Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 4
ARRET DU 01 MARS 2023
(n° 2023/97 , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06078 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCMFK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F19/00456
APPELANT
Monsieur [R] [C]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Jean-bernard BOUCHARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E2061
INTIMEE
S.A.R.L. SOGEIDI Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Marion CHARBONNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0947
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne-Ga’l BLANC, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, président
Madame Anne-Ga’l BLANC, conseillère
Madame Florence MARQUES, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Justine FOURNIER, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par contrat de travail à durée indéterminée à effets au 1er août 2017, M. [R] [C] a été engagé par la SARL Sogeidi en qualité d’employé commercial caissier avec reprise d’ancienneté au 13 mai 2014. A compter du 1er novembre 2015, il est devenu adjoint de magasin.
La société Sogeidi a pour objet l’exploitation d’une surface de supermarché sous différentes enseignes. Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire (IDCC 2216).
Par lettre du 25 juillet 2018, M. [C] a été convoqué le 6 août suivant à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied conservatoire. Le 16, le salarié a été licencié pour faute grave en raison d’une absence de justification de son absence du 24 juin précédent, d’un refus d’appliquer les instructions de ses responsables et d’une attitude agressive à leur endroit ainsi que du fait qu’il n’a remis que 19 pochettes d’espèces au lieu des 24 enregistrées soit une somme manquante de plus de 9.000 euros et ce, sans en informer sa direction, les faits n’ayant été portés à la connaissance de l’employeur que par sa collègue.
Le 21 janvier 2019, contestant son licenciement et réclamant le paiement de sommes tant indemnitaires que salariales, M. [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 9 juin 2020, a rejeté l’ensemble de ses demandes.
Le 25 septembre 2020, M. [C] a fait appel de cette décision notifiée le 2 précédent.
Dans ses conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 24 décembre 2020, M. [C] demande à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :
– condamner la société Sogeidi à lui payer 44,20 euros de rappel de salaire pour absence injustifiée le 24 juin 2018, outre 4,42 euros de congés payés afférents ;
– condamner la société Sogeidi à lui payer 1.354,98 euros de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire, outre 135,50 euros de congés payés afférents ;
– condamner la société Sogeidi à lui payer 2.811,06 euros d’indemnité légale de licenciement ;
– condamner la société Sogeidi à lui payer 5.091,76 euros d’indemnité compensatrice de congés payés, outre 509,18 euros de congés payés afférents ;
– condamner la société Sogeidi à lui payer 15.275,28 euros d’indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
– condamner la société Sogeidi à lui payer 10.000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
– condamner la société Sogeidi à lui payer 5.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;
– ordonner à l’employeur de lui remettre un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation employeur destinée à Pôle emploi, conformes à la décision à intervenir, sous astreinte journalière de 100 euros par document ;
– condamner la société Sogeidi à lui payer 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– assortir l’ensemble des condamnations de l’intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes ;
– condamner la société Sogeidi aux dépens.
Dans ses conclusions remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 mars 2021, la société Sogeidi demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter M. [C] de ses demandes et de le condamner à lui payer 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 8 novembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 9 janvier 2023.
Pour l’exposé des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 : Sur l’exécution du contrat
1.1 : Sur le rappel de salaires
Il est de principe qu’il incombe à l’employeur de justifier les retenues sur salaire auxquelles il a procédé.
Au cas présent, le salarié conteste la retenue opérée en raison de son absence injustifiée le 24 juin 2018 et soutient qu’il ne devait pas être présent à cette date, sa collègue étant de service conformément à un planning dont il verse aux débats une photographie. Il produit également une attestation d’une collègue en ce sens. Il souligne par ailleurs qu’ayant travaillé toute la semaine précédente, il devait nécessairement être en repos dominical à cette date.
Cependant, le planning communiqué est ancien et rien ne permet d’affirmer qu’il serait toujours en vigueur. En outre, l’employeur, qui note que la salariée ayant attesté en faveur de l’appelant n’était pas présente au moment des faits, verse pour sa part aux débats, outre le courrier de mise en demeure de justifier de cette absence qui a été reçu mais auquel il n’a pas été répondu, une attestation circonstanciée du responsable de magasin qui indique que l’appelant lui a indiqué par message en cours de matinée qu’il serait absent le dimanche concerné et que sa collègue avait refusé de le remplacer. Il produit également la copie du livre de caisse de juin 2018 qui démontre que le magasin n’a pu ouvrir à la date concernée et qu’aucune recette n’a été encaissée. En outre, alors que la fiche de paie de juin 2018 mentionne une retenue sur salaire pour le 24, le salarié ne démontre aucune réaction lorsque celle-ci a été opérée.
Au regard de ce qui précède, l’employeur apporte la preuve du bien fondé de la retenue opérée au regard du défaut de justification par le salarié de son absence.
La demande de rappel de salaire à ce titre sera donc rejetée et le jugement confirmé.
1.2 : Sur le manquement à l’obligation de loyauté
En application de l’article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Par ailleurs, sous réserve d’une attribution volontaire par l’employeur, la qualification, mais également la catégorie à laquelle appartient un salarié, se détermine, en principe, en fonction des fonctions réellement exercées par celui-ci, les juges n’étant pas liés par celle figurant dans le contrat de travail. La charge de la preuve de la qualification revendiquée pèse sur le salarié.
Au cas présent, le salarié, qui fait valoir au soutien de sa demande indemnitaire pour exécution déloyale que sa qualification et son niveau hiérarchique n’étaient pas conformes aux exigences de la convention collective applicable, disposait d’une qualification d’agent de maîtrise ETAM Niveau IV A et était rémunéré comme tel.
Or, alors que les fonctions niveau IV sont définies par la convention collective comme comportant l’exécution de travaux hautement qualifiés tels que ceux occupés par des employés commerciaux qui assurent des travaux comportant une part d’initiative et de responsabilité dans un magasin et qui peuvent seconder un responsable de petit magasin, coordonner le travail de quelques employés, ces salariés étant à même de suppléer le supérieur hiérarchique en cas d’absence occasionnelle de celui-ci, le salarié ne démontre aucunement qu’il relevait d’une classification différente.
La demande de dommages et intérêts au titre de la bonne foi sera donc rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
2 : Sur le licenciement pour faute grave
L’article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié. Aux termes de l’article L.1232-1 du même code, le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise.
Par ailleurs, la circonstance que le grief énoncé dans la lettre de licenciement n’a pas été indiqué au salarié au cours de l’entretien préalable caractérise une irrégularité de forme qui n’empêche pas le juge de décider que ce grief peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, aux termes de la lettre de rupture du 16 août 2018, qui fixe les limites du litige, M. [C] s’est vu reprocher, en premier lieu, d’avoir été absent sans motif le dimanche 24 juin 2018 et sans en justifier malgré une mise en demeure le 21 juillet suivant, en deuxième lieu, de ne pas avoir suivi les directives de ses responsables, d’avoir hurlé dans le magasin en employant un ton menaçant à l’encontre du gérant et d’avoir proféré des insultes envers le responsable et le gérant, le 25 juillet suivant, et, en troisième lieu, le 23 juillet, alors qu’il devait remettre 24 pochettes d’espèces, de n’en avoir remis que 19, soit une somme manquante de plus de 9.000 euros, sans en informer sa direction.
Le salarié conteste la matérialité des faits et fait valoir que son licenciement serait en réalité motivé par un entretien, le mercredi 25 juillet 2018, au sujet de son coefficient hiérarchique et du fait qu’il ne correspondait pas aux exigences de la convention collective nationale applicable.
Cependant, concernant le premier grief, il ressort de ce qui précède que l’absence non justifiée de M. [C] est démontrée.
Concernant le second grief, il est suffisamment établi par la production par l’employeur de deux attestations concordantes et du compte-rendu d’entretien préalable établi par le conseiller du salarié au terme duquel M. [C] reconnaît l’emploi des termes visés par le courrier de rupture, étant souligné que les attestations communiquées par le salarié sont, pour leur part, contradictoires.
Concernant le troisième grief, il convient en premier lieu de souligner que les développements de l’appelant contestant le vol sont inopérants dans la mesure où l’employeur ne reproche pas à M. [C] une soustraction de numéraires mais un non-respect des procédures.
Par ailleurs, même à supposer que ce grief n’ait pas été évoqué au cours de l’entretien préalable, cela n’empêche pas la cour de juger qu’il constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Sur le fond, il ressort effectivement de la fiche de poste produite qu’il incombait au salarié, en sa qualité d’adjoint magasin, de réaliser les opérations de remise en banque, de contrôler les fonds (caisses, coffre…) et d’informer un responsable en cas de problème important.
Or, il ressort du livre de caisse, du récapitulatif pochettes et du sac de ramasse du 23 juillet 2018 qu’à cette date, M. [C] devait remettre les fonds correspondant aux recettes des 14 au 19 juillet 2018 pour un montant de 24.950 euros en billets contenus dans 24 pochettes. Or, il n’a remis que 19 pochettes pour un montant de 15.555 euros en billets et de 69,15 euros en pièces. Il n’apparaît pas que cette différence, pourtant significative, ait été signalée à l’employeur et ce bien que le salarié reconnaisse avoir constaté cette anomalie.
Ce grief est donc établi.
La chronologie des faits permet par ailleurs d’écarter l’argumentation du salarié selon laquelle le véritable motif du licenciement serait l’entretien du 25 juillet 2018.
Dès lors, les manquements du salarié tels qu’ils résultent du courrier de rupture sont caractérisés. Compte tenu de leur réitération, de leur gravité et du préjudice subi par l’employeur, ils rendaient impossible la poursuite de la relation de travail.
Dès lors, la faute grave est caractérisée et le licenciement est fondé.
Le jugement sera confirmé sur ce point ainsi qu’en ce qu’il rejette les demandes subséquentes de rappel de salaire sur période de mise à pied conservatoire, de congés payés afférents, d’indemnité légale de licenciement, d’indemnité compensatrice de congés payés, de congés payés afférents et d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
3 : Sur les dommages et intérêts pour les conditions brutales et vexatoires du licenciement
Aux termes de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Il résulte de ces dispositions que l’octroi de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des circonstances brutales et vexatoires du licenciement nécessite, d’une part, la caractérisation d’une faute dans les circonstances de la rupture du contrat de travail qui doit être différente de celle tenant au seul caractère abusif du licenciement, ainsi que, d’autre part, la démonstration d’un préjudice distinct de celui d’ores et déjà réparé par l’indemnisation allouée.
En l’espèce, M. [C] soutient que le caractère brutal et vexatoire de son licenciement s’évince de son congédiement brusque, intempestif, et sans aucun fondement, malgré sa carrière irréprochable.
Cependant, ces faits ne caractérisent pas de faute de l’employeur. Le salarié ne démontre pas non plus avoir subi un préjudice spécifique du fait des agissements dénoncés.
Ainsi, le salarié sera débouté de sa demande et la décision du conseil sera confirmée de ce chef.
4 : Sur la remise des documents de fin de contrat et les intérêts
Compte tenu du sens de la présente décision, il n’y a pas lieu d’ordonner la remise des bulletins de paie, d’une attestation Pôle emploi ou d’un certificat de travail conformes à l’arrêt.
Il n’y a pas davantage lieu de statuer sur les intérêts légaux.
5 : Sur les autres demandes
La décision sera confirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.
Partie perdante, le salarié supportera les éventuels dépens de cette instance, outre 1.000 euros au titre des frais irrépétibles de son contradicteur.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
– Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 9 juin 2020 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
– Condamne M. [R] [C] à payer à la SARL Sogeidi la somme de 1.000 euros au titre de ses frais irrépétibles en cause d’appel ;
– Condamne M. [R] [C] aux dépens
La greffière Le président