’une pratique beaucoup plus conciliante existait depuis plusieurs années, qu’il ressort d’attestations qu’il utilisait son scooter pour se rendre au travail, que ces frais ont continué à lui être remboursés après validation de son supérieur et que l’ampleur du préjudice n’est pas déterminée, elle retient que les faits tels que repris dans la lettre de licenciement ne peuvent caractériser un comportement fautif incompatible avec le maintien du salarié dans l’entreprise et le licenciement sera déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a dit le licenciement bien fondé sur une faute grave et débouté M. [R] de l’ensemble de ses demandes indemnitaires ainsi que de sa demande de délivrance de documents de fin de contrat rectifié sous astreinte.
Aux termes de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L 1234-9 du code du travail.
Compte tenu de l’ancienneté de M. [R] (9 ans), de son salaire mensuel brut (7 042,11 euros), de son âge lors du licenciement (58 ans) et de l’impossibilité encore actuelle de retrouver un emploi, il lui sera alloué une indemnité de licenciement abusif arbitrée à 70 421 euros (10 mois de salaire).
3 ‘ sur l’indemnité de préavis et l’indemnité de licenciement
Conformément à l’article 15 de la convention collective nationale des Bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils, M. [R] sollicite une indemnité de préavis égale à 3 mois de salaire, soit 21 126,32 euros, outre 2 112, 63 euros au titre des congés payés afférents.
Cette même convention prévoyant que le montant de l’indemnité de licenciement est d’un tiers de mois par année de présence, plafonnée à 12 mois de salaire, M.[R] sollicite la somme de 21 713,16 euros.
Il sera fait droit à ses demandes qui sont justifiées.
4 ‘ sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire
M. [R], qui a été mis à pied à compter du 28 mai 2015 jusqu’à la notification de son licenciement, sollicite la somme de 5 251,08 euros correspondant à la retenue sur salaire figurant sur son bulletin de paie du mois de juin 2015, ainsi qu’une somme de 134,85 euros au titre de son avantage en nature également retenu, soit au total 5 385,93 euros outre 525,11 euros au titre des congés payés afférents.
Il sera fait droit à sa demande qui est bien-fondée.
5 ‘ sur le remboursement de frais
M. [R] réclame le remboursement de ses dernières notes de frais. Certaines, d’un montant total de 599,61 euros, ont été déposées auprès de la responsable de la gestion du personnel, tandis que deux autres, d’un montant total de 1 021,88 euros, sont sollicitées auprès de la cour.
Cependant, ses demandes étant justifiées à partir de tableaux et non à partir des pièces justificatives, la cour ne peut y faire droit. En conséquence, M. [R] sera débouté.
6 ‘ sur les autres demandes
Il sera ordonné à la SCP BTSG en la personne de Maître [T] [U], et à la SELAFA MJA, en la personne de Maître [I] [O], en qualité de mandataires judiciaires liquidateurs de la SAS POLYMONT IT SERVICES, de délivrer à M. [R] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, des bulletin de paie, solde de tout compte, certificat de travail et attestation Pôle Emploi rectifiés conformément à la décision.
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2015, date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et ce, jusqu’au 9 janvier 2020, date à laquelle l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la a opéré arrêt du cours des intérêts légaux, en application des dispositions de l’article L.621-48 du code de commerce.
Les dépens sont fixés au passif de la liquidation judiciaire de la société SAS POLYMONT IT SERVICES qui succombe.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette le moyen tendant à l’irrecevabilité de l’appel formé par M.[R] à l’encontre de l’AGS-CGEA d’Ile-de-France Ouest
Dit le licenciement de M. [Z] [R] dépourvu de cause réelle et sérieuse
Fixe les créances de M. [Z] [R] au passif de la SAS POLYMONT IT SERVICES représentée par la SCP BTSG en la personne de Maître [T] [U], et la SELAFA MJA, en la personne de Maître [I] [O], en qualité de mandataires judiciaires liquidateurs, aux sommes suivantes :
– 70 421 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
– 21 126,32 euros à titre d’indemnité de préavis
– 2 112, 63 euros au titre des congés payés afférents
– 21 713,16 euros à titre d’indemnité de licenciement
– 5 385,93 euros au titre du rappel de salaire
– 525,11 euros au titre des congés payés afférents
Ordonne à la SCP BTSG en la personne de Maître [T] [U], et à la SELAFA MJA, en la personne de Maître [I] [O], en qualité de mandataires judiciaires liquidateurs de la SAS POLYMONT IT SERVICES, de délivrer à M. [R] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, des bulletin de paie, solde de tout compte, certificat de travail et attestation Pôle Emploi rectifiés conformément à la décision,
Déclare le présent arrêt opposable à l’AGS-CGEA d’Ile-de-France Ouest dans les limites de sa garantie légale, laquelle ne comprend pas l’indemnité de procédure, et dit que cet organisme ne devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement,
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2015, date de réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et ce, jusqu’au 9 janvier 2020, date à laquelle l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la a opéré arrêt du cours des intérêts légaux, en application des dispositions de l’article L.621-48 du code de commerce.
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SAS POLYMONT IT SERVICES représentée par la SCP BTSG en la personne de Maître [T] [U], et la SELAFA MJA, en la personne de Maître [I] [O], en qualité de mandataires judiciaires liquidateurs, aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE