Retenues sur salaire : 12 avril 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/04014

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Retenues sur salaire : 12 avril 2023 Cour d’appel de Colmar RG n° 21/04014

GLC/KG

MINUTE N° 23/338

Copie exécutoire

aux avocats

Copie à Pôle emploi

Grand Est

le

Le greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

ARRET DU 12 AVRIL 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/04014

N° Portalis DBVW-V-B7F-HVNP

Décision déférée à la Cour : 02 Août 2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANTE :

Madame [E] [F]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Pascale LAMBERT, avocat au barreau de MULHOUSE

INTIMEE :

S.A.S. ALDIS

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-Christophe SCHWACH, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Janvier 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme DORSCH, Président de Chambre, et M. PALLIERES, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

– signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Par contrat à durée indéterminée du 1er mars 2001, la S.A.S. ALDIS, qui exploite un supermarché LECLERC à [Localité 3], a embauché Mme [E] [F] en qualité d’hôtesse de caisse.

Mme [E] [F] a souffert pendant plusieurs années de douleurs persistantes à l’épaule.

Le 1er décembre 2014, le médecin du travail a déclaré apte Mme [E] [F] en préconisant qu’elle ne soit plus affectée aux caisses prioritaires prévues pour les personnes handicapées, plus basses que les autres caisses.

Mme [E] [F] a été placée en congés de maladie du 16 décembre 2014 au 15 février 2015, du 19 décembre 2016 au 22 janvier 2017, du 25 avril 2017 au 02 juin 2017, du 12 juillet au 28 septembre 2017.

A l’issue des visites médicales de reprise du 09 juin 2017 et du 29 septembre 2017, le médecin du travail a déclaré la salariée apte avec des aménagements temporaires de son poste à prévoir. Dans l’avis du 09 juin 2017, le médecin du travail demande à l’employeur de privilégier l’affectation de la salariée aux caisses automatiques et favoriser l’alternance des caisses en privilégiant le côté droit. Dans l’avis du 29 septembre 2017, il demande de privilégier l’affectation de la salariée aux caisses automatiques, de favoriser l’alternance des caisses côté gauche/côté droit, en préconisant en outre un mi-temps thérapeutique qui a été accepté par la S.A.S. ALDIS.

Mme [E] [F] a de nouveau été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 09 octobre 2017.

Le 17 octobre 2017, la S.A.S. ALDIS a notifié à Mme [E] [F] une mise à pied disciplinaire de deux jours suite à une erreur de caisse.

Par décision du 21 décembre 2017, la caisse primaire d’assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de la maladie dont souffre Mme [E] [F].

Le 28 juin 2018, Mme [E] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Mulhouse pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, reprochant à l’employeur un manquement à l’obligation de sécurité et le harcèlement moral en découlant.

Le 11 août 2020, le médecin du travail a émis un avis d’inaptitude avec impossibilité de tout reclassement dans un emploi.

Le 08 septembre 2020, la S.A.S. ALDIS a notifié à Mme [E] [F] son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Par jugement du 02 août 2021, le conseil de prud’hommes a :

– débouté Mme [E] [F] de sa demande au titre du harcèlement moral,

– dit que la S.A.S. ALDIS n’a pas respecté son obligation de sécurité,

– prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur,

– dit que la résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la S.A.S. ALDIS à payer la somme de 22 818,79 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– annulé la mise à pied disciplinaire notifiée le 23 octobre 2017,

– condamné la S.A.S. ALDIS à payer à Mme [E] [F] la somme de 104,04 euros bruts au titre de la mise à pied,

– dit que la retenue sur salaire opérée par l’employeur pour l’absence du 25 février 2017 est justifiée,

– condamné la S.A.S. ALDIS aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [E] [F] a interjeté appel le 02 septembre 2021.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 avril 2022, Mme [E] [F] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes au titre du harcèlement moral, de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et de sa demande au titre de la retenue sur salaire pour absence injustifiée.

Elle demande à la cour de débouter la S.A.S. ALDIS de ses demandes et, statuant à nouveau, de :

– prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la S.A.S. ALDIS pour manquement à l’obligation de sécurité et harcèlement moral,

– fixer la date de la rupture du contrat de travail au 08 septembre 2020, date d’envoi de la lettre de licenciement,

– dire que cette résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul,

– condamner en conséquence la S.A.S. ALDIS à lui payer la somme de 31 474,20 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– condamner la S.A.S. ALDIS à lui payer la somme de 9 442,26 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– annuler la mise à disciplinaire de deux jours notifiée le 23 octobre 2017,

– condamner la S.A.S. ALDIS à lui payer la somme de 104,04 euros brut au titre du salaire de la mise à pied,

– condamner la S.A.S. ALDIS à lui payer la somme de 90,28 euros brut au titre de l’absence injustifiée du 25 février 2017,

– condamner la S.A.S. ALDIS aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de dire que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la S.A.S. ALDIS au paiement de la somme de 22 818,79 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A titre infiniment subsidiaire, elle demande à la cour de dire que le licenciement pour inaptitude produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la S.A.S. ALDIS au paiement de la somme de 22 818,79 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 février 2022, la S.A.S. ALDIS demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu’il a :

– retenu le manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité,

– condamné la S.A.S. ALDIS au paiement de la somme de 22 818,79 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– annulé la mise à pied disciplinaire du 23 octobre 2017,

– condamné la S.A.S. ALDIS au paiement de la somme de 104,04 euros bruts à titre de rappel de salaire,

– condamné la S.A.S. ALDIS au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En tout état de cause, elle demande à la cour de débouter Mme [E] [F] de ses demandes et de la condamner aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé plus complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux écritures précitées, en application de l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 décembre 2022. L’affaire a été fixée pour être plaidée à l’audience du 24 janvier 2023 et mise en délibéré au 12 avril 2023.

MOTIFS

Sur la mise à pied disciplinaire

Aux termes de l’article L. 1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Il résulte par ailleurs des articles L. 1333-1 et L. 1333-2 qu’en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. Le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

En l’espèce, par courrier du 23 octobre 2017, la S.A.S. ALDIS a notifié à Mme [E] [F] une mise à pied disciplinaire de deux jours suite à une erreur de caisse de 100 euros.

L’employeur reproche à la salariée d’avoir refusé de signer le document de comptage faisant apparaître l’écart de caisse de 100 euros et de rejeter systématiquement la responsabilité des écarts de caisse sur les collègues qui la remplacent lors de ses pauses, ce qui occasionne une mauvaise ambiance sur la ligne de caisse.

Pour justifier de la réalité de ces griefs, la S.A.S. ALDIS produit une attestation établie par Mme [T] [D], responsable du secteur caisse, qui témoigne que, chaque fin de semaine, les hôtesses de caisse procèdent au comptage de leur tiroir de caisse, que le samedi 07 octobre 2017, après deux comptages successifs effectués par Mme [E] [F], une erreur de caisse de 100 euros est apparue dans le tiroir de caisse de la salariée mais que celle-ci a refusé de signer l’état de caisse au motif qu’elle avait été remplacée pendant sa pause toilette. Mme [D] ajoute qu’un visionnage des images de vidéo-surveillance a permis de constater que, le 02 octobre 2017 à 14h54, Mme [E] [F] a rendu à un client la somme de 286,86 euros alors que le rendu de monnaie aurait dû s’élever à 186,86 euros et que, lors de l’entretien du 17 octobre 2017, Mme [E] [F] a d’abord rejeté à nouveau la responsabilité de l’erreur sur ses collègues pour finalement reconnaître, après visionnage des images, qu’elle en était bien à l’origine.

Le conseil de prud’hommes a prononcé l’annulation de la sanction disciplinaire en considérant que l’employeur n’était pas en mesure de démontrer que Mme [E] [F] était informée de la mise en place d’un système de videosurveillance et que le procédé d’obtention des preuves présentait dès lors un caractère illicite. Toutefois, si Mme [E] [F] reproche à la S.A.S. ALDIS de ne pas produire les images de vidéosurveillance en question, force est de constater qu’à aucun moment la salariée n’a contesté la licéité du système de videosurveillance mis en place par l’employeur ni soutenu qu’elle n’était pas informée de son existence, que ce soit dans son courrier de contestation de la sanction en date du 05 février 2018, devant le conseil de prud’hommes ou à hauteur d’appel.

Mme [E] [F] ne fait en outre état d’aucun élément susceptible de remettre en cause l’attestation établie par Mme [D] qui décrit de manière détaillée le rendu de monnaie effectué ainsi que l’erreur imputable à Mme [E] [F] et qui confirme le refus de la salariée de signer l’état de caisse au motif qu’elle avait été remplacée pendant sa pause.

Au vu de ces éléments, la réalité des griefs reprochés à la salariée apparaît démontrée et la sanction appliquée apparaît proportionnée. Il convient donc d’infirmer le jugement en ce qu’il a annulé la mise à pied disciplinaire du 23 octobre 2017 et condamné la S.A.S. ALDIS à verser à Mme [E] [F] la somme de 104,04 euros bruts au titre de cette mise à pied. Mme [E] [F] sera par ailleurs déboutée des demandes formées à ce titre.

Sur la retenue sur salaire

Mme [E] [F] produit son bulletin de paie du mois de mars 2017 sur lequel est mentionnée une retenue de 90,28 euros pour une absence non justifiée le 25 février 2017. La salariée a contesté cette retenue par un courrier du 07 avril 2017 dans lequel elle explique qu’elle avait justifié de son absence en produisant un certificat médical. Il apparaît toutefois que ce justificatif n’est pas un arrêt de travail mais un certificat du médecin qui atteste le 25 février 2017 que ‘Mme [E] [F] s’est présentée à la consultation ce jour.’

La salariée reconnaît dans son courrier du 07 avril 2017 qu’elle a été absente ce jour-là de 07h45 à 12h00 et de 14h45 à 19h45. Toutefois, ni l’attestation du médecin, ni le fait d’avoir averti son employeur le matin à 8h00 ne constituent des motifs susceptibles de justifier cette absence. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [E] [F] de sa demande en paiement de la retenue sur salaire correspondante.

Sur l’obligation de sécurité

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

Il résulte par ailleurs des articles L. 4624-3 et L. 4624-6 que le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l’employeur, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge ou à l’état de santé physique et mental du travailleur. L’employeur est tenu de prendre en considération l’avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l’employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite.

Mme [E] [F] reproche à l’employeur de ne pas avoir rempli son obligation de sécurité en ne respectant pas les préconisations de son médecin traitant et du médecin du travail sur l’adaptation de son poste.

Pour la période antérieure au 09 juin 2017, elle soutient que la S.A.S. ALDIS a refusé de pratiquer l’alternance des caisses et l’a affectée sur le même côté pendant de longues périodes. Elle produit deux certificats médicaux établis par son médecin généraliste le 09 et le 29 novembre 2014, dans lesquels il préconise des postes alternées. Toutefois, même s’il n’est pas contesté que le premier certificat médical a été transmis à l’employeur, il ne peut être reproché à la S.A.S. ALDIS de ne pas avoir respecté ces préconisations dès lors qu’elles n’ont pas été reprises par le médecin du travail. En effet, dans l’avis d’aptitude du 1er décembre 2014 puis dans celui du 06 mars 2015, le médecin du travail a uniquement demandé à l’employeur d’éviter l’affectation de la salariée sur les caisses dites prioritaires, plus basses que les caisses habituelles. Dès lors que Mme [E] [F] ne soutient pas qu’elle aurait été affectée à ces caisses prioritaires, aucun manquement à l’obligation de sécurité ne peut être reproché à la S.A.S. ALDIS au cours de cette période.

La salariée a de nouveau fait l’objet d’une visite médicale le 09 juin 2017. A l’issue de cette visite, le médecin du travail a formulé de nouvelles préconisation d’aménagement temporaire en demandant à l’employeur de privilégier l’affectation aux caisses automatiques, de favoriser l’alternance des caisses et de privilégier le côté droit. A l’issue d’une nouvelle visite organisée le 29 septembre 2017 le médecin du travail a demandé de privilégier l’affectation aux caisses automatiques, de favoriser l’alternance des caisses côté gauche et côté droit et a recommandé un temps partiel thérapeutique avec une affectation en caisse par demi-journées.

Mme [E] [F] soutient que l’alternance n’a pas été respectée par l’employeur entre le 12 juin (date de sa reprise effective du travail) et le 13 juillet 2017 (date d’un nouvel arrêt de maladie) pas plus que l’affectation aux caisses automatiques. Elle produit un tableau établi par ses soins qui récapitule les caisses auxquelles elle aurait été affectée entre ces deux dates (pièce n°37). Il en résulte qu’elle aurait travaillé pendant trente-sept demi-journées au cours desquelles elle aurait été affectée à trente-cinq reprises sur des caisses paires (côté droit), à deux reprises uniquement sur des caisses impaires (côté gauche) et jamais aux caisses automatiques.

Pour contester cet élément, la S.A.S. ALDIS produit son propre tableau qui précise le nombre d’affectation de chaque salariés aux différentes caisses pendant les semaines 23 à 28 de l’année 2017, ce qui correspond à la période de juin- juillet 2017 au cours de laquelle Mme [E] [F] a travaillé (pièce n°17). Il en résulte que la salariée aurait été affectée à six reprises sur une caisse côté gauche et à six reprises sur une caisse côté droit. Le tableau produit ne permet toutefois pas de déterminer s’il s’agit d’affectations par journées ou demi-journées, étant relevé que le tableau établi par Mme [E] [F] mentionne des affectations à deux caisses différentes au cours de la même journée. Il apparaît surtout que le tableau produit par la S.A.S. ALDIS ne reprend pas l’ensemble des affectations de Mme [E] [F] au cours de la période puisqu’il mentionne douze affectations au total alors qu’il résulte des plannings produit par la S.A.S. ALDIS (pièce n°35) et par Mme [E] [F] (pièce n°37) qu’elle a travaillé quatorze jours au mois de juin 2017 et neuf jours au mois de juillet suivant.

L’employeur reconnaît par ailleurs qu’il n’a pas affecté Mme [E] [F] aux caisses automatiques, que ce soit pour la période du 12 juin au 12 juillet 2017 ou pour celle du 29 septembre au 09 octobre 2017. Il soutient que cette affectation est organisée trois semaines à l’avance et qu’elle nécessite une bonne connaissance du poste dont ne disposerait pas Mme [E] [F] du fait de ses nombreuses absences. Ces affirmations de l’employeur ne sont toutefois étayées par aucun élément.

Il apparaît ainsi que la S.A.S. ALDIS ne démontre pas qu’elle aurait pris toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé de Mme [E] [F] en respectant les recommandations du médecin du travail relatives à l’affectation aux caisses automatiques et à l’alternance des caisses entre côté gauche et côté droit. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit que la S.A.S. ALDIS n’avait pas respecté son obligation de sécurité à l’égard de Mme [E] [F].

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour caractériser l’existence d’un harcèlement moral, Mme [E] [F] invoque les éléments suivants :

– le refus de l’employeur de respecter les préconisations du médecin du travail, à savoir l’affectation en priorité aux caisses automatiques et l’alternance des caisses : il a été jugé ci-dessus que ce manquement de l’employeur à son obligation de sécurité était établi.

– le refus de l’employeur d’autoriser la salariée à reprendre son emploi à temps plein : le 15 janvier 2016, la S.A.S. ALDIS avait accepté la demande de Mme [E] [F] de travailler à temps partiel à hauteur de 32 heures par semaine, ce qui avait donné lieu à la signature d’un avenant au contrat de travail du 1er février 2016. Mme [E] [F] justifie que l’employeur a refusé sa demande de reprise d’un poste à temps plein par courrier du 22 décembre 2016 dans lequel il a également refusé qu’elle bénéficie d’un jour de repos fixe le mardi de chaque semaine.

– la contre-visite médicale organisée par l’employeur le 23 décembre 2016, le lendemain du courrier de réponse à la demande de retour à temps plein : Mme [E] [F] justifie qu’elle a fait l’objet d’une contre-visite médicale le 28 décembre 2016, alors qu’elle était en arrêt de travail.

– la retenue de salaire pratiquée au mois de mars 2017 pour une absence le 25 février 2017. Il a été jugé que cette retenue sur salaire correspondait à une absence injustifiée de la salariée. Cet élément doit donc être écarté.

– la mise à pied disciplinaire prononcée le 11 octobre 2017 : il a été jugé ci-dessus que cette sanction disciplinaire était justifiée. Cet élément dès lors pas être constitutif d’un harcèlement moral et il convient de l’écarter.

– la transmission tardive des attestations de paiement de salarie à la caisse primaire d’assurance maladie : Mme [E] [F] justifie qu’elle a adressé à son employeur un courrier du 08 novembre 2017 lui demandant d’adresser des attestations de paiement pour permettre le versement des indemnités journalières de sécurité sociale. Elle produit par ailleurs un relevé de son compte bancaire faisant apparaître deux versements de la caisse primaire d’assurance maladie au mois de janvier 2018. Ces éléments sont toutefois insuffisants pour démontrer que le retard allégué dans le versement de ces indemnités journalières serait imputable à une carence de l’employeur et il convient donc d’écarter cet élément.

Mme [E] [F] établit ainsi que l’employeur n’a pas pris en compte les préconisations du médecin du travail, qu’il a refusé qu’elle reprenne un emploi à temps plein en bénéficiant d’un jour de repos fixe et qu’il a ordonné une contre-visite médicale. Ces faits, pris dans leur ensemble, peuvent laisser supposer une situation de harcèlement moral. Il convient dès lors d’examiner si ces décisions de l’employeur sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S’agissant du refus d’accorder un retour à temps plein, l’employeur souligne que, contrairement à ce qu’affirme désormais Mme [E] [F], sa demande de passage à temps partiel n’était pas justifiée par des contraintes personnelles ou médicales. Il explique son refus d’un retour à temps plein par le fait que le passage à temps partiel une année auparavant avait nécessité une modification de l’organisation du secteur de la salariée.

S’agissant de la demande de bénéficier d’un jour de repos fixe le mardi, il convient de constater que Mme [E] [F] avait demandé à bénéficier de ses mardis et de ses jeudis lors de son passage à temps partiel mais que, si l’employeur a manifestement réussi à respecter ce souhait de la salariée jusqu’au 07 décembre 2016, il n’avait pris aucun engagement en ce sens dans l’avenant du 1er février 2016. Il ne peut donc pas lui être fait le reproche de ne pas accéder à une nouvelle demande de la salariée de pouvoir bénéficier d’un jour de repos tous les mardis. Si la salariée explique qu’elle formule cette demande pour pouvoir s’organiser pour ses rendez-vous médicaux, sans autre justificatif, l’employeur pouvait tout aussi légitimement faire valoir les contraintes d’organisation que pose une telle demande alors que la salariée bénéficie de tous ses jeudis en repos. La décision de l’employeur sur ce point apparaît donc justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

S’agissant de la contre-visite médicale, la S.A.S. ALDIS fait valoir à juste titre qu’il s’agit d’une prérogative de l’employeur. Il sera relevé en outre que, par courrier du 23 décembre 2016, l’employeur a prévenu la salarié de cette contre-visite organisée le 28 décembre suivant et que Mme [E] [F] n’a fait l’objet que d’une seule contre-visite alors qu’elle a été placée en arrêt de travail à plusieurs reprises et sur de longues périodes. Au vu de ces éléments, la contre-visite médicale apparaît étrangère à tout fait de harcèlement moral à l’encontre de la salariée.

S’il est enfin établi que l’employeur ne démontre pas qu’il aurait respecté les préconisations du médecin du travail sur l’affectation aux caisses automatiques et sur l’alternance des caisses, ce seul élément est à lui seul insuffisant pour caractériser une situation de harcèlement moral.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [E] [F] de ses demandes au titre du harcèlement moral.

Sur la demande de résiliation judiciaire

En cas de manquement suffisamment grave de l’employeur à ses obligations, le salarié peut solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.

Lorsque le salarié qui a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail est licencié ultérieurement, le juge recherche si la demande de résiliation était justifiée. Si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d’envoi de la lettre de licenciement.

En l’espèce, la S.A.S. ALDIS conteste tout lien entre l’inaptitude de Mme [E] [F] et le comportement de l’employeur à son encontre. Mme [E] [F] justifie pourtant que, par décision du 21 décembre 2017, la caisse primaire d’assurance maladie du Haut-Rhin a reconnu l’origine professionnelle de sa pathologie, à savoir une tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Aucun élément ne permet de considérer que l’employeur aurait formé un recours contre cette décision.

Il résulte certes des différents documents médicaux produits par les parties que Mme [E] [F] souffrait de la pathologie qui a justifié l’avis d’inaptitude physique au moins depuis l’année 2014, soit antérieurement à l’avis du médecin du travail du 09 juin 2017 dont les préconisations n’ont pas été respectées par l’employeur. Il convient toutefois de constater que la salariée n’est ensuite restée en activité que jusqu’au 12 juillet 2017 puis du 29 septembre au 09 octobre 2017, avant d’être placée à nouveau en arrêt de travail jusqu’à son licenciement. Compte tenu de ces longues périodes d’arrêt maladie, l’employeur ne peut valablement reprocher à la salariée de n’avoir sollicité la résiliation du contrat de travail qu’en saisissant le conseil de prud’hommes le 28 juin 2018, plusieurs mois après la date des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité apparaît suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail à ses torts exclusifs, Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a prononcé cette résiliation et dit qu’elle produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à compter de la date d’envoi de la lettre de licenciement, soit le 08 septembre 2020.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge, de son ancienneté et des conséquences du licenciement à son égard, telles qu’elles résultent des pièces et des explications fournies, il convient de confirmer le jugement sur le montant fixé à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il sera en revanche infirmé en ce qu’il a fixé un montant net de CSG-CRDS et de dire que cette indemnité correspond à un montant brut.

Sur le remboursement des indemnités versées par Pôle emploi

Aux termes de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Dès lors qu’il a été jugé que la résiliation judiciaire du contrat de travail produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu d’ordonner le cas échéant le remboursement des indemnités qui auraient été versées par Pôle emploi dans la limite de trois mois.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la S.A.S. ALDIS à verser à Mme [E] [F] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de l’issue du litige, il convient de laisser à chacune des parties la charge des dépens qu’elle aura exposés au titre de la procédure d’appel et de rejeter les demandes formées par les parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du conseil de prud’hommes de Mulhouse du 02 août 2021 en ce qu’il a :

– annulé la mise à pied disciplinaire de deux jours notifiée le 23 octobre 2017,

– condamne la S.A.S. ALDIS à payer à Mme [E] [F] la somme de 104,04 € brut au titre de la mise à pied,

– condamné la S.A.S. ALDIS à payer à Mme [E] [F] la somme de 22 818,79 euros net de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant

DÉBOUTE Mme [E] [F] de sa demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire notifiée le 23 octobre 2017 ;

CONDAMNE la S.A.S. ALDIS à payer à Mme [E] [F] la somme de 22 818,79 euros bruts (vingt-deux mille huit cent dix-huit euros et soixante-dix-neuf centimes) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

ORDONNE le remboursement par la S.A.S. ALDIS à PÔLE EMPLOI des indemnités de chômage versées le cas échéant à Mme [E] [F], dans la limite de trois mois à compter de la date de la rupture ;

LAISSE les dépens de l’appel à la charge de la partie qui les aura exposés ;

REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile formées à hauteur d’appel.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 12 avril 2023, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier Le Président

 


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