Retenues sur salaire : 15 juin 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00706

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Retenues sur salaire : 15 juin 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00706

DLP/CH

S.A.R.L. ACD [H]

C/

[Y] [I]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00706 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FZUG

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHALON SUR SAONE, section Commerce, décision attaquée en date du 02 Septembre 2021, enregistrée sous le n° F20/00001

APPELANTE :

S.A.R.L. ACD [H]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Annabelle BAROCHE, avocat au barreau de BESANÇON

INTIMÉE :

[Y] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Jérôme DUQUENNOY de la SELAS ADIDA ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Mai 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

Mme [I] a été engagée par la SARL ACD [H] (ACD) à compter du 2 septembre 2016, en qualité de chauffeur de taxi, par contrat à durée indéterminée à temps partiel d’une durée de 26 heures hebdomadaires.

Par avenant du 1er novembre 2016, elle est passée à temps plein.

Par lettre recommandée du 30 juillet 2019, Mme [I] a été licenciée pour faute grave.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes le 2 janvier 2020 aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse, obtenir le paiement des indemnités afférentes, outre un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire.

Par jugement du 2 septembre 2021, le conseil de prud’hommes a fait droit à ses demandes.

Par déclaration enregistrée le 13 octobre 2021, la société ACD a relevé appel de cette décision.

Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 mars 2022, elle demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

– dire et juger que le licenciement de Mme [I] repose sur une faute grave,

En conséquence,

– ordonner le remboursement des sommes perçues par Mme [I] au titre de l’exécution provisoire du jugement prud’homal infirmé, dans un délai de trois mois suivant la notification de l’arrêt à intervenir,

– débouter Mme [I] de toutes demandes,

– condamner Mme [I] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

– réduire le montant des dommages et intérêts alloués à Mme [I] à de plus justes proportions.

Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 10 janvier 2022, Mme [I] demande à la cour de :

– confirmer le jugement, sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la SARL ACD [H] à lui payer la somme de 5 922,70 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– subsidiairement, en cas d’infirmation, dire et juger qu’elle n’a commis aucune faute grave,

– en conséquence, condamner la SARL ACD [H] à lui payer les sommes suivantes :

* 846,10 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 3 384,40 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

* 338,44 euros à titre de congés payés afférents,

* 919,15 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

* 81,92 euros au titre de congés payés sur mise à pied conservatoire,

En tout état de cause :

– condamner enfin la SARL ACD [H] à lui payer une somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LE BIEN-FONDÉ DU LICENCIEMENT

Mme [I] soutient que l’employeur ne rapporte pas la preuve des griefs invoqués à son encontre.

En réponse, la société ACD fait valoir que ses pièces attestent de la matérialité et de la gravité des faits reprochés à la salariée.

Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Il est en outre constant que lorsque les juges considèrent que les faits invoqués par l’employeur ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si ces faits n’en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Ici, Mme [I] a été licenciée pour faute grave aux termes d’une lettre qui fixe les limites du litige et lui reproche les griefs suivants :

1 – Sur le non-respect des règles du code de la route

L’employeur reproche à Mme [I] des manquements au code de la route, plus précisément le fait d’envoyer de nombreux SMS à partir de son téléphone professionnel pendant qu’elle conduit et de rouler à des vitesses excessives. Il verse à l’appui des attestations (pièces 2, 4, 5, 6, 7 et 8), un procès-verbal de constat d’huissier (pièce 3) et les factures de la ligne téléphonique de la salariée (pièce 10).

Le procès-verbal de constat est relatif à un SMS envoyé par Mme [I] à sa direction le 25 juin 2019 dans lequel elle écrit : « j’ai envoyé message avec un gamin à l’arrière, c’est pas sérieux … et encore un avertissement pr moi. Décidément ».

S’agissant des factures de téléphone de l’intéressée, elles confirment l’envoi de SMS pendant les temps de travail et, par suite, pendant les temps de conduite professionnels.

Quant aux attestations, elles évoquent « une conduite et une attitude fort désagréable » de Mme [I], le fait que « des clients se sont plaints de sa conduite », de ce qu’elle « roule vite » ou « assez vite » et qu’elle est « souvent » ou « sans arrêt » au téléphone au volant, sans toujours regarder la route. Ces témoignages sont concordants et viennent confirmer les reproches formés à l’encontre de Mme [I] sur sa conduite automobile en présence de clients.

Les griefs, plus particulièrement celui d’envoyer de nombreux SMS à partir de son téléphone professionnel pendant la conduite automobile, sont donc établis et le fait de ne pas avoir reçu de procès-verbal pour des infractions au code de la route n’implique pas que des infractions n’ont pas eu lieu. Au surplus, l’employeur établit par des attestations (pièces 13 à 15) qu’il n’a pas incité ses salariés à rouler vite, ni leur a demandé d’échanger leurs points de permis de conduire.

2 – Sur l’attitude irrespectueuse à l’égard de certains clients

L’employeur fonde ce grief sur plusieurs attestations (pièces 2, 4 à 6, 8, 9, 16 à 18) tandis que Mme [I] réplique en produisant des témoignages de son professionnalisme (pièces 8 à 21).

Il doit être relevé, avec l’employeur, que les qualités professionnelles de la salariée ne sont pas remises en cause vis-à-vis de l’intégralité des clients mais seulement à l’égard de certains d’entre eux.

Ainsi, M. [N], ancien salarié de la société ACD, rapporte le mécontentement que lui ont exprimé certains clients qui ont fait du « comportement inadapté » de Mme [I] concernant « sa conduite, son manque d’accompagnement, son utilisation du portable à des fins personnelles ».

M. [K], gérant de la SARL Taxi [K], qui a sous-traité des courses à la société ACD indique le 10 juin 2019 :

« Le souci est qu’elle a eu une conduite et une attitude fort désagréable. Mes clients m’en ont informé et m’ont dit que si un jour cette personne revenait les chercher, ils refuseraient de monter dans le taxi.

Je me vois donc dans l’obligation de vous demander de bien vouloir ne plus envoyer Mme [I] lorsque je vous appelle pour nous dépanner sinon je me verrai contraint de mettre un terme à notre collaboration ».

De plus, quatre clients ([D], [R], [J], [C]) témoignent de l’attitude désagréable de Mme [I] (pièces 4, 5, 8 et 18 de l’employeur).

Par ailleurs, Mme [O], salariée du centre hospitalier de [Localité 5], critique les conditions de prise en charge des patients par Mme [I] et l’attitude de cette dernière à son arrivée à l’établissement de soins lorsque Mme [O] accompagne des patients pour être installés dans le taxi. Elle indique (pièce 9) : « Pas de bonjour systématique, manque d’empathie envers les personnes qui présentent un manque de communication, ou absence de communication lorsqu’une personne lui posait une question ».

Il en ressort la preuve que Mme [I] pouvait se montrer très professionnelle à l’égard de certains clients, comme en attestent les attestations qu’elle verse aux débats, mais également beaucoup moins professionnelle à l’égard d’autres clients.

Ce grief est également établi.

3 – Sur les absences non-autorisées

La société ACD reproche à Mme [I] de s’absenter de son poste de travail en raison de contraintes personnelles, sans solliciter au préalable l’autorisation de sa direction. Elle vise les journées des 4 et 12 juillet 2019.

Mme [I] répond qu’elle a toujours pris soin de solliciter en avance des autorisations d’absence.

Il convient de relever, avec la salariée, que l’employeur n’a jamais manifesté d’opposition aux demandes d’autorisation d’absence formées par la salariée et que ses bulletins de salaire établissent qu’elle n’a pas été absente de manière injustifiée, aucune retenue sur salaire n’ayant été opérée, ni aucun rappel à l’ordre à ce titre.

Ce grief n’est donc pas suffisamment établi.

4 – Sur les injures envers la direction

Il est reproché à Mme [I] son attitude agressive et injurieuse à l’égard de la direction.

Il ressort de la pièce 3 (constat d’huissier) de l’employeur que la salariée l’a qualifié par SMS d’ « enflure », ou encore d’ « enfoiré » et que, par texto du 21 mai 2019, elle a indiqué à M. [H] : « Change de ton tu veux ‘ on peut pas être dispo sans arrêt putain. Ca m’a foutu dans la merde » (page 87 du constat).

M. [N] témoigne quant à lui du « manque de respect » de la salariée à l’endroit de certains de ses collègues et de son employeur. Il précise : « en lui tournant le dos volontairement lors de réunions de toute l’équipe ».

Mme [R] atteste pour sa part en ces termes : « Un jour, je me trouvais au bureau, quand j’ai remarqué qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas, Mme [I] est entrée comme un courant d’air poser ses papiers, et le pire aucune politesse envers son patron Mr [H] qui était présent dans le bureau, cela m’a mis hors de moi et j’ai été outrée de son comportement envers son patron ».

Toutefois, les propos rapportés dans le constat d’huissier et dans la lettre de licenciement résultent d’échanges privés, hors cadre professionnel, entre Mme [I] et son compagnon et non d’échanges entre la salariée et son employeur. De plus, les deux attestations sont imprécises sur la date des faits, ce qui ne permet pas à la cour de s’asssurer de la non-prescription de l’engagement de la procédure de licenciement concernant les injures dénoncées.

La cour en déduit que ce grief n’est pas suffisamment établi.

5 – Sur le refus d’exécuter les directives

L’employeur reproche à Mme [I] d’avoir, le 12 juillet 2019, refusé de déposer son taxi à l’endroit qui lui avait été indiqué, à savoir au siège social de la société situé au domicile de M. [H], et d’avoir finalement laissé le taxi à proximité de l’agence de la société de [Localité 6], en emportant les clés du véhicule avec elle.

Or, ce grief est inconsistant dès lors que la société ACD ne justifie pas de consignes écrites de stationner le véhicule au siège social de l’entreprise mais se réfère à un prétendu usage. Elle se fonde sur 3 attestations (pièces 13, 14 et 16) et sur le procès-verbal de constat. Cependant, il ne saurait s’en déduire l’existence d’un usage qui se doit, pour revêtir cette qualification, d’être général, constant et fixe. De plus, le SMS visé dans le constat est imprécis puisqu’il indique « dans la cour comme d’habitude stp ».

Il est encore fait grief à la salariée d’avoir transmis tardivement ses feuilles de route en violation de la demande qui lui avait été faite le 15 juillet 2019. Or, Mme [I] a été mise à pied à cette date, et l’employeur ne reprend pas ni n’explicite ce grief dans ses conclusions.

L’insubordination n’est donc pas suffisamment caractérisée.

6 – Sur l’utilisation du téléphone professionnel à des fins personnelles

Mme [I] ne conteste pas la matérialité de ce grief mais prétend que l’usage du téléphone professionnel pour un usage personnel est toléré, voire autorisé. Elle verse aux débats l’attestation en ce sens de Mme [T], conseiller du salarié, qui l’a assistée lors de l’entretien préalable et dont les propos sont contestés par la société ACD.

L’employeur produit quant à lui une note de service du 19 mars 2019 indiquant que :

« 3. L’usage du téléphone pro est strictement réservé à un usage professionnel ».

Il doit toutefois être relevé avec la salariée que la note de service ajoute :

« 5. Les conversations téléphoniques privées sont admises et elles doivent rester limitées ou écourtées en présence des clients dans les véhicules, de même que les sms non professionnels ».

Il en ressort que, contrairement à ce que qu’affirme la société ACD, des conversations personnelles sont tolérées avec le téléphone professionnel à condition qu’il n’en soit pas fait un usage abusif.

A cet égard, le procès-verbal de constat dressé par huissier de justice le 5 juillet 2019 démontre que la salariée a utilisé son téléphone professionnel à des fins personnelles de manière régulière, et non pas exceptionnelle (appels téléphoniques, SMS). L’huissier a ainsi constaté « de fréquents échanges personnels et familiaux » et « plus spécialement un échange de SMS issu de la ligne professionnelle de Mme [I] » qui « apparaissent sur le réseau professionnel au mois de mai 2019 entre Mme [I] et [E] (il m’est indiqué qu’il s’agit du conjoint de Mme [I] [Y]) ». L’étude de la facture de la ligne professionnelle de la salariée confirme également son utilisation du téléphone professionnel à des fins personnelles de manière régulière. Deux clients attestent encore de cette utilisation.

La réalité de ce grief est donc démontrée.

***

En définitive, les griefs valablement établis par l’employeur concernent l’envoi de nombreux SMS à partir du téléphone professionnel de Mme [I] pendant la conduite automobile, son attitude désagréable envers certains clients et l’utilisation abusive de son téléphone professionnel à des fins personnelles.

Ces faits sont constitutifs d’une faute grave de la salariée empêchant son maintien dans l’entreprise. Le jugement déféré sera donc infirmé en ses dispositions contraires.

Le licenciement pour faute grave étant fondé, Mme [I] doit être déboutée de l’ensemble de ses prétentions indemnitaires et de sa demande en paiement d’un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Il n’y a pas lieu d’ordonner la restitution des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l’exécution provisoire, l’obligation de rembourser résultant de plein droit de la réformation de ladite décision.

La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Mme [I], qui succombe, doit prendre en charge les dépens de première instance et d’appel et supporter une indemnité au visa de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais d’avocat engagés tant en première instance qu’à hauteur de cour.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [I] repose sur une faute grave,

Rejette l’intégralité des demandes de Mme [I],

Dit n’y avoir lieu d’ordonner la restitution des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l’exécution provisoire,

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [I] et la condamne à payer en cause d’appel à la société ACD [H] la somme de 2 000 euros,

Condamne Mme [I] aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION

 


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