Retenues sur salaire : 11 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11120

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Retenues sur salaire : 11 janvier 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11120

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 11 JANVIER 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11120 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA5BT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Octobre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MELUN – RG n° F18/00633

APPELANTE

Madame [E] [R]

Chez M. [F]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Sanja VASIC, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

SAS JAMA

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Grégory LEURENT, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Véronique MARMORAT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Anne MENARD, présidente

Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffier en préaffectation

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Véronique MARMORAT, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffier en préaffectation à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

Madame [E] [A] épouse [R], née le 27 janvier 1965, a été embauchée par la société Martinenq selon un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 mars 2017 en qualité de directrice administrative et financière. Ce contrat est transféré par avenant en date du 1er septembre 2017 à la société Jama, holding de la société Martinenq, et est soumis à la convention collective nationale des imprimeries de labeur et industries graphiques.

La salariée est licenciée pour faute grave le 9 août 2018 pour avoir le 16 juillet 2018 à la suite d’un courriel frauduleux effectué un virement d’une somme de 489 000 euros en Pologne, lequel virement ne se réalisera pas grâce à l’opposition formée par l’établissement bancaire.

Le 1er décembre 2018, madame [R] a saisi en contestation de ce licenciement et en diverses demandes indemnitaires et salariales en contestation le Conseil des prud’hommes de Melun lequel par jugement du 1er octobre 2022 a débouté la salariée de toutes ses demandes, a rejeté la demande reconventionnelle de l’employeur et a laissé les dépens à la charge de madame [R].

La salariée a interjeté appel de cette décision le 8 novembre 2019.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 1er septembre 2022, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, madame [R] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris, et de

Condamner la société Jama aux dépens comprenant les frais d’exécution par voie d’huissier et à lui verser les sommes suivantes assorties des intérêts avec capitalisation de ceux-ci :

titre

Somme en euros

rappel de salaire au titre des heures supplémentaires

congés payés afférents

28 023,25

2 802,32

contrepartie obligatoire en repos

7 761,26

indemnité pour travail dissimulé

51 656,26

non-respect de la durée maximale du travail et du repos quotidien

5 000,00

dommages et intérêts pour harcèlement moral

15 000,00

indemnité compensatrice de préavis

congés payés afférents

16 885,42

1 688,54

indemnité légale de licenciement

3 341,89

prime de 13ème mois au prorata temporis

921,25

indemnité pour licenciement nul

subsidiairement, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

51 656,26

16 885,42

Indemnité pour procédure irrégulière

8 442,71

article 700 du code de procédure civile

3 600,00

Ordonner à la société Jama de lui remettre une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes à l’arrêt à intervenir.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 17 avril 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Jama demande à la cour de confirmer ce jugement, de débouter madame [R] de toutes ses demandes, de la condamner aux dépens et à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Motifs

Sur l’exécution du contrat de travail

Sur le harcèlement

Principe de droit applicable :

Par application des dispositions de l’article L. 1154-1 du code du travail, il appartient au salarié qui se prétend victime de harcèlement moral de présenter des faits faisant présumer l’existence de ce harcèlement ; celui-ci se définit, selon l’article L 1152-1 du code du travail, par des actes répétés qui ont pour objet ou pour effet, indépendamment de l’intention de leur auteur, une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Lorsque les faits sont établis, l’employeur doit démontrer qu’ils s’expliquent par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Une situation de harcèlement moral se déduit ainsi essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.

Application en l’espèce

Madame [R] affirme qu’elle a subi divers agissements de la part de son employeur qui ont dégradé son état de santé et ses conditions de travail et qui seraient constitutifs d’un harcèlement.

Elle précise qu’elle aurait fait face à une surcharge chronique de travail. Ayant été recrutée pour mettre en place des indicateurs financiers et sociaux dans la perspective d’une cession d’entreprise, la salariée prétend qu’elle aurait travaillé avec des outils et logiciels peu performants, voire archaïques et qu’elle se serait ainsi épuisée à pallier les carences de ses outils de travail.

Madame [R] expose que la société Jama aurait porté atteinte à ses fonctions en la désavouant à deux reprises : 

Alors qu’il avait donné son accord pour l’achat d’un logiciel de paie, il aurait finalement annulé son projet sans la moindre explication. 

Elle aurait réalisé une note sur la politique de rémunération et les axes d’amélioration permettant d’uniformiser les primes versées et apporter des critères objectifs d’octroi. Mais cette note n’aurait pas été suivie d’effet et un incident serait survenu en raison d’inégalités de traitement entre salariés. 

Elle expose qu’elle aurait été mise à l’écart des réunions de travail. Par exemple, elle n’aurait pas été conviée à la réunion de présentation des comptes le 5 juillet 2018. De même, elle n’aurait pas été conviée à une réunion chez le commissaire aux comptes.  De la même manière, elle aurait été écartée de certains recrutements alors que les fonctions de ressources humaines entraient dans son périmètre d’activité. Enfin, son bureau aurait été changé sans information ni consultation préalable : alors qu’elle bénéficiait d’un bureau spacieux et lumineux, elle aurait été transférée au fond d’un couloir dans un bureau plus petit et moins lumineux. 

Selon la salariée, ces agissements auraient eu des conséquences sur son état de santé. Elle aurait pris contact avec la médecine du travail qui l’aurait dirigé vers un psychologue puis un psychiatre. Elle serait suivie depuis le 24 septembre 2018 en raison d’un état dépressif sévère et serait toujours sous traitement antidépresseur et hypnotique. 

La cour observe que la dégradation de la santé de madame [R] est consécutive à sa mise à pied ce qui ressort à la fois de la date de son arrêt de travail initial soit le lendemain de la lettre de mise à pied émise par la société Martinenq datée du 19 juillet 2018 et des mentions portées sur cet arrêt de travail faisant état d’une « anxiété aiguë réactionnelle ».

Pour établir ces griefs, elle produit l’annulation du bon de commande du module de paie ADP Decidum pme web et des courriels relatant des anomalies dans l’élaboration des fiches de paie. Les autres griefs ne sont pas suffisamment justifiés par les pièces produites pour être retenus ou relevaient du pouvoir de direction de l’employeur.

La surcharge de travail et l’inadéquation des outils de travail pourraient laisser présumer la réalité d’un harcèlement.

Sur l’inadéquation des outils, l’employeur produit une attestation monsieur [D], président de la société Nouvelle Axilog, prestataire pour la société Jama dans laquelle il affirme que madame [R] a refusé à plusieurs reprises les formations proposées sur les logiciels Netprint, Annueuro et Axipaie et que la salariée appelait de manière récurrente le service de hotline et souvent sur les mêmes sujets. Ainsi, l’absence de maîtrise de ces outils informatiques par madame [R] des logiciels a nécessairement entraîné une surcharge de travail et le sentiment que ses outils de travail n’étaient pas adéquats sans que ceux-ci ne puissent être mis à la charge de l’employeur, la salariée ayant refusé les formations proposées.

En conséquence, il convient de confirmer la décision du Conseil des prud’hommes qui a rejeté cette demande.

Sur les heures supplémentaires

Principe de droit applicable :

L’article L 3171-4 du code du travail précise qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Application en l’espèce

Madame [R] demande le paiement d’heures supplémentaires en produisant un décompte des heures travaillées et de nombreux mails adressés à différents interlocuteurs sur une amplitude horaire de 7h30 à 19h. Elle précise qu’elle ne bénéficiait pas de convention de forfait heures ou de forfait jours : elle aurait été employée pour 152, 25 heures mensuelles. La salariée souligne le fait que durant la période de mise en place du nouveau logiciel de paies et de l’arrêté des bilans qui devait être établi avant le 28 juin 2018, elle aurait effectué des heures supplémentaires très importantes. Elle aurait travaillé 73 heures par semaine durant 2 semaines.

Pour établir ses heures supplémentaires, madame [R] présente des courriels, l’enregistrement de fichiers et un tableau. Le tableau produit énumère le volume hebdomadaire des heures qu’elle estime avoir accomplies sans que les variations horaires journalières n’apparaissent et la ventilation des heures supplémentaires supérieures à 25 % et supérieures à 50 %. Les fichiers enregistrés après 18 h ou avant 8 h sont localisés dans des périodes courtes et dans ces périodes représentent 10 à 15 % des enregistrements. Il en est de même des courriels.

Le contrat de travail prévoit que « madame [R] effectuera son contrat à temps plein soit 152 heures 25 mensuel sur 5 jours par semaine, sauf nécessité de service. »

La société Jama à qui incombe le contrôle des heures de travail effectué expose que madame [R] n’aurait pas été sollicitée par son employeur pour effectuer des heures supplémentaires, que le fait qu’elle arrive tôt le matin ou part tôt le soir ne serait pas lié à sa mission mais à son souhait d’éviter les embouteillages et que ses fonctions lui permettaient de s’organiser seule et de façon autonome son travail en donnant directement ses instructions au service paie, notamment en lui communiquant de nombreux jours de récupération. 

Bien que n’ayant pas le statut de cadre dirigeant, la salariée bénéficiait d’une large autonomie lui permettant de moduler ses horaires de travail en fonction des charges professionnelles ponctuellement lourdes, ce qui est conforme au contrat mentionnant les nécessités de service, mais aussi de ses propres commodités, sachant qu’il n’est pas contesté que pendant les 17 mois de l’exécution du contrat, en excluant la période de préavis, auquel il faut déduire les congés payés, madame [R] a posé 19 jours de récupération.

En conséquence, il convient de confirmer la décision du Conseil des prud’hommes qui a rejeté cette demande ainsi que celles portant sur la contrepartie obligatoire de repos, l’indemnité pour travail dissimulé et le non respect de la durée maximale de travail et du repos quotidien.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la régularité de la procédure de licenciement

Principe de droit applicable :

Selon l’article L 1235-2 du code du travail, lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Application en l’espèce

La salariée prétend que le fait d’avoir été convoquée et mise à pied par une société qui n’est pas son employeur constitue une irrégularité lui ayant nécessairement causé un préjudice alors que l’employeur affirme qu’en tant que directrice administrative et financière, elle aurait du rétablir la confusion.

Dans les pièces versées à la procédure figurent deux lettres de convocation à l’entretien préalable avec mise à pied conservatoire :

– l’une de la société Martinenq datée du 19 juillet 2018 pour un entretien du 30 juillet 2018

– l’autre de la société Jama datée du 30 juillet 2018 pour un entretien du 6 août 2018.

Cette formalité est substantielle et le fait que la première convocation erronée a été émise par une société comptant moins de 11 salariés n’est pas sans incidence et a également créé un préjudice à la salariée par la retenue sur salaire opéré illégalement par l’employeur. Il a fallu qu’elle signale cette retenue illégale pour que cette somme de 1190,81 euros lui soit reversée.

La cour considère que le préjudice né de cette irrégularité sera justement compensé par la somme de 1000 euros. Le jugement du Conseil des prud’hommes sera infirmé sur ce point.

Sur la nullité du licenciement

Principe de droit applicable :

Aux termes de l’article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Application en l’espèce

Il résulte de ce qui précède soit l’absence de preuve d’un harcèlement que la demande de nullité du licenciement ne peut qu’être rejetée comme l’ont exactement apprécié les premiers juges.

Sur la faute grave

Principe de droit applicable :

Aux termes des dispositions de l’article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; en vertu des dispositions de l’article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis ; l’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Par application des dispositions de l’article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur ; la motivation de cette lettre, précisée le cas échéant dans les conditions prévues par l’article L 1235-2 du même code, fixe les limites du litige.

Application en l’espèce

En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante :

« Dans le cadre de vos fonctions, vous aviez de larges pouvoirs, notamment ceux de faire procéder à des virements, y compris pour des montants très élevés. 

Cette confiance qui vous était accordée supposait que vous fassiez preuve d’une extrême vigilance dans le cadre des opérations menées. 

Or, les faits qui se sont déroulés le lundi 16 juillet 2018 font apparaître de graves manquements dans la manière dont avez géré la situation. D’une part, en ne procédant à aucune vérification, et d’autre part en ignorant les incohérences et l’alerte de notre banquier. 

Ce lundi, à 12h21, alors que je suis en vacances au Brésil, une personne se faisant passer pour JC Martinenq vous adresse mail pour vous demander si vous êtres disponible. Vous lui répondez positivement. 

Vous recevrez donc un autre mail de la même personne à 13h03. 

Il commence ainsi : « Je vous choisi pour l’efficacité de votre travail et pour apporter tout l’appui nécessaire à notre cabinet juridique et faciliter le traitement de cette opération prioritaire. ». 

Sans aller plus loin vous auriez déjà dû être intriguée par : 

L’adresse mail qui n’est pas la mienne, la charte graphique qui n’est pas la nôtre, 

Le vouvoiement, alors que nous nous tutoyons, 

La manière d’écrire, qui ne me correspond pas, 

Le fait que « je vous choisisse »’ alors que vous étiez l’unique DAF et que la taille de notre entreprise fait que vous étiez la seule en mesure de prendre en charge les opérations complexes, 

Nous n’avons pas à proprement parler un cabinet juridique attitré, tel que le laisse penser le mail’ et nous ne travaillons pas avec KPMG, 

La demande « lourde » de respect de la confidentialité sur laquelle votre interlocuteur s’étend anormalement, plus que sur l’opération elle-même ! 

Votre seule réponse concerna ce point. Heureusement, vous utiliserez la bonne adresse et non celle sur laquelle je suis censé vous avoir contactée. 

Vous ne poserez aucune autre question, pas même le coût de cette opération. 

Vous m’enverrez un autre mail uniquement pour me rassurer sur la confidentialité. 

En revanche, vous ne serez pas étonnée que le mail initial n’ait pas été relevé par mon assistante, madame [N] [B], comme cela aurait dû être le cas normalement. 

Vous adresserez un mail à l’adresse indiquée, sans vous assurer de son authenticité’ Ni de l’existence d’un monsieur [U] dans les effectifs du cabinet KPMG. 

A 16h03, vous recevrez un courriel du soi-disant cabinet KPMG, de ce M. [U]. Vous n’avez pas été alertée par les fautes d’orthographe grossières qu’il contient. 

Vous ne procéderez à aucune recherche concernant la société renseignée comme bénéficiaire. Une simple consultation sur internet, vous aurait pourtant informée de la triste réputation de cette entreprise, connue pour ses arnaques. 

Notre banquier, vous demandera confirmation de l’ordre de virement, inquiet « la Pologne quand même ». 

Cette remarque, n’aura aucune incidence sur votre détermination. Le virement d’un montant de 489 000 euros sera envoyé à 16h45 sans qu’aucun contrôle n’ait été réalisé. 

Vous ne vous êtres pas plus interrogée sur le fait qu’étant, au Brésil, en congé, il y avait peu de chance pour que je dirige une telle opération. 

Vous n’avez pas été surprise : 

Que je ne vous appelle pas pour en parler avec vous, 

Qu’aucune réunion de travail n’ait été préalablement organisée, 

Que nos procédures habituelles n’aient pas été appliquées. 

Il est impensable que pour une opération de cette envergure, engageant des fonds importants pour une entreprise de notre taille, les choses puissent se faire en catimini, aussi rapidement, et d’une telle façon ! 

Cela est d’autant plus surprenant au regard de votre expérience, des postes que vous avez occupés et du professionnalisme que vous revendiquez. 

Il est difficilement concevable qu’un DAF fasse un virement d’un tel montant, sans plus s’interroger et procéder à un minimum de contrôle. 

Le fait que nous ayons finalement réussi à récupérer les fonds ne minimise en rien, la responsabilité qui est la vôtre. 

Ces manquements, particulièrement caractérisés, ne permettent pas d’envisager la poursuite de votre contrat, y compris pendant la période limitée d’un préavis.’ 

Dans cette lettre, l’employeur reproche à madame [R], cadre supérieure, directrice administrative et financière de la société, d’avoir procédé le 1er juillet 2018, de sa propre autorité et sans aucune vérification ni contrôle à un virement en Pologne d’un montant de 489 000 euros alors que la nature frauduleuse des courriels aurait été visible (adresse mail du président erronée, pas de détail sur l’opération, fautes d’orthographe, passage au vouvoiement), qu’elle n’a pas demandé de confirmation orale ou écrite au président directeur général, que l’entreprise n’a jamais travaillé ni avec le cabinet KPMG ni avec maître [U], qu’elle aurait reçu une information personnelle sur les « fraudes au virement » le 4 avril 2018 par madame [X] du Crédit Lyonnais, que le montant représentait 92% de la trésorerie du compte et de 55% de la capacité totale de la trésorerie de l’entreprise et que c’est elle qui était en charge de la mise en place de procédure de contrôle interne sur les procurations bancaires et les transactions internationales.

Madame [R] fait valoir qu’elle n’aurait pas commis de faute mais une erreur de jugement qui ne relevait pas une mauvaise volonté délibérée de sa part et que seule une négligence constituant une insuffisance professionnelle pourrait donc lui être reprochée et non une faute grave. Elle estime avoir été victime d’une escroquerie appelée fréquemment « escroquerie au Président » et aurait procédé à un virement au profit d’une société étrangère en toute bonne foi. La salariée souligne le fait que l’entreprise ne disposerait pas de procédure de contrôle interne ou de protection informatique suffisante : son employeur ne pourrait pas se dédouaner de sa propre responsabilité, qu’elle n’aurait jamais été sensibilisée ou confrontée à ces pratiques.

La salariée expose que la société n’a subi aucun préjudice dans la mesure où, dès le président directeur général l’a avertie, elle a immédiatement téléphoné à la banque pour faire opposition à l’ordre de virement et que le lendemain soit le 18 juillet, le remboursement a été recrédité sur les comptes de la société. Enfin, elle expose que ce ne serait pas la première fois que le président directeur général lui demandait de procéder à un virement important : au mois de mars 2018, elle aurait effectué un virement de 150 000 euros pour la prise de participation de la société Jama dans la société Samplicity sans explication particulière.

Les faits sont établis, exactement décrits dans la lettre de licenciement et non contestés dans leur déroulement par la salariée.

La question litigieuse est circonstanciée à la bonne foi de madame [R] ou à sa faute constituée par une insuffisance de vigilance, une appréciation erronée de la situation compte tenu de ses fonctions ayant pu commettre un grave préjudice à son employeur.

Les techniques employés par les fraudeurs sont ceux de la manipulation mentale consistant à créer une relation privilégiée avec l’interlocuteur en mettant en avant ses éminentes qualités, à couper tous liens avec les relations extérieures, en mettant en avant la confidentialité, en exerçant une pression en invoquant une urgence, créatrice de stress, et en mettant en place des éléments de sérieux pour éviter tout doute.

En l’espèce, tous ces éléments sont réunis. A cet égard la première ligne du premier du courriel de 13 h 03 est très révélatrice  »  Je vous choisi pour l’efficacité de votre travail et pour apporter tout l’appui nécessaire à notre cabinet juridique et faciliter le traitement de cette opération prioritaire.  » Il en est de même du choix du cabinet KPMG et des conversations téléphoniques avec le supposé maître [U], au ton et au lexique conforme à ce qui est attendu d’un avocat expérimenté et habitué au monde des affaires.

Ainsi, madame [R] a été victime de cette manipulation et a su réagir efficacement dès que cette tentative d’escroquerie a été découverte.

En conséquence, aucune faute grave ne peut lui être reprochée.

Il s’ensuit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement du Conseil de prud’hommes sera infirmé ce point.

Evaluation du montant des condamnations

Au vu de l’ensemble des éléments versés aux débats, en prenant en compte une rémunération moyenne mensuelles de 6 016,88 euros, la demande d’intégration d’heures supplémentaires ayant été rejeté, du préjudice causé par ce licenciement sans cause réelle et sérieuse à la salariée âgée de 53 ans au moment du licenciement qui justifie ne pas avoir retrouvé d’emploi et être régulièrement suivie par un psychiatre, il convient de lui allouer la somme de 12 000 euros en réparation de ce préjudice.

Compte tenu du salaire moyen retenu, il convient de fixer l’indemnité de licenciement à la somme de 2 381,91 euros, l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 12 033,76 euros et celle des congés payés afférents à la somme de 1 203,37 euros.

Enfin, la cour rejette la demande de reliquat de prime annuelle, le solde de tout compte ayant pris en compte cette prime qui n’est pas due pendant la période postérieure pendant laquelle aucun travail n’a été fourni.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement sauf en ce qu’il a rejeté les demandes relatives aux heures supplémentaires, au harcèlement, à la prime annuelle

Statuant sur le surplus

QUALIFIE le licenciement de madame [R] par la société Jama sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la société Jama à verser à madame [R] les sommes suivantes :

– 12 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– 2 381,91 euros à titre de licenciement

– 12 033,76 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre celle de 1 203,37 euros pour les congés payés afférents

– 1 000 euros au titre du préjudice créé par la procédure irrégulière de licenciement

CONFIRME le surplus de la décision,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Jama à verser à madame [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la société Jama aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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