Retenues sur salaire : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/03841

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Retenues sur salaire : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/03841

N° RG 20/03841 – N° Portalis DBV2-V-B7E-ITRU

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SÉCURITÉ SOCIALE

ARRET DU 15 DÉCEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 03 Novembre 2020

APPELANT :

Monsieur [J] [N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Sébastien MARETHEU de la SELARL ADVOCARE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Société CARRIER TRANSICOLD INDUSTRIES

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me François BOULO, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Jacques DE TONQUÉDEC, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 09 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 09 Novembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 15 Décembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 15 Décembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 25 avril 1994, Mr [J] [N] a été engagé par la société Carrier Transicold Industries ayant pour activité la fabrication d’équipements aérauliques et frigorifiques industriels pour les camions et remorques en qualité de responsable de la formation technique.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [N] occupait un poste de responsable projet industriels Europe, Middle East, Africa et Russie & Asie.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises d’installation sans fabrication, y compris entretien, réparation, dépannage de matériel aéraulique, thermique, frigorifique et connexes.

Le licenciement pour faute grave a été notifié au salarié le 15 juin 2018.

Par requête du 26 septembre 2018, M. [J] [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en contestation de son licenciement et paiement de rappels de salaires et indemnités.

Par jugement du 3 novembre 2020, le conseil de prud’hommes a dit que l’action disciplinaire de la société Carrier Transicold Industries n’est pas prescrite, constaté que M. [N] s’est indûment et frauduleusement fait rembourser des frais professionnels de janvier 2015 à février 2018, constaté que la sanction prise à l’égard de M. [N] est proportionnelle à la faute qui lui est reprochée, dit que le licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre de M. [N] est justifié et en conséquence, débouté M. [N] de l’ensemble de ses demandes à ce titre, constaté que la convention de forfait en jours de M. [N] est valable et qu’en tout état de cause, il ne justifie pas avoir réalisé des heures supplémentaires, constaté que la société Carrier Transicold Industries a respecté la durée légale du travail, et en conséquence, débouté M. [N] de ses demandes à ce titre, rejeté la demande de la société Carrier Transicold Industries de remboursement par M. [N] des sommes de 2 468,39 euros et de 363,34 euros à titre d’intérêts, débouté M. [N] de ses demandes au titre des frais irrépétibles et de l’exécution provisoire, condamné M. [N] à verser à la société Carrier Transicold Industries la somme de 600 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance.

M. [J] [N] a interjeté appel de cette décision le 25 novembre 2020.

Par conclusions remises le 13 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [J] [N] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Carrier Transicold Industries de sa demande de remboursement et de l’infirmer en ce qu’il a dit et jugé que son licenciement pour faute grave justifié, en ce qu’il a jugé que la convention de forfait en jours était valable et en ce qu’il l’a débouté de toutes ses demandes formulées à ce titre, en conséquence, statuant à nouveau,

– à titre principal, dire l’action disciplinaire de l’employeur prescrite, subsidiairement, dire que les griefs reprochés ne sont pas constitutif d’une faute grave ou à titre infiniment subsidiaire, dire qu’il existe une disproportion manifeste entre le comportement reproché au salarié et la sanction de licenciement disciplinaire pour faute grave,

– en conséquence, dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié le 15 juin 2018 et condamner la société Carrier Transicold Industries à lui payer les sommes suivantes :

indemnité conventionnelle de licenciement : 144 800,56 euros ;

indemnité compensatrice de préavis : 30 004,26 euros ;

indemnité de congés payés sur préavis : 3 000,43 euros ;

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 174 024,85 euros ;

rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire : 8 145,90 euros

– condamner la société Carrier Transicold Industries à lui payer la somme de 159 204,37 euros au titre du rappel de salaire du fait des heures supplémentaires dues en conséquence de la nullité de la convention de forfait annuel en jours,

– condamner la société Carrier Transicold Industries à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la durée légale du travail,

– juger irrecevable la demande nouvelle de la société employeur visant à le voir condamner au remboursement des jours de réduction du temps de travail et, à titre infiniment subsidiaire, ordonner la compensation entre les 41,5 jours de repos dont a bénéficié le salarié et les condamnations mises à la charge de la société Carrier Transicold Industries,

– ordonner à la société Carrier Transicold Industries la remise de documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir,

– condamner la société Carrier Transicold Industries à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonner d’office le remboursement aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois, au visa de l’article L.1235-4 du code du travail,

– condamner la société Carrier Transcold Industries aux entiers frais et dépens de l’instance.

Par conclusions remises le 20 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Carrier Transicold Industries demande à la cour :

– concernant le licenciement pour faute grave :

– à titre principal, confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que l’action disciplinaire n’est pas prescrite, constaté que M. [N] s’est indûment et frauduleusement fait rembourser des frais professionnels de 2015 à 2018, que la sanction retenue à l’encontre de M. [N] est proportionnelle à la faute qui lui est reprochée, débouté M. [N] de l’ensemble de ses demandes et infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Carrier Transicold tendant à la condamnation de M. [N] au paiement de la somme de 2 831,73 euros, statuant à nouveau, écarter la pièce 46 produite par M. [N] du débat, constater qu’elle a strictement respecté la procédure inhérente au licenciement, débouter M. [N] de l’ensemble des demandes qu’il formule à ce titre, constater que M. [N] est redevable envers la société Carrier Transicold Industries de la somme de 2 831,73 euros et le condamner au remboursement de cette somme,

– à titre subsidiaire, si la cour devait infirmer le jugement du conseil et entrer en voie de condamnation au titre du licenciement, statuant à nouveau, écarter la pièce 46 produite par M. [N] des débats, dire qu’il est mal fondé à solliciter à la fois le bénéfice d’une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que d’une indemnité de procédure et en tirer toutes les conséquences, constater le caractère disproportionné des demandes d’indemnisation formées par M. [N], réduire le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à trois mois de salaire, limiter le montant de l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 23 048,16 euros et le montant de l’indemnité compensatrice de congés payés à la somme de 2 304,81 euros bruts, limiter le montant de la condamnation à titre de rappel de salaire pour annulation de la mise à pied conservatoire à la somme de 4 791,64 euros,

– concernant la convention de forfait jours et les heures supplémentaires :

– à titre liminaire, dire recevable la demande de remboursement formulée à titre subsidiaire par la Société au titre des jours de réduction du temps de travail, en ce qu’elle est la conséquence, au sens de l’article 566 du code de procédure civile, de la demande formulée par M. [N] tendant à voir prononcer la nullité de sa convention de forfait,

– à titre principal, confirmer le jugement rendu en ce qu’il a constaté que la convention de forfait en jours de M.[N] est valable et qu’en tout état de cause, il ne justifie pas avoir réalisé des heures supplémentaires, constaté qu’elle a respecté la durée légale du travail et débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes,

– à titre subsidiaire, si la cour devait infirmer le jugement du conseil et entrer en voie de condamnation au titre de la convention de forfait-jours et des heures supplémentaires, statuant à nouveau, retenir les taux horaires suivants :

– année 2015 : 41,78 euros bruts ;

– année 2016 : 42,39 euros bruts ;

– année 2017 : 46,58 euros bruts ;

– année 2018 : 47,72 euros bruts ;

– constater que M. [N] est redevable de 54 jours de repos soit 378 heures à l’égard de la société Carrier Transicold Industries et qu’il réalise un calcul erroné au titre de ces jours de repos afin d’en réduire le quantum, en conséquence, le condamner au paiement de ces 378 heures ou, à tout le moins, les déduire des heures supplémentaires au titre desquelles la cour déciderait de condamner la société employeur, le débouter de sa demande de voir le quantum des jours dus réduit à 41,5 jours soit 290,50 heures, constater que les tableaux produits par M. [N] ne font nullement état de sa prétendue durée de travail effectif mais seulement d’une prétendue amplitude horaire et qu’en tout état de cause, il ne démontre l’existence d’aucun préjudice, en conséquence le débouter de la demande de dommages et intérêts pour non-respect de la durée légal du travail,

– concernant les autres demandes :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a condamné M. [N] au titre de l’article 700 du code de procédure civile et débouté M. [N] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

– condamner M. [N] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel, outre les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 20 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur la convention de forfait en jours et les heures supplémentaires

I- a) Sur la nullité de la convention de forfait jours

Aux termes de l’article L. 3121-40 du code du travail issu de la loi du n°2008-789 du 20 août 2008 devenu L. 3121-55 du même code depuis la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, la forfaitisation de la durée du travail doit faire l’objet de l’accord du salarié et d’une convention individuelle de forfait établie par écrit.

En outre, l’article L. 3121-39 du code du travail dans sa version issue de la loi du n°2008-789 du 20 août 2008 prévoit que la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l’année est prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, les articles L. 3121-63 et L. 3121-64 du même code prévoient des dispositions similaires, intégrant la jurisprudence issue de l’application de l’article L. 3121-39 sus-visé pour notamment préciser le contenu de l’accord collectif autorisant le recours au forfait annuel en jours.

Enfin, alors que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

En l’espèce, suivant avenant du 14 avril 2011, il a été convenu entre les parties ‘qu’en raison de son statut cadre, de son niveau de responsabilité et du degré d’autonomie dont il peut disposer dans l’organisation de son temps de travail, M. [J] [N] accepte la proposition d’un décompte de la durée du travail selon un forfait annuel en jours dans le cadre de l’article L. 3121-43 du code du travail.

M. [J] [N] disposera d’une latitude réelle dans la gestion de son temps, en veillant à la compatibilité avec sa mission, les priorités de l’entreprise, ses objectifs annuels, les nécessités globales d’organisation et de fonctionnement des services, et dans le respect du cadre légal ou conventionnel relatif au repos quotidien et au repos hebdomadaire.

M. [J] [N] sera invité chaque année à faire le point au cours de son entretien individuel avec son responsable hiérarchique sur l’organisation, sa charge de travail et l’amplitude de ses journées d’activités. Cette charge de travail et cette amplitude devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, de son travail. Conformément à l’accord d’entreprise du 24 février 2021, sa durée annuelle maximum du travail pour une année civile complète d’activité et pour un droit intégral à congés payés sera fixée à 212 jours.

Article 2 – Rémunération

Afin de tenir compte de sa mission, définie par la fiche de description de fonction relative à sa position et par les objectifs fixés avec son responsable hiérarchique, sa rémunération sera annuelle, forfaitaire et indépendante du nombre d’heures de travail. Elle sera versée sur 13 mois, le treizième mois étant versé au prorata du temps de travail pour toute année incomplète. Elle rémunère la réalisation de la mission qui lui est confiée dans le cadre du forfait en jours.’

Cette convention de forfait en jours a été prise en application d’un accord d’entreprise sur l’aménagement et la réduction du temps de travail ratifié le 24 février 2011 qui prévoit que ‘les salariés en forfait annuel en jours sont invités chaque année à faire le point au cours de leur entretien individuel avec leur responsable hiérarchique sur les éléments suivants :

– l’organisation du travail dans l’entreprise et dans leur département,

– leur charge de travail sur l’année écoulée,

– l’articulation entre leur activité professionnelle et leur vie personnelle, leur performance, leurs compétences et leurs besoins de formation,

– leurs objectifs pour l’année à venir.

Une revue intermédiaire sera réalisée chaque année entre le cadre au forfait annuel en jours et son responsable hiérarchique, afin de veiller à une répartition équilibrée entre la charge de travail du cadre au forfait pour assurer sa mission, les priorités de l’entreprise, ses objectifs et les moyens dont il dispose en terme d’organisation et de ressource.

En cas de difficultés rencontrées en cours d’année avec la charge de travail, le cadre pourra également demander à être reçu par son responsable hiérarchique afin d’évaluer avec lui sa situation.

Si un désaccord persiste entre son responsable hiérarchique et lui sur l’évaluation de la charge de travail, il pourra demander l’intervention de son responsable hiérarchique de rang 2 et/ou du département ressources humaines, afin de les aider à trouver des solutions.

En dernier recours, le BPO (‘business Practices Officer’ ou responsable local de l’éthique) pourra être saisi pour traiter de différents relatifs à la charge de travail, à l’amplitude des journées de travail et à l’équilibre entre activité professionnelle et vie personnelle’.

Au vu de l’ensemble des éléments qui sont de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, la convention de forfait-jours à laquelle M. [N] était soumis est parfaitement régulière, ce qu’au demeurant il ne conteste pas.

Néanmoins, il convient de s’assurer que la société Carrier Transicold Industries a mis en oeuvre le suivi prévu par ces dispositions, M. [N] soutenant que son employeur ne rapporte pas la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif, puisqu’il ne communique pas les entretiens individuels ni aucun relevé déclaratif du salarié sur sa charge de travail ou autre élément.

La société Carrier Transicold Industries produit aux débats un document intitulé ‘FAQ sur forfaits en jours’ qui contient 37 questions/réponses destinées à éclairer les salariés sur le fonctionnement du système et un mail daté du 8 avril 2011 qui, selon la société, justifierait que M. [N] a été destinataire de ce document d’information, bien que son nom n’apparaisse nullement dans la liste des destinataires du mail. En tout état de cause, même à considérer que M. [N] avait connaissance des explications contenues dans cette ‘FAQ sur le forfait en jours’, il n’en demeure pas moins que cette situation n’établit nullement l’existence d’un contrôle annuel de la charge de travail du salarié par la société Carrier Transicold Industries.

En outre, elle entend se référer aux entretiens d’évaluations des années 2014 à 2017 produits par le salarié lui-même pour montrer qu’il ne s’est jamais plaint de sa charge de travail. Toutefois, non seulement, ces documents intégralement en anglais et non traduits même partiellement par la société Carrier Transicold Industries pour démontrer son affirmation, n’ont aucune valeur probante à cet égard, mais surtout et en tout état de cause, la cour ne peut que constater qu’aucune des rubriques de ces évaluations ne concernent la charge et le temps de travail du salarié, puisque la première section est consacrée à l’analyse des objectifs, la deuxième section aux compétences du salarié, la troisième section au plan de développement et de carrière et la dernière section à la synthèse.

Au vu de ces éléments qui ne caractérisent aucun contrôle de la charge de travail de M. [N], en contradiction avec les dispositions conventionnelles et contractuelles applicables, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris et de dire que la convention de forfait jour insérée dans le contrat de travail est privée d’effet, quand bien même le salarié n’a pas émis de protestations durant l’exécution de la relation de travail.

I – b) Sur les heures supplémentaires

Dès lors que la convention de forfait en jours est privée d’effet, la durée du travail de M. [N] doit être appréciée conformément aux règles de droit commun.

Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Il est acquis que le salarié doit fournir préalablement des éléments de nature suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

En l’espèce, à l’appui de sa demande, M. [N] produit des relevés d’heures supplémentaires pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018 indiquant quotidiennement le nombre d’heures travaillées, à savoir une amplitude horaire de présence au bureau d’une moyenne de 10 heures de 8 h à 18 heures sans pause déjeuner, outre le temps déplacement pour se rendre à Myto en République Tchèque et ponctuellement aux Pays-Bas.

Ces documents constituent des éléments suffisamment précis qui mettent en mesure la société Carrier Transicold Industries d’y répondre.

Concernant les temps de trajet, il n’est pas discuté que M. [N] était amené à faire régulièrement des déplacements à l’étranger, principalement en République Tchèque, pour accomplir les missions qui lui étaient assignées.

Selon l’article L.3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.

Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail, ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel, s’il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire.

Concernant les salariés qui sont amenés à se rendre sur des sites différents de leur lieu habituel de travail, les temps de déplacement, qu’ils excèdent ou non le temps habituel de trajet domicile-travail, ne constituent pas du temps effectif de travail, qu’ils se situent dans ou en dehors de l’horaire de travail.

Le temps de trajet pour se rendre d’un lieu de travail à un autre, au cours d’une même journée, est assimilé à du temps de travail effectif, les salariés restant alors à la disposition de leur employeur.

Lorsque le salarié est contraint de passer par l’entreprise, le temps de trajet entre l’entreprise et le lieu d’exécution du travail est en principe considéré comme du temps de travail effectif.

En l’espèce, alors qu’il n’est pas soutenu que M. [N] devait se rendre au siège de la société Carrier Transicold Industries avant de se rendre en République Tchèque ou à son retour de voyage, les temps de déplacement afférents à cette contrainte à partir de son domicile ou pour y revenir ne sont pas des temps effectifs de travail, de sorte qu’ils n’ont pas à être comptabilisés au titre des heures supplémentaires réclamées par M. [N].

Par ailleurs, c’est à juste titre que l’employeur fait observer que le décompte ainsi opéré par son salarié ne prend en compte aucune pause déjeuner.

De la même façon, alors que les bulletins de salaires versés aux débats établissent que pour une dizaine de jours déclarés travaillés par M. [N], celui-ci se trouvait en congés payés, il n’est produit aucun élément objectif caractérisant le fait que sa charge de travail était telle qu’il a été contraint de travailler sur ses jours de congés. En revanche, le travail réalisé sur les jeudis de l’ascension en République Tchèque doit être pris en compte, ces journées n’étant pas chômées dans ce pays.

Quant aux courriels produits par M. [N], il convient de constater que si certains ont été envoyés en dehors de ses heures de travail revendiquées, ils sont inopérants pour étayer la demande du salarié, puisque ce dernier lui-même ne revendique pas une amplitude horaire incluant l’horaire d’envoi de ces mails, mais uniquement des ‘horaires de bureau’ de 8h à 18 ou 19h, et la prise en compte de ses temps de déplacements à l’étranger. En tout état de cause, la lecture de ces quelques mails produits montre que M. [N] ne répondait pas à un ordre donné par sa hiérarchie d’agir ainsi, de sorte qu’il y a lieu de considérer, de par la nature de ses fonctions, qu’il disposait d’une autonomie non discutée lui permettant, par commodité ou par choix personnel, d’accomplir des tâches non urgentes aux heures qu’il souhaitait.

Ainsi, au vu de l’ensemble de ces éléments, et dans la mesure où il n’est pas sérieusement contesté que les fonctions occupées par M. [N] lui imposaient nécessairement une charge de travail significative qui ne pouvait être accomplie en 35 heures par semaine, ce que la société Carrier Transicold Industries ne pouvait ignorer, notamment eu égard aux objectifs fixés à M. [N] dans le cadre de ses entretiens d’évaluation, la cour a la conviction que le salarié a accompli des heures supplémentaires, qui, sur la base d’un taux horaire non contesté de 41,78 euros bruts pour 2015, 42,39 euros bruts pour 2016, 46,58 euros bruts pour 2017 et 47,72 euros bruts pour 2018, des majorations de 25 % applicables et en tenant compte des jours de récupération dont le salarié a bénéficié, justifient d’allouer une somme de 30 647,87 euros pour les heures supplémentaires effectuées par M. [N] entre le 31 août 2015 et le 28 mai 2018,

I- c) Sur les dommages et intérêts pour non respect de la durée légale du travail

M. [N] soutient qu’en raison de sa charge de travail et de ses déplacements professionnels, les dispositions des articles L. 3121-18, L 3121-20, L 3121-22 et L. 3121-27 du code du travail relatives à la durée quotidienne maximale de travail effectif, aux durées hebdomadaires maximales de travail et à la durée légale hebdomadaire normale de travail n’ont pas été respectées, de sorte qu’il est bien fondé à solliciter une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice ainsi subi.

Toutefois, au regard du nombre d’heures supplémentaires retenu dans les motifs adoptés précédemment, qui ne dépassent jamais 10 heures par jour ni 42 heures par semaine, cette demande est rejetée.

I- d) Sur la demande de remboursement des jours de repos

Aux termes de l’article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l’espèce, il est constant que la demande présentée par la société Carrier Transicold Industries tendant à obtenir le remboursement de 63 jours de réduction du temps de travail est une demande formulée pour la première fois devant la présente cour. Toutefois, cette demande étant la conséquence nécessaire de la demande d’annulation de la convention de forfait en jours présentée par M. [N], elle est, en application des dispositions de l’article 566 sus-visé, parfaitement recevable.

La fin de non-recevoir soulevée à ce titre est donc rejetée.

En revanche, dans la mesure où ces jours de RTT ont déjà été pris en compte et donc imputés du temps de travail de M. [N] dans le cadre de la demande de paiement d’heures supplémentaires, il n’y a pas lieu de condamner M. [N] au remboursement de ces journées de repos.

I- e) Sur la demande de remboursement des frais de mai 2018

La société Carrier Transicold Industries fait valoir que M. [N] a réclamé pour le mois de mai 2018 le remboursement d’une somme 2 468,39 euros correspondant à des frais qu’il a engagés par l’intermédiaire de son compte Citibank alimenté par son compte personnel, mais qu’ayant désactivé le lien entre ce compte Citibank et son compte personnel avant que cette somme ne soit prélevée, il n’a, en réalité, jamais payé personnellement ces frais qui lui ont été remboursés.

Si M. [N] est taisant sur cette demande, se contentant de solliciter la confirmation du jugement de première instance ayant rejeté cette prétention, sans aucune motivation ni explication, il n’en demeure pas moins que les pièces produites par la société Carrier Transicold Industries pour établir le bien fondé de sa réclamation sont inefficaces. En effet, d’une part, cette somme de 2 468,39 euros résulte uniquement d’un courrier de M. [N] sans aucune explication sur l’imputation de cette somme et notamment le fait qu’il s’agirait uniquement de frais payés au moyen du compte Citibank, étant au demeurant relevé que ce montant ne se retrouve pas sur le relevé de compte Citibank, puisqu’il est fait état d’un chèque de 1 321,42 euros. D’autre part, l’explication de la déconnexion entre ce compte et le compte personnel de M. [N] est incohérente, puisque le même relevé de compte fait état d’un chèque impayé et non d’un prélèvement qui n’a pu aboutir.

Au vu de ces éléments, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Carrier Transicold Industries de sa demande à ce titre.

II – Sur le licenciement

II – a ) Sur le respect de la procédure

M. [N] reproche à son employeur d’avoir pris la décision de le licencier avant même la tenue de l’entretien préalable du 6 juin 2018, puisqu’il résulte des pièces produites aux débats que la société mère dont dépend la société employant M. [N] avait décidé dès le 25 mai 2018 de cette sanction du licenciement. Il sollicite ainsi que son licenciement soit requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Carrier Transicold Industries s’oppose à ce moyen au motif que la volonté de licencier ne peut résulter que d’un acte dans lequel l’employeur manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail, ce que ne constitue pas la décision éventuellement prise par la société mère qui ne repose en l’espèce que sur un document d’enquête interne et qu’en tout état de cause, cette situation n’est qu’une irrégularité de procédure qui n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l’article L. 1232-2 du code du travail, l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation. L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.

En l’espèce, il n’est pas établi que la décision de licencier M. [N] a été prise par son employeur antérieurement à l’organisation de l’entretien préalable. En effet, s’il est exact qu’un conseil de discipline, réuni le 25 mai, a émis, pour sanctionner le comportement du salarié, une proposition de licenciement, cet avis d’un organe du groupe auquel appartient la société Carrier Transicold Industrie qui n’a de surcroît aucune valeur impérative, ne peut être assimilé à une décision ferme et manifeste de l’employeur de procéder à son licenciement.

II – b ) Sur la prescription des faits fautifs

Aux termes de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits fautifs que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de ces poursuites.

La remise d’un rapport d’enquête, effectué par un service interne à l’entreprise ou par son conseil, peut constituer le point de départ du délai de deux mois dès lors que celui-ci permet à l’employeur de prendre connaissance des faits reprochés, de révéler l’ampleur et la gravité de faits déjà connus ou encore de vérifier les griefs reprochés au salarié.

La prise en compte d’un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir pour fonder la lettre de licenciement si le comportement du salarié s’est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai.

En l’espèce, à la suite d’une convocation délivrée le 28 mai 2018 pour un entretien préalable fixé au 6 juin 2018 assortie d’une mise à pied conservatoire, M. [N] a été licencié par lettre du 15 juin 2018 rédigée comme suit :

‘ Les éléments que vous nous avez apportés ne nous permettent cependant pas d’expliquer les graves manquements que vous avons constatés et que nous vous rappelons ci-après.

1 – Vous exercez les fonctions de responsable projet industriels EMEAR et Asie au sein de la société Carrier Transicold Industries.

Au mois de mars 2018, dans le cadre du changement des cartes bancaires professionnelles Citibank vers AMEX, le service comptabilité trésorerie a été amené à vérifier en détail les différentes notes de frais des salariés concernés et dont vous faites partie.

À ce titre, il est apparu que vous avez sollicité le remboursement de tickets de parking à l’aéroport [5] payés via la carte carburant ‘Total GR’. Or, cette carte a été mise à votre disposition pour permettre une prise en charge directe par notre société de vos frais professionnels relatifs à l’utilisation de votre voiture de fonction.

En outre, en approfondissant la vérification de vos notes de frais, le service comptabilité trésorerie a observé que certaines factures de parking et de péage avaient été réglées durant le week end.

Ces anomalies ont été remontées au service ‘Ethiques et conformités’ qui a alors immédiatement diligenté une enquête ouverte le du 30 mars 2018, date à laquelle vous avez été auditionné.

2 – Les conclusions ont été portées à notre connaissance le 25 mai 2018 et font apparaître que :

– Vous avez sollicité le remboursement de vos frais professionnels de parking (CDG aéroport) alors même que ces dépenses avaient d’ores et déjà été prises en charge directement par l’entreprise via la carte carburant ‘Total GR’ mise à votre disposition.

Or, vous ne pouvez pas nier avoir eu connaissance de cette prise en charge par l’entreprise dans la mesure où sur la même période, vous avez utilisé cette même carte pour vos pleins de carburant et péage sans jamais en avoir demandé le remboursement.

Ainsi, vous vous êtes fait rembourser indûment la somme totale de 9 472 euros entre début 2015 et début 2018.

Ces sommes se décomposent de la manière suivante: 2 200 euros sur l’année 2015, 3492 euros sur l’année 2016, 3 255 euros sur l’année 2017 et 525 euros sur l’année 2018.

De tels agissements constituent une violation grave de vos obligations contractuelles puisque vous avez bénéficié, au détriment de la société, du remboursement de sommes que vous n’avez pas engagées personnellement.

– Vous avez par ailleurs utilisé la carte carburant ‘Total GR’ mise à votre disposition pour payer notamment des frais de carburant, parking et de péage durant les week end alors que ceci est contraire à nos règles internes d’utilisation de cette carte.

À titre d’exemple, sur les trois premiers mois de 2018, les sommes dépensées le week end avec votre carte carburant ‘ Total GR’ étaient de 351,49 euros et sur l’année 2017 de 693, 38 euros.

Il ressort enfin de l’enquête que certains de ces frais correspondent à des dépenses privées et non à des frais correspondant à vos déplacements passé ou à venir dans le cadre de l’exécution de votre contrat de travail.

Tel est notamment le cas des dépenses suivantes : carburant à hauteur de 34, 80 euros le samedi 29 juillet 2017 juste avant votre départ en vacances; frais de parking sur [Localité 6] à de nombreuses reprises le samedi parmi lesquels les 27 mai, 24 juin, 30 septembre, 23 décembre 2017 ou le 10 mars 2018.

Or, vous n’êtes pas sans savoir que nos règles internes interdisent aux salariés d’utiliser la carte carburant ‘Total GR’ mise à leur disposition les week end et pendant les périodes de vacances. En effet, les dépenses occasionnées par l’utilisation d’un véhicule de fonction sur ces périodes doivent être prises en charge par le salarié.

Ainsi, vous avez fait prendre en charge des dépenses personnelles par notre société, ce qui constitue une violation grave de vos obligation contractuelles.

3 – Par lettre reçue le 11 juin 2018, vous avez souhaité apporter des éléments complémentaires en prétendant que vous ne connaissiez pas les règles de fonctionnement de la carte carburant ‘Total GR’ et que le service comptabilité trésorerie aurait dû vous alerter immédiatement sur les irrégularités constatées sur vos notes de frais et ceci dès le début de l’année 2015.

Or, une note d’information stipulant qu’il est interdit aux salariés d’utiliser les ‘cartes carburant’ (dont la carte TOTAL GR fait partie) les week ends et pendant les périodes de vacances vous a été adressée le 22 septembre 2014 lors du choix de votre véhicule de fonction. Vous avez également reçu un rappel sur cette procédure par courriel le 10 novembre 2015 par mail.

De même, vous êtes parfaitement informé que les sommes payées avec la carte carburant ‘Total GR’ étaient directement débitées sur le compte de notre entreprise et non sur le vôtre puisqu’à aucun moment vous n’avez sollicité le remboursement de vos frais de carburant et de péage payés avec cette même carte.

Dans un courriel en date du 20 mars 2018, vous le reconnaissez expressément en précisant que les frais de parking à l’aéroport CDG payés par la carte carburant ‘Total GR’ n’étaient pas à vous rembourser.

Compte tenu de votre connaissance précise de nos règles internes, il ne saurait être reproché le moindre manquement au service comptabilité trésorerie tout comme à votre supérieur hiérarchique et ce d’autant plus, dans la mesure où la carte bancaire utilisée n’était pas mentionnée dans les tableaux de frais professionnels dont vous sollicitiez le remboursement.

Enfin, vous nous indiquez n’avoir jamais été auditionné avant l’entretien préalable en date du 6 juin 2018 et que si vous l’aviez été, vous auriez réglé cette situation.

Or, le 30 mars 2018, vous avez été reçu par Madame [E] [D], ‘ethics Compliance Officer Europe’ qui vous a interrogé sur vos frais professionnels dans le cadre de l’enquête diligentée. Force est de constater qu’outre le fait que vous passiez sous silence cet entretien, vous n’avez pas procédé au remboursement des sommes indus, pas plus que vous n’avez sollicité un rendez-vous avec la comptabilité trésorerie pour pointer vos frais professionnels.

4 – Vos agissements constituent donc une grave violation de vos obligations contractuelles qui rendent impossible la poursuite de l’exécution de votre contrat de travail à effet immédiat; et ce d’autant plus dans la mesure où compte tenu de votre ancienneté et des développements précédents, vous n’ignorez pas avoir enfreint les règles internes de notre entreprise.

Vos agissements sont d’autant plus inacceptables que votre fonction exige une exemplarité vis-à-vis des autres collaborateurs et ce en toutes circonstances.

Nous vous notifions donc, par la présente, votre licenciement pour faute grave.’

M. [N] soulève la prescription de ces faits fautifs dont il ne conteste pas, par ailleurs, la réalité s’agissant des remboursements indus mais uniquement leur caractère de gravité. En revanche, il nie avoir été informé de la difficulté lors de l’entretien du 30 mars 2018 et soutient avoir découvert les faits uniquement lors de son entretien préalable. Sur la prescription, il fait valoir que ses frais professionnels étaient transmis et vérifiés très régulièrement par la comptabilité et ce, de manière précise, puisque des corrections étaient apportées, qu’en outre, il n’a jamais dissimulé le fait que par erreur et pensant que cela était débité de son compte personnel, il a réclamé le remboursement de frais réglés avec la carte professionnelle Total GR. De plus, il estime que son employeur ne peut se prévaloir de la répétition des faits fautifs et n’établit pas en quoi il a pu connaître les faits reprochés qu’au moment de l’enquête diligentée en mars 2018, alors qu’il a toujours eu en sa possession toutes les pièces comptables. Enfin, il fait observer que les éléments évoqués en défense par la société Carrier Transicold Industries sont incohérents et mensongers.

S’agissant des griefs fondant le licenciement et soumis à la prescription litigieuse, il convient de relever que la société Carrier Transicold Industries reproche à M. [N] deux comportements distincts, à savoir d’une part, les remboursements indus de frais sollicités entre 2015 et le 13 février 2018 et, d’autre part, l’absence de régularisation et de remboursement volontaire et spontané postérieurement à l’entretien du 30 mars 2018 au cours duquel M. [N] aurait été informé de la difficulté.

À titre liminaire, et ainsi que le fait justement observer M. [N], il convient de relever que les explications de la société Carrier Transicold Industries sur sa connaissance des faits fautifs et sur les démarches corrélatives entreprises auprès de M. [N] sont quelque peu incohérentes, voire contradictoires. En effet, alors qu’elle soutient qu’elle n’aurait eu une connaissance précise des faits de ‘détournements’ et de l’ampleur de leur gravité que le 25 mai 2018, à l’issue d’un rapport d’enquête interne déclenché le 30 mars 2018 en raison des suspicions de fraude découvertes dans un cadre non précisé, elle reproche, dans le même temps, à M. [N], de n’avoir pas procédé au remboursement spontané des indus dès le 30 mars 2018, date à laquelle elle ne connaissait pas elle-même quels étaient précisément les remboursements indus qu’elle pouvait reprocher à M. [N], étant de surcroît précisé que M. [N] conteste la teneur de cet entretien du 30 mars 2018, indiquant que cette question n’a pas été abordée par Mme [D].

Ces incertitudes et imprécisions sur la connaissance des faits, leur ampleur et leur gravité ressortent également des autres explications et éléments de preuve produits par l’employeur.

En effet, alors qu’elle ne conteste pas que les frais professionnels de M. [N], depuis 2015, étaient mensuellement contrôlés par le service comptabilité et trésorerie, et que, comme cela ressort des pièces versées par M. [N], ce contrôle n’était pas purement formel, puisque mensuellement, il se voyait refuser sur sa demande de remboursement certains frais déclarés, elle soutient néanmoins que les éléments reprochés à M. [N] ne sont apparus qu’en mars 2018, à l’occasion d’un changement de cartes bancaires professionnels. Toutefois, aucun élément probant n’est communiqué en ce sens.

Certes, l’employeur verse aux débats un mail du 20 mars 2018 dans lequel M. [N] donne des explications sur sa note de frais de février 2018 à Mme [M] [V], mais cet échange, en ce qu’il évoque seulement la production de justificatifs pour les frais de février 2018, ne permet pas d’illustrer et d’établir que la société Carrier Transicold Industries n’a eu des suspicions de fraude qu’à compter du mois de mars 2018. Au contraire, il apparaît qu’il s’agit d’un échange classique auquel le salarié pouvait répondre mensuellement dans le cadre de la justification de ces frais, qui montre que le contrôle des frais était concret. L’allégation selon laquelle l’employeur, malgré le contrôle mensuel opéré par le service comptabilité n’aurait été informé de suspicions de fraude qu’à compter de mars 2018 n’est donc pas établie.

En outre, ni l’entretien tenu par Mme [D] ni l’enquête interne diligentée entre le 30 mars et le 25 mai 2018 ne permettent de rapporter la preuve contraire.

Ainsi, s’agissant de l’entretien menée par Mme [D] le 30 mars 2018, alors que son contenu est contesté par M. [N], ce dernier soutenant qu’il s’agissait d’un entretien qui avait pour objet les processus de certification des sites de productions et leur audit, il n’est produit aucun écrit évoquant le but de l’organisation de ce rendez-vous, ni a fortiori aucun compte-rendu. Seule est produite l’attestation de Mme [D] qui explique que l’entretien s’est déroulé entre 12 et 13 heures dans le cadre de l’enquête interne, celle-ci lui présentant les documents comptables synthétisant les remboursements litigieux et M. [N] reconnaissant alors le caractère injustifié des remboursements. Outre le fait que la valeur probante de ce témoignage doit être appréciée en considération du lien de subordination qui s’impose à Mme [D], force est également de relever que cette attestation contient exactement la même contradiction que celle relevée à propos des explications données par la société Carrier Transicold Industries, à savoir que les remboursements indus reprochés à M. [N] étaient connus dès le 30 mars 2018, soit avant même que l’enquête interne ne débute, alors que c’est cette enquête qui est censée avoir permis à l’employeur d’avoir une exacte et parfaite connaissance des faits fautifs.

De même, le contenu du rapport non daté, mais qui aurait été déposé le 25 mai 2018, ne permet pas de lever les doutes sur l’étendue de la connaissance de l’employeur avant qu’il ne décide cette mesure ni d’éclaircir les circonstances dans lesquelles elle a été décidée, ni même de préciser le résultat de l’enquête, puisque ce rapport très succinct de 3 pages se contente d’évoquer des faits de remboursements indus suspectés et confirmés par l’enquête sans préciser à quelle date a débuté l’enquête et à quelle date elle a pris fin, quels sont les auteurs de ce rapport, quelles ont été les opérations de vérification menées, les personnes éventuellement entendues. De même, il est indiqué que M. [N] reconnaît les faits, sans préciser à quelle date et dans quelles circonstances il aurait été entendu.

Il ressort de l’ensemble de ces élément qu’alors que les faits de remboursement indus reprochés à M. [N] entre 2015 et le 13 février 2018 ont été mensuellement contrôlés par le service comptabilité et trésorerie, que la société Carrier Transicold Industries ne rapporte pas la preuve que ce contrôle ‘classique’ ne lui permettait pas d’apprécier la réalité et la gravité du comportement fautif reproché à M. [N], que ni l’enquête interne et ni l’entretien du 30 mars 2018 ne démontrent que l’employeur n’a pu avoir une connaissance précise et exacte des fautes qu’à l’issue de ces démarches, et qu’enfin, postérieurement au mail du 20 mars 2018 qui constitue la dernière explication de M. [N] sur le remboursement de frais de février 2018, aucun fait de remboursement indus ne peut lui être reproché, de sorte qu’après cette date, aucune réitération de faits fautifs justifiant qu’il soit fait échec à la prescription de l’article L.1332-1 sus-visé ne peut être invoquée, c’est à juste titre que M. [N] fait valoir qu’en engageant la procédure disciplinaire le 28 mai 2018, l’ensemble des faits de remboursements indus étaient prescrits.

En revanche, concernant le comportement adopté par M. [N] après l’entretien du 30 mars 2018 consistant à ne pas spontanément rembourser les paiements de frais indus, il n’est pas, eu égard à la date de convocation du 28 mai 2018, atteint pas la prescription et donc être examiné sur le fond.

II- c) Sur le bien fondé de la faute

Il résulte des motifs précédents que seul le comportement adopté par M. [N] après l’entretien du 30 mars 2018 peut être valablement invoqué par l’employeur pour fonder le licenciement pour faute grave.

Or, ainsi que cela a été relevé ci-avant, la société Carrier Transicold Industries est défaillante à rapporter la preuve que le 30 mars 2018, il a été porté à la connaissance de M. [N] les paiements indus. Dans ces conditions, elle est mal fondée à lui reprocher l’absence d’une démarche positive de remboursement, étant précisé à ce titre que ce n’est qu’après plusieurs lettres recommandées envoyées à cette fin, par courrier du 5 juillet 2018, que la société Carrier Transicold va adresser à M. [N] le décompte exact des sommes indûment versées. L’employeur ne produit aucune pièce établissant qu’antérieurement à cette date, M. [N] a été précisément et exactement informé des indus et des sommes qu’il devait rembourser. Or, dès réception de ce courrier du 5 juillet 2018, M. [N] a procédé au remboursement des sommes le 16 juillet 2018.

Aussi, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner, d’une part, la pièce n°46 produite par M. [N], de sorte que la demande tendant à la voir écarter des débats est sans objet, et d’autre part, l’argument tiré de la cause réelle de son licenciement, qui selon M. [N], serait de nature économique, il convient d’infirmer le jugement entrepris et de dire que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.

III – Sur les conséquences financières du licenciement

III – a) Sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire

Sur la base d’un salaire mensuel moyen qu’il y a lieu de fixer à la somme de 7 682,72 euros, et étant relevé que l’employeur fait observer à juste titre qu’aucune retenue sur salaire n’a été pratiquée sur le mois de mai 2018, il convient d’indemniser M. [N] pour la période de mise à pied conservatoire injustifiée eu égard aux motifs adoptés précédemment sur la période uniquement du mois de juin 2018 et de lui allouer à ce titre la somme de 7 682,72/30 x 15 jours = 3 841,36 euros.

III – b) Sur l’indemnité compensatrice de préavis

L’article 9.1 de la convention collective applicable dispose ‘qu’à l’issue de la période d’essai et hors le cas de faute grave ou lourde, le délai-congé réciproque est de :

– 1 mois pour les salariés classés aux niveaux 1-2 ;

– 2 mois pour les salariés classés aux niveaux 3-4 ;

– 3 mois pour les salariés classés aux niveaux 5-6-7.

Au-delà de deux ans d’ancienneté, telle que la définissent la loi et la présente convention, le délai-congé en cas de licenciement ne peut être inférieur à deux mois, sauf en cas de faute grave ou lourde.

En tout état de cause, le congé doit être signifié ou confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception.

La date de présentation de la lettre recommandée fixe le point de départ du délai-congé.’

En application de cette disposition, et sur la base d’un salaire mensuel moyen de 7 682,72 euros, il revient à M. [N] à ce titre la somme de 23 048,16 euros, outre les congés payés y afférents de 2 304,81 euros.

III – c) Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement

L’article 10.10 de la convention collective applicable prévoit ‘des modalités particulières applicable aux cadres pour le calcul de ‘l’indemnité de congédiement’. Elles sont indiquées ci-dessous, par ancienneté, en dixièmes de mois :

– de 1 à 7 ans révolus : 2 / 10 par année depuis la date d’entrée ;

– de 8 à 15 ans révolus : 4 / 10 par année depuis la date d’entrée ;

– 16 ans et plus : 6 / 10 par année depuis la date d’entrée.

Toutefois, l’indemnité de congédiement pour les cadres ne peut dépasser la valeur de 18 mois de traitement.

Lorsque l’indemnité de congédiement représentera la valeur d’au moins 6 mois de salaire, le chef d’entreprise aura la possibilité d’en étaler le paiement.

Néanmoins, au départ de l’entreprise, le premier versement ne devra pas être inférieur au montant de l’indemnité prévue par les textes pris en application du code du travail sur le congédiement.

En tout état de cause, il ne peut être inférieur à 3 mois de salaire. Le règlement du solde sera payé dans un délai de 3 mois.’

En outre, l’article 9-2 de la même convention collective précise que ‘l’indemnité sera calculée soit sur la moyenne mensuelle de la rémunération des douze derniers mois de présence, soit sur la moyenne des trois derniers mois de présence, le calcul le plus avantageux pour le salarié étant retenu.’

Au vu de ces éléments, c’est à juste titre que pour le paiement de cette indemnité, M. [N] soutient que son salaire mensuel moyen de référence doit être fixé à la somme de 10 001,42 euros. Il s’en suit qu’il lui revient à ce titre et selon un calcul non contesté par l’employeur, la somme de 10 001,42 euros/10 x 6 x 24, 13 ans d’ancienneté = 144 800,56 euros.

III- d) Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [N] ayant plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant de manière habituelle plus de onze salariés, il est fondé à obtenir réparation du préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, conformément aux dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au présent litige.

En considération de son ancienneté non contestée de 24 ans qui fixe le montant de l’indemnité entre trois et dix-sept mois et demi de salaire, de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (50 ans), des circonstances de la rupture, et de ce qu’à la suite de la rupture, il a bénéficié des indemnités chômage pendant près de deux ans, avant de retrouver un emploi stable en juillet 2020, avec une rémunération équivalente à celle dont il bénéficiait antérieurement, il y a lieu d’allouer à ce titre à M. [N] une somme de 80 000 euros.

III- e) Sur les demandes accessoires

Conformément à la demande présentée par M. [N], il convient d’ordonner à la société Carrier Transicold Industries la remise de documents de fin de contrat conformes à la présente décision.

Les conditions de l’article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées au salarié licencié dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Carrier Transicold Industries aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés tant en première instance qu’en appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant dans les limites de l’appel, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de la société Carrier Transicold Industries de remboursement par M. [N] des sommes de 2 468,39 euros et de 363,34 euros à titre d’intérêts et en ce qu’il a débouté M. [N] de se demande de dommages et intérêts pour non respect de la durée légale du travail ;

L’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Carrier Transicold Industries à payer à M. [J] [N] la somme de 30 647,87 euros pour les heures supplémentaires effectuées entre le 31 août 2015 et le 28 mai 2018 ;

Dit que le licenciement de M. [J] [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Carrier Transicold Industries à payer à M. [J] [N] les sommes suivantes :

rappels de salaires pendant la mise à pied

: 3 841,36 euros

indemnité compensatrice de préavis : 23048,16 euros

congés payés y afférents : 2304,81 euros

indemnité conventionnelle de licenciement : 144 800,56 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans

cause réelle et sérieuse : 80000,00 euros

Ordonne à la société Carrier Transicold Industries de remettre à M. [J] [N] les documents de fin de contrat conformes à la présente décision ;

Ordonne le remboursement par la société Carrier Transicold Industries aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à M. [J] [N] dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;

Condamne la société Carrier Transicold Industries aux entiers dépens de l’instance, comprenant les dépens de la première instance et ceux d’appel.

Déboute la société Carrier Transicold Industries de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société Carrier Transicold Industries à payer à M. [J] [N] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

La greffière La présidente

 


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