Retenues sur salaire : 1 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00381

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Retenues sur salaire : 1 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00381

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 1er DECEMBRE 2022

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00381 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBIDF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Décembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MEAUX – RG n° 17/00494

APPELANT

Monsieur [M] [N]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Lucie MESLÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : G0699

INTIMÉE

Entreprise [C] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Pierre MAIRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0252

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 13 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente

Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère, rédactrice

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme GUENIER-LEFEVRE dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M.[M] [N] a été engagé à compter du 12 septembre 2014 en qualité de boulanger par Madame [E].

En août 2016, son contrat de travail a été transféré à Monsieur [C] [L], entrepreneur individuel, acquéreur du fonds de commerce de Mme [E] .

Le 16 mars 2017, le salarié a été placé en arrêt de travail qui sera prolongé jusqu’au 20 avril 2017.

M. [N] sera déclaré inapte à son poste lors de la visite de reprise du 18 avril 2017 par le médecin du travail, lequel va mentionner expressément dans son avis que le maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.

Le salarié est convoqué le 24 avril 2017 à un entretien, préalable à un éventuel licenciement, fixé au 3 mai 2017, avant d’être licencié le 6 mai 2017 pour inaptitude.

Contestant le bien fondé du licenciement et soutenant notamment avoir subi des faits de harcèlement outre le ait qu’il n’a pas avoir perçu l’intégralité de ses salaires, M. [N] a saisi le conseil des prud’hommes de Meaux le 23 juin 2017 pour faire valoir ses droits.

Par jugement du 4 décembre 2019, notifié aux parties par lettre du 12 décembre 2019, cette juridiction a :

– dit que le licenciement pour inaptitude est justifié,

– dit que l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle,

– dit que la moyenne de salaire sur 12 mois est de 1 624,87 euros.

– condamné l’entreprise à payer les sommes suivantes:

– 49,29 euros au titre de la réévaluation de salaire du 1er janvier au 10 mai 2017,

– 4,92 euros au titre des congés payés afférents à la réévaluation de salaire,

– 49,70 euros au titre d’heures supplémentaires effectuées sur les journées du 24,25 décembre 2016 et 21 février 2017,

– 4,97 euros au titre de congés payés afférents aux heures supplémentaires,

– dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation,

– condamné M. [N] à rembourser à l’entreprise les sommes suivantes :

– 2 975,76 euros au titre du trop perçu de l’indemnité de préavis,

– 681,70 euros au titre du surplus versé de l’indemnité de licenciement,

– dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement,

– ordonné la capitalisation des intérêts par période annuelle,

– ordonné à l’entreprise de remettre à M. [N] les documents sociaux suivants, et ce, sans astreinte:

– attestation Pôle emploi,

– certificat de travail,

– bulletin de paie conforme,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– laissé les dépens à la charge de chacune des parties.

M. [N] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 8 avril 2020, il demande à la cour :

– d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau de ,

– prononcer à titre principal la nullité du licenciement de M. [N] aux motifs de l’existence d’un harcèlement moral et d’ agissements discriminatoires à son encontre,

– dire et juger à défaut que le licenciement de M. [N] est intervenu en l’absence de toute cause réelle et sérieuse, pour la raison que l’inaptitude a été provoquée par les agissements de l’employeur,

– condamner la société intimée à payer les sommes suivantes :

– 21 693,24 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

– 16 270 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 10 847 euros à titre de dommage-intérêts pour travail dissimulé,

– 2 720,70 euros à titre de rappel afférent au maintien de salaire,

– 272 euros au titre des congés payés afférents,

– 639,78 euros à titre de rappel pour retenues abusives sur février et mai 2017,

– 63,97 euros au titre congés payés afférents,

– 118,56 à titre de rappel pour retenues abusives sur février et mai 2017,

– 11,85 euros au titre des congés payés afférents,

– 88,72 euros à titre de rappel du fait de réévaluation du tarif horaire depuis janvier 2017,

– 8,87 euros au titre des congés payés afférents,

– 49,70 euros à titre de rappel sur heures supplémentaires effectuées en décembre 2016 et février 2017,

– 4,97 euros au titre des congés payés afférents,

– 213,93 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 2 586,10 euros à titre de rappel de congés payés,

– 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner la société à remettre des documents sociaux (attestation assedic, certificat de travail) et bulletins de paie conformes, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document,

– condamner la société aux entiers dépens qui comprendront éventuellement les frais d’exécution de la décision à intervenir.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 30 avril 2020, l’entreprise demande au contraire à la Cour de:

– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– condamné l’entreprise à payer à M. [N] les sommes suivantes :

‘ 49,70 euros au titre d’heures supplémentaires effectuées sur les journées du 24, 25 décembre 2016 et 21 février 2017,

‘ 4,97 euros au titre de congés payés afférents aux heures supplémentaires,

– dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation,

– de confirmer le jugement en ses autres dispositions, notamment en ce qu’il a :

– dit que le licenciement pour inaptitude est justifié,

– dit que l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle,

– condamné M. [N] à rembourser à l’entreprise les sommes suivantes :

‘ 2 975,76 euros au titre du trop perçu de l’indemnité de préavis,

‘ 681,70 euros au titre du surplus versé de l’indemnité de licenciement,

– dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du prononcé du présent jugement,

– ordonné la compensation entre les sommes dues.

Et, statuant à nouveau du chef infirmé :

– de débouter M. [N] de sa demande en paiement au titre des heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées les 23, 24 décembre 2016 et le 21 février 2017, ainsi que des congés payés afférents,

Y ajoutant:

– de condamner M. [N] à payer à l’entreprise la somme de :

– 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

De condamner M. [N] aux dépens d’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 juin 2022 et l’affaire a été appelée à l’audience du 13 octobre 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

SUR QUOI

I ‘ Sur l’exécution du contrat de travail

A/ Concernant les différents rappels de salaire

1/ S’agissant des heures supplémentaires

La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, en vertu de l’article L. 3171-4 du Code du Travail, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.

Le salarié demandeur doit donc produire des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié compte tenu, notamment, des dispositions des articles D. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail qui lui imposent d’afficher l’horaire collectif de travail ou, à défaut, de décompter la durée de chaque salarié par un enregistrement quotidien et l’établissement d’un récapitulatif hebdomadaire.

En l’espèce, M. [N] affirme avoir effectué 6,50 heures supplémentaires sur les derniers mois travaillés et reconnaît avoir été rémunéré de 2,50 heures.

Il verse au débat, en pièce 15, un courrier adressé par la voie recommandée à son l’employeur le 22 mars 2017 par lequel il indique précisément les dates auxquelles il affirme avoir effectuées des heures supplémentaires : soit 2 heures le 23/12/2016 ; 3h30 le 24/12/2016 et 1h00 le 21/02/2017.

Ce décompte est suffisamment précis en ce qu’il met l’employeur en mesure de connaître les heures de travail effectives revendiquées et d’y répondre en fournissant ses propres éléments alors qu’il lui appartient de mettre en oeuvre les modalités d’organisation du travail.

M. [L] conteste devoir des sommes au titre heures supplémentaires mais ne fournit aucun justificatif des horaires du travail de M. [N] pour l’ensemble des dates visées.

L’effectivité du dépassement du temps de travail doit donc être retenue.

Aussi, au vu des pièces produites et à défaut d’éléments permettant de contredire le décompte précis effectué par le salariée, il y a lieu de fixer la créance d’heures supplémentaires et de congés payés afférents dans les termes de la demande et de confirmer le jugement déféré de ce chef.

2/ S’agissant du rappel de congés payés

L’article 30 de la convention collective de la boulangerie-pâtisserie dispose que ‘Considérant les conditions particulières de travail des salariés de la profession, les parties estiment que ceux-ci doivent bénéficier de 30 jours ouvrables de congés.

Constatant qu’actuellement la durée du congé est de 24 jours ouvrable, les parties décident que les salariés de la profession bénéficient par an de 6 jours ouvrables rémunérés de congés supplémentaires’ (pièce de M. [L] n°33).

Le salarié fait valoir qu’il résulte de cet article qu’il a droit à 6 jours de congés complémentaires par an ; il effectue donc, sur cette base, un calcul de reliquat de congés payés non pris pour les années 2014 à 2017.

Toutefois, comme le soutient l’employeur, les salariés ont droit par application de l’article précité de la convention collective à 5 semaines de congés payés par an, soit anciennement 24 jours et 6 jours ouvrables complémentaires, ce qui porte la durée totale du congé à 30 jours (5 semaines de 6 jours) du 1 er juin au 31 mai.

Le bulletin de salaire de M. [L] mentionne les 30 jours de congés acquis et pris de sorte qu’aucune somme n’est due au titre de reliquat à ce titre et le jugement déféré doit être confirmé sur ce point.

3/ S’agissant du maintien du salaire pendant les arrêts travail

L’article 37-1 de la Convention collective de la boulangerie-pâtisserie prévoit une garantie de maintien de salaire en cas d’arrêt de travail consécutif à une maladie ou accident professionnel ou non, pris en charge par la sécurité sociale, à hauteur de 90 % du salaire durant 180 jours, sous déduction des indemnités journalières (IJSS). (pièce n° 35 dommages et intérêts dossier l’employeur).

Le salarié soutient que M. [L] n’a pas maintenu son salaire pour les mois de mars à 2017 alors qu’il était placé en arrêt de travail.

L’employeur reconnaît ne pas avoir versé le complément de salaire mais fait valoir qu’il n’en est pas responsonble, M.[N] ne lui ayant pas remis le décompte des IJSS, le plaçant ainsi dans l’impossibilité de calculer et payer ce qui restait dû.

Il verse aux débats un courrier recommandé avec accusé de reception du du 30 novembre 2017, valant sommation à M. [N] de lui communiquer le décompte des indemnités journalières perçues.(pièce n°42)

L’appelant qui ne formule aucune observation sur ce point ne verse au dossier aucun justificatif des IJSS qu’il aurait perçues.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de maintien de salaire pendant les périodes indiquées et de congés payés afférents

étant précisé sur ce point, qu’en tout état de cause, les indemnités courant les absences pour maladies ou accident non professionnel n’ouvre pas droit à congés payés.

4/ S’agissant des retenues sur salaire

Il appartient à l’employeur qui opère une retenue sur salaire pour absence injustifiée d’apporter la preuve de cette absence.

En l’espèce, le salarié ne conteste pas son absence les dimanches 12 et 26 février 2017 mais affirme que l’employeur lui aurait demandé de ne pas venir travailler ces deux jours afin de venir travailler les lundis.

Toutefois, alors que les absences sont établies, M. [N] est en charge de la preuve de ses dires quant à la modification de ses jours de travail, alors que l’employeur affirme sans être contredit que la boulangerie est fermée tous les lundis.

M. [N] ne verse au débat aucun élément établissant que ses jours de travail avaient été modifiés pour qu’il travaille le lundi.

Au surplus, l’employeur verse au débat l’attestation de Monsieur C. M. venant contredire l’argumentation de l’appellant ; le témoin indique avoir été surpris que M. [N] ne soit pas venu travailler le dimanche, et que M. [L], également surpris de cette absence , a dû la pallier en s’occupant du four et en faisant le ménage ; il ajoute que le salarié a été absent un autre dimanche sans justificatif ( pièce de l’employeur n°6).

Le jugement entrepris qui a débouté à M. [N] de la demande de salaire correspondant aux dimanches 12 et 26 février 2017 sera confirmé sur ce point.

5/ S’agissant de la réévaluation du salaire horaire

L’employeur reconnaît une erreur comptable ayant entraîné l’absence de révision du salaire horaire minimum professionnel du salarié et demande la confirmation du jugement qui l’a condamné à payer à M. [N] la somme de 49,29 euros outre les congés payés y afférents.

M. [N] sollicite l’infirmation du jugement sur le quantum alloué

et demande à ce titre le payement de la somme de 88,73 euros augmentée des congés payés.

Il convient de confirmer le jugement qui a effectué un calcul aux termes duquel la revalorisation sur les salaires a été appliqué pour deux mois et demi, de janvier à mi-mars 2017, dès lors que pour les autres mois, le salarié a perçu des indemnités journalières et qu’il a été débouté de sa demande de maintien de salaire pendant cette période.

6/ S’agissant du travail dissimulé

Selon les dispositions de l’article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé le fait, pour l’employeur, de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité préalable à l’embauche, à la délivrance de bulletins de paie prescrite par l’article L. 3243-2, ou encore aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement ;

En l’espèce, la cour n’ayant pas retenu de travail non déclaré, il convient de débouter à M. [N] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé le jugement étant également confirmé de ce chef.

B- Concernant l’obligation de sécurité

En vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur vis-à-vis du salarié est générale et emporte donc une obligation de prévenir notamment toute réaction à la pression ressentie. Elle suppose que l’employeur s’assure que le salarié n’est pas exposé à un risque, ou si tel est le cas, mette en ‘uvre les moyens nécessaires pour le prévenir.

En l’espèce, la cour souligne en premier lieu le caractère général de la mise en cause par l’appelant de l’employeur quant à son obligation de sécurité, tant en ce qui concerne la remarque qu’il formule sur une prise de rendez-vous avec le médecin du travail dès lors que ce rendez-vous a bien eu lieu, que sur ‘des injures’ dont une autre salariée indique avoir été victime de la part de M. [L] sans exprimer d’observations sur le comportement de ce dernier à l’égard de M. [N] .

Ainsi l’appelant ne formule aucun grief précis sur ce points.

En second lieu, il invoque la survenance d’un fait le 16 mars 2017 expliquant que son inaptitude à son poste découle de l’incident pour lequel il a déposé plainte à l’encontre M. [L] à la suite d’un accident du travail à l’occasion duquel il a glissé sur de la farine après avoir été saisi par le col de son t-shirt par son employeur, ce qui lui a occasionné 2 jours ‘d’ITT’.

Il verse aux débats une attestation d’une salariée de la boulangerie, Mme .[S] qui écrit :« Le jeudi 16 mars 2017 vers la fin de mon service (16 heures-20 heures), j’ai entendu de violents éclats de voix venant du fournil. J’ai voulu aller chercher du pain. Ma responsable Melle [R] m’a bloqué le passage et m’a dit « Tu restes en boutique » et elle a fermé la porte arrière, mais j’ai pu apercevoir M. [M] [N] allongé sur le sol du fournil, il criait « Appelle la police ». Les pompiers puis la police se sont déplacés et ont emmené mon collègue boulanger. J’ai averti ma collègue N. B. Qu’il s’était passé un incident. » (pièce n°13).

M. [L] répond qu’il est établi par divers éléments, et en particulier par les enregistrement de la vidéo surveillance du laboratoire de la boulangerie que M. [N] a simulé une scène d’agression le 16 mars 2017 ; qu’il s’est délibérément projeté en avant pour simuler une chute ; que le salarié a ensuite déclaré un accident du travail ; qu’après enquête la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, par décision notifiée le 29 juin 2017 a refusé de prendre en charge cet incident au titre de la législation sur les accidents du travail retenant ‘l’absence de fait accidentel’.

En premier lieu, l’employeur produit sur ce point le témoignage de Madame A. B présente dans le laboratoire au moment des faits et qui confirme cette version : « Je suis allée chercher les patrons chez eux car j’étais encore une fois en panne [de pain]. M. [N] et Mme [L] sont venus avec moi au four. M. [N] [L] a vu que les baguettes n’étaient pas cuites. Il a dit à M. [N] [N] [M] qu’il était pas content et qu’il finirait par avoir un avertissement. J’ai vu M. [N] [N] [M] sourire. Je suis retournée au magasin car il y avait beaucoup de clients. Tout de suite j’ai entendu M. [N] [N] [M] dire « appelle la police », il criait tellement fort que j’ai fermé la porte du magasin pour pas que les clients entendent. Je n’ai pas vu M. [N] [N] [M] tomber. Je n’ai pas non plus entendu M. [N] [L] le menacer et je n’ai pas de mal à croire que M. [N] [N] a fait exprès de tomber pour causer du tort à mes patrons. » (pièce n° 10).

En deuxième lieu, l’employeur verse aux débats le constat d’Huissier portant sur les enregistrements du système de vidéo-surveillance de la boulangerie. (pièce n° 14 de M. [L] : Procès-verbal de constat du 27 mars 2017, comportant en annexe le récépissé de la déclaration effectuée auprès de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL), valant autorisation de mettre en ‘uvre le traitement de données à caractère personnel).

Il apparaît à la suite du visionnage de ces images par l’huissier que, contrairement aux allégations de l’appelant, l’employeur n’a pas saisi M. [N] par le t-shirt, ni même ne l’a touché, mais que le salarié s’est effectivement volontairement jeté au sol afin de simuler une agression.

En troisième lieu, cet appréciation de la situation relatée par l’huissier est confirmée dans le cadre de l’enquête menée par la Caisse Primaire d’assurance Maladie (CPAM) à la suite de la déclaration d’accident déposée par le salarié ; Monsieur P. M., en tant qu’Inspecteur, précise par e mail du 22 juin 2017 adressé au conseil de M. [L]: « J’ai visionné les bandes vidéo de la scène et il ne semble faire aucun doute que l’ex-salarié de votre client a simulé son agression. Il ne s’est d’ailleurs pas présenté à la confrontation au commissariat semble-t-il. » (pièce n° 22 de l’employeur).

Il en résulte que M. [L] n’est pas fondé à soutenir que l’employeur l’a exposé par son comportement à un risque pour sa santé.

Aucun manquement à l’obligation de sécurité n’étant établi, le jugement sera également confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts à ce titre.

C- Concernant le harcèlement moral

Selon l’article L 1152-1 du code du travail, le harcèlement se définit comme des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

S’agissant de la charge de la preuve, l’article 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi N° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable à l’espèce, dispose que lorsque le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Il revient alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dès lors qu’ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l’existence d’une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l’ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.

M. [N] soutient qu’un cumul d’agissements de l’employeur a provoqué son inaptitude définitive , le médecin de travail avant conclu après les faits du 16 septembre 2017 que « tout maintien du salarié dans un emploi dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».

À l’appui de sa demande le salarié présente les faits suivants :

-le non-paiement de certaines de ses heures, la mention erronée de prétendues absences injustifiées, le non-paiement d’heures supplémentaires et le gel des salaires ;

– l’existence de propos discriminatoires de la part de son employeur ;

– une pression incessante exercée par M. [L] et son épouse ;

– l’inaptitude à son poste, justifiée par l’incident du 16 mars 2017 pour lequel il a déposé plainte à l’encontre M. [L] à la suite d’un accident du travail à l’occasion duquel il a glissé sur de la farine après avoir été saisi par le col de son t-shirt par son employeur, ce qui lui a occasionné 2 jours ‘d’ITT’.

En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le salarié, débouté de ses demandes de rappel de salaire, hormis la somme de 49,29 euros due à raison d’une erreur comptable, n’est pas fondé à se prévaloir d’un manquement de l’employeur sur le fondement du non-paiement de l’intégralité du salaire.

En deuxième lieu, si M. [N] a fait part au médecin du travail du grief à l’encontre de son employeur tenant à l’exercice de pressions, ses affirmations ne sont pas documentées alors au surplus que les exemples qu’il cite concernent la situation d’autres salaries : changement d’horaires pour Mme [V], avertissements donnés à Mme [S] ou une convocation à un entretien préalable remise au frère de M. [N].

En troisième lieu, aucun élément n’est produit par l’appelant au soutien de l’allégation de propos discriminatoires qui auraient été tenus par l’employeur.

Enfin, l’incident survenu le 16 septembre 2017 ne peut être constitutif d’un acte de harcèlement alors qu’il ressort de ce qui précède que M. [N] l’a lui-même mis en scène en simulant une agression.

Ainsi, pris dans leur ensemble, ces faits ne sont pas de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Le jugement déféré est confirmé sur ce point.

II ‘ Sur la rupture du contrat de travail

En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. [N] n’est pas fondé à demander, sur le fondement de l’article L. 1152-3 du code du travail, que son licenciement soit déclaré nul comme étant lié au harcèlement qu’il aurait subi.

En second lieu, en vertu de l’article L.1226-2-1, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié déclaré inapte que s’il justifie :

– soit de son impossibilité de proposer un emploi de reclassement adapté,

– soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions,

– soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

En l’espèce, à l’issue de la visite de reprise du salarié du 18 avril 2017, le salarié a été déclaré inapte par le médecin du travail, avec la mention « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » (pièce de l’employeur n°17).

L’appelant qui fait valoir que inaptitude a été provoquée par ‘les agissements de l’employeur’ n’a justifié d’aucun grief à ce titre de sorte que le licenciement prononcé à l’encontre pour inaptitude médicalement constatée est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris est également confirmé sur ce point et M. [N] débouté de ses demandes de dommages et intérêts présentées sur fondement d’un le licenciement abusif et l’existence d’un préjudice moral fondé sur les ‘agissements graves de l’employeur’ qui n’ont pas été retenus.

III ‘ Sur le calcul du montant des indemnité préavis et de licenciement

En premier lieu, le salarié soutient qu’il aurait dû percevoir la somme de 3 615,54 euros au titre de l’indemnité de préavis, au lieu des 2 975,76 euros perçus.

L’employeur sollicite à titre reconventionnel le remboursement de la somme versée au motif que le salarié n’aurait pas dû percevoir l’indemnité de préavis dès lors que l’ inaptitude du salarié n’est pas d’origine professionnelle.

Par application de l’article L. 1226-4 du code du travail, en cas d’inaptitude origine non professionnelle, le préavis n’est pas exécuté et cette inexécution ne donne pas lieu au versement d’une indemnité compensatrice. Néanmoins, le préavis est pris en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement.

En l’espèce, il résulte de ce qui précède qu’aucun élément du dossier ne permettant de reconnaître l’origine professionnelle de l’inaptitude de M. [N], l’appelant n’est pas fondé à solliciter le paiement d’une indemnité de préavis.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu’il a ordonné le remboursement à M. [L] de la somme de 2975,76 euros.

En second lieu, il résulte de l’article L.1226-4-3 du code du travail qu’en cas de licenciement pour inaptitude d’origine non-professionnelle, le salarié a droit à une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à celui de l’indemnité prévue à l’article L.1234-9.

Par ailleurs, la convention collective nationale de la boulangerie- pâtisserie renvoie au texte du code du travail pour le calcul de l’indemnité de licenciement.

L’article R. 1234 ‘ 2 mentionne que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’à dix ans

Le salarié soutient qu’il aurait dû percevoir la somme de 2 046,39 euros au titre de l’indemnité de licenciement en lieu de place des 1 832,46 euros qu’il a perçus.

L’employeur soutient que le licenciement ayant été prononcé avant que l’accident du travail soit déclaré d’origine non-professionnelle par la CPAM , le calcul de l’indemnité versée au salarié a été fait application de l’article L.1226-14 du code du travail régissant l’indemnité en cas de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle. Dès lors, il soutient que le salarié aurait, en réalité, perçu une indemnité supérieure à ses droits.

Il résulte de ce qui précède que le licenciement de M. [N] n’a pas d’origine professionnelle de sorte qu’en application des dispositions précitées le calcul de l’indemnité de licenciement du salarié s’établit sur la moyenne des salaires des 12 derniers mois la plus avantageuse soit 1624,86 euros (bulletins de paie de juin 2006 à mai 2017) en appliquant les règles précitées à la somme de 1150,76 euros.

M. [N] est par conséquent redevable d’une somme de 681,70 euros dont il doit remboursement à l’employeur.

Le jugement étant également confirmé de ce chef.

IV ‘ Sur les autres demandes

Le jugement est confirmé en ses dispositions :

– prononçant la compensation des sommes dues entre les parties ainsi que sur le point de départ des intérêts assortissant les condamnations et leur capitalisation ;

– la remise des documents sociaux conformément à la décision rendue ;

– concernant les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Ajoutant, M. [N] qui succombe à hauteur d’appel, est en application de l’article 696 du code de procédure civile condamné aux dépens de la procédure d’appel, et débouté de sa demande de frais irrépétibles ;

L’équité commande de le condamner à payer à M. [L] une somme de 2.000 euros au titre de la 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes dispositions ;

Ajoutant :

CONDAMNE M. [M] [N] à payer à M. [C] [L], entrepreneur individuel la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE M. [M] [N] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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