COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 14 AVRIL 2023
N° 2023/136
Rôle N° RG 19/08805 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BELKQ
SARL CARMONA ENTREPRISE
C/
[E] [C]
Copie exécutoire délivrée
le : 14 avril 2023
à :
Me James TURNER, avocat au barreau de TOULON
Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
(Vestiaire 157)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARTIGUES en date du 12 Avril 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00622.
APPELANTE
SARL CARMONA ENTREPRISE, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me James TURNER, avocat au barreau de TOULON
INTIME
Monsieur [E] [C], demeurant Chez Monsieur et Madame [P] [K] – [Adresse 1]
représenté par Me Antoine LOUNIS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Marie-dominique POINSO-POURTAL de l’AARPI POINSO POURTAL – VILLATTE DE PEUFEILHOUX, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre suppléante
Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
En date du 01/09/2014, Monsieur [C] [E] a été embauché par la société CARMONA ENTREPRISE en qualité de » chauffeur livreur non cadre groupe 3 BIS » dans le cadre d’un contrat à durée déterminée prévu jusqu’au 31/03/2015, et moyennant une rémunération brute de 1445.42€ pour 151.67 heures de travail.
La convention collective applicable est celle des transports routiers.
La société CARMONA ENTREPRISE développe son activité dans le domaine du transport routier de courte distance avec comme client principal, l’enseigne BOULANGER et plus particulièrement l’établissement de [Localité 4].
Le contrat s’est poursuivi au delà du terme.
Le 23 avril 2015, Monsieur [C] a été chargé de livrer un réfrigérateur de type américain chez Madame [L] [F], d’une valeur de 1800 €.
Il était également chargé de récupérer le réfrigérateur du même type se trouvant d’ores et déjà chez Madame [F], et qu’elle avait acheté le 18 avril 2015 précédent. Il s’agissait d’échanger cet appareil présentant des défauts d’aspect et de le rendre au magasin Boulanger de [Localité 4].
Par un premier courrier du 07/05/2015, puis un second le 12/05/2015, la société CARMONA ENTREPRISE convoque Monsieur [C] [E] à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement avec mise à pied à titre conservatoire,
Par courrier RAR du 28/05/2015, que Monsieur [C] [E] se voyait notifier son licenciement pour faute grave.
La lettre de licenciement est ainsi libellée :
» Au cours de l’entretien préalable en date du 26 mai 2015 nous avons demandé de vous expliquer sur les agissements dont vous avez été l ‘auteur, à savoir :
Lors d’une livraison effectuée le 23.04.2015 chez un client de notre donneur d’ordre Magasin
BOULANGER à [Localité 4], vous aviez pour mission d’effectuer l’échange d’un réfrigérateur;
l’appareil a bien été livré mais l ‘appareil que vous deviez récupérer n ‘a jamais été restitué à notre donneur d ‘ordre, il est pourtant bien stipulé sur le bon de livraison qui vous a été confié ce jour-là » reprise de l’ancien modèle » et aucune annotation de votre part n ‘apparaît sur le bon de livraison concernant la récupération ou non de cet appareil, faits que avez reconnu lors de notre entretien préalable.
Conformément à l’article » attributions et emploi » de votre contrat de travail, votre mission
n ‘a pas et accomplie selon nos accords.
Ces faits constituent une faute grave rendant impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de notre entreprise et nuit gravement à l’image et au fonctionnement de celle-ci. Cet appareil a disparu et aujourd ‘hui notre donneur d’ordre nous demande de régulariser sa perte pécuniaire.
Nous sommes donc contraints de mettre fin à votre contrat de travail. Par la présente, il vous est donc notifié votre licenciement, sans préavis ni indemnité de rupture.
Vous ne ferez plus partie du personnel de l’entreprise à réception de cette lettre.
Votre certificat de travail, votre attestation d ‘Assedic ainsi que votre solde de compte sont à votre disposition au siège de notre entreprise au [Localité 2]. »
Le 23 septembre 2015 M [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Martigues aux fins de voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixer les indemnités de rupture avec intérêt au taux légal et capitalisation, des dommages intérêts et un rappel de salaire sur mise à pied outre une somme au titre de l’article 700 du CPC.
Par jugement en date du 12 avril 2019 notifié le 13 mai 2019 le conseil de prud’hommes de Martigues a
Dit que le licenciement de Monsieur [C] [E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamné la société CARMONA ENTREPRISE à payer à Monsieur [C] :
– 1653.75 € (MILLE SIX CENT CINQUANTE TROIS EUROS ET SOIXANTE QUINZE CENTS) à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en application de l’article L.1235-5du code du travail
– 1278.13 € (MILLE DEUX CENT SOIXANTE DIX HUIT EUROS ET TREIZE CENTS) à titre de salaire pour la période de mise à pied conservatoire
– 127.81 € (CENT VINGT SEPT EUROS ET QUATRE VINGT UN CENTS) à titre de d’incidence congés payés sur salaire précité
– 1653.75 € (MILLE SIX CENT CINQUANTE TROIS EUROS ET SOIXANTE QUINZE CENTS) à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 165.38 € (CENT SOIXANTE CINQ EUROS ET TRENTE HUIT CENTSO à titre d’incidence congés payés sur indemnité précitée
– 1500 € (MILLE CINQ CENTS EUROS) à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du CPC.
Dit que les sommes susvisées produiront intérêts de droit à compter de la demande en Justice, avec capitalisation, en application des articles 1153-1 et 1154 du code civil.
Rappelle l’exécution provisoire de droit qui s’attache aux dispositions qui précèdent, en applications des articles R.1245-1, R1454-14 et R1454-28 du code du travail.
Fixe en application de ce dernier article, la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à la somme de 1653.75 €.
Ordonne, des chefs qui précèdent, l’exécution provisoire en application des dispositions de l’article 515 du CPC.
Condamne la société CARMONA ENTREPRISE aux dépens.
Par déclaration enregistrée au RPVA le 29 mai 2019 la SARL CARMONA ENTREPRISE a interjeté appel de la décision dont elle sollicite la réformation en ce qu’elle a
– dit que le licenciement de Monsieur [E] [C] est dépourvu de cause réelle et
sérieuse, et condamne la SARL Carmona Entreprise à payer à Monsieur [C] les sommes de
1653,75 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1278,13 € à titre de rappel de salaire pour lamise à pied conservatoire,
127,81 € au titre des congés payés y afférents,
1653,75 € à titre d’indemnité de préavis, et
165,38 € au titre des congés payés y afférents,
1500 € par application de l’article 700 du CPC, dit que les sommesci-dessus produiront intérêts au taux légal outre anatocisme annuel,
fixé la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire à la somme de 1653,75 €, ordonné l’exécution provisoire de la décision
et l’a déboutée de ses propres demandes tendant à voir dire que le licenciement est fondé sur une faute grave et condamner M [C] à lui payer 2500 euros au titre de l’article 700 du CPC .
Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 11 septembre 2019 , auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens , l’appelante demande à la cour de
Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
En conséquence, statuant à nouveau,
Constater que Monsieur [C] a commis une faute grave.
Dire et juger bien fondé le licenciement prononcé pour faute grave de Monsieur [C].
Débouter Monsieur [C] des fins de ses prétentions tendant à ce qu’il soit dit et jugé que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Débouter Monsieur [C] des fins de ses demandes indemnitaires visant la Société CARMONA ENTREPRISE.
Condamner Monsieur [C] à payer à la Société CARMONA ENTREPRISE la somme de 3500 € par application de l’article 700 du CPC, outre entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître James TURNER, Avocat, sur son affirmation de droits par application de l’article 699 du CPC.
Débouter Monsieur [C] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires.
A l’appui de ses prétentions elle fait valoir :
‘Que bien qu’ayant procédé à la livraison et récupéré l’appareil endommagé M [C] n’a pas restitué le réfrigérateur à la société Boulanger qui en a sollicité le remboursement .
‘Qu’en estimant que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse faute de communication du bon de livraison au salarié alors que l’employeur doit indiquer au cours de l’entretien préalable le motif de la sanction envisagée au salarié, mais n’a pas à communiquer au salarié les pièces susceptibles de la justifier (Cass. Soc., 6 avril 2004, pourvoi n°01-47153), le conseil de prud’hommes a méconnu la loi ;
Qu’elle produit aux débats le bon de livraison mentionnant l’obligation de reprendre l’ancien modèle et une attestations des époux [F] mentionnant qu’il a été effectivement repris .
‘Qu’elle a dû indemniser la société Boulanger pour un montant de 1800 euros ; que ces agissements ont en outre porté atteinte à son image car le magasin Boulanger de Vitrolles est son plus gros client.
‘Que le licenciement pour faute grave est privatif de l’indemnité de préavis et justifie le non paiement de la période de mise à pied et ne saurait donner lieu à dommages intérêts ; qu’en toute hypothèse l’indemnité ne peut excéder le préjudice subi .
Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 4 décembre 2019 , auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens , l’intimé formant appel incident demande à la cour de
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement litigieux dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la Société CARMONA ENTREPRISE au paiement des sommes suivantes :
-1 278,13 € (mille deux cent soixante dix huit euros et treize centimes) à titre de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,
-127,81 € (cent vingt sept euros et quatre vingt unCentimes) à titre d’incidence congés payés sur salaire précité,
-1 653,75 € (mille six cent cinquante trois euros et soixante quinze centimes) à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
-165,38 € (cent soixante cinq euros et trente huit centimes) à titre d’incidence congés payés sur indemnité précitée,
-1 500,00 € (mille cinq cents euros) à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’Article 700 du Code de Procédure Civile.
Y ajoutant pour le surplus,
Condamner l’appelante au paiement des sommes suivantes :
-10 ooo,oo € (dix mille euros) à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l’Article L.1235-5 du Code du Travail,
-1 500,00 € (MILLE CINQ CENTS EUROS) à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’Article 700 du Code de Procédure Civile, du chef des frais irrépétibles exposés à hauteur d’appel.
CONDAMNER l’appelante aux dépens.
Il expose
‘ Que la charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur , le doute profitant au salarié
‘ Qu’aucun enlèvement n’était prévu le 23 avril ,que la case concernant la reprise d’un appareil n’a d’ailleurs pas été signée par le client . qu’aucun incident n’a d’ailleurs été signalé par le magasin Boulanger donneur d’ordre.Que le collègue l’accompagnant n’a d’ailleurs pas été sanctionné.
Eu égard à son ancienneté, ses états de service, sa situation personnelle, ainsi qu’aux préjudices liés tant à la perte illégitime de son emploi qu’aux conditions singulièrement abusives dans lesquelles elle est survenue, Monsieur [C] est bien fondé à solliciter qu’il soit ajouté au jugement entrepris et que lui soit allouée une somme de 10 000,00 € à titre de dommages-intérêts.
L’ordonnance de clôture est en date du 23 janvier 2023 ;
Motifs de la décision
Il résulte de l’article l.1232-1 du code du travail, selon lequel tout licenciement pour motif personnel est motivé (…) et justifié par une cause réelle et sérieuse, qu’un licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs vérifiables et imputables au salarié.
L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige ,
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en apporter la preuve.
En l’espèce la lettre de licenciement ne se référant pas à un fait antérieur de ‘ disparition ‘ d’ une machine à laver imputable à M [C] il n’y a pas lieu de tenir compte de ce fait .
En exécution de son contrat de travail (pièce 1 de l’appelante) l’intimé était tenu de respecter toute instruction donnée pour l’exécution des taches qui lui incombant et en fonction des ordres de mission et des besoins du service et d’enregistrer au fur et a mesure de leur déroulement les renseignements concernant les différentes missions confiées sur les compte rendus adaptés à cet effet .
En l’espèce l’appelante verse aux débats le bon de livraison mentionnant en commentaire la reprise de l’ancien modèle (dont l’achat effectif le 18 avril est justifié en pièce 3 de l’appelant) et les préférences d’horaire de livraison du client ;
La cour note que ce bon ne mentionne pas la remise ou non par le client du réfrigérateur à reprendre ; toutefois l’employeur verse aux débats ( pièce 8 de l’appelant ) un courrier de M. [F] mentionnant que l’appareil a bien été repris par les livreurs en sa présence ;
Ainsi il est établi que l’intimé n’a pas enregistré les informations concernant le déroulement de la tache confiée contrairement aux obligations découlant de son contrat de travail ; ce manquement qui n’a pas permis à la société Carmona de justifier l’exacte destination du bien à restituer lui a causé préjudice ainsi qu’il résulte de la réclamation formulée le 2 mai par la société Boulanger( pièce 4 de l’appelante ) sollicitant l’indemnisation du produit disparu, et du paiement effectué ( pièce 9 de l’appelante)
Compte tenu de la nature commerciale de l’activité de la société carmona entreprise et des remarques formulées par son principal client dans sa réclamation la cour considère que le maintien de l’intimé dans l’entreprise n’était plus possible ;
Par ailleurs le pouvoir de sanction est le corollaire du pouvoir de direction de l’employeur , il n’appartient pas à la cour d’en apprécier la mise en oeuvre à l’égard d’un salarié dont la situation n’est pas soumise à son appréciation.
En conséquence le licenciement est fondé .
Le licenciement pour faute grave prive le salarié du préavis et justifie la retenue sur salaire au titre de la mise à pied le jugement doit donc être infirmé dans toutes ses dispositions.
M [C] qui succombe est condamné à payer à la SARL Carmona entreprise la somme de 2500 euros en application de l’article 700 et condamné aux dépens de première instance et d’appel
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement
Dit que le licenciement est fondé sur une faute grave et en conséquence
Infirme le jugement dans toutes ses dispositions
Statuant à nouveau :
Déboute M [C] de l’intégralité de ses demandes
Le condamne à payer à la SARL CARMONA ENTREPRISE la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du CPC;
Le condamne aux dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de MAÎTRE JAMES TURNER, avocat par application de l’article 699 du CPC.
Le greffier Le président