Retenues sur salaire : 13 septembre 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/01366

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Retenues sur salaire : 13 septembre 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/01366

13 SEPTEMBRE 2022

Arrêt n°

CHR/SB/NS

Dossier N° RG 20/01366 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FO4J

[B] [J], SYNDICAT [9], Syndicat [17]

/

S.A. [13]

Arrêt rendu ce TREIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Claude VICARD, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

M. [B] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Eric NURY suppléant Me Sophie GIRAUD de la SCP GIRAUD-NURY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

SYNDICAT [9]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Eric NURY suppléant Me Sophie GIRAUD de la SCP GIRAUD-NURY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

Syndicat [17]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Eric NURY suppléant Me Sophie GIRAUD de la SCP GIRAUD-NURY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTS

ET :

S.A. [13] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentée par Me Jean ROUX de la SARL TRUNO & ASSOCIES avocat au barreau de VICHY/CUSSET suppléant Me Antoine PORTAL de la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMEE

M. RUIN, Président et Mme VICARD, Conseiller après avoir entendu, M. RUIN, Président en son rapport, à l’audience publique du 07 Juin 2022, tenue par ces deux magistrats, sans qu’ils ne s’y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Depuis le 1er mars 2010, ‘la Poste’, n’est plus un établissement public mais une société de droit privé, la SA [13]. Cette société est à capitaux 100% publics, le groupe [13] étant détenu par deux actionnaires : la Caisse des Dépôts et l’État. Parmi le personnel de la société [13], certains ont le statut de fonctionnaire, d’autres sont des salariés de droit privé. Au début de l’année 2014, le président de la société [13] a annoncé dans le cadre du plan stratégique de la société, la création de cinq branches : Services-Courrier-Colis (BSCC), [11], le Réseau [13], [13], le Numérique.

Au sein de la SA [13], le site de la plateforme de préparation et de distribution du courrier, ci-après dénommée [15], de [Localité 14] disposait à l’époque considérée d’un CHSCT de droit privé.

Des salariés de la PPDC de [Localité 14] ont exercé un droit de retrait à compter du 15 janvier 2020.

Le 5 mars 2020, Monsieur [B] [J] (employé comme facteur sur le site PPDC de [Localité 14]) a saisi le conseil de prud’hommes de MOULINS aux fins notamment de voir déclarer recevable et bien fondé le droit de retrait exercé, et obtenir diverses sommes au titre des salaires indûment retenus ainsi qu’à titre indemnitaire.

D’autres salariés de droit privé de la PPDC de [Localité 14] de la SA [13] ont saisi au même moment et aux mêmes fins le juge prud’homal. Certains fonctionnaires employés sur ce site ont saisi le tribunal administratif des mêmes demandes.

L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de MOULINS s’est tenue en date du 6 mai 2020 (convocation notifiée au défendeur le 19 mars 2020) et, comme suite au constat de l’absence de conciliation, l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Les syndicats [7] et [17] sont intervenus volontairement à la procédure pour solliciter une condamnation à dommages-intérêts de la SA [13].

Par jugement de départage rendu contradictoirement en date du 10 septembre 2020 (audience du 30 juillet 2020), le conseil de prud’hommes de MOULINS a :

– condamné la société [13] à verser à Monsieur [B] [J] les sommes de 652,07 euros (brut) correspondant au salaire indûment retenu au titre du mois de février 2020, outre 65,21 euros au titre des congés payés afférents ;

– dit qu’il sera fait déduction des sommes effectivement versées par l’employeur au titre des salaires correspondant à la période du 25 janvier au 28 février 2020 et au titre de l’indemnité de congés payés incidente pour la même période ;

– dit que ces sommes produiront intérêts de droit à compter du 19 mars 2020, date de réception par la société [13] de la convocation devant le bureau de conciliation ;

– dit que l’exécution provisoire est de droit sur ces sommes ;

– condamné la société [13] à verser à Monsieur [B] [J] la somme de 200 euros (net) à titre de dommages et intérêts ;

– condamné la société [13] à verser au syndicat [7] les sommes suivantes :

* 200 euros (net) a titre de dommages et intérêts,

* 100 euros (net) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société [13] à verser au syndicat [17] les sommes suivantes :

* 200 euros (net) à titre de dommages et intérêts ;

* 100 euros (net) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– condamné la société [13] aux dépens de la présente instance.

Le19 octobre 2020, Monsieur [B] [J] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 24 septembre 2020.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 13 avril 2021 par la société [13],

Vu les conclusions notifiées à la cour le 12 juillet 2021 par Monsieur [B] [J], le syndicat [9] et le syndicat [17],

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 9 mai 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures Monsieur [B] [J], le syndicat [9] et le syndicat [17] demandent à la cour de :

– déclarer Monsieur [B] [J] recevable et bien fondé(e) en son appel ;

– déclarer la société [13] irrecevable et mal fondée en son appel incident ;

– débouter la société [13] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes ;

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé bien fondé l’exercice du droit de retrait, mais également jugé recevable et bien fondée l’intervention des syndicats [7] et [17] ;

Réformant :

– juger que Monsieur [B] [J] a légitimement exercé son droit de retrait du 15 janvier 2020 au 11 septembre 2020 ;

– condamner la société [13] à verser à Monsieur [B] [J] la somme de 9.055,70 euros au titre des salaires indûment retenus (sauf à parfaire), augmentée de la somme de 905,57 euros au titre des congés payés afférents, et subsidiairement, si la cour ne retenait que la période du 15 janvier au 28 février 2020, la somme de 1.837,42 euros augmentée de la somme de 183,74 euros au titre des congés payés afférents;

– condamner la société [13] à verser à Monsieur [B] [J] la somme de 9.000 euros à titre de dommages intérêts au titre de son préjudice moral et financier ;

– condamner la société [13] à verser à Monsieur [B] [J] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société [13] à verser au syndicat [7] la somme de 1000 euros au titre des dommages et intérêts ainsi que celle de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société [13] à verser au syndicat [17] la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société [13] aux entiers dépens.

Les appelants rappellent que le code du travail ne subordonne pas l’exercice du droit de retrait à l’existence effective d’un danger grave et imminent mais qu’il suffit pour le salarié d’avoir un motif raisonnable de penser qu’un tel danger existe. Ils relèvent qu’une situation de souffrance morale peut justifier un droit de retrait et que ce droit peut être exercé par un groupe de salariés. Ils affirment qu’en l’espèce le droit de retrait exercé était parfaitement motivé et fondé. Ils exposent que le droit de retrait a été exercé par les salariés du site au regard des conditions de travail imposées par la direction, à savoir un management basé sur la terreur, des pressions exercées sur les salariés, la multiplication de sanctions disciplinaires, et un état de souffrance au travail en résultant. Suite à cet exercice du droit de retrait, la société [13] a en outre opéré des retenues sur salaires illégales en plaçant les salariés en absence non rémunérée.

Ils font valoir que la société [13] a fait l’objet d’une mise en demeure de la DIRECCTE en matière d’obligation de sécurité, que les experts [16] et [12] ainsi que l’inspection du travail et le CHSCT ont fait état d’une situation psychosociale complexe, douloureuse et fortement dégradée pour l’ensemble des agents et salariés du site PPDC de [Localité 14]. Dès lors, ils estiment qu’un motif raisonnable de penser que la situation de travail présentait un danger grave et imminent pour la vie et la santé des salariés du site existait bel et bien.

Ils contestent les arguments de l’employeur et affirment que le climat délétère régnant sur le site de [Localité 14] a généré des souffrances importantes justifiant l’exercice du droit de retrait. Ils exposent que les sanctions disciplinaires infligées à trois salariés, pris au hasard par la direction, le 14 janvier 2020, ne sont pas le motif exclusif du droit de retrait mais entrent dans la continuité des multiples incidents et pressions survenus tout au long de l’année 2019. Ils ajoutent que l’enquête orchestrée en interne par la société [13] était fallacieuse. Concernant le compte-rendu du cabinet [12], ils considèrent que celui-ci est plus que discutable du fait des conditions dans lesquelles l’enquête a été menée mais précisent que nonobstant ce document fait bien état d’une situation psychosociale douloureuse et dégradée pour les salariés du site. Ils affirment en outre que la société [13], qui avance que l’exercice du droit de retrait aurait été à l’origine d’une situation de danger résultant d’une violation de libertés fondamentales, mélange l’exercice de ce droit exercé à compter du 15 janvier 2020 avec les manifestations et mouvements sociaux de décembre 2019 et de janvier 2020. Ils relèvent que certains salariés ont pu présenter la candidature de leurs enfants pour un emploi saisonnier d’été au sein de l’entreprise dans la mesure où d’autres sites d’affectation existaient et où le travail des saisonniers ne relevait pas du même encadrement.

Les appelants concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a jugé que le droit de retrait avait été exercé légitimement à compter du 15 janvier 2020.

Ils contestent cependant le fait que le conseil de prud’hommes ait retenu que la situation ayant conduit à retenir la légitimité de l’exercice du droit de retrait aurait disparu après le 28 février 2020. Ils font valoir que malgré les mesures que l’employeur prétend avoir prises à compter du 28 février 2020, la situation de danger est demeurée la même pour les salariés du site, ceux-ci ayant été à nouveau victimes d’un comportement agressif de la part de la direction, de changements intempestifs de directives et d’une pression continue. Ils précisent que les rapports [12] comme [16] font état d’une situation psychosociale dégradée, d’un risque de burn-out important et d’une atmosphère sociale toxique et pathogène pour les salariés, et ce après le 28 février 2020. Ils considèrent ainsi que les salariés du site de [Localité 14] ont légitimement exercé leur droit de retrait jusqu’en septembre 2020 et sont fondés à demander la condamnation de la société [13] à verser les salaires indûment retenus sur cette période.

En tout état de cause, ils relèvent que le montant du rappel de salaire retenu par le premier juge ne correspond pas aux rémunérations dues par l’employeur sur la période du 15 janvier au 28 février 2020.

Ils font valoir le préjudice subi par le salarié, tant sur le plan financier que moral, qui n’a pas perçu son salaire pendant plusieurs mois alors que l’exercice du droit de retrait était légitime, et ce en période de crise sanitaire. Ils ajoutent que l’employeur a été de mauvaise foi puisqu’il n’a pas rempli son engagement de continuer à rémunérer les salariés ayant engagé des actions judiciaires individuelles.

Les syndicats [9] et [17] s’estiment fondés et recevables à intervenir aux débats pour dénoncer les conditions dans lesquelles les salariés ont été traités. Ils indiquent avoir accompagné les salariés tout au long des conflits avec l’employeur, avoir apporté à ceux-ci une aide tant morale que matérielle, et avoir été eux aussi la cible de pressions de la part de la société [13].

Dans ses dernières écritures, la société [13] demande à la cour de :

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il n’a pas reconnu l’existence d’un droit de retrait à compter du 28 février 2020 ;

– l’infirmer pour le surplus ;

– dire et juger que Monsieur [B] [J] ne justifie pas d’un motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle il se trouvait le 15 janvier 2020, présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ;

– dire et juger que la DIRECCTE a procédé à son encontre par simple mise en demeure en application de l’article L. 4721-1 du Code du travail ;

– dire et juger que l’exercice du droit de retrait a créé une nouvelle situation de danger grave et imminent ;

– dire et juger que le motif réel de l’exercice du droit de retrait est la notification de sanctions disciplinaires à l’encontre de trois salariés de l’entreprise ;

En conséquence :

– dire et juger que Monsieur [B] [J] a exercé son droit de retrait de manière illicite et illégitime ;

– débouter Monsieur [B] [J] de sa demande de rappel de salaire et de sa demande indemnitaire ;

– débouter l’organisation syndicale [7] et l’organisation syndicale [17] de leurs demandes indemnitaires ;

En toute hypothèse :

– débouter Monsieur [B] [J], l’organisation syndicale [7] et l’organisation syndicale [17], de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

– condamner Monsieur [B] [J], l’organisation syndicale [7] et l’organisation syndicale [17], au paiement d’une somme de 2.000 euros chacun en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

La société [13] soutient que le premier juge a méconnu d’une part la notion de motif raisonnable et d’autre part l’existence d’un danger grave et imminent en l’espèce.

L’intimée soutient que le droit de retrait exercé par des salariés du site [Localité 14] était illicite. Elle fait valoir qu’il n’existait pas de danger grave et imminent pour chacun des salariés. Elle précise que la mise en demeure de la DIRECCTE était injustifiée, que les explications des salariés sont inopérantes et ne caractérisent pas un motif légitime de retrait, d’autant plus que le droit de retrait a été exercé pendant plusieurs mois. Elle affirme qu’elle a pris des mesures pour prévenir les risques psychosociaux, mettant en place chaque année un rapport annuel de prévention, des plans d’actions lors des années 2018 et 2019 ainsi qu’un document unique des risques. Elle considère ainsi qu’elle a été particulièrement active concernant l’évaluation des risques au sein du site de [Localité 14]. Dès lors, l’existence d’un état de souffrance morale collective au travail sur ce site ne peut être retenue, en tout cas en ce qu’il constituerait une situation danger grave et imminent pour la vie ou la santé de l’appelant.

La société [13] relève qu’il n’a été fait mention d’un danger grave et imminent par des salariés que postérieurement au 15 janvier 2020 et qu’il est seulement mentionné, à cette date, que le droit de retrait a été exercé pour la seule et unique raison des sanctions disciplinaires infligées à trois agents. Dès lors, elle considère que le véritable motif d’exercice du droit de retrait est bien la notification de sanctions disciplinaires justifiées à l’encontre de trois salariés.

Elle ajoute que les salariés ne produisent aucun document par lequel ils auraient dénoncé leurs conditions de travail auprès de l’employeur et ne se sont de plus jamais plaints de faits précis. Elle soutient que les motifs avancés dans le registre HSCT au soutien du droit de retrait ne sont pas de nature à caractériser un danger grave et imminent.

Elle relève que l’enquête contradictoire menée le 23 janvier 2020 conjointement par le président et le secrétaire du CHSCT ne fait pas état d’un danger grave et imminent.

Elle soutient que l’exercice du droit de retrait a créé pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent, caractérisée par une violation manifeste de plusieurs libertés et droits fondamentaux, ainsi qu’il en résulte des procès-verbaux de constat d’huissier en date des 15 et 16 janvier 2020. Elle ajoute que cela est confirmé par l’ordonnance rendue par le tribunal judiciaire de MOULINS, qui a ordonné à toute personne entravant ou susceptible d’entraver les entrées du site de quitter les lieux. Elle affirme que l’exercice du droit de retrait a entraîné un risque pour le personnel ne s’associant pas à cette décision, qui ne pouvait ni pénétrer sur le site de [Localité 14], ni en sortir aux mépris des règles élémentaires de sécurité. Elle considère dès lors que ce droit de retrait était d’autant plus illicite.

Elle conclut, au regard de ces éléments, que le droit de retrait a été exercé sans motif légitime et s’apparente à une cessation collective concertée du travail sans préavis.

La société [13] affirme qu’elle n’a jamais reconnu la légitimité du droit de retrait exercé par certains salariés à compter du 15 janvier 2020, qu’elle a néanmoins fait preuve d’un esprit de concertation et de conciliation, et même d’une certaine patience, voire bienveillance, en ce qu’elle a permis à l’ensemble du personnel en droit de retrait de percevoir une partie de rémunération de janvier à avril 2020, et ce n’est qu’à compter du mois de mai 2020 que certains agents seulement ont connu des paies à 0 €. Elle ajoute que la cour constatera à la lecture des bulletins de paie des mois de janvier à octobre 2020, qu’en dépit de l’exercice de leur droit de retrait, les salariés n’ont jamais fait l’objet d’une paie nulle, ayant perçu entre autres, la prime de complément bi annuel en février 2020, la prime MACRON et l’intéressement en mars et avril 2020, l’indemnité de congés payés de régularisation en mai 2020, et ayant pu en outre bénéficier de congés payés ou encore des d’arrêts de travail pour maladie fondés sur le motif impérieux de garde d’enfant dans le cadre de la crise sanitaire liée au COVID-19. D’autres enfin ont bénéficié des congés maladie de manière discontinue et ont ainsi perçu des indemnités journalières de la sécurité sociale avancées par [13]. Elle relève le caractère infondé des prétentions indemnitaires des salariés en droit de retrait, alors que nombre d’entre eux ont repris leurs fonctions pour la majorité à la date du délibéré prud’homal, mettant ainsi fin à l’exercice de leur droit de retrait, tandis qu’un grand nombre a également bénéficié des nombreuses mesures leur permettant de percevoir un salaire, ou encore des indemnités (IJSS), malgré l’exercice du droit de retrait.

L’intimée conteste les demandes indemnitaires des salariés ayant usé d’un droit de retrait alors que n’ayant pas volontairement exécuté la prestation de travail, ils ne peuvent revendiquer un quelconque préjudice car il suffisait qu’ils reprennent le travail pour toucher leur salaire. Au surplus, le salarié ne produit pas la moindre pièce en rapport avec un préjudice subi, étant précisé sur ce point que la chambre sociale de la Cour de cassation estime de manière constante que tout préjudice doit être prouvé dans son principe comme dans son quantum.

La SA [13] fait valoir que les organisations syndicales ne justifient pas d’un quelconque préjudice, contrairement aux exigences jurisprudentielles, alors qu’ils sont fondés à agir seulement en cas d’atteinte à l’intérêt collectif. À l’instar des blocages répétés du site de la PPDC auxquels, ces syndicats ne font que s’associer aux prétentions et actions du salarié dans le cadre de la présente instance. En présence d’un droit de retrait exercé de manière illégitime, les organisations syndicales [7] et [17] seront déboutées de leurs prétentions indemnitaires.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions recevables des parties et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion contenue dans ces écritures. La cour ne statue pas sur des demandes indéterminées, trop générales ou non personnalisées, ou non efficientes, notamment celles qui relèvent d’une reprise superfétatoire, dans le dispositif des conclusions d’une partie, de l’argumentaire (ou des moyens) contenu dans les motifs.

– Sur le droit de retrait –

La notion de grève n’est pas définie par la loi. C’est la jurisprudence qui en a fixé les critères essentiels : il s’agit d’une cessation collective et concertée du travail par le personnel d’une ou plusieurs entreprises visant à appuyer des revendications professionnelles. Les salariés qui participent à un arrêt de travail répondant à la définition de la grève bénéficient d’une protection contre les sanctions et les licenciements. En revanche, ceux qui s’associent à un mouvement jugé illicite peuvent être sanctionnés ou licenciés pour faute dans les conditions de droit commun. La grève est un droit individuel exercé collectivement. Il ne peut pas être exercé par une personne seule, sauf s’il s’agit de l’unique salarié de l’entreprise ou si le salarié participe à une grève nationale.

Dans le secteur privé, les revendications professionnelles des salariés grévistes doivent simplement être connues de l’employeur au moment de l’arrêt de travail, mais il n’est pas exigé qu’elles soient portées à sa connaissance avant la cessation collective du travail, ni même qu’elles soient présentées par les salariés grévistes eux-mêmes. L’employeur peut avoir connaissance des revendications professionnelles des salariés grévistes par l’intermédiaire d’un syndicat, d’un simple tract syndical ou de l’inspecteur du travail.

L’exercice du droit de grève suspend l’exécution du contrat de travail et les parties au contrat de travail, employeur et salarié, sont dispensées des obligations contractuelles qui leur incombent en principe. Le salarié en grève n’exécutant plus son contrat de travail, l’employeur est dispensé, sauf exception, de lui verser le salaire ainsi que ses compléments et accessoires. Le retenue opérée sur le salarié pour cause de grève doit être strictement proportionnelle à la durée de l’arrêt de travail pour ce motif car, à défaut, il s’agit d’une sanction pécuniaire prohibée.

Pendant l’exercice du droit de grève, le salarié bénéficie d’une protection particulière dans le sens où, d’une part, il ne doit subir aucune discrimination, notamment en matière de rémunération et d’avantages sociaux, d’autre part, sauf faute lourde, il ne peut être ni sanctionné ni licencié à raison de l’exercice du droit de grève.

La Cour de cassation pose comme condition au droit à l’indemnisation des jours de grève que les salariés se soient trouvés dans une situation contraignante telle qu’ils ont été obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d’un manquement grave et délibéré de l’employeur à ses obligations.

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail (ordonnance 2017-1389 du 22 septembre 2017) : ‘L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ; 2° Des actions d’information et de formation ; 3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.’.

Aux termes de l’article L. 4221-1 du code du travail :

‘Les établissements et locaux de travail sont aménagés de manière à ce que leur utilisation garantisse la sécurité des travailleurs.

Ils sont tenus dans un état constant de propreté et présentent les conditions d’hygiène et de salubrité propres à assurer la santé des intéressés.

Les décrets en Conseil d’Etat prévus à l’article L. 4111-6 déterminent les conditions d’application du présent titre.’

Tous les employeurs de droit privé sont tenus de respecter les règles de santé et de sécurité prescrites par le code du travail. L’employeur est tenu en principe vis-à-vis des salariés d’une obligation de sécurité dont il doit assurer l’effectivité. L’employeur doit exécuter son obligation de sécurité comme suit (conditions cumulatives) : – de façon générale vis-à-vis de tous ses salariés par les actions en matière d’évaluation, de prévention, de formation, d’information, d’adaptation (prévention du risque) ; – de façon particulière dès qu’il est informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un atteinte à la sécurité ou la santé, physique et mentale, d’un salarié, en prenant les mesures immédiates propres à les faire cesser (cessation du risque). La responsabilité de l’employeur est engagée vis-à-vis des salariés (ou du salarié) dès lors qu’un risque pour la santé ou la sécurité des travailleurs (du travailleur) est avéré. Il n’est pas nécessaire que soit constatée une atteinte à la santé, le risque suffit. En cas de risque avéré ou réalisé pour le travailleur, l’employeur engage sa responsabilité, sauf s’il démontre qu’il a pris les mesures générales de prévention nécessaires et suffisantes pour l’éviter, ce qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement. Le salarié peut solliciter des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Aux termes de l’article L. 4122-1 du code du travail :

‘Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d’en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.

Les instructions de l’employeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d’utilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses. Elles sont adaptées à la nature des tâches à accomplir.

Les dispositions du premier alinéa sont sans incidence sur le principe de la responsabilité de l’employeur.’.

Les salariés doivent respecter les instructions données par l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail. Le code du travail stipule qu’il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. Le fait pour un salarié d’avoir concouru à un dommage en acceptant un risque, qu’il avait dénoncé dans le même temps, est sans incidence sur la responsabilité de l’employeur. Le salarié ne respectant pas les consignes de sécurité de l’employeur est passible d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. Lorsque sa faute est à l’origine d’un accident du travail, le salarié peut engager sa responsabilité pénale. Si le salarié est lui-même victime d’un accident du travail causé par sa faute, il peut perdre tout ou partie des prestations accident du travail.

Les règles en matière de droit de retrait sont fixées par le code du travail dans la partie consacrée à la santé et sécurité au travail.

Aux termes de l’article L. 4131-1 du code du travail :

‘Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d’une telle situation.

L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection.’

Aux termes de l’article L. 4131-2 du code du travail : ‘Le représentant du personnel au comité social et économique (avant le 1er janvier 2018 : au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), qui constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, en alerte immédiatement l’employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article L. 4132-2.’

Aux termes de l’article L. 4131-3 du code du travail : ‘Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux.’

Aux termes de l’article L. 4132-1 du code du travail : ‘Le droit de retrait est exercé de telle manière qu’elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent.’

Aux termes de l’article L. 4132-2 du code du travail :

‘Lorsque le représentant du personnel au comité social et économique (avant le 1er janvier 2018: au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) alerte l’employeur en application de l’article L. 4131-2, il consigne son avis par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire.

L’employeur procède immédiatement à une enquête avec le représentant du comité social et économique (avant le 1er janvier 2018 : du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui lui a signalé le danger et prend les dispositions nécessaires pour y remédier.’

Aux termes de l’article L. 4132-3 du code du travail :

‘En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, notamment par arrêt du travail, de la machine ou de l’installation, le comité social et économique (avant le 1er janvier 2018 : le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) est réuni d’urgence, dans un délai n’excédant pas vingt-quatre heures.

L’employeur informe immédiatement l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1 et l’agent du service de prévention de la caisse régionale d’assurance maladie, qui peuvent assister à la réunion du comité social et économique (avant le 1er janvier 2018 : du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.’

Aux termes de l’article L. 4132-4 du code du travail :

‘A défaut d’accord entre l’employeur et la majorité du comité social et économique (avant le 1er janvier 2018 : du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution, l’inspecteur du travail est saisi immédiatement par l’employeur.

L’inspecteur du travail met en oeuvre soit l’une des procédures de mise en demeure prévues à l’article L. 4721-1, soit la procédure de référé prévue aux articles L. 4732-1 et L. 4732-2.’

Selon l’article L. 4721-1 du code du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, sur le rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail constatant une situation dangereuse, peut mettre en demeure l’employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte : 1° D’un non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 et suivants ; 2° D’une infraction à l’obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l’article L. 4221-1.

Selon l’article L. 4732-1 du code du travail, indépendamment de la mise en oeuvre des dispositions de l’article L. 4721-5, l’inspecteur du travail saisit le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que la mise hors service, l’immobilisation, la saisie des matériels, machines, dispositifs, produits ou autres, lorsqu’il constate un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un travailleur résultant de l’inobservation des dispositions suivantes de la présente partie ainsi que des textes pris pour leur application).

Selon l’article L. 4732-1 du code du travail, pour les opérations de bâtiment ou de génie civil, lorsqu’un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un intervenant sur le chantier résulte, lors de la réalisation des travaux, ou peut résulter, lors de travaux ultérieurs, de l’inobservation des dispositions incombant au maître d’ouvrage prévues au titre Ier du livre II et de celles du titre III du livre V ainsi que des textes pris pour leur application, l’inspecteur du travail saisit le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser ou à prévenir ce risque.

Aux termes de l’article L. 4132-5 du code du travail : ‘L’employeur prend les mesures et donne les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs, en cas de danger grave et imminent, d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail.’

Aux termes de l’article D. 4132-1 du code du travail :

‘L’avis du représentant du personnel au comité social et économique (avant le 1er janvier 2018: au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), prévu à l’article L.4131-2 est consigné sur un registre spécial dont les pages sont numérotées et authentifiées par le tampon du comité.

Cet avis est daté et signé. Il indique :

1° Les postes de travail concernés par la cause du danger constaté ;

2° La nature et la cause de ce danger ;

3° Le nom des travailleurs exposés.’

Aux termes de l’article D. 4132-2 du code du travail : ‘Le registre spécial est tenu, sous la responsabilité de l’employeur, à la disposition des représentants du personnel au comité social et économique (avant le 1er janvier 2018: au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail).’

La loi n° 82-1087 du 23 décembre 1982 a institué au profit des salariés, en cas de danger grave et imminent, un droit d’alerte et de retrait assorti de garanties, la seule obligation pesant sur le salarié désirant se retirer d’une situation dangereuse étant de le signaler à l’employeur (ou représentant de l’employeur).

En cas de menace susceptible de provoquer une atteinte sérieuse à l’intégrité physique d’un travailleur dans un proche délai, à ne pas confondre avec le risque habituel que certains postes de travail comportent, des mesures peuvent ou doivent être prises, par les salariés confrontés à ce danger, par le comité social et économique (le CHSCT auparavant) ou par l’employeur.

Le salarié doit signaler immédiatement à l’employeur toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Chaque salarié est en droit de se retirer d’une telle situation de travail sans avoir à demander l’accord de l’employeur. Mais il doit le faire sans créer pour autrui un nouveau danger grave et imminent.

Le droit de retrait est facultatif. Ne pas en faire usage ne peut pas constituer une faute ni être reproché à un salarié victime d’un accident du travail. Il s’agit d’un droit individuel pouvant être exercé par un seul salarié ou par un groupe de salariés.

Compte tenu de sa nature et de sa finalité, l’exercice du droit de retrait n’est soumis à aucun formalisme. Il peut être implicite. Aucune formalité n’est exigée pour l’exercice par un salarié de son droit d’alerte et de retrait. Le règlement intérieur ne peut le subordonner à une procédure écrite et si une telle procédure est prévue elle ne peut être que facultative. L’exercice du droit d’alerte ou de retrait par un salarié n’est pas subordonné à la procédure d’intervention du CHSCT ou du comité social et économique. S’il existe des représentants du personnel, l’exercice du droit de retrait ne peut pas être subordonné à leur saisine afin qu’ils déclenchent la procédure d’alerte.

En cas d’exercice du droit de retrait, l’employeur ou son représentant ne peut demander au salarié de reprendre son activité tant que subsiste le danger grave et imminent et il doit prendre immédiatement les mesures nécessaires pour protéger ses salariés.

La loi vise le danger grave et imminent pour la vie ou la santé du salarié. La faculté donnée au salarié de se retirer de son poste de travail doit être entendue comme un recours exceptionnel face à une menace de danger grave et imminent (conditions cumulatives). Le danger imminent est le danger qui est susceptible de se réaliser brusquement et dans un délai rapproché. Le danger concerne non seulement le risque de maladie professionnelle ou d’accident du travail mais la santé de manière générale qui englobe les effets des nuisances tenant aux conditions de travail dès lors que ces nuisances prennent un caractère aigu créant un danger imminent. Le danger peut émaner d’une machine, d’une ambiance de travail, d’un processus de fabrication. Par danger grave, il faut entendre un danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée. Le danger doit apparaître comme se situant au-delà du risque qui s’attache à l’exercice normal d’un travail qui peut impliquer, en soi, certaines servitudes ou un certain risque. Un poste de travail reconnu comme présentant un risque particulier pour la sécurité des travailleurs ne peut suffire à justifier l’exercice du droit de retrait.

La loi n’exige pas que le caractère de gravité du danger et son imminence apparaissent comme réels et effectifs. Le salarié conserve une certaine latitude d’appréciation et un certain droit à l’erreur dans la limite du raisonnable. Il appartient au juge prud’homal d’apprécier le caractère raisonnable ou non de la crainte invoquée par le salarié, en tenant compte si nécessaire de l’âge du salarié, de son état de santé, de sa qualification ou expérience professionnelle.

Le droit de retrait ne doit pas nécessairement trouver sa cause dans un motif étranger à la personne du salarié. Cette cause n’est pas nécessairement extérieure au salarié (machine, processus de fabrication, ambiance de travail…), elle peut résulter de circonstances propres au salarié.

Pour déterminer si l’exercice du droit de retrait est légitime, le juge doit rechercher si le salarié avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé. Le salarié n’a pas à prouver la réalité du danger grave et imminent. Il suffit qu’il ait un motif raisonnable de penser qu’il existe. En cas de litige, le juge du fond apprécie souverainement si le salarié justifie d’un tel motif (appréciation in concreto). En cas de contentieux, la mise en oeuvre du devoir ou droit d’alerte par les représentants du personnel, le CHSCT ou le comité social et économique peut constituer un indice.

L’exercice du droit de retrait, dès lors qu’il est justifié, ne peut entraîner de sanction à l’encontre du salarié qui en a usé. Une protection est assurée au travailleur ayant exercé légitimement son droit de retrait et, en premier lieu, l’employeur ne peut pas lui demander de reprendre son activité tant que la situation de danger grave et imminent persiste. Aucune sanction disciplinaire ni aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur (salarié ou agent public) qui s’est retiré d’une situation de travail dont il avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé. Si le droit de retrait est exercé légitimement, l’employeur ne peut amputer la rémunération correspondant au temps de retrait du poste de travail. Le salarié en situation de retrait aura le droit de percevoir l’intégralité de sa rémunération tant que l’employeur n’aura pas pris les mesures nécessaires pour remédier au risque.

Si le droit de retrait est injustifié, l’employeur peut opérer une retenue sur salaire, même si le salarié qui s’est retiré de son poste de travail reste à la disposition de l’employeur. Lorsque les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies, l’employeur n’est pas tenu, pour opérer une retenue sur salaire, de saisir préalablement le juge sur l’appréciation du bien-fondé de l’exercice du droit de retrait par le salarié.

Si, notamment après enquête, l’employeur démontre que le danger n’existe pas, le salarié est tenu de reprendre immédiatement son travail, sous peine d’être sanctionné, son absence s’analysant comme une non-exécution fautive du contrat de travail.

Les représentants du personnel au CHSCT, désormais au comité social et économique, qui constatent personnellement, ou par l’intermédiaire d’un salarié qui a quitté son poste de travail, l’existence d’une cause de danger grave et imminent, en avisent immédiatement l’employeur ou son représentant. L’avis, daté et signé, est consigné par écrit sur un registre spécial, tenu sous la responsabilité du chef d’établissement et mis à la disposition des membres du comité social et économique (CHSCT auparavant), il comporte l’indication du (ou des) poste de travail concerné, de la nature du danger et de sa cause, ainsi que des salariés exposés.

L’employeur (ou son représentant) doit procéder immédiatement à une enquête avec le membre du comité social et économique (CHSCT auparavant) qui signale le danger et prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser le danger. L’employeur ne peut pas refuser au membre du comité social et économique (CHSCT auparavant) qui a exercé son droit d’alerte de se rendre sur les lieux et il doit lui en donner les moyens.

En cas de divergence sur la réalité du danger grave et imminent ou sur les moyens à mettre en oeuvre pour le faire cesser, le comité social et économique (CHSCT auparavant) est réuni d’urgence et au plus tard dans les 24 heures. L’employeur doit en informer l’inspecteur du travail et l’agent de prévention de la caisse régionale d’assurance maladie qui peuvent assister à la séance. Ensuite, à défaut d’accord entre l’employeur et la majorité des membres du comité social et économique (CHSCT auparavant) sur la réalité du danger grave et imminent ou sur les mesures à mettre en oeuvre pour le faire cesser, l’inspecteur du travail doit être saisi immédiatement par l’employeur. L’inspecteur du travail pourra mettra alors en oeuvre soit la procédure particulière de mise en demeure de l’article L. 4721-1 du code du travail, soit la procédure de référé de l’article L. 4732-1 du code du travail et de l’article L. 4732-2 du code du travail.

Outre le droit de faire toutes observations ou de constater les infractions à la réglementation sur l’hygiène et de la sécurité, l’inspecteur du travail dispose de prérogatives particulières lui permettant, sous certaines conditions, de faire arrêter les travaux ou les activités portant atteinte à la sécurité ou à la santé des travailleurs.

Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, sur le rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail constatant une situation dangereuse, peut mettre en demeure l’employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier, si ce constat résulte d’un non-respect par l’employeur des principes généraux de prévention prévus par les articles L. 4121-1 et suivants, ou d’une infraction à l’obligation générale de santé et de sécurité résultant des dispositions de l’article L. 4221-1.

L’inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que la mise hors service, l’immobilisation, la saisie des matériels, machines, dispositifs, produits ou autres, lorsqu’il constate un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un travailleur résultant de l’inobservation des dispositions en matière de sécurité.

En l’espèce, Monsieur [B] [J] reconnaît ne pas avoir occupé son poste de travail du 15 janvier 2020 au 11 septembre 2020. Il indique avoir exercé durant toute cette période son droit de retrait en application des articles L. 4131-1 et suivants du code du travail. Il ne revendique nullement l’exercice du droit de grève pour justifier son absence. Il appartient donc seulement à la cour de rechercher si, pendant la période précitée, le salarié avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé, le seul constat d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité était insuffisant dans ce cadre.

Il n’est pas contesté que le site de la plateforme de préparation et de distribution du courrier, ci-après dénommée [15], de [Localité 14] de la SA [13], qui dispose d’un CHSCT de droit privé, a été le théâtre d’importantes tensions entre la direction et certains salariés de ce site à partir du début de l’année 2019, époque où il y a eu un changement de titulaire au poste de directeur du site (Monsieur [I] a remplacé Monsieur [P] fin 2018). Certains salariés, notamment ceux syndiqués [5] et [10], se sont plaints de la mauvaise qualité du dialogue social avec la direction du site ainsi que du management de celle-ci, et ce s’agissant particulièrement de la réorganisation du travail et de la gestion des mouvements sociaux.

Lors d’une journée de manifestation sur le site en février 2019, à l’occasion d’une grève, deux salariés de la PPDC de [Localité 14] auraient été poursuivis sur le plan disciplinaire par la direction du site, ce qui aurait généré une forte émotion pour une partie du personnel, voire des malaises physiques chez certains salariés. Un droit de retrait pour danger grave et imminent a alors été acté alors par le CHSCT en raison de la souffrance psychologique générée par ces poursuites disciplinaires. Dans le cadre d’un protocole de sortie de conflit, l’employeur aurait finalement renoncé à sanctionner disciplinairement les deux salariés visés.

Début mai 2019, un mouvement de grève a été engagé en vue d’ouvrir des négociations sur l’organisation du travail. Lors du conflit social à la PPDC de [Localité 14], une salariée (Madame [R]) a déclaré avoir failli être percutée par un membre de la direction, une autre (Madame [M]) a déclaré avoir été blessée au pied par un membre de la direction utilisant un véhicule.

En septembre 2019, une situation de harcèlement moral est signalée par le CHSCT, sans autre précision en l’état des seules pièces versées aux débats.

Fin 2019, les syndicats déploraient l’absence d’avancées et de dialogue constructif s’agissant de leurs revendications, stigmatisaient le management de la direction du site (Monsieur [I]) et faisaient état des risques psychosociaux en conséquence pour les salariés de la PPDC de [Localité 14].

Les 5 et 6 décembre 2019, des salariés en grève (grève nationale contre la réforme des retraites) participaient à un mouvement de blocage des accès à la PPDC de [Localité 14]. Un huissier de justice constatait ce blocage ainsi que des dégradations commises au préjudice de l’entreprise (feux allumés, coupure de courant, altération des boîtiers électriques et arrachage de fusibles…).

Par courriers datés du 31 décembre 2019, remis en main propre contre décharge aux destinataires les 11 et 13 janvier 2020, trois salariés de la PPDC de [Localité 14] ont été sanctionnés disciplinairement par l’employeur (un blâme pour Monsieur [T] [N] et Monsieur [G] [D], un avertissement pour Monsieur [Z] [H]) pour avoir, les 5 et 6 décembre 2019, commis volontairement des dégradations en participant à un blocage du site de la PPDC de [Localité 14] à l’occasion d’un mouvement de grève. Il n’est pas justifié d’une contestation formelle de ces sanctions disciplinaires par les salariés concernés, encore moins d’une saisine judiciaire à ce titre.

Le 15 janvier 2020, un membre du CHSCT a porté mention sur le registre d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de l’exercice du droit de retrait par l’ensemble des agents comme suit : ‘ Tous les agents de la [15] prennent leurs droits de retrait suite à 3 lettres reçues par 3 agents 1 avertissement et 2 blâmes ce qui a générer cette action. Nous demandons l’abandon de ces 3 sanctions. Le Directeur étant absent, son adjoint ne pouvant rien faire, la [15] se maintient dans son action. Les sanctions à répétition qui ont engendrée une alerte locale et nationale nous conduisent à ce droit de retrait car pouvant engendrer des RPS ‘.

Des salariés de la PPDC de [Localité 14] ont exercé un droit de retrait à compter du 15 janvier 2020.

Le 15 janvier 2020, à la demande de la SA [13], un huissier de justice a constaté que des salariés de la PPDC de [Localité 14] refusaient de travailler en invoquant un mouvement social et en demandant le retrait des sanctions disciplinaires infligées à trois salariés du site. Des personnes ne travaillant manifestement pas sur ce site ont envahi les lieux, notamment en arborant des chasubles et drapeaux [5] et [10], et ce pour manifester leur soutien aux trois salariés sanctionnés. La porte-parole de la soixantaine de manifestants occupant les lieux, Madame [V] [F] (secrétaire départementale [5]), a indiqué au représentant de la direction que les salariés de la PPDC de [Localité 14] reprendraient immédiatement le travail si et seulement si les sanctions étaient levées pour Monsieur [T] [N], Monsieur [G] [D] et Monsieur [Z] [H].

Le 16 janvier 2020, à la demande de la SA [13], un huissier de justice a constaté qu’une quarantaine de membres du personnel était rassemblée à l’intérieur du site de la PPDC de [Localité 14]. Madame [V] [F], secrétaire départementale [5] arborant une chasuble [5], a refusé la proposition de Monsieur [I] de tenir une réunion avec quatre représentants du personnel, exigeant une discussion publique en présence de tous les salariés et agents manifestant, puis elle a lu une motion de soutien aux trois salariés sanctionnés, Madame [U] [S], représentante syndicale [10], faisant de même. Les manifestant ont ensuite scandé ‘zéro sanction’. Plusieurs dizaines de personnes (environ 60) extérieures à l’entreprise, arborant des chasubles [6] et des drapeaux [5], ont envahi ensuite les lieux.

Le 16 janvier 2020, la SA [13] a saisi la présidente du tribunal judiciaire de MOULINS pour obtenir l’évacuation des locaux et le libre accès au lieu de travail. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance rendue le même jour.

Le 16 janvier 2020, un membre du CHSCT a porté mention sur le registre d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de l’exercice du droit de retrait par l’ensemble du personnel en faisant état d’un danger grave et imminent, d’un état d’alerte sociale en cours, d’une situation de stress et de pression mentale avec la précision suivante : ‘Le mépris affiché par la direction et son refus d’échanger avec l’ensemble du personnel crée une vague d’incompréhension et le sentiment d’être laissés pour compte. La situation risque de se dégrader et de conduire aux extrémités déjà vécues l’an dernier’.

Par la suite, un membre du CHSCT portait d’autres mentions sur le registre spécial pour faire état d’un droit de retrait justifié par le traumatisme de février 2019, la violence de la direction en mai 2019, l’alerte sociale nationale en cours non traitée, la révision des tournées des facteurs demandée depuis octobre 2019 et toujours en suspens, le bafouement des règles RH. Ultérieurement, d’autres mentions relatives au climat social et à la souffrance psychologique du personnel de la PPDC de [Localité 14] seront encore portées sur le registre.

Par courriers datés du 22 janvier 2020, estimant l’exercice du droit de retrait non fondé, la direction demandait aux agents et salariés de la PPDC de [Localité 14] de bien vouloir reprendre leur travail sans délai.

Le 23 janvier 2020, lors d’une réunion extraordinaire, le CHSCT désignait l’expert [16] pour réaliser une étude relative à l’exposition des salariés et agents aux risques psycho-sociaux sur le site PPDC de [Localité 14]. La société [13] contestait le recours à l’expertise, dans le cadre de la procédure accélérée au fond devant le tribunal judiciaire de Moulins, et sollicitait l’annulation de la délibération du CHSCT votée le 23 janvier 2020 visant à désigner le Cabinet [16] en qualité d’expert sur le fondement des articles L. 4612-1 à L. 4614-12 du Code du travail. Par jugement du 8 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Moulins devait valider la délibération en se fondant sur le rapport de l’inspecteur du travail et la mise en demeure qui en découle.

Le 24 janvier 2020, le CHSCT était à nouveau en réunion extraordinaire. Selon des questionnaires remplis par 13 salariés de la PPDC de [Localité 14], 7 salariés déclaraient se sentir en danger au travail et vivre une situation de stress aigu, alors que 6 salariés ne faisaient pas état de problèmes particuliers. Le président du CHSCT (Monsieur [A] [I], directeur du site) concluait à l’absence danger grave et imminent, alors que la secrétaire (Madame [C] [O]) estimait que la situation de souffrance morale et psychologique des agents et salariés de la PPDC de [Localité 14] justifiait le droit de retrait. Un désaccord était ainsi acté sur l’existence d’un danger grave et imminent.

L’inspecteur du travail, saisi du fait de la situation de divergence entre un membre du CHSCT et l’employeur quant à l’existence d’une situation de danger grave et imminent, décidait alors de conduire lui-même des entretiens individuels sur la base du volontariat.

Le 28 janvier 2020, par courriel, l’inspecteur du travail indiquait à l’employeur qu’il avait constaté ‘l’existence d’une situation dangereuse’, sans autre précision, et qu’il rédigerait en conséquence un rapport à destination du Direccte.

Par courrier recommandé daté du 30 janvier 2020, l’employeur répondait à l’inspecteur du travail qu’il regrettait que celui-ci n’ait pas voulu échanger avec la direction du site de la PPDC de [Localité 14] ainsi que l’absence de motivation quant à l’affirmation de ‘l’existence d’une situation dangereuse’.

Par décision rendue le 4 février 2020, sur la base du rapport établi par l’inspecteur du travail en date du 28 janvier 2020, le Direccte a mis en demeure la société [13] de prendre, dans un délai de 30 jours ouvrables, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de la PPDC de [Localité 14], ces mesures devant comprendre : – des actions concrètes de prévention des risques professionnels ; – des actions d’information et de formation ; – une organisation et des moyens matériels et humains adaptés ; – une adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. Cette mise en demeure se fonde sur les constatations de l’agent de contrôle de l’inspection du travail, en particulier celle d’une situation dangereuse en matière de risques psychosociaux et de l’insuffisance des actions d’écoute des salariés et de facilitation du dialogue annoncées par l’employeur pour mettre fin à la situation dangereuse constatée.

Début février 2020, la SA [13] saisissait, d’une part, un cabinet externe ([12]) afin de mener une enquête psychosociale pour identifier et qualifier, les différents facteurs de risques psychosociaux en fonction de leur origine et de proposer le cas échéant des actions correctrices, d’autre part, un médiateur externe, dans le but d’apaiser le climat social, et de pouvoir enfin avoir un véritable dialogue avec les représentants du personnel et les membres du CHSCT et trouver une issue à ce conflit, les personnels maintenant leur retrait en restant sur leur lieu de travail.

Par courriers datés du 5 février 2020, l’employeur mettait en demeure les salariés de reprendre le travail en relevant un droit de retrait injustifié et l’absence de danger grave et imminent.

Le 13 février 2020, à la demande de la SA [13], un huissier de justice a constaté une nouvelle manifestation d’une vingtaine de personnes, dont certaines arborant des chasubles et drapeaux [5], bloquant l’accès au site PPDC de [Localité 14].

Par courrier recommandé daté du 21 février 2020, la société [13] répondait à la mise en demeure de la DIRECCTE et indiquait que l’ensemble des mesures de prévention nécessaires à la préservation de la santé et de la sécurité des salariés avaient été prises, à savoir : – L’organisation des permanences du médecin du travail et des assistantes sociales sur site ; – La mise en place d’un dispositif de signalement immédiat des agents en difficulté à l’égard du médecin du travail ; – L’intervention d’un cabinet externe spécialisé dans l’accompagnement des équipes en difficulté, mandaté conjointement par la société [13] et la [5] afin de mener une enquête psychosociale sur la base d’entretiens individuels réalisés avec chacun des agents.

Par courrier recommandé daté du 28 février 2020, la société [13] informait la DIRECCTE des mesures de prévention complémentaires mises en place : – La présence de préventeurs au sein de l’établissement dans l’attente du recrutement d’un préventeur dédié ; – La mise en place d’une cellule d’écoute et de soutien psychologique permanente à la disposition des agents, assurée par le cabinet [8], ayant obtenu une habilitation de la DIRECCTE.

Pour favoriser une reprise du travail le 28 février 2020, la SA [13] a diffusé une ‘proposition de protocole de médiation’ mentionnant que l’employeur contestait l’exercice d’un droit de retrait mais s’engageait à ne pas contester la mise en demeure du Direccte et allait mettre en oeuvre diverses mesures (cellule d’écoute psychologique, renforcement des permanences sociales et médicales, poursuite veille service de santé au travail des managers, application et suivi des préconisations des experts, groupes de travail sur l’organisation du travail avec bilan 15 jours après la reprise du travail). S’agissant des retenues sur salaire, toujours dans le cadre d’une proposition de protocole de médiation pour favoriser une reprise du travail le 28 février 2020, l’employeur s’engageait notamment à les suspendre (jusqu’à la décision du tribunal) en cas d’actions juridiques individuelles engagées pour trancher la question de la légitimité du droit de retrait.

Par courrier daté du 4 mars 2020 adressé au procureur de la République de MOULINS, 53 salariés et agents du site PPDC de [Localité 14], dont l’appelant (e), ainsi que les le syndicat [7] et le syndicat [17], ont déposé plainte contre la SA [13] pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et exposition des agents et salariés à un risque au visa des articles 223-1 du code pénal et L. 4121-1 du code du travail. Dans ce courrier, sont dénoncés (pas de précision quant à l’identité des victimes alléguées)les nouvelles méthodes managériales, des intimidations par lettres et sms, des ordres contradictoires, la surcharge de travail des facteurs, le refus des heures supplémentaires et des sanctions à l’encontre de facteurs, les malaises physiques de certains salariés, le tout justifiant selon les auteurs le droit de retrait. Il n’est pas justifié de la suite donnée à cette plainte.

La cour constate que l’employeur n’a jamais admis la légitimité du droit de retrait exercé par certains salariés à compter du 15 janvier 2020, pas plus que le bien-fondé des observations et décisions de l’inspecteur du travail comme du Direccte, même s’il a décidé de ne pas contester formellement la mise en demeure de ce dernier. Il n’est pas justifié de décisions ou même d’observations ou de réactions de l’inspection du travail ou de la Direccte après le 4 février 2020, notamment en réponse aux mesures annoncées par l’employeur les 21 et 28 février 2020.

La SA [13] justifie, sur la période 2018-2020, de son travail d’évaluation des risques professionnels et de ses plans d’action en la matière concernant le site de la PPDC de [Localité 14]. Il n’y a pas lieu de développer outre sur un éventuel manquement de l’employeur à son obligation de sécurité sur la période 2018-2020 alors que la seule question déterminante dans le cadre du présent litige est l’existence (motif raisonnable) d’un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de Monsieur [B] [J] à occuper son poste de travail entre le 15 janvier 2020 et le 11 septembre 2020.

Au-delà des observations méthodologiques, rappels chronologiques, formules de style, appréciations subjectives et affirmations non étayées, la lecture du rapport d’enquête du cabinet [12] daté du 27 mai 2020 ne permet pas de caractériser une situation de danger grave et imminent pour la santé ou la vie des salariés de la PPDC de [Localité 14], en tout cas pour Monsieur [B] [J] entre le 15 janvier 2020 et le 11 septembre 2020. Ce cabinet d’expertise a constaté que certains salariés se plaignent de difficultés et de stress en raison de la charge de travail, du management, de l’évolution des métiers, de la réorganisation du travail, du manque de reconnaissance par l’entreprise. Le management de Monsieur [I] est apparu à certains agents ou salariés de la PPDC de [Localité 14] plus rigide, voire rugueux, en tout cas moins souple, affectif et conciliant que celui de son prédécesseur. La situation s’est tendue dans un contexte national particulier sur le plan social en 2018-2020 (gilets jaunes, mouvements sociaux, grève dure contre la réforme des retraites etc.) et du fait que les sanctions disciplinaires étaient auparavant relativement inhabituelles au sein de l’entreprise à l’occasion de manifestations syndicales. L’ambiance sociale au sein de la PPDC de [Localité 14] est devenue toxique, voire délétère, en partie du fait de la crispation des relations entre les syndicats, une partie du personnel et la direction, mais également en raison de la division forte, voire de la fracture, entre les membres du personnel à l’occasion des actions syndicales.

Au-delà des observations méthodologiques, rappels chronologiques, formules de style, appréciations subjectives et affirmations non étayées, la lecture du rapport d’enquête du cabinet [16] daté de décembre 2020 ne permet pas plus de caractériser une situation de danger grave et imminent pour la santé ou la vie des salariés de la PPDC de [Localité 14] en tout cas pour Monsieur [B] [J] entre le 15 janvier 2020 et le 11 septembre 2020. Ce document énumère les mêmes facteurs de risques psychosociaux que le rapport [12], pointe les mêmes frustrations d’une partie du personnel face à l’évolution des métiers et de l’organisation du travail au sein de la SA [13], déplore les carences managériales de la direction de la PPDC de [Localité 14] et renvoie au même contexte global générateur de stress pour les salariés.

Le rapport de l’inspecteur du travail faisant le constat de ‘l’existence d’une situation dangereuse’ n’est pas versé aux débats et son contenu ne peut être appréhendé qu’à la lecture de la mise en demeure du Direccte qui y fait référence. Il est indiqué que l’agent de l’inspection du travail a entendu des salariés de l’établissement (aucune précision de nombre ni d’identité), qu’une ‘part importante de salariés entendus ne se sentait pas en mesure d’assurer son travail physiquement ou mentalement de même qu’ils ressentaient actuellement un stress aigu en lien avec leur travail’. L’inspecteur du travail a relevé chez ‘plusieurs salariés’ (aucune précision de nombre ni d’identité) les signes manifestes d’un état de tension et de stress aigu (pleurs, tremblements, abattement, expression d’idées noires). ‘Certains d’entre eux’ (aucune précision de nombre ni d’identité) ont mentionné être sous traitement psychotrope et ont fait état de colère et d’un fort sentiment d’injustice, de dévalorisation, d’un manque de reconnaissance à la suite des difficultés rencontrées dans leur travail qui les amènent pour certains à travailler dans l’urgence, à prendre des risques sur la route, à envisager des actes de violence envers autrui ou eux-mêmes.

En l’état, sans remettre en cause la sincérité des opérations de l’inspecteur du travail, la cour ne peut déterminer combien de salariés ont été entendus par celui-ci, pas plus que l’identité de ceux qui ont été entendus, et de quels postes ou emplois l’on parle au sein de la PPDC de [Localité 14]. L’inspecteur du travail semble s’être contenté de rapporter les dires de quelques salariés volontaires non identifiés (tout ou partie des 7 salariés cités dans le procès-verbal de réunion du CHSCT du 24 janvier 2020 ‘), quelques jours après les sanctions disciplinaires notifiées à trois membres du personnel pour des faits commis à l’occasion d’un mouvement social au sein de l’établissement, sans faire état d’une quelconque étude ou analyse plus poussée. Il est regrettable que s’agissant d’un droit de retrait prolongé concernant de nombreux salariés, l’inspecteur du travail n’ait pas pu ou voulu approfondir ses investigations ni entendre la version de l’employeur pour assurer un minimum de contradictoire. Sur le fond, il est fait état de façon assez globale d’une souffrance psychologique et d’un rapport au travail qui, à l’époque considérée, pouvaient correspondre à la situation d’une grande partie des agents et salariés de la SA [13], voire à de très nombreux travailleurs en France entre 2018 et 2020, situation non spécifique au personnel de la PPDC de [Localité 14], à la date du 15 janvier 2020 et pour les jours qui ont suivi, sauf à prendre en compte l’émotion et la colère ressenties par certains salariés du site suite aux sanctions disciplinaires notifiées à Messieurs [T] [N], [G] [D] et [Z] [H].

S’agissant de Monsieur [B] [J], hors le contrat de travail et des bulletins de paie, il n’est produit aucun justificatif concernant la situation personnelle de ce salarié (caractéristiques de son emploi, conditions de travail, état de santé, difficultés éventuellement rencontrées dans l’exécution du contrat de travail etc.).

Le nom de Monsieur [B] [J] n’apparaît pas, en tout cas n’est pas signalé, dans les mentions du CHSCT, les rapports [16] ou [12], les documents émanant de l’inspecteur du travail ou de la Direccte. Il n’est ni justifié ni même fait état d’observations ou démarches préalables (avant le 15 janvier 2020, ou même postérieurement) de la part de Monsieur [B] [J] à destination de l’employeur (ou de la direction ou de l’encadrement) s’agissant de ses conditions de travail, de son état de santé ou de ses craintes particulières. Il est seulement fait référence au contexte précité.

La situation de stress ou de souffrance psychologique de ‘certains salariés’ de la PPDC de [Localité 14], apparente et non sérieusement contestée, s’inscrit d’abord dans un contexte national lourd, celui de la période 2018-2020 pour les travailleurs en France (mouvements sociaux, grève contre la réforme des retraites, gilets jaunes, crise sanitaire avec état d’urgence à compter de mars 2020 etc.), et plus particulièrement au sein de la SA [13] du fait des incertitudes liées à l’évolution des missions et métiers avec une modification très importante et assez rapide, vécue souvent comme brutale (alerte nationale sociale en cours), de l’organisation du travail dans l’entreprise, notamment pour les PPDC. Sur le site de la PPDC de [Localité 14], s’ajoutent, sur la période 2018-2020, les frustrations liées au changement de directeur, avec un management local moins affectif ou conciliant, voire plus rugueux, à compter de début 2019, aux incidents survenus lors des mouvements de grève de février 2019, mai 2019 et décembre 2019, au cours desquels certains salariés et/ou personnes extérieures au site ont participé à des opérations de blocage d’accès au site, voire à des dégradations, à l’absence de satisfaction de revendications syndicales (tournées des facteurs, levée des sanctions disciplinaires, dialogue social etc.).

Cette situation de souffrance psychologique de certains salariés de la PPDC de [Localité 14] ne date pas particulièrement du 15 janvier 2020 ni même de la période 2018-2020, elle s’est toutefois accentuée à compter de fin 2018 début 2019, avec une crispation croissante du dialogue social, des rapports avec la direction du site, voire entre des salariés ne partageant pas les mêmes idées en matière de mouvement sociaux, au fur et à mesure des grèves successives de février, mai et décembre 2019.

À l’époque considérée, ce contexte de climat social très dégradé au sein de la PPDC de [Localité 14] pouvait constituer une source de risques psychosociaux pour les salariés du site, dont l’employeur devait se préoccuper vu son obligation de sécurité, ce qu’a d’ailleurs rappelé le Direccte dans le cadre de sa mise en demeure du 4 février 2020, mais ne correspondait nullement à une situation de danger grave et imminent pour la vie ou la santé de Monsieur [B] [J].

Le véritable déclencheur du droit de retrait exercé par certains salariés (dont Monsieur [B] [J]), en tout cas à l’origine et dans les jours qui ont suivi le 15 janvier 2020, n’apparaît pas être objectivement ce climat social anxiogène mais bien les sanctions disciplinaires (prononcées le 31 décembre 2019 mais effectivement notifiées juste avant le 15 janvier 2020) concernant trois salariés grévistes ayant participé à des opérations de blocage du site en décembre 2019, avec des dégradations ou nuisances. Cela résulte clairement des premières mentions (à chaud) sur le registre du CHSCT, qui font exclusivement référence aux sanctions disciplinaires prononcées contre les salariés [T] [N], [G] [D], [Z] [H] de la PPDC de [Localité 14], comme des constats d’huissier des 15 janvier, 16 janvier et 13 février 2020.

Sur un plan général, il apparaît que les salariés de la PPDC de [Localité 14] qui ont invoqué leur droit de retrait pour ne plus occuper leur poste de travail à compter du 15 janvier 2020 ont confondu exercice du droit de retrait et exercice du droit de grève. Le droit de retrait ne saurait être une réponse collective à des sanctions disciplinaires infligées à des collègues de travail, sanctions n’ayant par ailleurs fait l’objet d’aucun recours de la part des intéressés. Le droit de retrait ne saurait constituer un moyen de pression dans le cadre de l’action syndicale pas plus qu’au soutien de revendications professionnelles, ni un instrument du dialogue social, ni une réponse à des frustrations de diverses natures, aussi réelles et légitimes soient-elles.

Le droit de retrait ne peut pas plus constituer, hors situation de danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun des salariés y recourant, une prise d’acte collective de suspension de l’exécution des contrats de travail en raison de manquements allégués de l’employeur à son obligation de sécurité.

Le droit de retrait ne peut constituer qu’une mesure ou réponse d’urgence absolue (vitale) face à une situation exceptionnelle, celle de considérer raisonnablement pour un salarié qu’il encourt un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé en continuant à exécuter le contrat de travail qui le lie à son employeur. Tel n’est pas le cas en l’espèce pour Monsieur [B] [J] qui, n’ayant pas de motif raisonnable de penser que la poursuite de son travail au sein de la PPDC de [Localité 14] présentait, à compter du 15 janvier 2020, en tout cas entre le 15 janvier 2020 et le 11 septembre 2020, un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ne pouvait exercer un droit de retrait vis-à-vis de la SA [13].

L’exercice du droit de retrait par Monsieur [B] [J] étant jugé infondé en son intégralité, le jugement déféré sera infirmé en ce que le conseil de prud’hommes a jugé le droit de retrait légitime jusqu’au 28 février 2020, en ce qu’il a condamné la société [13] à verser au salarié des rappels de salaire ainsi que des dommages-intérêts, en ce qu’il a condamné la société [13] à verser au syndicat [7] des dommages et intérêts, en ce qu’il a condamné la société [13] à verser au syndicat [17] des dommages et intérêts.

Monsieur [B] [J], le syndicat [7] et le syndicat [17] seront déboutés de toutes leurs demandes en rapport avec l’exercice du droit de retrait par le salarié.

Pour le surplus, la cour a indiqué qu’elle ne répondrait pas aux prétentions mentionnées dans le dispositif des dernières écritures de la SA [13] qui ne correspondent en réalité qu’à des reprises de moyens ou arguments.

– Sur les dépens et frais irrépétibles –

Le jugement sera infirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d’appel et de première instance.

Il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance comme en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

– Infirme le jugement en ce que le conseil de prud’hommes a jugé le droit de retrait légitime jusqu’au 28 février 2020, en ce qu’il a condamné la société [13] à verser à Monsieur [B] [J] des rappels de salaire ainsi que des dommages-intérêts, en ce qu’il a condamné la société [13] à verser au syndicat [7] des dommages et intérêts, en ce qu’il a condamné la société [13] à verser au syndicat [17] des dommages et intérêts, et, statuant à nouveau, déboute Monsieur [B] [J], le syndicat [7] et le syndicat [17] de toutes leurs demandes en rapport avec l’exercice du droit de retrait par le salarié ;

– Infirme le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance, et, statuant à nouveau, dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et qu’il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance ;

– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions non contraires ;

– Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d’appel ;

– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le Greffier, Le Président,

S. BOUDRY C. RUIN

 


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