Retenues sur salaire : 10 novembre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/03114

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Retenues sur salaire : 10 novembre 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 20/03114

N° RG 20/03114 – N° Portalis DBV2-V-B7E-ISDB

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 23 Septembre 2020

APPELANTE :

S.A.R.L. SAP FECAMP JUNIOR SENIOR

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Renaud COURBON de la SELARL MARGUET LEMARIE COURBON, avocat au barreau du HAVRE

INTIMEE :

Madame [S] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Marie Pierre OGEL de la SCP GARRAUD OGEL LARIBI HAUSSETETE, avocat au barreau de DIEPPE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 29 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 29 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 10 Novembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 10 Novembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

FAITS ET PROCEDURE

Mme [S] [I] a été engagée par la société à responsabilité limitée (SARL) SAP Fécamp Junior Senior suivant contrat à durée déterminée du 4 août 2017, puis dans le cadre d’un contrat de professionnalisation en qualité d’assistante d’agence.

Il lui a été infligé plusieurs avertissements les 2 octobre, 16 novembre et 17 décembre 2018.

Du 17 décembre 2018 au 17 février 2019, Mme [I] a été déclarée inapte temporairement à son poste de travail.

Mme [I] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 25 mars 2019 et par lettre recommandée du 29 mars 2019, l’employeur lui a notifié la rupture de son contrat de professionnalisation pour faute grave.

Le 28 mai 2019, elle a saisi la juridiction prud’homale en contestation du bien-fondé de son licenciement, en annulation des avertissements qui lui ont été notifiés et aux fins de condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts au titre de la rupture de son contrat de travail.

Par jugement rendu le 23 septembre 2020, le conseil de prud’hommes du Havre a dit que le licenciement de Mme [I] est abusif, condamné la société SAP Fécamp Junior Senior à payer à Mme [I] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail avec intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, condamné la société SAP Fécamp Junior Senior aux dépens de l’instance, ainsi qu’au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La société SAP Fécamp Junior Senior a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 septembre 2022.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 décembre 2020, l’appelante demande à la cour de :

– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a :

– dit le licenciement de Mme [S] [I] abusif ;

– condamné la société SAP Fécamp Junior Senior à lui verser la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêt au taux légal ;

– condamné la SAP Fécamp aux dépens et frais d’exécution, outre au paiement d’une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

– débouter Mme [I] de l’ensemble de ses demandes,

– la condamner au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;

Subsidiairement,

– réduire à l’euro symbolique les prétentions de Mme [S] [I].

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 18 février 2021, l’intimée demande à la cour de voir :

– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a dit que son licenciement était abusif et par conséquent condamné la SAP Fécamp Junior Senior à lui verser la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ainsi que 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– réformer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande d’annulation des avertissements des 2 octobre 2018, 16 novembre 2018 et 17 décembre 2018,

– annuler les avertissements prononcés et condamner la SAP Fécamp Junior Senior à lui régler la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avertissements abusifs,

– condamner la SAP Fécamp Junior Senior au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et aux entiers dépens,

– débouter la SAP Fécamp Junior Senior de l’ensemble de ses demandes.

MOTIFS

Sur la demande d’annulation des sanctions disciplinaires

Selon l’article L.1331-1 du code du travail, « constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».

En vertu de l’article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L’employeur fournit à la juridiction les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Sur ce fondement, aucune des parties ne supporte directement la charge de la preuve, mais il appartient à l’employeur de fournir au juge les éléments retenus pour prononcer la sanction contestée.

Sur le fondement de l’article L.1333-2, le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

A l’exception du licenciement, le juge peut donc annuler une sanction prononcée.

Sur l’avertissement du 2 octobre 2018

Par lettre du 2 octobre 2018, la société SAP Fécamp Junior Senior a notifié à Mme [I] un avertissement rédigé en ces termes :

« le 24 août 2018, vous nous avez informé avoir transmis des informations relatives à l’identité des salariés présents dans l’entreprise à Mme [T] [X], salariée de l’entreprise dont vous n’ignorez pas la proximité avec Mme [F] [R], représentante de la section syndicale CGT au sein de l’entreprise et à l’initiative des élections professionnelles (‘) Mme [T] [X] s’est par la suite présentée en tant que suppléante à des élections professionnelles sur la même liste que Mme [F].

En tant que salariée, vous devez observer, de la façon la plus stricte, la discrétion la plus absolue sur l’ensemble des faits et informations dont vous pouvez avoir connaissance à l’occasion de ces fonctions vis-à-vis des tiers et des salariés de l’entreprise. De même, vous ne devez divulguer aucune information concernant l’entreprise et vous devez rester discrète notamment sur son fonctionnement, l’organisation du travail, les autres salariés. Cette obligation de discrétion perdure après la fin de son contrat.

Dans le cadre de vos fonctions d’assistante d’agence, vous avez accès au logiciel de gestion de l’entreprise dans lequel sont enregistrées des informations confidentielles notamment l’identité des bénéficiaires de nos services et l’identité de nos salariés. Aussi, Vous ne pouvez ignorer les conséquences déplorables que peut avoir la divulgation d’informations confidentielles, d’informations erronées au cours d’un processus électoral. Ces manquements peuvent gravement entraver le bon fonctionnement de notre entreprise et lui porter préjudice. (…)»

Mme [I] fait valoir qu’en aucun cas, elle n’a révélé l’identité de salariés, puisque la liste était d’ores et déjà établie, ni divulgué des informations confidentielles, les conditions de la confidentialité n’étant pas remplies, dès lors que le nom des personnes travaillant au sein de la société était connu de tous et que le fait d’indiquer à une collègue de travail ceux des salariés qui sont encore en poste, n’est pas de nature à nuire aux intérêts de l’entreprise.

La salariée a toutefois transmis des données personnelles relatives à l’identité de salariés, qui contrairement à ce qu’elle affirme, n’était pas connue de tous, dès lors que la salariée candidate aux élections professionnelles lui demandait de désigner ceux ne faisant plus partie de l’entreprise, information dont celle- ci ne pouvait disposer à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.

L’employeur produit en outre deux courriels du 24 août 2018, dans lesquels Mme [I] reconnaît  : « Hier soir, Mme [T] est passée en agence avec une liste d’intervenantes et elle m’a demandé de lui énoncer celles qui ne faisaient plus partie de l’entreprise. Je pense que cela a un lien avec les élections du personnel. » et s’excusant ainsi « …étant seule hier soir de 17h à 18 h avec plusieurs personnes à l’agence, je lui ai donné l’information, j’espère que cela n’aurais pas de répercussions sur l’agence sinon je prendrais l’entière responsabilité. », de sorte que les faits sanctionnés sont établis dans leur matérialité.

Il résulte encore de ces échanges de courriels que la salariée n’ignorait pas la nature personnelle de l’information, ni le lien entre la requête de la salarié avec les élections professionnelles, caractérisant un manquement aux obligations de son contrat de travail, alors qu’elle était tenue d’observer la discrétion la plus absolue sur l’ensemble des faits et informations dont elle pourrait avoir connaissance à l’occasion de ses fonctions, peu important l’absence de préjudice occasionné à l’employeur.

Au regard de ces éléments, des pièces communiquées, il y a lieu de juger les faits reprochés établis par l’employeur dans leur matérialité, imputables à la salariée au regard des fonctions exercées et de constater que la sanction prononcée est proportionnée aux faits commis.

Sur l’avertissement du 16 novembre 2018

Par lettre du 16 novembre 2018, il a été infligé à la salariée un avertissement pour avoir :

– le 29 octobre 2018, réceptionné en main propre contre décharge un courrier remis par une ancienne salariée de l’entreprise Mme [K] [L], alors que ce courrier n’était pas destiné à l’entreprise SAP de Fécamp mais à son employeur actuel,

– le 30 octobre 2018, ouvert une lettre recommandée avec accusé de réception expédiée par un élu titulaire du CSE qui était destiné au dirigeant, M. [B],

– le 31 octobre 2018, de nouveau ouvert une lettre recommandée avec accusé de réception expédiée par un autre élu titulaire du CSE alors que figurait sur l’enveloppe la mention « à l’attention de M. [B] ».

Mme [I] fait valoir qu’elle ignorait que Mme [L] n’était plus salariée de l’entreprise,

que l’employeur cherche le moindre prétexte pour l’évincer,

qu’aucune faute ne peut lui être reprochée alors qu’elle a été engagée en qualité d’assistante de gestion et qu’il est constant qu’est licite l’ouverture par une secrétaire d’un pli arrivé sous simple enveloppe commerciale portant pour seules indications le nom du salarié, sa fonction et l’adresse de l’entreprise,

qu’il n’est aucunement justifié de ce que le courriel du 29 mai 2018 lui a été adressé personnellement.

La salariée ne conteste pas utilement avoir réceptionné contre décharge un courrier non adressé à l’entreprise et avoir ouvert deux courriers adressés au dirigeant en dépit de l’interdiction formelle qui lui était faite « d’ouvrir tous courriers recommandés à l’attention du dirigeant ou de M. [B] », rappelée dans un courriel du 29 mai 2018 adressé aux responsables et assistantes de responsable d’agence, complétée par un courriel du 25 août 2018, précisant la marche à suivre, et notamment qu’il leur incombait de « prévenir immédiatement (la direction) et de ne pas les ouvrir sans accord ».

Les faits sont en conséquence établis dans leur matérialité.

La salariée ne saurait voir écarter sa responsabilité au motif qu’elle n’a pas été rendue destinataire à titre personnel du courriel du 29 mai 2018, lequel a été adressé à l’ensemble des responsables d’agence, dont celle de Fécamp, alors qu’elle indique en outre « être seule à l’agence » et qu’elle n’a pas cru utile de contester cet avertissement à l’époque de sa notification.

La sanction prononcée est en conséquence justifiée et proportionnée aux faits reprochés.

Sur l’avertissement du 17 décembre 2018

Il est reproché à la salariée une absence injustifiée le 15 novembre 2018, en violation de l’article 10 de son contrat de travail qui prévoit que toute absence prévisible doit faire l’objet d’une autorisation préalable, l’employeur produisant divers courriels rappelant la nécessité de signaler chaque absence au service des ressources humaines, la lettre du centre de formation l’avisant le 6 décembre 2018 de l’absence de Mme [I] le 15 novembre précédent pendant 3h30, une demande d’autorisation d’absence formulée le 22 août 2017 par la salariée, démontrant qu’elle avait connaissance de la procédure.

Mme [I] indique qu’elle a été suivie pendant cette période par le médecin du travail et son médecin traitant, qu’elle ne pouvait informer son employeur au préalable en raison du caractère soudain de sa maladie qui n’était pas prévisible,

que du reste aucun règlement intérieur ne lui a été communiqué et n’a été porté à sa signature.

Mme [I] ne justifie pas avoir été en arrêt maladie sur cette période, ni avoir adressé un avis d’arrêt de travail à son employeur et était parfaitement informée de la procédure à suivre au regard des pièces produites par l’employeur.

Le grief est établi, la sanction légitime et adaptée.

Le jugement du conseil de prud’hommes sera en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes en annulation des avertissements contestés et en condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts pour sanctions injustifiées.

Sur la demande au titre de la rupture anticipée du contrat de travail

Le 29 mars 2019, la société SAP Fécamp Junior Senior a mis fin de manière anticipée au contrat de travail par lettre ainsi motivée :

«  (‘) Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d’une faute grave :

D’une part, le 12 mars 2019, nous avons reçu de votre centre de formation le relevé de vos absences en classe :

– le 3 novembre 2017 : 3h30 d’absence

– le 14- décembre 2019 : 3h30 d’absence

– le 2 mars 2018 : 6h d’absence

– le 16 mars 2018 : 3h30 d’absence

– le 19 avril 2018 : 2h d’absence

– le 27avril 2018 : 7h d’absence

– le 24 mai 2-018 : 3h30 d’absence

– le 7 juin 2018 : 1h30 d’absence

– le 14 juin 2018 : 3h30 d’absence

– le 29 juin 2018 : 3h absence

– le 2 juillet 2018 : 4h d’absence

– le 4 juillet 2018 : 3h30 d’absence

– le 21 septembre 2018 : 3h30 d’absence

– le 6 décembre 2018 : 3h30 d’absence

Nous avons comptabilisé 48 heures d’absence injustifiées.

Nous constatons un manquement inacceptable au règlement intérieur de l’entreprise. Nous vous rappelons que conformément à ce règlement toute absence prévisible doit faire l’objet d’une autorisation préalable du supérieur hiérarchique et que toute absence imprévisible doit, sauf cas de force majeure, être signalée au supérieur hiérarchique dans les 24 heures.

Vous avez manqué à vos obligations en ne signalant pas ces absences en centre de formation à l’entreprise. Vous n’avez pas signalé ces absences à l’entreprise et vous n’avez pas signalé ces absences au service RH avant l’établissement des bulletins de paie pour que des retenues sur salaire équivalentes à la durée de vos absences soient pratiquées.

Sans ce courrier de votre centre de formation, nous serions toujours dans l’ignorance de ces absences puisqu’à aucun moment vous n’avez jugé utile de nous informer de vos absences. Le manque de prévenance, le caractère non justifié de vos absences et votre volonté délibérée de nous dissimuler vos absences ne démontrent pas un grand professionnalisme de votre part et révèlent un manque d’honnêteté.

Nous vous informons qu’une régularisation sera effectuée sur votre bulletin de salaire de mars 2019 afin de pratiquer la retenue sur salaire équivalente à la durée totale de toutes ces absences soit 48 heures.

Ce n’est pas la première fois que nous constatons un manquement à vos obligations de cette nature. Le 17 décembre 2018, vous avez déjà été sanctionnée par un avertissement pour une absence injustifiée le 15 novembre 2018.

D’autre part, le 5 mars 2019, à l’occasion d’une opération de maintenance sur ordinateur d’une société appartenant au même réseau de franchise que la société SAP Fécamp et dirigée également par ma personne, nous avons découvert différentes conversations dans une application de messagerie instantanée « Skype ». En effet, une salariée de l’entreprise Junior Senior Service, Mme [Z] [M], a laissé sa session Skype ouverte sur un ordinateur de l’entreprise, rendant les conversations publiques et visibles des personnes ayant accès à l’ordinateur. Ces conversations à partir de cette application ont eu lieu pendant votre temps de travail et sur votre lieu de travail. Ces conversations étaient en rapport avec votre activité professionnelle et vous utilisiez le logo Junior Senior comme photo de profil.

Le mercredi 19 décembre 2018, vous écrivez à Mme [Z] [M]: «tu ma envoyer le courrier par mail ou pas  », « t’es impression sur le mail pour la fin d’année  », « j’ai pas recu  », « [Courriel 4] », en réponse à votre message Mme [Z] [M] écrit « alors pour la fin d’année, je suis sceptique…j’ai l’impression que c’est un cadeau empoisonné  » et vous acquiescez : « oui c’est ce que je pense aussi  », « fin toute facon je suis meme pas sur d’avoir le droit moi  », « et je pense que du coup ils vont pas nous donner de prime  ». Vous poursuivez «j’ai eu l’inspection du travail ce matin  », « mais bon ils m’ont dis qu’il fallait que je fasse un courrier a dimitri en ralatant tout ce qu’il me fait me hurler dessus les avertissement tous sa et de dire que j’en peut plus et que je veut une visite medical et il faut que je mettent en copie la medecine du travail et l’inspection du travaille  », « j’ai toujours rien recu cest bizard  », « tu peut me le renvoyer mais sur cette adresse stp  » et «[Courriel 5]  ».

Le lundi 07 janvier 2019, vous avez écrit « je me sens stressé comme d’hab », « j’ai ma visite medical mercredi a 13h30  », « oui je me suis reposer mais complique de vraiment couper et plus y penser  », « oui je vais lui expliquer et on verras si il peut faire quelque chose pour moi ou pas  », « ya wardia en plus aujourd’hui  », « je ne lui parle pas mais bon le fait qu’el1e sois la sa mets un froid  », « oui toujours la pression  », « j’ai eu peur qqu’i1 sois la aujourd’hui  », « oui  »,« mais ca va il est pas la  » et « oui j’ai souffler quand même  ».

Dans ces messages, vous faites référence à un échange de document et vous dénigrez la direction en l’accusant notamment de harcèlement moral auprès d’une salariée d’une autre entreprise dont j’assume la direction. Ces propos et ces faits sont intolérables.

Suite à la réception de l’avis d’absence et la découverte des messages, par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 12 mars 2019, nous vous avions convoqué à un entretien qui s’est tenu le lundi 25 mars 2019 auquel vous vous êtes présentée assistée de Mme [F] [R], membre de la délégation du personnel au CSE. Lors de cet entretien, vous avez reconnu ces absences injustifiées et le fait de ne pas être en mesure de justifier ces absences. Quant aux messages envoyés à Mme [Z] [M], vous indiquez qu’ils ont un caractère privé. Ces correspondances, découvertes de façon fortuite, échangées pendant votre temps de travail, sur votre lieu de travail, à partir du matériel informatique de la société et d’une session Skype à votre nom et pour laquelle vous avez choisi le logo du réseau de franchise, sur des sujets ayant trait à votre activité professionnelle, affichés sur un écran d’ordinateur d’une autre entreprise et visibles de toutes les personnes occupant des fonctions administratives au sein de cette autre entreprise dirigée par moi revêtent bien un caractère public. De plus à aucun moment dans vos échanges vous ne signalez le caractère privé de vos correspondances. Par conséquent, ces messages peuvent être retenus au soutien d’une procédure disciplinaire à votre encontre. Cet entretien ne nous a pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Après examen approfondi des faits qui vous sont reprochés et compte tenu de la gravité des faits et de votre passif disciplinaire, nous avons décidé de rompre par anticipation votre contrat à durée déterminée pour faute grave.

(…) ».

Il est ainsi reproché à la salariée 48 heures d’absences injustifiées entre le 3 novembre 2017 et le 6 décembre 2018 ainsi qu’un comportement dénigrant envers son employeur.

Le contrat de professionnalisation conclu à durée déterminée est soumis au droit commun de ces contrats en matière de rupture.

L’article L 1243-1 du code du travail énonce : « Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

Lorsqu’il est conclu en application du 6° de l’article L 1242-2, le contrat de travail à durée déterminée peut, en outre, être rompu par l’une ou l’autre partie, pour un motif réel et sérieux, dix-huit mois après sa conclusion puis à la date anniversaire de sa conclusion. »

La faute grave, dont la preuve incombe à l’employeur, se définit comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

Pour qualifier la faute grave, il incombe donc au juge de relever le ou les faits constituant pour le salarié licencié une violation des obligations découlant de son contrat de travail ou des relations de travail susceptible d’être retenue, puis d’apprécier si le fait allégué était de nature à exiger le départ immédiat du salarié.

Par ailleurs, la procédure disciplinaire est enfermée dans des délais très stricts puisqu’en vertu de l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Dès lors que des faits reprochés à un salarié ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur de démontrer qu’il a en a eu connaissance dans le délai de prescription, ce qui suppose une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits fautifs.

Sur le premier grief

L’employeur fait valoir qu’il a eu connaissance de ces absences le 7 mars 2019, à réception du relevé communiqué par le centre de formation CCI&CAUX,

que la salariée a délibérément choisi de ne déclarer qu’une partie de ses absences, alors qu’elle a pu transmettre ses dates de congés (congés payés, congés sans solde …), ses dates d’absence pour maladie, les astreintes et les repos compensateurs pris, à la demande de la responsable des ressources humaines.

Il produit à l’appui du grief allégué :

– le relevé intégral des absences de la salariée adressé par le centre de formation le 7 mars 2019,

– le planning de formation de 2017 à 2018 et de 2018 à 2019,

– les avis d’arrêt de travail,

– le courriel du 13 février 2018 aux termes duquel il a été demandé à la salariée de prévenir immédiatement la direction des ressources humaines de toute absence et de fournir ses justificatifs.

Mme [I] oppose la prescription des faits faisant valoir que les absences au centre de formation étant signalées mensuellement à l’employeur en application du règlement intérieur et que ce dernier ne pouvait les ignorer.

Au fond, elle fait valoir que ce grief est infondé, alors que ces absences sont consécutives à des problèmes de santé liés à des conditions de travail difficiles et qu’elle est en mesure de justifier d’arrêts maladie,

qu’elle a informé l’organisme de formation de ses absences,

qu’il ne lui incombait pas de prévenir elle-même l’employeur de ses journées d’absence sur ses temps de formation théorique dans la mesure où le règlement intérieur le prévoyait expressément et qu’un relevé mensuel de présence était également adressé à ce dernier,

qu’elle a en conséquence respecté les règles qui lui étaient imposées.

L’employeur soutient n’avoir eu connaissance des absences de la salariée sur plus d’une année que le 12 mars 2019, date de réception du relevé d’absences.

Les éléments du dossier ne permettent toutefois pas de retenir cette date comme certaine, alors qu’il résulte du règlement intérieur du centre de formation que ces informations sont délivrées mensuellement à l’employeur, sans qu’il puisse se prévaloir de l’inopposabilité dudit règlement en sa qualité de partenaire dans le cadre d’une action de formation, et qu’il ressort de ses propres pièces, et en particulier d’un courriel du 13 février 2018 de l’assistante de direction à la salariée qu »il lui a été transmis, un peu tardivement une notification d’absence en formation la concernant pour le 19 janvier 2018’, ce dont il résulte une information bien plus régulière qu’elle ne veut l’admettre.

L’employeur ne justifiant pas avoir eu connaissance des faits dans le délai de deux mois précédant l’engagement de la procédure, la prescription sera retenue et le grief écarté.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le second grief

Il est reproché à la salariée d’avoir dénigré son employeur, ces faits ayant été découverts le 5 mars 2019, à l’occasion d’une opération de maintenance informatique.

L’employeur indique que des propos intolérables ont été tenus au moyen de l’application Skype, la salariée qualifiant la prime de fin d’année annoncée de « cadeau empoisonné », dénigrant sa direction et en particulier le gérant et la responsable des ressources humaines, faisant en outre référence à un rapprochement avec l’inspection du travail qui lui aurait conseillé d’adresser au gérant un courrier dénonçant le fait que ce dernier « lui crierait dessus » et l’accusant de harcèlement moral,

que ces conversations pouvaient être retenues au soutien d’une procédure disciplinaire pour avoir eu lieu au cours d’un échange sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail avec Mme [M], salariée d’une société appartenant au même réseau de franchise, à partir du matériel de la société au cours d’une session Skype au nom de la salariée avec le logo de l’entreprise, cette session étant restée ouverte et accessible à tous,

que les connexions Internet établies par un salarié sur son temps de travail à l’aide de l’outil informatique mis à disposition par l’entreprise sont présumées avoir un caractère professionnel.

Il produit le procès-verbal de constat d’huissier établi le 7 mars 2019, retranscrivant ces discussions.

Mme [I] fait valoir qu’en vertu de l’article L 2281-1 du code du travail, les salariés disposent d’une liberté d’expression qui les autorise à tenir des propos critiques à l’égard de la direction,

que dès lors que le salarié publie sur un compte à caractère restreint, dont l’accès est limité à des personnes autorisées et peu nombreuses, ses propos relèvent d’une conversation de nature privée et ne peuvent lui être reprochés,

que le grief est infondé,

qu’à supposer que le dénigrement soit avéré, ce comportement doit tendre à provoquer un trouble objectif au détriment de l’entreprise.

En l’espèce, les échanges en cause ont eu lieu entre Mme [I] et une collègue de travail au moyen de l’application Skype, logiciel permettant aux utilisateurs de passer des appels téléphoniques ou vidéo via l’internet. Ces conversations qui ont été enregistrées dans la messagerie professionnelle, sur l’ordinateur professionnel, pendant le temps et sur le lieu de travail de Mme [I] et qui ne sont pas identifiées comme étant personnelles, ni par la destinataire, ni par leur auteur, sont présumées professionnelles, de sorte que celle-ci n’est pas fondée à se prévaloir de la nature confidentielle des propos tenus, l’employeur n’a pas, pour sa part porté atteinte à sa vie privée, ni au secret des correspondances en les produisant à titre de preuve à l’appui du licenciement.

La salariée invoque en outre les dispositions de l’article L 2281-1 du code du travail lesquelles énoncent que : « Les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail ». Ils ne sauraient toutefois en abuser en critiquant ou dénigrant leur employeur.

Au cas d’espèce, les propos tenus par la salariée relativement à la prime de fin d’année, sur le fait de savoir si elle sera versée ou non, ou encore si elle peut y prétendre, quand bien même elle qualifierai la prime de fin d’année de « cadeau empoisonné », ou encore quant au fait que la présence de sa responsable « met un froid », ne sauraient relever du dénigrement, ni ceux tenus quant aux pressions et à sa crainte de l’employeur, la salariée ne faisant état que de son ressenti, rien n’interdisant au demeurant à un salarié de dénoncer une situation de harcèlement moral vécue comme telle.

Il n’est caractérisé aucun acte de dénigrement ayant porté atteinte à l’image de la société, ni même de véritables critiques à l’endroit de l’employeur, de sorte que le grief sera écarté.

Il se déduit de ces motifs que la rupture n’est pas justifiée par une faute grave, ni par une cause réelle et sérieuse, le jugement étant confirmé de ce chef.

En application de l’article L. 1243-4 du code du travail, Mme [I] est fondée à obtenir une indemnité de rupture égale au montant du salaire restant à courir jusqu’au terme du contrat, soit en l’espèce la somme de 4 000 euros par confirmation du jugement déféré.

Sur les frais de procédure

La société SAP Fécamp Junior Senior qui succombe dans la présente instance doit supporter les dépens et il y a lieu de la condamner à payer à Mme [I] une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 1 500 euros, en sus de celle qui lui a été allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne la société SAP Fécamp Junior Senior à payer à Mme [I] une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société SAP Fécamp Junior Senior aux dépens de la procédure d’appel.

La greffière La présidente

 


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