Par jugement du 26 mars 2013, la 15ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris a déclaré plusieurs individus coupables de vols avec violences, causant des incapacités de travail à deux victimes. Le tribunal a ordonné une expertise pour évaluer les préjudices et a condamné les auteurs à verser une indemnité provisionnelle à l’une des victimes. Un autre jugement, rendu le 24 mai 2013, a déclaré un mineur coupable de complicité et a également ordonné une expertise pour évaluer les dommages. En 2015, la cour d’appel a confirmé les décisions précédentes.
Une victime a ensuite saisi la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions, qui a accordé une provision. Sur la base d’un rapport d’expertise, le Fonds de Garantie a proposé une indemnité totale, acceptée par la victime. Des démarches ont été entreprises pour récupérer les sommes versées, et des saisies conservatoires ont été ordonnées contre certains des condamnés. Le Fonds de Garantie a ensuite assigné plusieurs personnes devant le tribunal pour obtenir le remboursement des sommes dues. Les défendeurs ont contesté les montants et demandé des délais de paiement. Le tribunal a rendu un jugement le 8 octobre 2024, condamnant solidairement plusieurs individus à verser une somme au Fonds de Garantie, ainsi qu’à payer des frais et des dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/11449
N° Portalis 352J-W-B7F-CVAZP
N° MINUTE :
Assignations du :
23 Août 2021
AJ
JUGEMENT
rendu le 08 Octobre 2024
DEMANDEUR
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS (FGTI)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représenté par Me Denis LATREMOUILLE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0178
DÉFENDEURS
Monsieur [J] [C]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représenté par Me Océane DUFOIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #Z05
Monsieur [X] [N]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
défaillant
Monsieur [L] [P]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
défaillant
Décision du 08 Octobre 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 21/11449 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVAZP
Madame [O] [W]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
défaillante
Monsieur [V] [A]
[Adresse 2]
[Localité 7]
défaillant
Monsieur [K] [R]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Valérie-Ann LAFOY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0269
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 202/0021615 du 08/02/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Paris)
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Julie MASMONTEIL, Juge
Pierre CHAFFENET, Juge
assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
DÉBATS
A l’audience du 02 Juillet 2024 tenue en audience publique devant Madame DETIENNE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Réputé contradictoire
En premier ressort
Par jugement du 26 mars 2013, la 15ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris a déclaré MM. [J] [C], [L] [P], [V] [A] et [K] [R] coupables de faits de vols avec violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours au préjudice de Mme [S] [U] et ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours au préjudice de Mme [M] [T].
Sur l’action civile, le tribunal a déclaré MM. [C], [P], [A] et [R] entièrement responsables des conséquences dommageables des faits subis par Mme [T]. et, avant dire droit sur son préjudice, a ordonné une expertise confiée au docteur [E] et a condamné solidairement MM. [C], [P], [A] et [R] à payer à Mme [T] la somme de 5.000 euros à titre d’indemnité provisionnelle.
Par jugement du 24 mai 2013, le tribunal pour enfants de Paris a déclaré M. [X] [N] coupable de complicité des faits de vols précités commis au préjudice de Mmes [I] et [T].
Sur l’action civile, le tribunal a déclaré Mme [O] [W] civilement responsable de M. [N] et, avant dire droit sur le préjudice de Mme [T], a ordonné une expertise médicale confiée au docteur [E] et a condamné M. [N] in solidum avec sa mère civilement responsable à payer à Mme [T] la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité provisionnelle.
Par arrêt en date du 14 septembre 2015, la cour d’appel de Paris, statuant sur l’appel interjeté par M. [C], a confirmé en toutes ses dispositions pénales et civiles le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris le 26 mars 2013.
Mme [T] a saisi la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) de Paris le 18 décembre 2015.
Par ordonnance du 25 février 2016, le président de la CIVI a alloué à Mme [T] la somme de 5.000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices.
Le docteur [E] a déposé son rapport le 4 juillet 2016 après s’être adjoint un sapiteur psychologue.
Sur la base de ce rapport, le Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (ci-après le FGTI) a proposé à Mme [T] le versement d’une indemnité totale de 38.054,36 euros, provision non déduite, indemnité se décomposant de la façon suivante :
– Préjudice patrimonial
– Frais dentaires : 6.131,51 euros
– Frais divers : 221,35 euros
– Préjudices extra-patrimoniaux
– Déficit Fonctionnel temporaire
– 100% : 125 euros
– 66% : 825 euros
– 33% : 264 euros
– 15% : 3.787,50 euros
– Souffrances endurées : 6.000 euros
– Préjudice esthétique temporaire pendant 4 mois : 1.200 euros
– Déficit fonctionnel permanent : 18.000 euros
– Préjudice sexuel : 1.500 euros.
Cette offre a été acceptée par Mme [T] et le 4 octobre 2019, le président de la CIVI a homologué l’accord conclu avec le FGTI.
A la suite des démarches amiables initiées pour obtenir le remboursement des sommes versées à Mme [T], le FGTI a perçu une somme totale de 3.684,99 euros de MM. [A] et [R].
Par ordonnance en date du 29 juillet 2021, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a autorisé le FGTI à faire pratiquer une saisie conservatoire de créance à l’encontre de M. [C] entre les mains de la Banque Postale pour garantir le paiement de la somme de 34.369,37 euros.
La saisie conservatoire diligentée par exploit du 5 août 2021 a révélé un solde saisissable de 3.185,69 euros.
C’est dans ce contexte que le FGTI a, par actes extra-judiciaires du 23 août 2021, fait citer M. [P], M. [C], M. [R] et M. [A] devant ce tribunal.
Par exploits du 10 janvier 2022, il a fait assigner en intervention forcée M. [N] et Mme [W]. Les affaires ont été jointes au cours de la mise en état.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 novembre 2023, le FGTI demande au tribunal de :
« Vu l’article 706-11 du code de procédure pénale,
Vu les articles 1231-7 et 1243-5 du code de procédure civile,
Vu les articles 1342-4, 1101 et 1113 du code civil
Vu l’article 480-1 du code pénal
– CONDAMNER solidairement Messieurs [J] [C], [L] [P], [V] [A], [K] [R], [X] [N] et Madame [O] [W] à verser au Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions la somme de 34.369,37 euros en deniers et quittances,
– DIRE que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 23 août 2021, date de la première signification de l’assignation principale,
– CONDAMNER solidairement Messieurs [J] [C], [L] [P], [V] [A], [K] [R], [X] [N] et Madame [O] [W] à verser au Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions la somme de 2.000,00 euros en vertu des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– CONDAMNER solidairement Messieurs [J] [C], [L] [P], [V] [A], [K] [R], [X] [N] et Madame [O] [W] aux dépens de la procédure ;
– DÉBOUTER les défendeurs de toutes prétentions contraires ;
– DÉBOUTER Messieurs [J] [C] et [K] [R] de leurs demandes de délais de paiement. ».
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 27 janvier 2022, M. [C] demande au tribunal de :
« Vu l’article 706-11 du Code de procédure pénale
Vu les articles 1240 et 1343-5 du Code civil Vu les pièces,
(…)
– DEBOUTER le FGTI de sa demande en règlement de la somme de 34.369,37 euros et réduire son montant aux préjudices réels soit la somme de 25.669,37 euros.
– ACCORDER des délais de paiement à hauteur de 200 euros par mois sur 24 mois à Monsieur [C], le solde étant dû le 24ème mois. ».
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 2 octobre 2023, M. [R] demande au tribunal de :
« Vu l’article 706-11 du Code de procédure pénale
Vu les articles 1240 et 1343-5 du Code civil
Vu les pièces,
– DEBOUTER le FGTI de sa demande en règlement de la somme de 34.369,37 euros telle que dirigée à l’encontre de Monsieur [R],
– JUGER que la subrogation du FGTI résultant de l’accord passé avec Mlle [T] est inopposable à Mr [R]
– LIMITER le montant de la créance du Fonds de garantie à la somme de 23 168,87 euros déduction faite des sommes déjà versées au jour de la signification de l’assignation, sauf à parfaire de leur actualisation
– REDUIRE la demande du FGTI à l’encontre de Monsieur [R] tenant compte des versements de celui-ci en deniers ou quittances,
– DEBOUTER le Fonds de garantie de sa demande de condamnation solidaire,
– RECEVOIR Mr [R] en sa demande de ventilation de la dette en quatre parts égales, en deniers ou quittance, au regard des sommes versées par ce dernier, la DECLARER FONDEE
– ACCORDER de larges délais de paiement à Monsieur [R] sur la base d’un versement mensuel actuel de 100 euros sauf à le voir modifier en cas d’aggravation de sa situation financière.
– DEBOUTER le FGTI de sa demande d’intérêts au taux légal et frais irrépétibles et dépens.
-CONDAMNER tout succombant à verser à Monsieur [R] la somme de 800 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens. ».
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.
Assignés dans les formes des articles 656 et 658 du code de procédure civile, M. [N], M. [A], M. [P] et Mme [W] n’ont pas constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
A titre liminaire, il convient de rappeler que les demandes tendant à voir « juger » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes. Il ne sera donc pas statué sur ces « demandes » qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.
Sur la demande en paiement du FGTI
Aux termes de l’article 706-11 du code de procédure pénale, « Le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l’infraction ou tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l’indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes. Le recours du fonds ne peut s’exercer contre l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Le fonds peut exercer ses droits par toutes voies utiles, y compris par voie de constitution de partie civile devant la juridiction répressive et ce, même pour la première fois, en cause d’appel. Lorsqu’il se constitue partie civile par lettre recommandée, le fonds peut demander le remboursement des sommes mises à sa charge sans limitation de plafond.
Les administrations ou services de l’Etat et des collectivités publiques, les organismes de sécurité sociale, les organismes qui assurent la gestion des prestations sociales, les établissements financiers et les entreprises d’assurance sont tenus de réunir et de communiquer au fonds les renseignements dont ils disposent ou peuvent disposer et qui sont utiles à la mise en œuvre de son action récursoire. Les renseignements ainsi recueillis ne peuvent être utilisés à d’autres fins que celles prévues au présent article ou à l’article L.422-8 du code des assurances. Leur divulgation est interdite.
Lorsque l’auteur de l’infraction a fait l’objet d’une obligation d’indemnisation de la victime dans le cadre d’une peine de sanction-réparation, d’un sursis probatoire ou d’une décision d’aménagement de peine ou de libération conditionnelle et que la victime a été indemnisée par le fonds, soit en application du présent titre, soit du titre XIV bis, cette obligation doit alors être exécutée au bénéfice du fonds de garantie dans l’exercice de son recours subrogatoire et de son mandat de recouvrement au profit de la victime. ».
En l’espèce, le FGTI justifie avoir versé à Mme [T] la somme de 38.054,36 euros correspondant au montant de l’accord homologué par le président de la CIVI le 4 octobre 2019. Dès lors, au vu des décisions précitées qui ont déclaré MM. [C], [P], [A], [R] et [N] coupables des faits délictuels commis au préjudice de Mme [T] et responsables des conséquences dommageables de ces faits, le FGTI justifie de sa qualité de subrogé et du bien-fondé de son recours dans son principe. Celui-ci n’est au demeurant pas contesté par les défendeurs constitués qui ne critiquent que certains des postes d’indemnité versés à Mme [T].
Sur les conclusions du rapport d’expertise
Au terme de son rapport, le docteur [E] conclut de la façon suivante :
– Incapacité totale de travail du 22 mai au 14 juin 2010
– Déficit fonctionnel temporaire
– 100% du 22 au 26 mai 2010 (hospitalisation)
– 33% du 16 juillet au 16 août 2010
– 66% du 27 mai au 15 juillet 2010
– 15% du 17 août au 22 mai 2013
– Préjudice esthétique temporaire : 1,5/7 (du jour de l’agression au 27 septembre 2010)
– Souffrances endurées : 3/7
– Date de consolidation : 22 mai 2013
– Déficit fonctionnel permanent : 10%
– Préjudice sexuel : « signalé pour baisse de la libido, à documenter ».
Il ressort également de ce rapport qu’à la suite des faits, Mme [T] a présenté les lésions suivantes :
– des contusions faciales multiples sur la région maxillaire droite et mandibulaire droite,
– une fracture de la mandibule para symphysaire droite ayant dû être opérée le 22 mai 2020,
– une fracture de la paroi latérale du sinus maxillaire droit.
A sa sortie d’hospitalisation le 26 mai 2010, il a été prescrit à Mme [T] un traitement antalgique et antibiotique ainsi que des bains de bouche pour un blocage mandibulaire gardé une semaine avec des élastiques. Elle n’a pu consommer que des aliments liquides pendant cinq semaines supplémentaires et a par la suite bénéficié de soins et traitements dentaires et d’un suivi psychologique.
Le docteur [E] indique en outre que Mme [T] « présente actuellement des séquelles algiques et dysesthésiques modérées de son traumatisme maxillo facial sans limitation importante des articulations de mâchoires et un syndrome post commotionnel détaillé par l’expert psychologue, tous éléments en relation médico-légale directe et certaine avec le traumatisme initial en l’absence de tout état antérieur susceptible d’interférer sur les faits de l’instance ».
L’expert psychologue a, quant à elle, conclu que « l’entretien et les tests montrent, six ans après l’agression qu’elle a subie, un important retentissement sur le plan psychique même si elle tente de refouler ses émotions et de ne rien laisser paraître de son anxiété. Elle présente un état de stress post traumatique modéré mais chronicisé. ».
Sur les préjudices patrimoniaux
– Dépenses de santé et frais divers
Le FGTI ne fournit aucune explication sur la nature des frais divers. Il ne produit en outre aucune pièce pour justifier de ces frais et des frais dentaires qu’il a également indemnisés. Il sera par conséquent débouté de la demande qu’il forme de ce chef.
Sur les préjudices extra-patrimoniaux
– Sur les préjudices extra-patrimoniaux temporaires
– Déficit fonctionnel temporaire
Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique. Par conséquent, il inclut les préjudices sexuel et d’agrément durant la période temporaire.
Le FGTI a versé la somme de 5.001,50 euros en réparation de ce poste de préjudice sur une base de 25 euros par jour. MM. [C] et [R] considèrent que cette somme est excessive et doit être ramenée à 20 euros par jour, soit une indemnité totale de 4.001 euros
Au vu des séquelles et soins subis, la base d’indemnisation de 25 euros par jour retenue par le FGTI correspond à une juste évaluation de ce préjudice. Il sera par conséquent fait droit à la demande formée à ce titre, soit 5.001,50 euros.
– Souffrances endurées
Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.
Elles ont été indemnisées à hauteur de 6.000 euros par le FGTI. M. [R] soutient qu’une somme de 3.500 euros correspond davantage aux indemnisations alors appliquées.
En l’espèce, l’expert relève que Mme [T] « a subi un traumatisme maxillo-facial et psychologique important, a été opérée puis immobilisée au niveau mandibulaire avant de reprendre, dans l’urgence, ses activités professionnelles, a été soignée pour ses dents (factures à l’appui), et consulté plusieurs psychologues dont le dernier en date la suit toujours. L’importance des souffrances endurées sera globalement évaluée à 3/7 ».
Par suite, au vu du traumatisme initial (contusions faciales multiples sur la région maxillaire droite et mandibulaire droite, fracture de la mandibule para symphysaire droite et fracture de la paroi latérale du sinus maxillaire droit), des traitements subis (intervention sous anesthésie générale, blocage mandibulaire, alimentation uniquement liquide pendant six semaines) et du retentissement psychique des faits, s’agissant notamment de faits de vol avec violences commis par plusieurs auteurs de nuit, ce poste de préjudice sera évalué à la somme de 6.000 euros.
– Préjudice esthétique temporaire
Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers et ce, jusqu’à la date de consolidation.
Il a été coté à 1,5/7 par l’expert. Au vu des séquelles et traitements subis et en l’absence de toute contestation des défendeurs, il sera fait droit à la demande formée par le FGTI à ce titre, soit 1.200 euros.
– Sur les préjudices extra-patrimoniaux permanents
– Déficit fonctionnel permanent
Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d’existence. Il a été évalué à 10% par l’expert.
Le FGTI soutient que l’indemnité qu’il a versée à Mme [T] à ce titre (18.000 euros) est très inférieure à ce qui est habituellement alloué par les juridictions civiles pour une victime de cet âge. Les défendeurs sollicitent une indemnisation sur la base de 1.180 euros du point.
Compte tenu de l’état séquellaire rappelé ci-avant et de l’âge de Mme [T] au moment de la consolidation de son état (26 ans), il sera fait droit à la demande formée par le FGTI à ce titre, soit 18.000 euros.
– Préjudice sexuel
Le préjudice sexuel tend à réparer les effets permanents des séquelles touchant à la sphère sexuelle. Il faut distinguer :
– le préjudice morphologique, lié à l’atteinte des organes sexuels primaires et secondaires,
– le préjudice lié à la vie sexuelle elle-même, qui repose essentiellement sur la perte de plaisir ou de confort lors de l’accomplissement de l’acte sexuel,
– le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer.
Ce poste de préjudice a été indemnisé à hauteur de 1.500 euros par le FGTI. Celui-ci fait valoir que Mme [T] a subi une perte de libido liée aux séquelles algiques persistantes au niveau maxillo facial et au syndrome de stress post-traumatique.
MM. [F] et M. [R] concluent au rejet de la demande formée à ce titre au motif que le préjudice en cause n’est justifié ni dans son principe, ni dans son quantum.
Sur ce,
Il est constant que la bouche est assimilée à un organe sexuel secondaire et qu’un syndrome de stress post-traumatique peut avoir une incidence sur la libido de la victime. Cependant, il convient de relever que le déficit fonctionnel temporaire inclut le préjudice sexuel avant consolidation, que les séquelles algiques et désesthésiques du traumatisme maxillo-facial sont jugées modérées par l’expert et sans limitation importante des articulations de mâchoires, que devant le docteur [E], Mme [T] a évoqué une baisse de la libido sans manifestement de plus amples explications puisque l’expert indique que le préjudice invoqué « devra être documenté ou plaidé par l’avocat de la victime » et que l’expert psychologue ne rapporte pas de doléances particulières de la victime sur sa vie intime. Le FGTI n’invoque en outre aucun élément ou explication fourni par Mme [T] lors de leurs discussions.
Dans ces conditions, en l’absence de plus amples éléments mis en débat, la demande formée au titre de l’indemnité visant à réparer le préjudice sexuel de Mme [T] sera rejetée.
En définitive, la créance détenue par le FGTI à l’égard des défendeurs au titre de l’indemnisation versée à Mme [T] s’élève à la somme totale de 30.201,50 euros (5.001,50 + 6.000 +1.200 +18.000) avant imputation des paiements reçus.
Il ressort des pièces versées aux débats qu’à la date de l’introduction de l’instance, le FGTI avait reçu de MM. [R] et [A] une somme de 3.684,99 euros ce qui porte le montant de sa créance à la somme de 26.516,51 euros (30.201,50 – 3.684,99). Il est en outre établi que M. [R] a effectué d’autres paiements depuis. Par suite, la condamnation sera prononcée en deniers ou quittances.
Ainsi que le rappelle justement le FGTI, en application de l’article 480-1 du code de procédure pénale, « Les personnes condamnées pour un même délit sont tenues solidairement des restitutions et des dommages-intérêts. ». Dès lors, au vu des décisions rappelées ci-avant, le FGTI est bien fondé à solliciter la condamnation solidaire de l’ensemble des défendeurs, exception faite de Mme [W] qui est tenue in solidum avec son fils. M. [R] ne peut par conséquent pas solliciter une division des condamnations tenant compte des versements qu’il a effectués.
Compte tenu de l’ancienneté du litige, il sera fait droit à la demande du FGTI tendant à voir reporter le point de départ des intérêts au 23 août 2021.
Sur les demandes de délais de paiement
M. [R] sollicite, compte tenu de sa situation économique, la poursuite des délais de paiement qui lui ont été implicitement accordés par le FGTI à hauteur de 100 euros par mois.
M. [C] soutient que sa situation personnelle et économique ne lui permet pas de régler en une seule fois le montant de la condamnation susceptible d’être mise à sa charge et que la situation économique du FGTI ne s’oppose manifestement pas à l’octroi de délais de paiement. Il demande en conséquence à être autorisé à se libérer de sa dette en versements mensuels de 200 euros outre une 24ème échéance égale au solde dû.
Le FGTI s’oppose aux demandes de délais aux motifs que MM. [C] et [R] ne démontrent pas que leur situation financière et personnelle ne leur permet pas de régler leur dette, que la facilité de paiement qu’il a consentie à M. [R] n’était que provisoire, que celui-ci a interrompu les versements mensuels de 100 euros auxquels il procédait et n’explique pas comment il pourra régler le solde dû au bout de 24 mois. Il soutient que M. [C] ne justifie pas davantage de sa capacité à s’acquitter de sa dette selon les modalités qu’il propose alors qu’il n’a jusqu’à présent procédé à aucun paiement. Il rappelle en outre qu’il agit au nom de la solidarité nationale et que les défendeurs ont été définitivement condamnés à réparer l’entier dommage subi par Mme [T] en 2013 de sorte qu’ils ont déjà bénéficié des plus larges délais de paiement.
Sur ce,
Aux termes de l’article 1343-5 du code civil, « Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Toute stipulation contraire est réputée non écrite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d’aliment. ».
En l’espèce, en dépit des démarches amiables initiées par le FGTI en 2016 pour obtenir le remboursement de la provision versée à Mme [T] puis en 2019 celui du solde de l’indemnité, M. [C] n’a procédé à aucun paiement alors qu’il ne conteste qu’une partie de la créance revendiquée à son encontre. Il ne développe en outre aucune argumentation et ne produit aucune pièce pour justifier de sa situation financière et de sa capacité à rembourser sa dette selon les modalités qu’il sollicite. Il sera par conséquent débouté de sa demande de délais.
S’agissant de M. [R], il produit ses avis d’impôt sur les revenus de 2015 à 2020 justifiant qu’au titre de ces années, il n’était pas imposable. Cependant, il ne fournit aucune explication, ni ne communique aucun élément sur sa situation financière et personnelle actuelle. De plus, s’il est établi qu’il a procédé à des paiements mensuels de 150 euros entre janvier 2020 et juin 2021 et qu’il a par la suite effectué plusieurs règlements de 100 euros, il ne justifie pas que les virements en cause sont toujours en cours, le dernier d’entre eux datant de janvier 2023. Dans ces conditions, M. [R] ne rapporte pas la preuve de sa capacité à apurer sa dette selon les modalités qu’il sollicite. Il sera par conséquent également débouté de sa demande de délais.
Sur les autres demandes
Les défendeurs qui succombent seront condamnés in solidum aux dépens et à verser au FGTI la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l’espèce à compter du 1er janvier 2020. Il n’y a pas lieu de l’écarter.
Le tribunal, statuant publiquement par jugement réputé contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
Condamne solidairement M. [L] [P], M. [J] [C], M. [K] [R] et M. [V] [A], ce dernier in solidum avec Mme [O] [W], à payer au Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions la somme de 26.516,51 euros en deniers ou quittances, cette somme étant augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 août 2021 ;
Déboute M. [J] [C] et M. [K] [R] de leurs demandes de délais de paiement ;
Condamne in solidum M. [L] [P], M. [J] [C], M. [K] [R] et M. [V] [A], M. [X] [N], Mme [O] [W] à payer au Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [L] [P], M. [J] [C], M. [K] [R] et M. [V] [A], M. [X] [N], Mme [O] [W] aux dépens ;
Rappelle que la présente décision bénéficie de plein droit de l’exécution provisoire ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l’exposé du litige ;
Fait et jugé à Paris le 08 Octobre 2024.
Le Greffier La Présidente
Nadia SHAKI Géraldine DETIENNE