M. [H], médecin, a ouvert un compte professionnel chez LCL. En septembre 2019, il a porté plainte contre sa secrétaire, Mme [B], pour vol d’un chéquier et usage frauduleux d’un chèque. Il a ensuite complété sa plainte pour inclure d’autres chèques falsifiés et des documents comptables. En janvier 2020, il a informé LCL de l’émission de chèques frauduleux totalisant plus de 40 000 euros et a demandé un remboursement. Après avoir refusé une offre d’indemnisation de 50%, il a assigné LCL en mai 2021 pour négligence. LCL a demandé un sursis à statuer, qui a été rejeté. M. [H] a soutenu que LCL avait manqué à son obligation de vérifier les chèques, tandis que LCL a affirmé qu’elle n’avait commis aucune faute et a contesté la négligence de M. [H]. Le tribunal a finalement débouté M. [H] de sa demande de remboursement et l’a condamné à payer des frais à LCL.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE NANTERRE
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PÔLE CIVIL
6ème Chambre
JUGEMENT RENDU LE
13 Septembre 2024
N° RG 21/04458 – N° Portalis DB3R-W-B7F-WU6S
N° Minute : 24/
AFFAIRE
[S] [H]
C/
Société CREDIT LYONNAIS
Copies délivrées le :
DEMANDEUR
Monsieur [S] [H]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Maître Henry PICOT DE MORAS D’ALIGNY de l’AARPI Cabinet PdA, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : E1032
DEFENDERESSE
Société LE CREDIT LYONNAIS
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Magali TARDIEU-CONFAVREUX de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : R010
En application des dispositions de l’article 802 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Juin 2024 en audience publique devant François BEYLS, Premier Vice-Président Adjoint, statuant en Juge Unique, assisté de Sylvie CHARRON, Greffier.
JUGEMENT
prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
M. [H], médecin, est titulaire d’un compte professionnel n°00564 0005613E ouvert dans les livres de la S.A Le Crédit Lyonnais (ci-après la société LCL).
Le 2 septembre 2019, M. [H] a déposé plainte contre sa secrétaire, Mme [B], du chef de vol simple (un chéquier) et d’usage frauduleux de moyen de paiement volé (un chèque d’un montant de 3 283,48 euros), commis le 9 août 2019 à [Localité 4].
Le 10 septembre 2019, M. [H] a effectué un complément de plainte concernant le vol et la falsification d’au moins six chèques supplémentaires pour un montant de 14 596 euros ainsi que de documents comptables.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 janvier 2020, M. [H] a informé la société LCL de l’émission de vingt-trois chèques frauduleux d’un montant total de 40 126,13 entre le 5 avril 2018 et le 2 août 2019. M. [H] a mis en demeure la société LCL de procéder au remboursement de cette somme, outre la somme de 725,40 euros au titre des frais de recherche des copies de chèques.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 février 2020, M. [H] a refusé la proposition d’indemnisation effectuée par la société LCL à hauteur de 50% de ses réclamations et a renouvelé sa mise en demeure.
Cette mise en demeure est restée infructueuse.
Par exploit d’huissier en date du 20 mai 2021, M. [H] a assigné la société LCL devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin de voir sa responsabilité engagée du fait de sa négligence et d’avoir par conséquent à lui régler les sommes de 40 122,46 euros et de 725,40 euros en remboursement des chèques falsifiés et encaissés par Mme [B] et des divers frais engagés pour recherches des chèques falsifiés.
Dans ses dernières conclusions d’incident en date du 20 décembre 2021, la société LCL a sollicité in limine litis le sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale en cours, sur le fondement des articles 378 et suivants du code de procédure civile.
Par ordonnance en date du 18 février 2022, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer aux motifs qu’aucune des parties n’établissait de manière certaine la mise en mouvement de l’action publique et que les faits invoqués à l’encontre de la société LCL étaient distincts de ceux reprochés à Mme [B] de sorte que le tribunal pouvait statuer sans attendre l’issue de la supposée procédure pénale.
Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 9 septembre 2022, Monsieur [H] demande au tribunal de :
« Vu l’ancien article 1147 du code civil et les articles 1231 et suivants du même code,
Vu l’article 1937 du code civil,
-Condamner le CREDIT LYONNAIS LCL, dont la responsabilité est engagée du fait de sa négligence, à régler la somme de 40.122,46 € à Monsieur [H] en remboursement des chèques falsifiés et encaissés par Madame [B] ;
-Condamner le CREDIT LYONNAIS LCL aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2.340 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
-Débouter le CREDIT LYONNAIS LCL de l’intégralité de ses demandes. »
M. [H] reproche à la société LCL de s’être fautivement dessaisie de fonds lui appartenant sur présentation de faux chèques et engage à ce titre sa responsabilité sur le fondement des articles 1231 et suivants du code civil.
Il considère que les chèques litigieux étaient des faux émis par Mme [B] pour son propre compte et que la banque a manqué à son obligation de vérifier la régularité de la signature apposée sur les chèques.
Il soutient que la falsification revêt un caractère grossier, que la société LCL aurait dû la déceler et qu’en s’abstenant de l’avertir de l’anomalie matérielle affectant les chèques, la banque a commis une faute.
Il reproche également à la société LCL de n’avoir pas pris attache avec lui, alors que la fréquence des ordres de paiement et leur montant s’analysaient en une anomalie intellectuelle de nature apparente et auraient dû la déterminer à vérifier l’exactitude des paiements sollicités.
Il conteste avoir fait preuve de négligence, indiquant que l’examen des relevés de compte ne permettait pas de détecter d’anomalies, ceux-ci étant falsifiés par Mme [B].
Il dément avoir confié à sa salariée l’accès à son compte bancaire en ligne et précise que Mme [B] était uniquement chargée de la commande et de la réception des carnets de chèques.
Aux termes de ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 30 novembre 2022, la société LCL demande au tribunal de :
« Vu les dispositions des articles 1147, 1231 et 1937 du Code Civil visés dans l’assignation,
Vu les dispositions de l’article 1315 du même code
-Déclarer Monsieur [S] [H] mal fondé en ses demandes,
-L’en débouter,
-Condamner Monsieur [S] [H] à payer au CREDIT LYONNAIS une somme de 2500 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile. »
La société LCL fait valoir qu’en matière de chèque, la banque présentatrice doit s’assurer que le chèque ne présente pas d’anomalie apparente.
Elle ajoute que la banque tirée doit uniquement vérifier la signature du tireur, ainsi que la présence des mentions obligatoires. Elle explique que la vérification de la mention du bénéficiaire ne participe pas de ces vérifications, la pratique du chèque en blanc étant admise. Elle en déduit que l’emploi d’une écriture différente ne suffit à constituer une anomalie.
Elle soutient que la falsification de la totalité des vingt-trois chèques litigieux n’est pas démontrée par M. [H] (similitude de signatures). De plus, elle précise que, Mme [B] étant l’employée du demandeur, le montant et la fréquence des chèques émis ne permettaient pas d’établir une anomalie intellectuelle non équivoque.
Elle conteste en conséquence avoir commis la moindre faute susceptible d’engager sa responsabilité.
A titre subsidiaire, la société LCL soutient qu’elle doit être exonérée de toute responsabilité en raison des fautes commises par le titulaire du compte, M. [H], pendant plus de 16 mois.
D’une part, M. [H] s’est montré négligent dans le contrôle de l’activité de sa salariée, notamment par l’absence d’examen des relevés de compte, alors que cette dernière a pu détourner 23 chèques, et par l’emploi de mêmes chéquiers qu’elle.
D’autre part, M. [H] a laissé ses moyens de paiement, particulièrement ses chéquiers, à la disposition permanente de sa salariée.
Elle critique l’évaluation du préjudice subi.
Pour un plus ample exposé des faits et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 9 mars 2023 et l’affaire a été fixée pour être plaidée le 11 juin 2024 au lieu du 7 novembre 2023 puis mise en délibéré ce jour.
Conformément à l’article 1937 du code civil, le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir.
Lorsqu’une banque ouvre un compte de dépôt au profit d’un client, il se forme entre les intéressés un contrat de dépôt obligeant la banque à restituer les fonds déposés selon les prescriptions de l’article 1937 du code civil, précédemment rappelées.
Dès lors, la banque n’est pas libérée envers le client qui lui a confié des fonds quand elle se défait de ces derniers sur présentation d’un faux ordre de paiement revêtu dès l’origine d’une fausse signature et n’ayant eu à aucun moment la qualité légale de chèque. Elle ne l’est qu’à la condition que le titulaire du compte ait commis une faute à l’origine du dommage et qu’elle n’ait commis elle-même aucune négligence.
En application du principe de non-immixtion une banque n’a ni à se substituer à son client dans la conduite de ses affaires, ni à intervenir pour l’empêcher d’exécuter un acte irrégulier, inopportun ou dangereux. Ainsi, elle n’a ni à effectuer de recherches ni à réclamer des justificatifs particuliers pour s’assurer que les opérations sollicitées sont régulières.
Dans le cadre de ses obligations contractuelles pèse cependant sur la banque une obligation générale de vigilance qui l’oblige à tenter de déceler les irrégularités ou les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, concernant les opérations de son client. Ces opérations doivent être inhabituelles au regard du fonctionnement usuel du compte. Toutefois, le caractère inhabituel d’une opération n’implique pas nécessairement qu’elle soit illicite ou frauduleuse.
En l’espèce, ving- trois chèques ont été établis à l’ordre de Mme [B], chèques que M. [H] a déclaré ne pas avoir établis. Mme [B] ayant reconnu la fraude, il convient de considérer qu’ils sont revêtus d’une fausse signature et qu’ils n’ont donc pas la qualité légale de chèque.
Les détournements ont été commis par la préposée du déposant qui par ses fonctions de secrétaire au sein du cabinet de M. [H], a pu accéder aux chéquiers.
A l’examen des copies des chèques litigieux versées aux débats et du spécimen de la signature de M. [H], les différences existantes entre la signature de Mme [B] et celle de M. [H], à l’exception du premier chèque d’un montant de 1 600 euros émis le 5 avril 2018, n’étaient pas telles qu’une confusion ne puisse être commise à l’occasion d’un examen réalisé par un employé normalement avisé.
Les chèques litigieux ne comportent pas de rature ou surcharge, si bien qu’en l’absence d’anomalie matérielle apparente, rien ne justifiait une vérification particulière du banquier tiré notamment concernant l’identité du bénéficiaire.
De surcroît l’examen des relevés de compte pour la période du mois d’avril 2018 au mois d’août 2019 ne permet pas d’établir l’existence d’anomalies intellectuelles, M. [H] établissant lui-même régulièrement des chèques d’un montant supérieur à 1 000 euros. En particulier le fait que les chèques aient été établis à l’ordre de Mme [B], payée par d’autres chèques régulièrement établis, est insuffisant.
Au surplus, le déposant a manqué à ses obligations en ne procédant à aucun contrôle de son employée et ainsi facilité ces détournements. Il sera souligné qu’il a utilisé certains des mêmes chéquiers qu’elle.
M. [H] est ainsi mal fondée à reprocher un défaut de vigilance à la société LCL.
La demande de M. [H] sera donc rejetée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Partie perdante, M. [H] est condamné aux dépens et à payer à la société LCL la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il est équitable de laisser à la charge de M. [H] les frais irrépétibles qu’il a exposés.
Sur l’exécution provisoire
En application de l’article 514 du code de procédure civile modifié par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
Il n’y a pas lieu en l’espèce d’écarter l’exécution provisoire de droit
DEBOUTE Monsieur [H] de sa demande en paiement de la somme de 40 122,46 euros en remboursement des chèques falsifiés et encaissés par Madame [B],
CONDAMNE Monsieur [H] à payer à la société Le Crédit Lyonnais la somme de 1 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
LAISSE à la charge de M. [H] les frais irrépétibles qu’il a engagés,
CONDAMNE Monsieur [H] aux dépens,
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.
signé par François BEYLS, Premier Vice-Président Adjoint et par Sylvie CHARRON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT