Retenues sur salaire : 13 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/07618

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Retenues sur salaire : 13 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/07618

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 13 AVRIL 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07618 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCUOB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Janvier 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/05913

APPELANTE

Madame [N] [D]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Gaëtan DMYTROW, avocat au barreau de PARIS, toque : C2478

INTIMEE

S.A.S.U. ORGANISATION ET DEVELOPPEMENT

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me François DE RAYNAL, avocat au barreau de PARIS, toque : C2151

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS Présidente de la chambre

Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [N] [D] a été engagée par la société par actions simplifiée (SAS) Organisation et Développement, suivant contrat à durée indéterminée en date du 18 août 2014, en qualité d’administratrice système.

La SAS Organisation et Développement fait partie du groupe d’enseignement INSEEC U : elle a pour objet d’assurer diverses prestations de services pour le compte des différentes écoles du groupe.

Mme [N] [D] exerçait ses fonctions sous l’autorité de la Direction des Systèmes d’Information et, en particulier, au sein du Pôle Infrastructure, lequel intervient sur les activités informatiques liées aux serveurs physiques et virtuels hébergés physiquement (système d’exploitation, virtualisation, sécurité, conformité, accès), ainsi que sur la partie Active Directory (comptes utilisateurs, accès aux dossiers etc…).

La salariée a été placée en arrêt de travail du 9 décembre 2015 au 7 janvier 2016, puis à compter du 5 octobre 2017 pour une durée de 8 mois.

Le 23 septembre 2016, Mme [N] [D] a été élue membre du CHSCT.

Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective des entreprises de la publicité, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 3 038,10 euros.

Le 5 novembre 2018, la salariée a pris acte de la rupture du contrat de travail dans les termes suivants :

« Je suis au regret de constater que suite à mon mail du 31 juillet 2018 et notre entretien le 01 août 2018 dans votre bureau, la seule solution qu’il me reste est de mettre fin à mon contrat.

En effet, malgré vos graves manquements qui me causent depuis des années des préjudices conséquents tant sur le point financier que psychologique, la seule réponse que vous m’avez apportée est celle que je n’étais pas fait pour rester dans une structure telle que le Groupe INSEEC et que je serais plus épanouie et me sentirais mieux dans une entreprise plus adaptée et qu’il était important que je pense à ma santé puisque en plus j’avais un enfant dont je m’occupais seule et qu’il fallait également que je pense à lui et qu’il était préférable d’envisager une autre perspective dans une entreprise correspondant à ma personne mais que clairement je ne pourrais jamais me sentir bien au sein du Groupe.

Lors de cet entretien, j’étais en arrêt maladie et malgré le fait que l’entretien ait duré environ une trentaine de minutes et que la seule chose que je souhaitais était de rentrer à mon domicile car cela été éprouvant d’entendre de tels propos au lieu d’une réelle écoute face aux différents préjudices subis lors de mon retour (menaces, mise au placard, harcèlement…) et une solution sur le fait est que je passais mes journées sans rien faire malgré mes différentes relances, la déléguée du personnel m’a demandé de rester pour signer des papiers de rupture conventionnelle dans le milieu d’après-midi puis m’a informé d’attendre car les papiers n’étaient pas encore finalisés jusqu’à 19h pour finalement partir à 20 h. Mon état psychologique fait que je n’ai pas réalisé ce qui se passait, pour preuve j’ai acquiescé à toutes vos demandes justes pour pouvoir enfin partir (faire une fausse lettre manuscrite dans laquelle je demandais la rupture conventionnelle en prétextant que c’était pour la réalisation d’un projet, signer des documents antidatés au 10 août car mon statut de salarié protégé devait suivre une procédure spécifique à savoir le vote des membres DP pour la demande de rupture).

À mon retour, en ayant discuté avec des proches qui m’ont fait réaliser la gravité des événements passés, j’ai pris contact avec un avocat pour trouver encore une solution mais en respectant la procédure et force est de constater que vous étiez prête à tout pour me faire partir, la seule option qui me restait était de quitter le Groupe (…)

Devant cette éventualité, j’ai demandé à mon avocat de se rapprocher de vous pour négocier mon départ tout en étant équitable malgré plusieurs propositions pour essayer de trouver une entente, mon avocate n’a eu affaire qu’à des refus de votre part sur ces propositions mêmes celles qui ne vous impactaient pas, tel que le reversement de la subvention de l’organisme de formation qui m’a été octroyée lorsque j’ai fait mon dossier.

Face à la dernière tentative échouée de mon avocate à trouver une entente avec vous, je me vois dans l’obligation de mettre fin à mon contrat au vu des différents préjudices subis.

Pour rappel, j’ai subi des préjudices suivants :

– harcèlement de la part de mes supérieurs hiérarchiques

– discrimination

– mise à l’écart

– abus de pouvoir

– avoir été épiée

– les menaces de par mon supérieur hiérarchique

– le non-paiement de ma prime d’ancienneté à compter de mes 1 an d’ancienneté mais 3 ans après

– le non-paiement de l’intégralité de mon salaire à mon retour de vacances et régularisé suite à ma relance

– absence de versement de prime

– défaut d’entretien annuel obligatoire chaque année malgré le mail d’information à l’ensemble du service

– le non versement de mes tickets restaurant d’une valeur journalière de 9€50 alors que ceux-ci étaient pris en charge par l’organisme de formation

– le prélèvement sur mon salaire de tickets restaurant qui étaient pris en charge par l’organisme de formation etc… »

Le 2 juillet 2019, Mme [N] [D] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour voir dire que sa prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur produit les effets d’un licenciement nul, pour solliciter des dommages-intérêts pour harcèlement moral et une indemnité pour violation du statut protecteur. Elle demandait, également, un rappel de tickets restaurant, de remboursement de frais, de congés payés restant dus et de jours RTT.

Le 17 janvier 2020, le conseil de prud’hommes de Paris, dans sa section Activités Diverses, a statué comme suit :

– dit que la prise d’acte prend les effets d’une démission

– déboute Mme [N] [D] de l’intégralité de ses demandes et la condamne à verser à la SA Organisation et Développement la somme de 6 223,90 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect du préavis

– déboute la partie défenderesse de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– condamne Mme [N] [D] aux entiers dépens.

Par déclaration du 9 novembre 2020, Mme [N] [D] a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification le 4 novembre 2020.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 3 janvier 2023, aux termes desquelles

Mme [N] [D] demande à la cour d’appel de :

– fixerle salaire de référence de la salariée calculé sur les trois derniers mois travaillés à la somme de 3 233,32 euros

– par conséquent, réformant le jugement entrepris sur ces différents points tel que rappelé aux termes de la déclaration d’appel de la salariée

– condamner la société Organisation et Développement à payer à Madame [N] [D] les sommes suivantes :

* 77 599,68 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

* 6 466,64 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

* 646,66 euros bruts au titre des congés payés afférents

* 3 368 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement (4 ans et 2 mois)

* 20 000 euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

* 58 199,76 euros à titre d’indemnités pour la violation du statut protecteur (du 5 novembre 2018 au 31 novembre 2019 + 6 mois)

Et à défaut 25 866,56 euros (8 mois du 5 novembre 2018 au 9 janvier 2019 + 6 mois)

* 551 euros au titre des tickets restaurant (58 tickets x 9,50 euros)

* 74,48 euros bruts au titre des tickets restaurant indument payés par la salariée pendant sa

formation d’octobre 2016 à novembre 2017 (19 tickets x 3,92 euros)

* 136,92 euros au titre des notes de frais non remboursées

* 3 111,96 euros bruts au titre de la rémunération non maintenue pour le mois d’octobre 2018, prime d’ancienneté d’un montant de 66,80 euros bruts incluse

* 311,19 euros bruts au titre des congés payés afférents

* 639,64 euros au titre des congés payés restants dus soit 3 jours (213,21/jours)

* 421,80 euros au titre des congés payés mobiles soit 3 jours

* 426,42 euros au titre des RTT dus (2 jours)

* 5 586,60 euros au titre du surplus versé à l’employeur par l’Afdas concernant le financement de la formation de deux ans dont a bénéficié la salariée

– ordonner la remise à Madame [N] [D] de l’ensemble des documents sociaux de fin de contrat dont une attestation Pôle emploi et un certificat de travail conformes au jugement à intervenir

– condamner la société Organisation et Développement à payer à Madame [N] [D] la somme 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel en application de l’article 700 du code de procédure civile

– condamner la société Organisation et Développement aux entiers dépens de l’instance.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 26 avril 2021, aux termes desquelles la SAS Organisation et Développement demande à la cour d’appel de :

A titre principal,

– confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions

– condamner Madame [N] [D] à verser à la société O&D une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile de 2 500 euros

– condamner Madame [N] [D] aux entiers dépens

A titre subsidiaire,

– ordonner la déduction des revenus de remplacement en cas de condamnation à verser des dommages et intérêts pour violation du statut protecteur pour la période allant du 7 novembre 2018 au 9 juillet 2019.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 25 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1, dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié présente des faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [N] [D] se plaint d’avoir été victime d’un dénigrement croissant de sa hiérarchie qui a débuté très peu de temps après son embauche.

Elle soutient qu’il lui était reproché de prétendues pauses cigarettes « trop longues et régulières » ou de se montrer insolente (pièce 3) et des heures de travail insuffisantes alors qu’elle réalisait des heures supplémentaires.

Elle affirme avoir subi une mise à l’écart brutale des projets de l’entreprise dont celui de la sécurité des « Homedirs », qu’elle avait initié et qui a été attribué, le 7 décembre 2015, à l’un de ses collègues sans la moindre explication (pièces 5 et 6).

A la suite de ces agissements, elle affirme avoir pris attache, en septembre 2015 avec les délégués du personnel, puis au mois de décembre 2015 avec les services de la médecine du travail (pièces 7, 8 et 9).

Le 9 décembre 2015, son médecin a constaté qu’elle présentait « un syndrome dépressif avec psychasthénie, hypersudation, perte de cheveux, insomnies, céphalée et perte de poids rentrant dans le cadre d’un burn out » (pièce 10).

La médecine du travail, « dans une fiche d’aptitude médicale ou de visite » a recommandé à l’employeur d’améliorer les conditions de travail de la salariée et d’éviter les situations stressantes et conflictuelles (pièce 11).

A son retour dans l’entreprise, au début de l’année 2016, elle s’est vu proposer d’intégrer le nouveau service « transformation digital & Cloud » de l’entreprise, où elle devait exercer une mission de « Référent Cloud Computing ». En dépit de ses difficultés à comprendre son périmètre d’intervention et ses demandes répétées à ce sujet, la société intimée n’a pas estimé utile de régulariser un avenant à son contrat de travail précisant la nature de ses fonctions. Dans le même temps, elle a été invitée par sa hiérarchie à signaler sa présence quotidienne sur Skype afin d’être joignable facilement, alors qu’elle disposait d’un téléphone fixe et portable (pièces 14 à 18). On lui a reproché une absence de saisie de ses congés payés. Elle a été placée en absence injustifiée en dépit de sa présence au sein de l’entreprise et de ses relances à ce sujet (pièces 19 et 20). Elle affirme avoir été privée sans raison et de façon répétitive de ses droits d’accès informatiques (pièces 21 à 25), écartée des projets du service transformation digital (pièces 26 à 30), écartée de la liste de diffusion du CHSCT et en particulier du projet de déménagement dit « 45 » de la DSI à la [Localité 5] (pièce 26 à 30) puis, mise à l’écart physiquement de la table des chefs de projet où elle devait, initialement, être placée à la suite du déménagement de son service. Cette mise à l’écart physique s’est poursuivie lors d’un second déménagement (pièces 24, 31, 32, 33).

Dès le mois de mai 2016, elle prétend avoir dénoncé, à plusieurs reprises, à sa hiérarchie la gravité de cette situation et, en particulier, son impossibilité à exercer concrètement ses fonctions et son mandat d’élue au CHSCT dans ces conditions (pièces 21, 36, 37 et 38).

Pour autant ses alertes n’ont suscité aucune réaction et, au mois d’août 2017, elle a, une nouvelle fois, été écartée, sans motif et de façon brutale, des projets en cours (pièces 31 à 35).

Le 5 octobre 2017, elle s’est vu prescrire un nouvel arrêt de travail pour une durée de 8 mois.

Lorsqu’elle a voulu reprendre ses fonctions, elle a constaté que son bureau avait été transformé en entrepôt, que son matériel informatique et son téléphone avaient été débranchés et que son portable avait été remis à un autre salarié (pièce 44 à 52). Ses projets ayant été répartis sur d’autres salariés, elle s’est retrouvée désoeuvrée. L’employeur lui a, alors, proposé une mission de « téléphonie » sans rapport avec ses compétences et son expérience (pièce 39) et lui a fait savoir que son poste de travail ne nécessitait plus un temps complet, tout en continuant à la présenter en absence injustifiée sur le logiciel gérant les absences.

Mme [N] [D] affirme que cette dégradation de ses conditions de travail, imputable à l’employeur, qui a eu un retentissement sur sa santé, constitue un harcèlement moral dont elle demande réparation à hauteur de 77 599,68 euros.

La cour retient au vu de ses éléments, qui pris dans leur ensemble, relatent de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l’imputation par la salariée de ce dernier à ses conditions de travail, que cette dernière présente des éléments de faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et qu’il appartient dès lors à l’employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’employeur relève, qu’avant sa prise d’acte, Mme [N] [D] n’a jamais informé le CHSCT, ou des membres de la Délégation Unique du Personnel du harcèlement moral qu’elle prétendait subir. Elle ne s’est pas davantage manifestée auprès de la Cellule d’Ecoute « Campus Ecoute », mise en place par l’employeur pour proposer l’assistance d’un médiateur aux salariés en souffrance au travail.

La société intimée se défend d’avoir cherché à entraver le mandat de la salariée comme membre du CHSCT, en justifiant qu’elle a toujours été invitée aux réunions de cet organe, y compris durant ses absences et qu’elle a, également, toujours été rendue destinataire des ordres du jour.

Il est indiqué que c’est, de façon fallacieuse, que la salariée cherche à démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la dégradation de son état de santé et ses conditions de travail, alors qu’elle souffrait de la maladie de [O], qui se manifeste par une perte de poids, une forte fatigue, une transpiration abondante, des démangeaisons etc.. En décembre 2015, le médecin du travail expliquait d’ailleurs que cette maladie générait « un état de mal être au travail avec une souffrance aigue nécessitant une mise au repos de quelques jours » (pièce 9 salariée).

L’employeur explique la prétendue mise à l’écart de la salariée de plusieurs projets par ses absences répétées qui ont désorganisé son service, et ce d’autant que l’appelante a adressé avec beaucoup de retard certains arrêts de travail. En outre, en avril 2016, la salariée a fait une demande d’autorisation d’absence au titre d’un congé individuel de formation, acceptée par sa hiérarchie et financée en partie par l’employeur (pièces 5, 6,7). Cette formation a représenté un total de 322 heures entre le 21 novembre 2016 et le 22 novembre 2017. Entre le 21 août 2017 et le 13 avril 2018, la salariée a été placée en arrêt de travail. A son retour dans la société, elle a immédiatement posé des congés qui ont été acceptés (pièce 10). La salariée a, de nouveau, été placée en arrêt de travail du 11 au 24 juin 2018 et entre le 25 juin et le 27 juillet 2018, elle a posé des jours de RTT, de congés payés et de congés mobiles avant d’être, une nouvelle fois, placée en arrêt de travail du 30 juillet 2018 au 7 novembre 2018, date de sa prise d’acte.

La multiplicité et la longueur des absences de la salariée expliquent, d’après l’employeur, les difficultés que Mme [N] [D] a pu rencontrer lors de ses brefs retours à son poste de travail, comme le changement de codes ou des pertes de droit d’accès informatiques.

Ainsi, il ressort qu’entre le début de sa formation, le 22 novembre 2016 et le 7 novembre 2018, Mme [N] [D] n’a travaillé qu’environ 78 jours en 2017 et 16 jours en 2018.

La société intimée observe, encore, que la salariée ne justifie, par aucune pièce, avoir été délibérement mise à l’écart de projets. Elle ajoute qu’il lui appartenait dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de direction et sans qu’aucun abus ne puisse lui être reproché, de rappeler à la salariée qu’elle devait respecter ses horaires de travail et les temps de pause.

Concernant le supposé isolement géographique de la salariée, l’employeur indique qu’en aout/septembre 2017, il a été procédé à un regroupement géographique de l’ensemble des équipes de la société dans un même bâtiment. Mme [N] [D] n’a pu être associée à ce projet puisqu’elle se trouvait alors en arrêt maladie. Lors de ce regroupement géographique, la Direction Informatique a revu tant l’organisation des bureaux que les différentes procédures d’accès aux systèmes d’information, ce que la salariée a découvert à son retour, sans que les nouvelles dispositions n’aient été destinées à l’écarter du reste de l’équipe, comme elle le prétend.

L’employeur rapporte, aussi, que le 5 juin 2018, Mme [N] [D] a fait part à la Directrice des Ressources Humaines du groupe de son souhait de négocier une rupture conventionnelle en invoquant le fait, qu’au terme de la formation qu’elle avait suivie, elle souhaitait pouvoir ouvrir son entreprise et développer son projet (pièce 12). Il n’était, alors, nullement question d’une quelconque souffrance au travail mais aucun accord n’a été trouvé entre les parties.

La société intimée constate que pour justifier de l’existence d’un harcèlement moral, la salariée s’appuie principalement sur une attestation d’une salariée qui a quitté l’entreprise plus de 2 ans et 7 mois avant sa prise d’acte et qui n’a pas pu être témoin des faits qu’elle dénonce. S’agissant de la seconde attestation qui émane d’un apprenti au sein d’une école du groupe, elle porte sur les conditions du déménagement qui est intervenu durant l’arrêt maladie de la salariée.

En l’état des explications et des pièces produites, il est justifié par l’employeur que le faible nombre de jours de présence de la salariée dans l’entreprise en 2017 (environ 78 jours) et en 2018 (16 jours en 2018), en raison d’un congé individuel de formation suivie par la salariée et financé par l’employeur, cumulé à des arrêts pour maladie puis à des jours de congé, a entraîné une certaine discontinutité dans les missions qui ont pu être confiées à Mme [N] [D] et l’attribution à ses collègues de ses dossiers, sans que la société intimée ne puisse être tenue pour responsable de cette situation. Les absences de la salariée ont, également, eu des répercussions sur ses pertes de droits et d’accès informatiques et son éloignement temporaire de la société n’a pas permis à l’employeur de l’associer activement aux projets de déménagement mis en oeuvre dans le second semestre 2017, sans que ces agissements ne caractérisent une volonté délibérée de l’employeur de la mettre à l’écart du fonctionnement de la société. Par ailleurs, si la salariée prétend avoir signalé sa situation de mal-être à l’employeur dès le mois de mai 2016, il appert que le mail adressé à son supérieur hiérarchique, à cette occasion, ne fait état que de problèmes de droits d’accès et de communication « concernant des sujets se trouvant dans son champ d’action ». Alors même que la salariée était membre du CHSCT depuis le mois de septembre 2016, elle ne verse aux débats aucun courrier d’alerte adressé à sa hiérarchie avant un email du 30 juillet 2018, transmis durant son arrêt maladie, et qui a immédiatement été suivi par une proposition d’entretien de l’employeur, qui est intervenu le 1er août. La cour observe, d’ailleurs, que dans les pièces que la salariée présente comme des courriers d’alertes, elle produit une demande d’entrevue auprès du Directeur Général de la société pour lui demander des conseils sur un sujet dont on ignore la teneur (pièce 36), un email de son supérieur hiérarchique se souciant de son état de santé pendant un de ses arrêts (pièce 37) et le brouillon d’un courriel destiné au Président du CHSCT qui n’a jamais été transmis (pièce 38). A cet égard, il sera relevé qu’en dépit de son mandat et de sa proximité avec le CHSCT, Mme [N] [D] n’a pas souhaité lui signaler la situation de harcèlement qu’elle affirme avoir subie durant plusieurs années au sein de la société. Enfin, en raison de l’absence de constatation du médecin du travail sur les conditions d’emploi de la salariée, il est impossible d’établir un lien de causalité entre les symptômes présentés par l’appelante et des agissements de harcèlement moral. D’ailleurs, alors qu’elle a rencontré le médecin du travail en avril et mai 2018, Mme [N] [D] a été jugée apte à reprendre son activité. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral.

2/ Sur la prise d’acte

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

Pour que la prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve des faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur à l’appui de sa prise d’acte pèse sur le salarié.

Il est rappelé que le courrier par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige, la juridiction doit examiner les manquements invoqués par le salarié même s’ils ne sont pas mentionnés dans ledit courrier.

Mme [N] [D] fonde sa demande de prise d’acte sur le harcèlement moral qu’elle affirme avoir subi et qui a été écarté au point précédent, le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a dit que la prise d’acte produit les effets d’une démission et en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail, de sa demande d’indemnité pour violation du statut protecteur ainsi que de sa demande de délivrance de documents de fin de contract rectifiés.

3/ Sur les tickets restaurant

Mme [N] [D] fait valoir qu’à l’occasion de son solde de tout compte, elle a pu constater que l’employeur lui restait redevable d’un certain nombre d’indemnités.

Elle affirme, ainsi, qu’elle a été privée des sommes suivantes :

– 551 euros au titre des tickets restaurant pour les exercices 2016 et 2017 :

* 2016 : 33 tickets manquants

* 2017 : 25 tickets manquants (pièce 65)

Soit 58 tickets manquants correspondant à une somme de 551 euros, dont elle demande le paiement, chaque ticket ayant une valeur de 9,50 euros (9,5 x 58).

Mme [N] [D] sollicite, également, le remboursement d’une somme de 74,48 euros qu’elle aurait payée alors qu’elle se trouvait en formation d’octobre 2016 à novembre 2017 (19 tickets x 3,92 euros) (pièces 57 et 65).

L’employeur relève que les seules pièces versées aux débats par la salariée au soutien de sa demande, sont un message du 16 août 2017 qu’elle a adressé au service paie demandant des informations sur sa situation, où elle indique qu’elle va faire des vérifications de son côté et ses bulletins de paie de novembre 2016 à novembre 2017. Il soutient qu’il n’est nullement justifié par Mme [N] [D] des jours où elle aurait été privée des tickets restaurant dont elle réclame le paiement, ni proposé un décompte qui permettrait d’effectuer une vérification. Il ajoute qu’il n’est pas non plus établi que la salariée aurait eu à s’acquitter du coût de tickets restaurant qui ne lui auraient pas été délivrés durant le temps qu’elle a passé en formation.

Cependant, la cour rappelle que c’est à celui qui se prétend libéré d’une obligation de justifier du fait qui a produit l’extinction de son obligation. En l’espèce, alors que la salariée appelante établit que, durant son congé formation, son salaire a continué à être débité chaque mois d’une somme correspondant à l’attribution d’un certain nombre de tickets restaurant (pièce 57), il n’est pas démontré par l’employeur que lesdits tickets lui ont été remis en contrepartie. Il sera donc alloué à Mme [N] [D] une somme de 551 euros à titre de remboursement pour les montants prélevés sur son salaire. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de ce chef. En revanche, il sera confirmé en ce qu’il débouté la salariée de sa demande de remboursement d’une somme de 74,48 euros pour les tickets restaurant déduits pour le mois de novembre 2016, puisque cette somme est déjà comprise dans le calcul des 551 euros.

4/ Sur les notes de frais non remboursées

Mme [N] [D] revendique une somme de 136,92 euros au titre de notes de frais non remboursées (pièce 58).

La cour constate que la note de frais produite par l’appelante concerne une autre salariée, et qu’il n’est pas justifié que les factures d’essence et de parking dont la salariée demande le paiement ont été engagées dans le cadre de son activité professionnelle. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la salarié de cette demande.

5/ Sur la rémunération non maintenue pour le mois d’octobre 2018

La salariée appelante constate que pour le mois d’octobre 2018, l’employeur a opéré sur le bulletin de paie du mois de novembre 2018 une retenue sur salaire de 3 045,16 euros bruts (2 357,54 + 687,62) et a réintégré une somme globale identique, au titre de l’indemnisation maladie à 100 %, pour la période du 01/10/2018 au 31/10/2018.La salariée interprète ces éléments comme étant la preuve que son salaire pour le mois d’octobre 2018 n’a pas été maintenu, alors que cela avait été le cas pour le mois précédent.

En conséquence, elle sollicite un rappel de salaire de 3 045,15 euros, outre 68 80 euros au titre de la prime d’ancienneté, soit un total de 3 111,95 euros, outre 311,19 euros au titre des congés payés afférents.

Mais, la cour observe que le bulletin de salaire du mois d’octobre 2018 fait bien état d’un paiement à la salariée de son salaire de base pour un montant de 3 045,15 euros, ce qui atteste que l’employeur s’est bien acquitté de son obligation. Le bulletin du mois de novembre suivant ne fait que reprendre le mécanisme de compensation entre les sommes qui aurait dû être déduites en raison de l’absence de la salariée pour maladie et leur compensation à 100 % par le régime d’assurance maladie. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de ce chef.

6/ Sur les congés payés restant dues et les jours RTT

Mme [N] [D] réclame le paiement de :

– 639,64 euros au titre des congés payés restants dus soit 3 jours (213,21/jours) (Pièce 57 et 59)

– 421,80 euros au titre des congés payés mobiles soit 3 jours (Pièce 66)

– 426,42 euros au titre des RTT dus (2 jours) (Pièce 66).

L’employeur soutient, pour sa part, s’être acquitté des congés payés dus à la salariée lors de son départ dans les conditions suivantes :

– indemnité compensatrice RTT (- 2,8 jours) = – 291,60 euros

– indemnité de congés payés (7 jours) : 1 492,50 euros

– indemnité de congés mobiles (0,50 jours) : 70,30 euros

et estime que l’appelante ne démontre en aucune manière en quoi ces paiements seraient incomplets.

La cour remarque que la salariée fonde ses demandes sur des bulletins de salaire qui ne précisent pas les droits à congés et sur une copie d’écran d’un document qui mentionne des soldes de jours de congés et RTT qui ne correspondent pas à ses revendications. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes.

7/ Sur la demande au titre du financement de la formation

La salariée appelante demande le versement d’une somme de 5 586,60 euros correspondant au surplus versé à l’employeur par l’Afdas concernant le financement de la formation de deux ans dont elle a bénéficié (pièces 54 à 55).

Toutefois, la cour observe que la salariée n’explicite en aucune manière à quel titre elle devrait bénéficier du versement de la somme litigieuse. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de ce chef.

8/ Sur la demande reconventionnelle de la société Organisation et Développement

La prise d’acte de rupture du contrat de travail étant qualifiée de démission, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a alloué une somme de 6 223,90 euros à la société Organisation et Développement en contrepartie du préavis non effectué par la salariée, qui n’articule aucun moyen sur cette demande.

9/ Sur les autres demandes

L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d’appel.

Laisse les dépens exposé devant le conseil des prud’hommes et la cour d’appel à la charge de chacune des parties.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté Mme [N] [D] de sa demande de remboursement des tickets restaurant déduits de son salaire et non remis en 2016 et 2017,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la SAS Organisation et Développement à payer à Mme [N] [D] une somme de 551 euros à titre de remboursement des tickets restaurant déduits de son salaire et non remis en 2016 et 2017,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Fait masse des dépens de première instance et d’appel et dit qu’il seront supportés par moitié par les parties.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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